Monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui en visioconférence Mme Aija Kalnaja, directrice exécutive intérimaire de l'agence Frontex, alors que la Commission européenne réfléchit à une révision du règlement 2019/1896 qui encadre l'action de l'agence. Comme vous le savez, avec François-Noël Buffet, président de la commission des lois, nous avons été chargés d'examiner la situation actuelle de l'agence.
Madame la directrice, permettez-moi avant toute chose de saluer le professionnalisme des personnels de Frontex, dont la mission est essentielle à la pérennité de l'espace Schengen. Je vous remercie sincèrement pour votre disponibilité, car votre temps est précieux, le poste de directeur exécutif de Frontex étant très certainement l'un des plus exigeants de l'Union européenne. Et votre nomination est intervenue dans un contexte troublé.
En effet, Frontex connaît depuis plusieurs mois à la fois une crise de croissance et une crise de confiance. La crise de croissance, c'est une agence, qui, faute de temps pour se doter de l'expertise nécessaire, assume avec difficultés son mandat élargi fin 2019, en particulier dans l'analyse des risques ou la communication sur ses opérations. La crise de confiance, c'est une agence opérationnelle, la plus puissante de l'Union européenne, « sous pression » depuis 2020 en raison d'attaques continues contre ses actions.
Son ancienne direction, incarnée par M. Fabrice Leggeri entre 2015 et avril dernier, a en effet été accusée de complicité de violations des droits fondamentaux de migrants traversant la mer Égée ainsi que de plusieurs irrégularités et manquements. Ces éléments ont enclenché une série inédite d'investigations de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), du Parlement européen, de la Cour des comptes européenne ou encore du Médiateur européen...
Une part des irrégularités et manquements allégués a été confirmée par l'enquête de l'OLAF mais, je dois vous le dire, cette enquête, qui a « fuité » dans la presse, est loin d'être toujours convaincante, en particulier lorsqu'elle accuse Frontex de violations qui relevaient en réalité de la responsabilité des États membres.
Il faut le déplorer, tout comme il faut déplorer les divergences existant aujourd'hui sur les priorités de Frontex au sein des institutions européennes et les conflits de personnes qui ont fortement contribué à la situation actuelle.
Ce constat n'est pas satisfaisant. C'est pourquoi je veux saluer vos efforts pour mettre en oeuvre efficacement les dispositifs du règlement de 2019, à l'instar du meilleur accès au mécanisme de traitement des plaintes en cas de violation des droits fondamentaux. Mais attention, sur ce point, à ne pas créer une « usine à gaz » administrative qui empêcherait toute prise de décision au sein de l'agence en raison d'une atmosphère de défiance et de délation généralisées.
En effet, il est urgent que l'agence Frontex puisse de nouveau obtenir des résultats sur le terrain. Car, entre janvier et septembre 2022, l'agence a enregistré une augmentation de 70 % en un an des franchissements irréguliers aux frontières extérieures de l'Union européenne.
C'est pourquoi, Madame la directrice, pouvez-vous nous expliquer quelles ont été vos priorités pour le bon fonctionnement de Frontex depuis votre nomination ? Ne pensez-vous pas qu'un pilotage politique renforcé de l'agence serait souhaitable ? Enfin, pouvez-vous nous expliquer comment Frontex travaille à améliorer son action en matière de retour ?
Je serai rapide après le propos introductif du président Jean-François Rapin qui a couvert l'essentiel de nos préoccupations. Je souhaite moi aussi vous remercier d'avoir accepté cette audition et souligner que le bon fonctionnement et l'efficacité de Frontex sont indispensables, à l'échelle européenne comme à celle de la France, puisque notre pays s'appuie sur le soutien de Frontex pour mener des opérations de reconduite aux frontières. Ce n'est pas un « petit » sujet, mais un point d'attention particulièrement important pour la commission des lois comme la commission des affaires européennes du Sénat qui ont toujours suivi de très près l'évolution de l'agence, singulièrement depuis la crise migratoire de 2015.
Depuis cette date, Frontex a dû relever deux grands enjeux : un enjeu de croissance, la forte expansion de l'agence dans un délai extrêmement court nécessitant de la structurer très rapidement, et un enjeu opérationnel.
La situation vécue par l'agence il y a quelques mois peut probablement être qualifiée de crise : elle a entraîné des remises en cause fondamentales sur les pratiques de l'agence. Il ne nous appartient pas de juger, mais nous avons besoin de comprendre, car l'agence est, pour nous Français mais surtout pour les Européens, un outil extrêmement utile. Les fuites dans la presse - qu'elles soient organisées ou non - du rapport de l'OLAF suscitent évidemment le trouble. Nous attendons donc de votre audition qu'elle apporte de la clarté dans ce débat et qu'elle nous éclaire aussi sur la manière de travailler avec Frontex.
Je souhaite commencer mon intervention en vous remerciant sincèrement de votre invitation qui me permettra de répondre à vos questions. Je perçois cette audition comme un privilège, puisqu'elle nous permettra d'engager un échange de vues, mais aussi comme une opportunité qui m'est donnée d'entendre vos préoccupations. Je ferai véritablement de mon mieux pour répondre à toutes vos interrogations.
J'ai pris note de la liste de questions que vous m'avez fait parvenir et, avec mes collègues, nous y répondrons par écrit. De plus, si je n'avais pas le temps de répondre de manière exhaustive à l'ensemble de vos interrogations au cours de cette audition, n'hésitez pas à me faire suivre les points nécessitant des explications complémentaires et nous y répondrons également par écrit.
