Intervention de Hervé Maurey

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 6 décembre 2022 à 9h30
Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans les domaines de l'économie de la santé du travail des transports et de l'agriculture — Examen du rapport pour avis

Photo de Hervé MaureyHervé Maurey, rapporteur :

Le Sénat est la première assemblée saisie sur ce texte, qui comporte 31 articles répartis en trois titres. Le projet de loi étant très composite, il a été renvoyé au fond à la commission des affaires sociales, mais quatre commissions ont reçu des délégations au fond. Pour notre commission, cette délégation porte sur les articles 1 à 8 et 13, pour un total de neuf articles.

Avant de vous présenter leur contenu et les enjeux soulevés par quelques-uns d'entre eux, les articles qui nous sont délégués appellent trois remarques générales sur le texte.

Je ne peux tout d'abord que déplorer les délais très contraints que le Gouvernement nous a laissés pour l'examen de ce texte. Le projet de loi a été présenté au Conseil des ministres le mercredi 23 novembre, alors que nous étions encore en train d'examiner la première partie du projet de loi de finances et que nous nous apprêtions à entamer l'examen de la deuxième partie, avec les missions. Je n'ai donc disposé que de quelques jours pour conduire des auditions et étudier des articles au contenu parfois très technique. Le texte sera examiné en séance publique mardi prochain, laissant peu de marge pour approfondir nos travaux. Ce calendrier très serré et ces conditions de travail sont d'autant plus dommageables que certains articles, notamment l'article 8, présentent des enjeux fondamentaux pour nos entreprises.

Ma deuxième remarque est liée à la première. Si nous nous retrouvons dans cette situation, c'est aussi parce que le Gouvernement a pris du retard dans la transposition de certaines directives ou dans l'adaptation à apporter à certaines dispositions de notre droit pour tenir compte de l'entrée en vigueur des règlements européens. Sur ce point, je n'ai pas l'impression que mon discours a beaucoup changé depuis l'examen du précédent projet de loi DDADUE, pour lequel j'avais également été nommé rapporteur. On aurait pourtant pu s'attendre à quelques progrès, en particulier avec la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

Troisième et dernière remarque de portée générale, cinq des neuf articles portent des demandes d'habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi et visant à transposer des directives européennes ou à adapter notre droit aux règlements européens.

Pour examiner ces articles, j'ai choisi d'utiliser une grille d'analyse reposant sur trois « filtres », sur trois interrogations. Premièrement, le recours à une ordonnance se justifie-t-il par des raisons objectives d'absence de marges de manoeuvre laissées au législateur national ou par la nécessité de continuer les travaux et les consultations des parties prenantes ? Ensuite, le contenu de l'habilitation est-il strictement limité à ce qui est nécessaire pour assurer l'adaptation du cadre national aux actes législatifs de l'Union européenne ? L'objectif est bien sûr ici d'éviter tout risque de surtransposition, une préoccupation qui a également fait l'objet d'une attention toute particulière pour les modifications « directes » de notre droit. Enfin, le délai d'habilitation nous permet-il, pour les textes sur lesquels nous ne sommes pas déjà en retard, de respecter nos obligations de mise en conformité au droit européen ?

Ce cadre d'examen désormais posé, j'en viens à la présentation des articles. Vous me permettrez de ne pas procéder par une analyse linéaire, suivant l'ordre des articles, mais par thème. Je terminerai ainsi par les dispositions relatives aux entreprises, qui présentent sans conteste les enjeux les plus importants.

Commençons par les dispositions concernant le secteur assurantiel, avec les articles 1 et 4.

L'article 1er vise à renvoyer à un arrêté la définition des seuils d'applicabilité de la directive « Solvabilité II » et de définition des grands risques. Ces seuils sont aujourd'hui respectivement actualisés par la loi et par un décret en Conseil d'État. Je me suis interrogé sur les conséquences de cette modification, alors que nous ne sommes généralement pas favorables à tout ce qui peut conduire à un dessaisissement du Parlement. Toutefois, dans ce cas, il n'y a aucune marge de manoeuvre laissée aux États membres quant à l'actualisation des seuils, qui a lieu au niveau européen tous les cinq ans pour tenir compte de l'inflation.

