Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 17 novembre 2022 à 9h30
Communication de mesdames viviane artigalas et dominique estrosi sassone relative au rapport d'information n° 800 2021-2022 « la politique de la ville un tremplin pour les habitants »

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone :

C'est à travers ce nouveau regard, mais aussi avec notre propre expérience du terrain, que nous avons procédé à une évaluation de l'application de la loi Lamy du 21 février 2014 sur laquelle se fonde encore aujourd'hui la politique de la ville. Nous estimons nécessaire de la réviser. Nous proposons de compléter ses objectifs et d'améliorer ses outils.

La politique de la ville vise essentiellement à assurer l'égalité des territoires entre eux. Son objectif consiste à les ramener dans la moyenne. Il reste nécessaire, même s'il est difficile à atteindre. Cependant, nous croyons qu'il faut y ajouter de manière plus explicite sa fonction de tremplin pour les habitants. Lorsque des habitants quittent un quartier prioritaire de la ville (QPV) parce que leur situation s'est améliorée, ce n'est pas un échec de la politique de la ville, bien au contraire.

Cette évolution de l'objectif doit nous conduire à savoir l'évaluer. Il est impératif de réaliser un saut qualitatif dans ce domaine. Or nous sommes confrontés à un paradoxe. D'un côté, la politique de la ville suscite une multitude de rapports. De l'autre, on déplore l'absence d'une évaluation sérieuse.

Nous émettons trois propositions à ce sujet.

Premièrement, l'Observatoire national de la politique de la ville est en état de « mort cérébrale ». Son prédécesseur, l'ONZUS, comptait plus de dix équivalents temps plein. Il n'y en a pas même deux actuellement ! Un renforcement des moyens est absolument nécessaire, notamment pour lancer des études de cohorte sur les trajectoires des habitants dans la durée.

Deuxièmement, il faut changer de culture et intégrer l'évaluation d'objectifs concrets aux programmes. Il convient de ne pas confondre indicateurs d'activité et évaluation des résultats recherchés.

Troisièmement, il faut accompagner les EPCI pour l'évaluation de leurs actions. Dans ce cadre, on doit aussi faciliter la levée du secret statistique, qui empêche rapidement la réalisation des travaux. De même, il convient de travailler sur les discriminations en fonction de l'origine.

Nous recommandons ensuite d'améliorer les outils et le fonctionnement de la politique de la ville.

Au niveau national, nous avons demandé à la Première ministre, Madame Élisabeth Borne, de reprendre d'urgence le pilotage interministériel de la politique de la ville, comme le faisait Monsieur Jean Castex. La convocation d'un Comité interministériel des villes (CIV), selon un rythme semestriel, nous paraît le premier signal politique et opérationnel à donner. Selon nos informations, le prochain CIV pourrait être convoqué début janvier, soit un an après le précédent.

Nous voulons ensuite que l'État se mobilise en donnant une visibilité sur les crédits de la politique de la ville dans la durée. Nous demandons donc la mise en chantier d'une véritable loi de programmation.

Enfin, nous voulons que les ministères mobilisent leur droit commun. La politique de la ville est éminemment transversale. Le retour du droit commun dans les quartiers est indispensable non seulement dans le domaine régalien, mais aussi en matière de santé ou d'éducation. Or, les actions s'appuient essentiellement sur les crédits de la politique de la ville et les crédits contractualisés. La politique de la ville, créée pour innover et initier des actions, se trouve ainsi dévoyée. L'intégration d'une action dans le droit commun s'avère extrêmement difficile. Dans ce contexte, l'absence de moyens financiers nuit à l'innovation et à la prise en compte de problématiques nouvelles. Il est donc nécessaire de parvenir à mobiliser le droit commun dans les quartiers. La signature de nouvelles conventions interministérielles dans ce but nous paraît également devoir être lancée par Matignon. Il n'y en a plus depuis 2016 ! Selon nos informations, c'est l'un des objectifs d'Olivier Klein, ministre du Logement et de la Ville.

À l'échelon local, nous voulons favoriser la complémentarité et le dialogue entre l'État et les villes, les préfets et les maires. Dans mon département des Alpes-Maritimes, les Cités éducatives et les Bataillons de la prévention sont de bons exemples du travail approfondi qui a été accompli pour se saisir de ces programmes, les adapter au territoire et les conforter par un tour de table de financeurs. Cela fonctionne s'il existe, à l'échelon local, un portage politique et administratif fort et transverse.

Nous pensons également souhaitable d'expérimenter la délégation des crédits de la politique de la ville aux EPCI. Plusieurs grandes agglomérations le demandent. La Cour des comptes préconise elle aussi de territorialiser plus fortement la politique de la ville. La proposition ne fait pas consensus, car elle pourrait affaiblir le ministère de la Ville, que nous souhaitons plutôt renforcer, et la Dotation de solidarité urbaine (DSU) est d'ores et déjà cinq fois plus importante. Cependant, on ne doit pas s'interdire d'expérimenter et d'évaluer, avant d'aller éventuellement plus loin.

Nous avons ensuite proposé de renforcer le tissu associatif des quartiers qui s'est beaucoup délité. Il faut sortir des appels à projets systématiques en favorisant les conventions pluriannuelles, notamment pour aider les associations à grandir. Il s'agit d'une demande récurrente des associations. Les appels à projets tendent à mobiliser essentiellement les grandes associations, moins présentes dans les quartiers. Nous demandons de généraliser l'accompagnement des associations de grande proximité et de leur réserver des enveloppes de crédits. Là aussi, Olivier Klein partage à 100 % cet objectif.

Concernant la participation des habitants, nous estimons nécessaire de réformer les conseils citoyens dont les résultats sont hétérogènes d'un territoire à l'autre. Nous plaidons pour plus de souplesse, à l'exemple des conseils de quartier, et pour plus de logique de projet avec des moyens appropriés.

Enfin, il conviendrait de remplacer le droit d'interpellation du préfet, inopérant et anachronique, par celui du conseil municipal ou de l'instance de pilotage du contrat de ville. Il y a un débat pour savoir s'il faut conserver une représentation pérenne dans le temps ou basculer sur des formules projet par projet pour être plus concret et sur des durées plus courtes.

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