Comme vous l'avez souligné à juste titre, l'agence Frontex, comme toute l'Union européenne, est confrontée à un risque d'instrumentalisation des migrations. Cette situation n'est pas nouvelle, elle connaît des précédents qui sont relatés dans les livres d'histoire. Pour atteindre des objectifs politiques, certains de nos voisins sont en effet prêts à utiliser des boucliers humains, ce qui ne peut que nous heurter. De plus, une guerre, que beaucoup pensaient impossible, a été déclarée sur le continent européen le 24 février 2022. Notre environnement est également marqué par une pression migratoire croissante qui concerne l'ensemble des frontières de l'Union européenne.
Vous avez indiqué en introduction que le nombre de franchissements illégaux avait progressé de 70 % au sein de l'Union européenne. Permettez-moi à ce sujet d'ajouter que nous avons enregistré 130 000 franchissements irréguliers par le corridor des Balkans occidentaux au cours des derniers mois. Ce chiffre démontre qu'il faut impérativement renforcer le contrôle des franchissements des frontières sans nous limiter aux frontières de la seule Union européenne.
Je souhaite aussi attirer votre attention sur l'augmentation de la violence aux frontières. Ce phénomène a d'abord commencé par des tirs d'armes à feu en Biélorussie, suivis par des violences à la frontière turque, puis à la frontière entre la Hongrie et la Serbie où l'on observe une pression migratoire de plus en plus forte. Depuis le mois d'août dernier, environ 70 000 franchissements illégaux ont été recensés sur cette frontière longue de plus de 150 kilomètres et évidemment très difficile à contrôler. Des tirs ont également eu lieu, lundi 7 novembre, à la frontière entre la Turquie et la Bulgarie, tirs ayant provoqué le décès d'un garde-frontière bulgare tué par une balle à la tête pendant une patrouille. Lors de cet accès de violences, une deuxième personne a également été grièvement blessée. Voici les situations auxquelles nous sommes confrontés aux frontières de l'Union européenne. Dans ce contexte fort difficile, je tiens à saluer le travail mené par le personnel de Frontex, qui poursuit sa mission malgré les difficultés, notamment à la frontière bulgare.
Effectivement, la croissance de l'agence a été extrêmement rapide. L'agence Frontex, dans son fonctionnement actuel, a été établie par le règlement (UE) n° 2016/1624 du 14 septembre 2016 qui n'a pas été totalement mis en oeuvre, puis par le règlement (UE) n° 2019/1896 du 13 novembre 2019. Cette dernière modification était visionnaire. Elle a actualisé notre conception de la gestion des frontières et a donné la possibilité à l'Union européenne d'appuyer les États membres dans leur surveillance.
La pression politique était forte et les délais extrêmement serrés. En conséquence, la croissance de l'agence a entraîné des difficultés opérationnelles. Dans le règlement de 2019, il était précisé que le personnel permanent de l'agence serait déployé en une année. Ce défi a été relevé. Nous avons recruté et formé du personnel mais aussi équipé ce personnel d'uniformes et des moyens nécessaires à la réalisation de ses missions.
Pour autant, avons-nous tout fait correctement ? Non, il faut le constater. Mais, pour rappel, l'agence avait indiqué, dès l'adoption de son nouveau mandat, qu'il lui serait très difficile de l'assumer intégralement dans de bonnes conditions, compte tenu de la brièveté des délais impartis mais aussi des contraintes juridiques existantes pour les achats et les recrutements, entre autres. À titre d'exemple, il n'existait aucune règle pour le recrutement d'un contingent de personnels en uniformes aux couleurs de l'Union européenne et armés. Nous avons donc dû inventer les règles et les adapter au fur et à mesure que nous avancions. Finalement, nous avons vécu dans la maison que nous étions en train de construire. Pour ces raisons, je souhaite sincèrement vous remercier d'avoir indiqué que vous reconnaissiez les difficultés que nous avons traversées. Vous nous avez aussi fourni un soutien important dont je vous suis particulièrement reconnaissante. Je transmettrai votre message aux personnels de l'agence, car il est important pour eux de savoir qu'ils ne sont pas isolés face au reste du monde.
Cela étant, sans la pression exercée sur nos délais, aurions-nous été en mesure de déployer des ressources supplémentaires à la frontière ukrainienne en quelques jours ou quelques semaines lorsque la guerre a été déclarée ? Sur ce point, Frontex a aussi bénéficié des experts nationaux détachés par les Etats membres. Ces détachements, qui, selon les cas, peuvent durer quelques mois ou plusieurs années, nous permettent de déployer des équipes sur le terrain en quelques jours alors qu'auparavant, de tels déploiements nécessitaient au moins deux semaines.
Vous avez aussi insisté sur le fait que Frontex travaillait aujourd'hui dans un environnement complexe, tant sur le plan interne qu'externe. C'est juste. À la suite à la démission de l'ancien directeur exécutif, au mois de mai dernier, j'ai été chargée par le conseil d'administration d'occuper ce poste par intérim sous sa supervision. L'équipe de direction a alors adopté une approche collective pour gérer cette période de transition. Je m'appuie particulièrement sur les directeurs exécutifs adjoints qui ont la meilleure connaissance opérationnelle des dossiers. Cette approche a permis d'améliorer notre fonctionnement interne. J'ai ensuite été nommée directrice exécutive par intérim le 1er juillet 2022, avec un pouvoir décisionnel plein mais sans possibilité de procéder à des changements organisationnels, ces changements éventuels devant relever du futur directeur exécutif, décision qui me semble parfaitement pertinente.
Je veux confirmer que la direction de l'agence travaille en étroite collaboration avec le conseil d'administration. Je suis en contact chaque jour avec le président du conseil d'administration et nous rendons compte de nos activités lors des nombreuses sessions du conseil. Par ailleurs, nos relations avec la Commission européenne sont excellentes et nous confortons nos relations avec l'ensemble des parties prenantes aux dossiers dont nous avons la charge.