L'article 4 porte une demande d'habilitation du Gouvernement visant à transposer les dispositions d'une directive du 24 novembre 2021 relative à l'assurance de la responsabilité civile pour la circulation de véhicules terrestres à moteur. La directive comporte des dispositions permettant de faciliter la souscription d'une assurance et de mieux protéger les victimes. La durée d'habilitation est de neuf mois, pour une directive dont la date limite de transposition est fixée au 23 décembre 2023. Elle doit permettre au Gouvernement de tenir compte de la suppression progressive de la « carte verte ». Le champ de l'habilitation est quant à lui strictement limité aux dispositions nécessaires à la transposition. Cet article ne soulève donc pas de difficultés particulières.

Je passe désormais à deux articles concernant les produits et les acteurs de l'épargne, les articles 2 et 3.

L'article 2 modifie directement notre droit national pour l'adapter au produit paneuropéen d'épargne retraite individuelle, le « PEPP ». Nous sommes en retard de près de neuf mois pour la prise en compte des modifications apportées par un règlement européen du 20 juin 2019 mais, comme l'a dit l'une des personnes auditionnées, on fait ici « du texte pour un produit qui est un échec patent ». Le PEPP n'a en effet pas connu le succès escompté par les autorités européennes : il n'en existe qu'un aujourd'hui, en Slovaquie. Le Gouvernement m'a toutefois alerté sur le fait qu'il pourrait déposer en séance un amendement permettant de compléter l'article 2, pour assurer une coordination et une harmonisation avec les dispositions liées au plan d'épargne retraite, le PER. Pour ma part, je vous proposerai dans un premier temps un amendement rédactionnel.

L'article 3 corrige une erreur de suradaptation du droit national, qui a conduit à appliquer à l'ensemble des entreprises d'assurance, mutuelles et institutions de prévoyance l'obligation de publier des informations en matière de durabilité, pour l'ensemble de leurs produits. Si le règlement européen n'imposait cette publication que pour les produits d'assurance vie, la rédaction reprise dans la loi Énergie-climat de novembre 2019 concerne potentiellement les contrats dits « IARD » (incendie, accident, risques divers). Je suis d'autant plus favorable à cet article que le Sénat, et je ne manquerai pas de le rappeler, avait originellement proposé de supprimer cette disposition dans la loi Énergie-climat, en considérant qu'elle excédait les exigences européennes. Le Gouvernement l'avait réintégrée lors de l'examen à l'Assemblée nationale. Il se rend compte, un peu tardivement, que nous avions eu raison.

Sur cet article, je vous proposerai un amendement permettant de poursuivre l'harmonisation entre les dispositions applicables aux assurances, mutuelles et institutions de prévoyance. Il s'agit notamment d'aligner par le haut les exigences en termes d'honorabilité des dirigeants de ces organismes, les dirigeants de mutuelles disposant en la matière d'une dérogation qui n'apparaît pas justifiée.

Je poursuis avec trois articles concernant les marchés financiers et les établissements bancaires, et qui ne posent pas de difficultés au regard du champ et du délai de l'habilitation. Je présenterai rapidement ces trois articles techniques mais je pourrai bien sûr apporter des précisions s'il y a des questions sur leur contenu.

L'article 5 porte des mesures nationales d'adaptation au régime pilote mis en place par le règlement européen pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie des registres distribués, plus connue sous le terme de blockchain. Le régime pilote est destiné à promouvoir le numérique dans le secteur financier, tout en encadrant les risques soulevés par ces innovations technologiques - selon la logique dite du « bac à sable », qui permet d'accorder des exemptions réglementaires ciblées pour encourager une innovation. L'Autorité des marchés financiers m'a confirmé disposer des moyens nécessaires pour assurer cette nouvelle mission.

L'article 6 porte une demande d'habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures législatives d'adaptation du cadre relatif au redressement et à la résolution des contreparties centrales. C'est ce qu'on appelle en France les chambres de compensation, qui jouent un rôle d'intermédiaire entre les acheteurs et les vendeurs. L'ACPR m'a indiqué que la France était en retard, le règlement datant du mois de décembre 2020, mais que le délai d'habilitation de six mois était suffisant.

L'article 13 porte lui aussi une demande d'habilitation à légiférer par ordonnance pour transposer une directive du 24 novembre 2021 sur les gestionnaires de crédits et les acheteurs de crédits. Concrètement, il s'agit du traitement des prêts non performants, qui grèvent depuis longtemps les bilans de certaines banques européennes. Le régime proposé repose sur deux mécanismes : soit les banques pourront confier la gestion de ces créances à des sociétés spécialisées, qui seront chargées de leur recouvrement ; soit elles pourront revendre ces créances à d'autres sociétés, qui ne sont pas nécessairement des établissements de crédit agréés par l'ACPR et qui pourront ensuite confier leur gestion aux sociétés spécialisées précitées.

