Il me revient de vous présenter les crédits de la mission « Sécurités » qui concernent nos forces de l'ordre.
Ce projet de loi de finances (PLF) fait suite à plusieurs années de concertations sur la place devant être donnée à la sécurité dans notre pays, avec l'élaboration du Livre blanc de la sécurité intérieure et la tenue du Beauvau de la sécurité où le Sénat était représenté par Jérôme Durain et moi-même. Un projet de loi d'orientation et programmation pour le ministère de l'intérieur (LOPMI) a ensuite été élaboré, répondant à l'une de nos anciennes recommandations.
Nous avons examiné ce projet de LOPMI le mois dernier, et il a été discuté par l'Assemblée nationale la semaine dernière. Il porte des ambitions programmatiques fortes pour le budget du ministère de l'intérieur. Ses crédits passeraient de 20,78 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) en 2022 à 25,29 milliards d'euros en 2027, soit une hausse de 21,7 %. Au total, 15 milliards d'euros supplémentaires seraient budgétés sur cinq ans par rapport aux crédits affectés au ministère de l'intérieur en 2022.
Ces crédits serviront à financer trois priorités, sur lesquelles je ne reviendrai pas en détail, car elles ont été explicitées lors de la discussion du projet de LOPMI. Il s'agit de la proximité entre les forces de sécurité intérieure et la population, de la lutte contre la délinquance, et de l'amélioration des conditions de vie des policiers et des gendarmes.
L'année 2023 constitue la première année de mise en oeuvre de la programmation envisagée dans la LOPMI. Pour l'ensemble de la mission « Sécurités », les crédits demandés pour 2023 seraient plus élevés de 1,55 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une augmentation de 6,8 %, pour atteindre 24,22 milliards d'euros et plus élevés de 1,43 milliard d'euros en CP (+ 6,7 %), pour atteindre 23 milliards d'euros.
Concernant d'abord la police nationale, les crédits alloués au programme 176 augmenteraient de 5,86 % en AE et de 6,38 % en CP. Dans la gendarmerie nationale, les crédits alloués augmenteraient également, de 4,29 % en AE et 6,39 % en CP. On observe ainsi un rattrapage de l'augmentation des crédits accordés à la gendarmerie nationale puisque les hausses étaient moins importantes les années précédentes.
S'agissant en premier lieu des dépenses de personnels, le PLF pour 2023 prévoit une augmentation des crédits de masse salariale de 4,97 % dans la police nationale et de 6,91 % dans la gendarmerie nationale, soit une hausse plus importante que les années précédentes. Cette augmentation s'explique par le nouveau renforcement des effectifs, mais aussi, et surtout, par la mise en oeuvre de mesures catégorielles particulièrement importantes à la suite des négociations ayant suivi le Beauvau de la sécurité.
En ce qui concerne les effectifs, le PLF prévoit la création de 1 907 emplois dans la police nationale et de 950 emplois dans la gendarmerie nationale. Ces créations permettront un renforcement du maillage territorial avec la création, sur cinq ans, de 200 nouvelles brigades de gendarmerie, ainsi qu'une amélioration des capacités d'intervention et de maintien de l'ordre en vue des jeux Olympiques. Onze nouvelles unités de force mobile devraient être créées, parmi lesquelles 7 escadrons de gendarmerie mobile - 4 en 2023 et 3 en 2024 - et 4 compagnies de CRS sur le modèle de la CRS 8, dont 3 en 2023 à Nantes, Chassieu et Marseille et une en 2024 à Montauban. Les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) devraient également être densifiés.
En parallèle, le PLF pour 2023 prévoit d'augmenter les crédits alloués aux réserves opérationnelles de la police à hauteur de 8,4 millions d'euros et ceux de la gendarmerie à hauteur de 14 millions d'euros, ce qui donne enfin une traduction concrète aux promesses de montée en puissance de ces réserves.
Venons-en maintenant aux mesures catégorielles, qui sont substantielles cette année. Elles résultent principalement de deux protocoles, un pour chacune des forces, signés en mars 2022. Dans la police nationale, le coût de ces mesures catégorielles s'élèverait à 84,70 millions d'euros en 2023, soit une augmentation de 125,7 % en un an. Dans la gendarmerie nationale, ce coût serait de 71,80 millions d'euros, soit une augmentation de 120 %.