L'agence s'est fixée plusieurs priorités à gérer pendant la période intérimaire. La première est de poursuivre les opérations en cours et de les adapter à l'évolution du contexte géopolitique et de la situation aux frontières européennes. Notre deuxième chantier est de poursuivre la stabilisation de l'agence. Nous voulons regagner la confiance de nos partenaires et montrer que Frontex est capable d'accomplir ses tâches conformément à la réglementation en vigueur, qu'il s'agisse du droit européen ou du droit international relatif au contrôle des frontières. Notre troisième priorité est d'améliorer l'environnement de travail de notre personnel et de le rassurer afin qu'il ne se sente pas seul. À cette occasion, je tiens à réitérer mes remerciements au Parlement européen et aux parlements nationaux qui ont fait part de leur soutien vis-à-vis de l'agence, car Frontex a vraiment besoin de l'appui des États membres.
Concernant nos opérations en cours, je peux vous indiquer que nous déployons actuellement 2 354 membres du contingent permanent dans 18 opérations conjointes au sein de l'Union européenne et en dehors. L'agence Frontex, conformément aux accords de statut signés avec plusieurs pays des Balkans, est présente dans ces pays. De façon générale, nous couvrons plus de 200 localisations différentes.
Par ailleurs, cette année, nous avons augmenté le nombre de retours de migrants irréguliers dans leur pays d'origine de manière significative, en atteignant un chiffre record de 21 000 retours, dont 12 659 retours forcés et plus de 7 000 retours volontaires. En 2021, par comparaison, le nombre de retours était de 14 000. La hausse est donc supérieure à 30 % aujourd'hui, alors même que l'année 2022 n'est pas encore terminée.
Pour oeuvrer à la stabilisation de l'agence, nous avons constitué un groupe de travail pour se pencher sur la question des refoulements et avons analysé les rapports et recommandations émises dans le cadre des divers audits et enquêtes.
Notre première décision a été de revoir le positionnement de l'officier aux droits fondamentaux, qui fait désormais partie de la structure décisionnaire de l'agence. Cet officier et son équipe ont ainsi un accès complet à l'ensemble des informations disponibles. Le 16 octobre dernier, nous avons aussi finalisé le recrutement de 46 contrôleurs des droits fondamentaux. L'équipe chargée du respect des droits fondamentaux regroupe dorénavant plus de 60 personnes au sein de l'agence. Nous avons également redéfini la procédure de signalement des incidents graves relatifs à la violation des droits fondamentaux. L'officier aux droits fondamentaux a ainsi accès à tous les signalements. Enfin, en cas de violation grave des droits fondamentaux, je rappelle que, conformément aux dispositions de l'article 46 du règlement (UE) n° 2019/1896, le directeur exécutif de l'agence peut suspendre tout ou partie des opérations conjointes menées avec des États membres, ou interrompre le financement européen de ces opérations.
Sur ce fondement, l'officier aux droits fondamentaux établit des rapports et des recommandations sur la mise en oeuvre de la stratégie de l'agence à l'égard des droits fondamentaux. Il en réfère directement à l'équipe de direction et au Parlement européen. En complément, en juin dernier, le conseil d'administration a demandé au directeur exécutif de répondre à ces recommandations et à celles du forum consultatif de l'agence, qui est composé de représentants de la société civile et d'organisations internationales, dont des institutions de l'Union européenne, et dont le rôle est de prodiguer des conseils à l'agence pour s'assurer de la conformité de ses actions aux droits fondamentaux.
Concomitamment, nous avons aussi renforcé la transparence de nos procédures en améliorant nos échanges avec le Parlement européen et en répondant aux observations du Médiateur européen.
Plusieurs mesures ont enfin été lancées pour améliorer le bien-être des salariés et la culture managériale au sein de Frontex. L'équipe de direction a consulté le comité du personnel avec l'aide d'experts détachés pour cartographier les activités que nous pourrions conduire afin d'améliorer l'environnement de travail. Il est à noter que les salariés prennent pleinement part au processus de décision sur ces questions.
Notre stratégie en matière de ressources humaines, en cours d'approbation, couvre quatre domaines : la santé et la sécurité du personnel au siège de l'agence comme dans les théâtres d'opérations ; la diversité et « l'inclusion », notamment en matière de représentation des genres et des minorités ; la culture de l'agence qui veut être une culture « d'inclusivité » et de tolérance zéro vis-à-vis du harcèlement mais aussi une culture de responsabilisation et d'autonomie ; la qualité du dialogue social. Des investissements considérables ont été consentis en termes de communication externe avec les parties prenantes, dont celles issues de la société civile. La communication interne figure également parmi nos préoccupations, car nous souhaitons entendre le personnel pour tirer profit de ses expériences mais aussi lui expliquer les changements et les décisions prises par la direction.
Concernant les prochaines étapes et nos pistes d'amélioration et de développement, nous avons pris bonne note des recommandations de la Cour des comptes européenne comme de celles émises par le Parlement européen et par l'OLAF. Dans ce domaine, je souhaite toutefois insister sur le fait que l'agence a engrangé des réussites et qu'elle a apporté son soutien aux États membres en accomplissant ses missions, y compris en des temps difficiles. Cependant, il est essentiel de conforter l'intégration de l'agence dans la réponse globale de l'Union européenne aux questions de migration et de sécurité, qui sont étroitement liées : les questions migratoires sont prioritairement évoquées lorsque l'on évoque Frontex, mais il ne faut pas oublier le volet sécurité et il est donc essentiel d'associer l'agence à la réponse globale qui sera apportée par l'Union européenne et par ses États membres au défi international migratoire et au défi international sécuritaire. Ce n'est qu'à cette condition que nous serons en mesure d'apporter une réponse collective et de faire en sorte que notre travail porte ses fruits.
