Intervention de Loïc Hervé

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 novembre 2022 à 8h30
Projet de loi de finances pour 2023 — - mission « relations avec les collectivités territoriales » - examen du rapport pour avis

Photo de Loïc HervéLoïc Hervé, rapporteur pour avis :

Cette année, l'examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (RCT) s'inscrit dans un climat particulièrement anxiogène pour les élus des collectivités territoriales.

Dans un contexte inflationniste et, en particulier, de hausse inédite des dépenses d'approvisionnement en énergie, les incertitudes financières pour l'année 2023 pèsent lourdement sur les perspectives d'investissement des collectivités. En conséquence, les élus locaux espéraient un projet de loi de finances (PLF) pour 2023 à la hauteur de leurs craintes. Las ! ces espoirs seront, cette année encore, largement brisés.

Avant d'en venir à la présentation des crédits de la mission RCT, je souhaite donc attirer votre attention sur le contexte dans lequel ce projet de loi de finances est examiné : celui d'une vive inquiétude entre défiance d'une part et perte de marges de décision d'autre part.

La défiance, en premier lieu, marque la définition du cadre pluriannuel enserrant les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. En effet, faisant suite aux contrats dits « de Cahors », l'article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 prévoyait un nouveau dispositif de contractualisation dont le volet correctif s'avérait plus coercitif encore que son prédécesseur, fort peu regretté. Rejeté à l'Assemblée nationale et au Sénat, ce dispositif a - étonnamment ! - été réintroduit par le Gouvernement au sein de l'article 40 quater du PLF. Il me semble que ce choix, faisant litière de la volonté clairement exprimée par la représentation nationale, n'augure en rien de la restauration d'un climat de confiance entre l'État et les collectivités territoriales, ni d'ailleurs entre le Parlement et le Gouvernement. Une telle initiative de ce dernier nous paraît incriminable, et je forme le voeu qu'à l'issue de la discussion parlementaire de ces deux projets de loi cette disposition ne figure dans aucun.

J'évoque maintenant la perte de marges de décision. D'une part, le contexte inflationniste devrait logiquement se traduire, faute de compensations nécessaires, par une diminution en volume des ressources des collectivités. Ainsi, la hausse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à hauteur de 320 millions d'euros est évidemment bienvenue, mais elle ne compensera ni la baisse tendancielle de cette dotation sur la décennie écoulée ni l'inflation prévue pour l'année 2023 : cette hausse ponctuelle se traduira donc par une diminution en volume de l'ordre de 2,9 %. Par ailleurs, chacun a pu le relever lors de l'audition du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, vu la complexité et l'insuffisance des divers dispositifs de compensation des coûts de l'énergie prévus par le Gouvernement, leur articulation gagnerait indéniablement à être précisée.

Par ailleurs, les collectivités perdront en 2023 de nouvelles marges de décision en matière fiscale avec la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), que notre assemblée a opportunément rejetée lundi dernier en séance publique. Cette suppression, qui devrait vraisemblablement être rétablie à l'Assemblée nationale par le Gouvernement notamment dans le cas où il ferait de nouveau application de l'alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution, est d'autant plus critiquable que les modalités concrètes de territorialisation de la dynamique de la taxe sur la valeur ajoutée, qui viendra compenser cette perte de ressource fiscale, demeurent encore très floues.

Dans ce contexte, source de vives inquiétudes, les crédits inscrits au titre de la mission RCT enregistrent une baisse particulièrement regrettable de 12,84 % en autorisations d'engagement (AE) à l'échelle de la mission.

Le programme 119, qui concentre des dotations de soutien à l'investissement et des compensations financières des charges, connaît une diminution de 13,4 % en AE. Cette diminution résulte de deux facteurs.

D'une part, les crédits des dotations de compensation connaissent une légère diminution de 2,9 % en valeur - soit 58 millions d'euros - par rapport à ceux qui sont inscrits en loi de finances pour 2022. Ce fléchissement s'explique essentiellement par la non-reconduction par l'État de la dotation exceptionnelle versée en 2022 pour la compensation des pertes subies sur le dispositif de compensation péréquée (DCP). À nouveau, dans un contexte inflationniste, la relative stabilité de ces concours masque une nette baisse en volume : en adoptant l'estimation du Gouvernement d'un taux d'inflation de 4,2 %, ces dotations connaîtraient une baisse en volume de 7,3 %, poursuivant l'érosion progressive de ces dotations calculées au « coût historique ».

D'autre part, les crédits ouverts en AE pour le soutien à l'investissement des collectivités connaissent une diminution en valeur de 13,2 %. Cette diminution s'explique par la non-reconduction de dispositifs exceptionnels, en particulier d'un abondement de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) à hauteur de 303 millions d'euros en 2022. Ce retour au statu quo ante ne saurait pour autant nous satisfaire, car il se traduira par une diminution en volume de 19,9 % de ces dotations entre la loi de finances pour 2022 et ce qui est prévu par le PLF pour 2023.