Ces dépenses sont attendues par les personnels. Elles permettront une modernisation de la gestion des ressources humaines et une revalorisation de certaines primes, comme la prime d'officier de police judiciaire (OPJ), ce qui constitue un début de réponse à certaines problématiques d'ampleur, telles que la désaffection de la police judiciaire. Ces dépenses soulèvent toutefois des difficultés, puisqu'elles ont un coût annuel élevé et sont mal maîtrisées, car difficilement anticipables.
S'agissant maintenant des dépenses de fonctionnement et d'investissement, elles augmentent significativement dans la police nationale, mais diminuent dans la gendarmerie nationale.
Une telle situation n'est pas satisfaisante : la dynamique des dépenses de fonctionnement et d'investissement, même si elle est globalement positive, n'est pas à la hauteur de celle des dépenses de personnels : l'embauche de nouveaux personnels crée des besoins supplémentaires tant en équipements qu'en matière d'immobilier, alors même que les besoins initiaux n'étaient pas entièrement satisfaits.
La baisse des budgets affectés à la gendarmerie nationale en termes de fonctionnement et d'investissement est également préoccupante. Le PLF pour 2023 prévoit certes un rééquilibrage à moyen terme, puisque les dépenses d'investissement dans la gendarmerie nationale devraient augmenter fortement à compter de 2025. Je vous propose d'être particulièrement attentifs à l'effectivité de cette augmentation, mais il convient surtout que la part des dépenses de personnels dans les dépenses totales diminue de manière nette afin de rétablir puis de maintenir la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure. En 2023, ce pourcentage représentera 83,17 % du budget global en AE.
Les dépenses de fonctionnement et d'investissement permettront de financer des actions visant à réaliser les priorités définies dans le projet de LOPMI. Je pense, par exemple, au doublement de la présence des forces de sécurité intérieure sur la voie publique, grâce à un recours au numérique accru avec la continuation du déploiement des capacités numériques comme les terminaux NÉO et les ordinateurs portables Ubiquity, mais aussi au déploiement de nouveaux services et du développement d'applications pour accroître le nombre d'actes de procédures que peuvent réaliser les policiers et les gendarmes en mobilité. Le développement de ces applications est nécessaire pour améliorer les conditions de travail des policiers et des gendarmes et favoriser la proximité avec la population. Il faudra cependant que le ministère de l'intérieur soit très attentif au suivi du développement de ces outils, afin de ne pas répéter le fiasco du logiciel Scribe.
Afin de mieux lutter contre la délinquance et de se préparer aux grands événements sportifs des prochaines années, le PLF pour 2023 prévoit - c'est une demande forte du Sénat - le renouvellement des véhicules de maintien de l'ordre ainsi que l'acquisition d'équipements et de moyens technologiques nécessaires à la protection des grands événements.
Le Sénat avait émis 31 recommandations dans le rapport de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure de 2018. Celles-ci figurent aujourd'hui dans leur grande majorité dans le projet de LOPMI, même si elles sont diluées. En témoigne la création de 11 unités de force mobile.
En conclusion, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurité », hors programme « Sécurité civile », que notre collègue Françoise Dumont présentera ultérieurement.
Cependant, permettez-moi d'attirer votre attention sur trois points.
J'aborderai tout d'abord, dans le cadre de l'exécution du budget 2023, la question de l'inflation. La LOPMI a été élaborée avant la reprise de l'inflation, les budgets n'ont donc pas été revalorisés. La police et la gendarmerie nationales vont donc devoir participer à l'effort national de rationalisation des dépenses, mais cela ne devrait pas porter préjudice à la capacité des forces à faire face aux échéances de 2023 et de 2024.
Ensuite, le doublement des effectifs sur la voie publique, annoncé à Roubaix par le Président de la République devant toutes les forces de sécurité et les représentants des élus locaux et nationaux, n'aura de sens que si les effectifs des services judiciaires qui traitent les enquêtes et ceux des juridictions sont augmentés de manière proportionnelle. Sans cela, c'est toute la chaîne pénale qui sera engorgée, sans amélioration aucune de la réponse pénale.
Enfin, il est nécessaire de diminuer la part des dépenses de personnels dans les dépenses totales de ces deux programmes, un sujet que nous évoquons régulièrement et ce depuis plusieurs années.