Il faut aussi ajouter que de nombreuses questions ne relèvent pas de la compétence de l'agence Frontex, par exemple l'aide humanitaire aux pays d'origine des migrations irrégulières ou encore l'action publique et politique. Nous devons donc plutôt nous focaliser sur la gestion intégrée des frontières et sur la manière dont s'organisent les garde-côtes et garde-frontières. Et dans ce domaine, je le répète, l'agence doit travailler main dans la main avec les États membres.
Dans ce cadre, il nous faut nous pencher sur la manière de prévenir les futures menaces aux frontières européennes, car, lorsqu'elles apparaissent, il est souvent trop tard. C'est malheureusement ce que nous constatons actuellement en Bulgarie où le niveau de violence aux frontières est considérable. Nous devons aussi nous atteler à la modernisation de la gestion de nos frontières extérieures, avec la mise en place de la base de suivi des entrées et sorties des ressortissants de pays tiers (EES) et de l'European Travel Information and Authorisation System (ETIAS), qui est un système d'information portant sur les autorisations de déplacement.
Enfin, les retours des migrants irréguliers dans leur pays d'origine sont essentiels pour gérer les flux migratoires. Les personnes qui n'ont pas le droit de rester sur un territoire doivent retourner dans leur pays. Cependant, le taux de retour enregistré à date ne dépasse pas 30 %, c'est-à-dire que 70 % des personnes présentes illégalement sur un territoire de l'Union européenne et qui ne peuvent y rester ne retournent pas dans leur pays d'origine. C'est là que Frontex doit mieux coopérer avec l'Union européenne et ses États membres. Des accords de réadmission doivent être conclus avec les pays d'origine. Aucun État membre ne peut résoudre le problème seul, pas plus que l'agence ne peut le résoudre seule, mais ensemble nous avons bien plus de chances d'aboutir.
Je vous propose sans plus attendre de répondre aux questions de nos collègues.
Le refus de décharge budgétaire pour Frontex intervenu mi-octobre au Parlement européen et le rapport de l'OLAF montrent que vous avez une lourde charge à accomplir pour redonner du crédit à l'agence et rassurer les États membres et les parlementaires. Cette situation m'amène à poser une question centrale qui est celle des marges de manoeuvre dont vous disposez à l'égard des États membres dont vous dépendez pour la mise en place de vos actions. Je m'interroge aussi sur votre capacité à dire les choses lorsqu'un des États membres ne respecte pas les droits fondamentaux des migrants. Ceci m'amène à évoquer le cas particulier de la Grèce, qui a été accusée de refouler massivement des migrants en provenance de Turquie. Frontex a été accusée a minima de complaisance dans cette affaire, voire de complicité. Aussi, quelles mesures votre agence a-t-elle prises pour permettre que ces difficultés soient aplanies ? Quelles sont actuellement vos relations avec les autorités turques en vue d'apaiser les tensions entre la Turquie et la Grèce et faire en sorte que les naufrages et les décès en mer Égée cessent ?
J'ai deux séries de questions.
La première concerne la Moldavie. En mars dernier, le Conseil a validé un accord de partenariat entre Frontex et la Moldavie pour soutenir cette dernière dans la gestion de ses frontières dans le contexte de la guerre en Ukraine. Quel premier bilan tirez-vous de ce partenariat ? Combien d'agents Frontex y a-t-elle déployés ? Plus largement, quel est le bilan des partenariats de Frontex avec les pays tiers ?
Ma deuxième série de questions est relative aux régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union européenne dont certaines sont soumises à une forte pression migratoire, notamment Mayotte, la Guyane et Saint-Martin mais pas uniquement. Localement, des voix s'élèvent pour dire que Frontex devrait également intervenir dans les RUP afin de garder les frontières extérieures de l'Europe, puisque les RUP font partie intégrante de l'Europe. Ce dispositif existe aux Canaries et à Madère, me semble-t-il. Le cas échéant, quelles en seraient les conditions, notamment juridiques ? Pensez-vous qu'une telle évolution est opportune ?
Vous avez évoqué une autre mission clé de l'agence Frontex, la sécurité, et plus particulièrement, la lutte contre le crime transfrontalier. Or le rapport spécial de la Cour des comptes européenne consacré à votre agence a souligné les résultats trop limités de son action dans ce domaine. Comment comptez-vous répondre à cette critique, par quels moyens et quels leviers ?
À plusieurs reprises récemment, le Parlement européen a refusé de donner décharge pour notre budget, tout en nous adressant plusieurs recommandations. D'autres recommandations résultent du rapport spécial de la Cour des comptes de l'Union européenne que vous venez d'évoquer et du rapport de l'OLAF, qui a demandé à l'agence de préparer une feuille de route précisant comment elle comptait remédier aux manquements constatés. En s'appuyant sur son conseil d'administration, l'agence Frontex souhaite répondre à l'ensemble de ces recommandations afin de retrouver la confiance de ses interlocuteurs. La réponse à ces recommandations nous conduira à établir un plan d'action dont les avancées seront ensuite présentées au conseil d'administration au cours de points d'étape. Chaque séance du conseil sera l'occasion de dresser l'état des lieux des progrès réalisés. Des rapports seront également transmis régulièrement au Parlement européen pour restituer nos travaux et faire état des progrès réalisés.
Il faut constater que la liste des recommandations à suivre par l'agence est longue. Nous en sommes conscients. Voilà pourquoi nous avons commencé par cartographier nos manquements avant de déterminer les actions à entreprendre. Toute l'agence s'attelle à cette tâche. Nous savons que, pour restaurer la confiance de nos partenaires, il nous faudra agir dans la durée.
Une question m'a été posée concernant notre capacité à nous exprimer et à interpeller les États membres qui ne seraient pas en conformité avec le respect des droits fondamentaux. À ce sujet, je souhaite rappeler que l'agence n'a pas de pouvoir d'enquête sur les pratiques des États membres. Ce ne serait d'ailleurs pas souhaitable. Le législateur a eu raison de ne pas conférer ce pouvoir d'enquête à l'agence. Il existe des autorités nationales et des autorités internationales, y compris des autorités judiciaires, qui jouent ce rôle.