Le programme 122, qui regroupe des crédits destinés à financer le soutien de l'État à des collectivités territoriales confrontées à des situations exceptionnelles, connaît une légère baisse des AE de l'ordre de 2,93 %, soit 7,6 millions d'euros. Néanmoins, cette diminution est largement périmétrique et n'implique pas un fléchissement du soutien de l'État aux collectivités concernées. Elle s'explique en particulier par la baisse, à hauteur de 17 millions d'euros, des AE allouées au fonds de reconstruction pour les collectivités touchées par la tempête Alex - les travaux nécessitent moins de crédits qu'en 2022 - et l'intégration de la dotation pour frais de garde d'enfants et d'assistance au prélèvement sur recettes de la dotation particulière « élu local » (DPEL).

Le programme n'appelle donc pas de remarque négative quant au montant des crédits inscrits ; il est en revanche problématique pour la sincérité du débat budgétaire que la justification de l'inscription sur la mission des dépenses d'informatique de la direction générale des collectivités locales (DGCL), qui augmentent régulièrement, ne soit pas plus détaillée.

Enfin, comme chaque année, l'examen des articles rattachés offre l'occasion de renforcer les garanties de ressources pour certaines collectivités et d'améliorer la lisibilité des dotations pour les élus.

En premier lieu, je tiens à saluer l'ajout de l'article 45 ter, qui prévoit que le montant de la DPEL perçu par une commune nouvelle serait, à compter du 1er janvier 2023, calculé comme étant la « somme des dotations particulières calculées sur le périmètre de leurs communes déléguées ». La crainte de la perte d'un montant de DPEL peut effectivement freiner la création de communes nouvelles ; j'ai eu l'occasion d'échanger à ce sujet avec Françoise Gatel, qui m'a confirmé l'intérêt d'un tel dispositif pour encourager ou, à tout le moins, ne pas décourager des projets de création de communes nouvelles.

Je relève néanmoins que, en l'état de sa rédaction, cette garantie n'est ouverte qu'aux communes nouvelles dont les communes « historiques » constituent des communes déléguées. Je vous proposerai, en conséquence, d'adopter un amendement tendant à assurer l'éligibilité de cette garantie à l'ensemble des communes nouvelles, y compris celles qui ne disposent pas de communes déléguées.

En second lieu, il me semble nécessaire de renforcer la lisibilité et l'association des élus dans l'attribution par l'État des dotations d'investissement. Je me félicite à cet égard qu'à la suite de la publication du rapport de nos collègues Claude Raynal et Charles Guené à ce sujet, la commission des finances se rallie - au moins partiellement ! - aux positions constamment défendues par notre commission sur ce thème. Je vous proposerai donc d'adopter trois amendements identiques à ceux qui ont été adoptés par la commission des finances : le premier prévoit que les décisions d'attribution de dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) soient prises par le préfet de région après avis des présidents de conseil départemental, rendu dans un délai de quinze jours ; le deuxième tend à améliorer l'information des élus locaux sur les subventions de DSID, en prévoyant que les orientations du préfet de région dans l'attribution de ces subventions et la liste des projets subventionnés seraient communiquées auprès de la commission relative à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR); et le troisième a pour objet de renforcer l'information des membres de la commission DETR, en prévoyant que soit communiquée à cette commission avant la fin du premier trimestre de chaque année la liste de l'ensemble des demandes éligibles et recevables, et non les seules opérations à subventionner, comme c'est actuellement le cas.

Enfin, je vous proposerai d'adopter un amendement tendant à supprimer l'article 45 bis, aux termes duquel les préfets de département et de région seraient désormais tenus de prendre en compte le « caractère écologique des projets dans la fixation des taux de subvention » pour les attributions de DETR et de DSIL respectivement. Entendons-nous bien : le verdissement des projets d'investissement des collectivités territoriales est une évolution positive et n'est aucunement remis en question dans cet amendement. Néanmoins, le critère proposé étant particulièrement imprécis et pouvant s'avérer inopérant, il n'apporterait que davantage de confusion dans un processus d'attribution déjà illisible pour bien des élus locaux. D'une part, l'article ne précise pas si le caractère écologique d'un investissement devrait être apprécié au niveau de la finalité du projet ou dans ses modalités concrètes de réalisation. D'autre part, à supposer que seule la finalité poursuivie par le projet soit prise en compte, le caractère écologique de celle-ci peut être discuté : par exemple, un investissement favorable à la décarbonation d'une activité, mais nuisant à la biodiversité, doit-il être considéré comme écologique ?

Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de ces quelques ajustements, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission.

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