L'ACPR a confirmé en audition le besoin d'une habilitation pour une durée de neuf mois, au regard de la complexité du dispositif et de l'ampleur des modifications à apporter aux différents codes et lois en vigueur. Pour citer son représentant, il s'agit de trouver un équilibre entre protection du consommateur et efficacité économique, et de ne pas confier le recouvrement de ces créances à des groupes dont les méthodes ne seraient pas pleinement encadrées

J'en termine désormais avec les dispositions concernant les entreprises, qui me paraissent soulever les enjeux les plus importants.

L'article 7 porte une demande d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour transposer la directive du 24 novembre 2021 relative à la communication, par certaines entreprises et succursales, d'informations relatives à l'impôt sur les revenus des sociétés. La directive vise à « renforcer le contrôle par le public de l'impôt sur les revenus des sociétés supporté par les entreprises multinationales exerçant dans l'Union ». Si l'habilitation ne soulève pas de difficultés particulières, j'ai souhaité approfondir deux éléments du dispositif qui seront essentiels pour son bon fonctionnement.

J'ai d'abord interrogé le Gouvernement sur les obligations qui pèseront sur les entreprises, qui doivent déjà transmettre ces données à l'administration fiscale. Nous ne devons pas leur imposer de nouvelles charges déclaratives : au titre de la directive, les données exigées dans le cadre du reporting public pourront correspondre à celles déjà transmises à l'administration fiscale.

J'ai ensuite cherché à obtenir des précisions sur la clause de sauvegarde. La directive laisse en effet la possibilité aux États membres de permettre que certaines données ne soient pas publiées lorsque leur divulgation porterait gravement préjudice à la position commerciale des entreprises. Il me semble indispensable que le champ de cette clause de sauvegarde soit cohérent avec celle mise en oeuvre chez nos partenaires européens.

Enfin, l'article 8 porte lui aussi une demande d'habilitation du Gouvernement, cette fois-ci pour transposer la directive dite « CSRD » relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises. J'attire d'abord votre attention sur le fait que la directive n'a été définitivement adoptée par le Conseil que la semaine dernière, de sorte qu'elle n'a pas encore été publiée au Journal officiel de l'Union européenne.

Ainsi, sur un sujet aussi sensible que la refonte de l'ensemble des obligations de publication d'informations extra-financières des entreprises, on nous demande de voter une habilitation sur un texte dont la version définitive n'est même pas encore stabilisée au niveau européen...

Surtout, la demande d'habilitation est particulièrement large. En l'état, le Gouvernement nous demande de lui permettre de prendre toutes les mesures qu'il jugerait utiles sur les obligations sociales et environnementales des entreprises, soit un périmètre que je considère comme tout à fait démesuré.

Ce champ excède très largement celui de la directive : concrètement, si vous me permettez cette expression, l'habilitation permettrait au Gouvernement de faire un grand ménage dans tous les dispositifs faisant peser des contraintes environnementales, sociales et de gouvernance sur les entreprises. Je vous proposerai donc un amendement pour le restreindre aux seules mesures en matière de publication des informations non financières ainsi que pour le limiter aux domaines dans lesquelles la législation française ferait doublon avec les nouvelles obligations de la directive CSRD.

Pour finir, je souhaite vous signaler que je travaille sur une éventuelle modification des règles relatives à l'enregistrement et à l'agrément des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN). Les événements récents, et notamment la faillite de FTX, doivent attirer notre attention sur les risques de ces produits, en particulier lorsqu'ils sont gérés par des entreprises exerçant sans régulation aucune, ou quasiment. S'il est probable que FTX aurait pu être enregistré en France, il n'aurait sans doute pas pu être agréé, les contrôles étant beaucoup plus stricts.

Comme certains le savent, le règlement européen sur les marchés de cryptoactifs, dit règlement « MiCA », doit entrer en vigueur au mois d'octobre 2024, avec une période de transition courant jusqu'au mois de mars 2026. Il en résulte un « appel d'air » pour les acteurs, qui se pressent de demander leur enregistrement pour pouvoir bénéficier de cette période de transition.

Il me semble dès lors envisageable, pour protéger les consommateurs et la stabilité du système financier, de fermer de manière un peu anticipée la procédure d'enregistrement, pour inviter les acteurs à demander leur agrément, sous le régime français. Je précise que les règles seraient toujours les règles françaises et non les futures règles européennes, de manière à ne pas déstabiliser cet écosystème.

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