L'officier aux droits fondamentaux de l'agence, qui occupe une fonction indépendante, est le seul en mesure de mener une enquête sur des violations, avérées ou potentielles, de ces droits, en coopération avec les États membres. Pour le cas particulier de la Grèce, à la suite du rapport de l'OLAF et des avis émis par l'officier aux droits fondamentaux, nous avons tâché de répondre aux préconisations émises dès avril et jusqu'en juillet 2022. Mais force est de constater que, si des violations systématiques des droits fondamentaux par un État membre sont constatées par Frontex, la rectification de cette situation prend du temps et nécessite l'ouverture d'un dialogue. C'est pourquoi nous demandons aujourd'hui aux autorités helléniques de présenter un plan structuré pour remédier aux manquements relevés. Nous travaillons également à la mise en oeuvre d'un cadre indépendant apte à répondre à ces situations et à les corriger. Lorsque des violations des droits fondamentaux sont constatées, nous devons les résoudre collectivement.
Concernant l'action de Frontex en Moldavie, l'accord de statut qui a été signé doit permettre à l'agence de déployer des personnels de son contingent permanent, susceptibles de participer aux contrôles effectués aux frontières. Ainsi, dix-huit membres de notre personnel ont été déployés dans les aéroports. Et, à l'heure actuelle, 73 membres de l'agence travaillent en Moldavie aux côtés de leurs collègues moldaves. Notre travail est apprécié par les autorités compétentes qui manquent de personnel qualifié mais aussi d'équipements techniques et de connaissances sur les méthodes modernes de gestion des frontières. Sur ce point, je rappelle que la Moldavie a présenté une demande de candidature pour entrer dans l'Union européenne, processus qui prendra un certain temps. En attendant, nous continuons à appuyer les autorités moldaves pour les aider à se mettre en conformité avec les normes et standards européens en matière de gestion des frontières.
Je souhaite également préciser que notre coopération avec les pays tiers est indispensable, compte tenu de la pression migratoire à laquelle ces pays sont confrontés. Ces liens nous permettent aussi de travailler en confiance avec leurs autorités. La plupart des opérations que nous menons avec ces pays tiers ont lieu dans le cadre d'accords de travail, qui sont noués directement par Frontex avec les États partenaires et qui permettent à l'agence de bénéficier d'un statut d'observateur sur le terrain. Ils diffèrent des accords de statut qui sont négociés par la Commission européenne et qui donnent à l'agence le droit de déployer du personnel en uniforme avec des pouvoirs de contrôle. Il est important d'accroître le nombre de ces accords. À l'heure actuelle, dans cette perspective, nos discussions avancent bien avec le Sénégal et la Mauritanie et, il y a deux semaines, j'ai eu une réunion très fructueuse avec le Maroc, pays avec lequel nous avons trouvé un accord sur la formalisation de notre collaboration opérationnelle par l'intermédiaire de la signature d'un accord de travail tout d'abord, et potentiellement d'un accord de statut à l'avenir.
La question posée sur la lutte contre le crime transfrontalier renvoie, quant à elle, à ma remarque précédente soulignant que la problématique de la gestion des frontières rejoint celle de la gestion des migrations. C'est en effet bien aux frontières que l'on peut empêcher la criminalité et le terrorisme d'entrer dans l'Union européenne. Je veux souligner sur ce point l'apport du règlement (UE) n° 2019/1896, qui consacre explicitement cette mission de Frontex et en tire les conséquences juridiques, ce qui n'était pas le cas dans le règlement de 2016. Par exemple, l'agence n'avait pas le droit d'échanger des données à caractère personnel pour aider à lutter contre la criminalité transfrontière. Désormais, c'est possible : nous pouvons transmettre des données à caractère personnel sur des suspects ainsi que sur les personnes arrêtées du fait d'activités criminelles à la frontière. Grâce à cette ouverture, nous pouvons agir avec les États membres et Europol. Pour rappel, Frontex n'est pas autorisée à mener des enquêtes mais, grâce à ses activités de surveillance aux frontières, elle peut fournir un appui aux États membres afin de détecter des activités criminelles. Nos « débriefings » permettent de fournir des renseignements sur les groupes criminels qui organisent le passage des migrants, mais aussi sur le trafic d'armes et la traite d'êtres humains. Ceci suppose un travail conjoint avec les États membres, les institutions de l'Union européenne, Europol et Eurojust.
Je souhaite vous poser trois questions.
La première a trait aux moyens dont vous disposez pour accomplir votre mission. Vous avez rappelé que nous enregistrions une augmentation importante du nombre de migrants illégaux. C'est un phénomène dont nous nous rendons compte dans les différents pays de l'Union européenne, singulièrement en France. Ce constat pose la question de la surveillance des frontières extérieures de l'Union européenne. Certes, Frontex n'est pas le seul outil à activer pour cette surveillance, qui doit être assurée en premier lieu par les États membres concernés. Toutefois, l'agence a-t-elle les moyens d'assurer efficacement sa mission de soutien aux États pour la surveillance des frontières extérieures?
Ma deuxième question concerne les modalités de fonctionnement de Frontex. Le pacte sur la migration et l'asile proposé par la Commission en 2020 n'est toujours pas adopté. Un certain nombre d'États membres - et ils sont nombreux - émettent de vives réserves à son endroit, même si la crise ukrainienne a un peu amélioré la situation et fait évoluer les pays du groupe de Viegrad. Nous sommes toutefois loin d'une approbation globale de ce pacte puisque seules deux étapes semblent franchies avec le « screening » et la volonté d'améliorer Eurodac. Comment l'agence peut-elle fonctionner dans ces conditions, lorsque chaque pays agit en autonomie sur ses frontières extérieures et que nous n'avons pas encore d'accord sur le filtrage des migrants irréguliers à la frontière ? Aussi, une personne qui entre par une frontière peut ensuite se déplacer dans les autres pays, même si certains ont maintenu un contrôle de leurs frontières intérieures, fort heureusement.
Ma troisième question sera très directe. À la suite des critiques portées sur le fonctionnement de Frontex, nous avons bien noté votre volonté d'agir mais n'avez-vous pas le sentiment que la mise en oeuvre des moyens mobilisés notamment pour une plus grande attention portée au respect des droits fondamentaux, grâce à la nomination d'un officier et de contrôleurs, risquent d'entraver le bon fonctionnement de Frontex ? Je préférerais pour ma part une agence agile qui interviendrait en soutien des États membres et non une agence bureaucrate - même si le terme utilisé est provocateur - visant à respecter toutes les recommandations. Ne pensez-vous pas que ce sont autant de contraintes au détriment de l'efficience, de l'efficacité et même des attentes des populations européennes en matière de surveillance des frontières extérieures ?
L'agence affiche aujourd'hui un retard dans la constitution du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes qui doit compter 10 000 agents en 2027. Ce retard est d'autant plus criant que la présidente de la Commission européenne souhaite que ce recrutement s'achève en 2024, soit trois ans plus tôt que l'échéance votée par le Parlement européen. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Quels sont les défis principaux à relever en matière de recrutement ? Comment faire face au problème d'attractivité de l'agence en termes de conditions de travail, notamment de rémunération et de représentativité des nationalités ?
Quel bilan tirez-vous de la gestion du flot de réfugiés ukrainiens, notamment de l'utilisation de la protection temporaire ? Comment appréciez-vous la situation ? Le flot de réfugiés se poursuit-il et, si oui, à quel rythme ? Quelles leçons tirez-vous de la gestion de cette crise ?
À plusieurs moments de votre intervention, vous avez fait état de la montée de la violence dans le corridor de migration des Balkans et évoqué le trafic d'armes. D'où vient ce trafic ? Vient-il de l'Ukraine ? Quelle est l'ampleur du phénomène ?
Vous avez évoqué l'augmentation significative du nombre de retours et avancé des chiffres sur le nombre de retours forcés et volontaires. Vers quels pays ces 20 000 retours ont-ils été opérés ?
En mer Méditerranée, la situation humanitaire reste dramatique. Un incident diplomatique récent a eu lieu entre l'Italie et la France autour de l'accueil d'un bateau humanitaire. Où en sommes-nous du traitement de la question de l'accueil des bateaux humanitaires dans les ports européens ?
Parmi les frontières extérieures de l'Union européenne, il existe une frontière toute particulière qui est celle de la Manche. Elle est particulière, car il ne s'agit pas ici d'empêcher les migrants d'entrer sur un territoire, mais plutôt de les empêcher d'en sortir. Les autorités britanniques et françaises ont recensé 52 000 traversées en 2021, soit cinq fois plus qu'en 2020. Il est vrai que le Royaume-Uni et l'Irlande demeurent très attractifs pour les migrants. C'est également une frontière particulière, car gérée via les accords franco-britanniques du Touquet. Frontex y intervient cependant puisque, depuis un peu plus d'un an, un avion équipé par le Danemark et opéré par Frontex surveille la Manche. Quelle est votre analyse de la situation sur cette frontière ? Faut-il dénoncer les accords du Touquet ?
Sans surprise, je ne partage pas l'appréciation de la situation de mon collègue André Reichardt et je ne crois pas que l'attention portée au respect des droits fondamentaux ne représente que des contraintes, ajoute de la bureaucratie et entrave la bonne réalisation des missions de Frontex. La série de dispositifs que vous avez mis en place, consécutivement à la crise et à la démission de votre prédécesseur, ne peut certes pas tout résoudre. Un travail a été mené pour identifier les manquements aux droits fondamentaux, pour les prévenir et les éviter. Cependant, quid des éventuelles sanctions et réparations ?
Vous avez aussi évoqué l'accord de travail avec le Maroc qui est en perspective. Nous pensons tous au drame de Melilla. Comment est-il possible de mener des opérations conjointes et de coopérer avec des pays qui, manifestement, ne respectent pas les droits fondamentaux ? Je pense aussi ici à la Libye.
Je vous remercie infiniment pour vos questions. Je tâcherai de répondre à autant de questions que possible et du mieux que je peux. Si vous estimez que je n'ai pas répondu à vos questions, je vous invite à me le faire savoir et nous vous enverrons des compléments d'information par écrit.
Concernant nos ressources et moyens financiers, le règlement qui régit Frontex prévoit que nous soyons forts de 10 000 membres, mais qui ne seront pas uniquement du personnel de l'agence. En effet, il faut distinguer le personnel permanent (3 000 personnes), du personnel détaché par les États membres, soit sur le long terme, soit sur de plus courtes périodes, plus précisément entre un et quatre mois. Actuellement, sont déployés 1 843 officiers dont 605 sont des membres du personnel permanent, 463 des détachés de long terme (pour deux ans) et 815 des détachés de court terme. Il est utile de pouvoir s'appuyer sur ces trois catégories distinctes de personnel, car la situation aux frontières extérieures de l'Europe est mouvante. Cette situation a changé après le déclenchement de la guerre en Ukraine. En effet, nous avions évalué les ressources à mobiliser en 2021 mais sans anticiper la guerre entre l'Ukraine et la Russie. Or, nous avons souhaité renforcer le soutien apporté aux pays se situant en première ligne dans ce conflit. Nous avons d'abord procédé à des redéploiements internes qui ont pu se concrétiser très rapidement. La première vague de redéploiement a concerné la Roumanie et a pu être réalisée en une semaine. Des membres du personnel présents sur des théâtres opérationnels en Espagne, Italie, Grèce, dans les Pays baltes ou ailleurs ont pu être redéployés à l'est de l'Europe, et notamment en Roumanie, en seulement sept jours. Le redéploiement de nos ressources en Moldavie a été organisé en à peine trois jours. Au début de la guerre, nous avions envoyé près de 600 personnes aux frontières ukrainiennes, dont la plupart étaient des détachés de court terme mandatés par les États membres. C'est tout l'avantage de notre dispositif qui est fortement flexible. Dans des contextes difficiles, nous devons nous assurer que la réponse opérationnelle ne sera pas retardée lorsqu'elle est nécessaire, cette flexibilité étant indispensable. L'appel aux ressources des États membres nous permet aussi de répondre aux besoins qui émergent de façon ponctuelle. Lorsque Frontex aura atteint son effectif cible, nous pourrons alors compter sur 3 000 officiers prêts à être déployés. Cependant, lorsque des besoins émergent de manière inattendue, nous utilisons le levier des redéploiements là où nous pouvons le faire, tandis que nos autres besoins sont couverts par les forces détachées par les États membres.
Comme je l'ai déjà souligné, Frontex ne saurait être le seul instrument pour répondre au défi migratoire. Il faut aussi pouvoir compter sur des politiques publiques nationales fortes. Sans cela, Frontex ne pourra pas apporter son soutien aux garde-côtes et garde-frontières. Les décideurs politiques devront donc redoubler leurs efforts pour relever ce défi. La crise ukrainienne a donné un nouvel élan à cette dynamique et j'espère que les efforts fournis seront fructueux. Dans ce nouvel environnement, la gestion des frontières reste une compétence qui relève d'abord des États membres, même si nous leur apportons notre soutien du mieux que nous le pouvons en utilisant le cadre juridique existant.
Par ailleurs, les droits fondamentaux ne sont pas une question bureaucratique et ne s'appliquent pas qu'au personnel de l'agence mais doivent être garantis pour tous les individus. L'application de la réglementation n'est pas arbitraire mais nous appliquons toute la réglementation et respectons tout le droit en vigueur en matière de gestion des frontières.
Les opérations conjointes menées actuellement par Frontex sont très bien suivies grâce au dispositif mis en place. Le système actuel reposant sur des notifications fonctionne. Le personnel de l'agence est bien formé en matière de droits fondamentaux et compétent. Des rapports sont systématiquement établis lorsque sont constatées des atteintes aux droits fondamentaux. Cependant, quel que soit le système en place, il ne pourra jamais être complètement étanche. Ce que nous avons mis en oeuvre, c'est un mécanisme qui tient compte des atteintes aux droits fondamentaux, que ces violations soient le fait du contingent permanent ou d'autres parties prenantes. Il est fort probable que nous serons amenés à constater à nouveau de telles violations et c'est pour cela qu'il nous faut un système en mesure de les signaler. Si vous le souhaitez, nous pourrons apporter ultérieurement davantage d'informations sur le cadre disciplinaire qui s'applique dans ces situations et sur les sanctions associées.
Il nous faut aussi coopérer avec les pays d'accueil et analyser l'efficacité des opérations de Frontex sur les territoires de ces pays. L'année dernière, nous avons mis en place de nouveaux indicateurs clés de performance qui affichent des résultats satisfaisants dans les pays qui reçoivent le soutien de Frontex. J'attends avec impatience les retours des États membres qui nous permettront d'orienter nos activités opérationnelles pour répondre aux besoins, car je le rappelle encore : Frontex est à la disposition des États membres et non l'inverse.
Une de vos questions portait sur le retard pris dans la constitution du contingent permanent de Frontex. Nous avons fait au mieux pour répondre aux exigences de recrutement conformément aux principes fixés dans le règlement. Deux groupes d'officiers du contingent permanent sont actuellement en formation pour être opérationnels en janvier 2023. À partir de cette date, Frontex pourrait déployer 1 000 personnes, les autres ressources étant déployées par les États membres conformément à ce que prévoit le règlement (détachements de long terme et de court terme).
Vous avez aussi évoqué les difficultés de Frontex en tant qu'employeur ainsi que le déséquilibre dans la représentation des nationalités des États membres au sein de son personnel. Je veux rappeler que l'agence peut mobiliser des personnels dotés de prérogatives de puissance publique dans plus de 200 endroits différents simultanément, prouesse que ne pourraient assurer ni les États membres ni les organisations internationales, ceci grâce à la souplesse conférée par nos trois catégories de personnel.
Nous pouvons aussi être amenés à changer l'affectation de nos effectifs parce que le travail est plus difficile dans certaines régions ou parce que le contingent permanent doit être renforcé. Nous organisons un roulement du personnel en déplaçant nos officiers d'une zone à une autre, parfois plusieurs fois par an. J'ai même vu des officiers du contingent permanent être redéployés quatre fois en un an et demi. Le plus souvent, ces derniers acceptent cette mobilité permanente en début de carrière mais elle peut ensuite apparaître difficile à vivre, en particulier lorsque nos officiers vivent en couple et ont des enfants. Nous ne pourrons donc jamais apporter la garantie que notre personnel restera dans la même zone opérationnelle pendant cinq ans. Pouvoir apporter cette garantie serait certes un confort pour la vie de famille. Mais Frontex a besoin de la souplesse de redéploiement de son contingent permanent pour faire face aux imprévus et aux urgences opérationnelles. Cette situation limite l'attractivité de Frontex. Nous sommes donc en train d'étudier les solutions que nous pourrions proposer pour une scolarisation des enfants du personnel à proximité des théâtres d'opérations.
Je souhaite également préciser que le coefficient indemnitaire correcteur qui s'applique aux rémunérations des agents des institutions européennes installés hors de Bruxelles afin de prendre en considération les différences de niveau de vie sur le lieu d'affectation n'est pas favorable aux officiers de Frontex. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a également eu pour conséquence de limiter l'attractivité des postes offerts par Frontex.
Enfin, nous nous attachons à recruter des personnels issus de l'ensemble des États membres, mais cette tâche est difficile. Nous en avons fait part au Parlement européen, à la Commission européenne et aux États membres. En interne, nous avons aussi recruté deux officiers à la diversité pour prendre en compte ces difficultés.
Concernant la réponse à la crise ukrainienne, je crois que l'Union européenne a démontré sa capacité d'accueil des ressortissants ukrainiens. Les États membres ont été solidaires. En pratique cependant, ces populations souhaitent rester dans les pays proches du leur, tels que la Pologne, les Pays baltes, la Roumanie ou la Slovaquie, dans l'espoir de pouvoir retourner rapidement en Ukraine à la fin de la guerre. Il faudra rester vigilant sur l'impact de ce choix sur les pays d'accueils : l'arrivée de ces populations ukrainiennes a parfois conduit à une forte augmentation du prix de l'immobilier.
Une de vos questions portait sur les enseignements que nous tirons de la crise migratoire née de la guerre en Ukraine. Le premier fait que je souhaite mettre en avant est que nous avons su faire la démonstration de notre grande flexibilité et de notre réactivité. Nous avons prouvé que nous pouvions nous déployer et nous redéployer en très peu de temps lorsque cela est nécessaire. Nous avons aussi donné la preuve de notre capacité à appuyer les États membres pour gérer les flux considérables qui arrivaient à nos frontières.
Je souhaite ajouter aussi quelques mots sur la montée des violences. Les premiers faits de violences ont été enregistrés en 2020 sur la frontière de l'Évros. Puis, nous avons continué à enregistrer des tirs d'armes à feu contre nos dispositifs tous les ans. Nous notons aussi des violences entre les différents groupes de migrants. Les représentants hongrois nous ont fait visionner des vidéos prouvant ces accès de violences à la frontière avec la Serbie. Lundi dernier, comme je l'ai déjà mentionné, c'est un garde-frontière qui a été tué par un tir. C'est le premier décès que nous enregistrons à la frontière. Ce garde a été visé à la tête, par un tir qui était tout sauf accidentel. Nous avons donc renforcé les équipements de protection de notre personnel, que nous fournissons aussi aux personnels détachés par les États membres lorsque ceux-ci sont moins bien équipés.
Je ne suis pas en mesure, en cet instant, de vous transmettre des données fiables sur l'origine géographique des migrants reconduits par nos opérations de retour, mais je vous ferai suivre cette information par écrit. Je peux d'ores et déjà préciser que, parmi les principaux pays concernés, figurent le Pakistan et l'Inde et l'Irak. Des retours volontaires ont aussi été organisés pour des personnes de pays tiers à la suite de la crise en Biélorussie, vers l'Irak notamment, et pour ceux voulant échapper à la guerre en Ukraine.
Sur la crise humanitaire et diplomatique entre la France et l'Italie, je ne peux que constater que le règlement des différends relève de la prérogative des États membres. Il leur revient de décider comment ils gèrent leurs frontières extérieures. Toutefois, selon moi, le forum de Schengen devrait être l'un des outils de la gouvernance du contrôle des frontières.
Vous avez aussi raison de souligner l'augmentation significative des traversées de la Manche. Nous appuyons ici les autorités françaises en charge de la gestion des frontières au moyen d'une surveillance aérienne dans le cadre d'une opération conjointe appelée « Opal Coast ». Nous continuerons à la mener en 2023, car la Manche est l'une des zones où nous constatons la plus forte augmentation de la pression migratoire.
Je terminerai mon propos en précisant que le signalement d'incidents graves comprend deux volets : un signalement par le personnel de Frontex et un signalement par les États membres. Les États membres saisissent tous les incidents constatés aux frontières dans le système dit Joint Operations Reporting Application (JORA) qui est utilisé comme base d'évaluation des risques aux frontières. Ces doubles signalements permettent une identification fiable des incidents graves. Si l'on soupçonne une violation des droits fondamentaux, l'officier aux droits fondamentaux est alors chargé du suivi du dossier.
Enfin, concernant la coopération avec les pays tiers, je veux préciser qu'aucun accord de statut n'est conclu sans une évaluation préalable de la situation dans ces pays au regard des droits fondamentaux.
Je vous remercie pour ces éléments d'information qui répondent à la majorité des questions qui vous avaient été posées. Certaines d'entre elles restent toutefois sans réponse, en particulier sur la possibilité, pour Frontex, d'intervenir dans les RUP. Nous vous remercions donc par avance de compléter par écrit vos réponses sur ce point. Je sais aussi que les services de nos deux commissions se sont organisés pour envoyer un questionnaire sur la révision du règlement Frontex et dont les réponses écrites sont attendues au plus tard courant décembre. Ces réponses pourraient impliquer de nouvelles perspectives d'audition.
Au nom de tous mes collègues, je souhaite vous remercier d'avoir accepté d'échanger avec nous sur ces questions d'importance qui sont pour moi, en tant que sénateur du Pas-de-Calais, des questions du quotidien : comme vous le savez, la côte d'Opale a en effet enregistré un doublement des tentatives de traversées de la Manche par des migrants par rapport à 2021, alors même que l'année 2022 n'est pas encore terminée.
Je vous remercie une nouvelle fois de m'avoir donné l'opportunité de m'exprimer devant vous. Je serais ravie de renouveler l'exercice si vous le souhaitez, car mon souhait est de favoriser la transparence et l'ouverture, même sur les questions sensibles.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 00.