Nous examinons plus précisément les six articles de ce projet de loi qui nous ont été délégués au fond par la commission des affaires sociales.
Ce projet de loi comprend trente et un articles visant à transposer quinze directives et à mettre en oeuvre treize règlements adoptés par l'Union européenne (UE) ces trois dernières années. Ces textes concernent des sujets variés, tels que l'assurance en responsabilité civile des véhicules, la durabilité des entreprises, le congé parental d'éducation, l'introduction de médicaments falsifiés ou encore les péages autoroutiers.
Comme l'ensemble du texte, les dispositions qu'il nous revient d'examiner sont de nature composite : deux articles visent à transposer en droit interne deux directives relatives au droit des sociétés de juin 2017 et novembre 2019 ; un article tend à compléter la transposition, incomplète jusqu'à présent, de deux directives de 2014 relatives au droit de la commande publique ; un article vise à transposer une directive de juin 2019 relative à la protection des travailleurs ; enfin, un article tire les conséquences de l'entrée en vigueur en août 2022 d'un règlement relatif à la coopération internationale en matière de responsabilité parentale.
Les dispositions portant sur le droit des sociétés, soit les articles 9 et 10, sont probablement les plus techniques. L'article 9 du projet de loi vise à habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnance la directive du 27 novembre 2019 concernant les transformations, les fusions et les scissions transfrontalières de sociétés. Concrètement, cette directive tend à renforcer la mobilité des entreprises au sein de l'Union européenne afin de garantir la liberté d'établissement des entreprises au sein du marché intérieur.
Cette directive du 27 novembre 2019 vise principalement à étendre les règles applicables à la fusion transfrontalière aux opérations de scission et de transformation transfrontalières ; elle renforce également la protection des actionnaires, créanciers et salariés des sociétés concernées afin que ces opérations ne lèsent pas leurs intérêts. Elle crée ainsi un droit de retrait des actionnaires qui s'opposent à l'opération transfrontalière. Ceux-ci ont alors la possibilité d'obtenir une soulte en espèces en échange de leurs actions. Tout au long du processus de l'opération transfrontalière, la directive s'assure également de l'information et de la consultation des salariés, ainsi que du maintien de la participation de ces derniers au sein de l'organe de direction.
La directive permet de faire un choix de transposition qui est défavorable aux salariés. Lorsque les représentants des salariés représentent plus de 30 % des membres de l'organe de direction, la directive indique que l'État membre peut choisir de limiter cette proportion à 30 % maximum. Une telle option risque par conséquent d'être défavorable aux salariés. C'est pourquoi je vous proposerai, par un amendement, de la supprimer, afin de sécuriser le droit de participation des salariés.
Au demeurant, je tiens à souligner que la directive semble relativement équilibrée puisque, en contrepartie de la plus grande mobilité offerte aux sociétés des États membres, elle instaure également un contrôle de légalité renforcé. En effet, l'opération transfrontalière n'est possible que si la société obtient un certificat préalable délivré par une autorité compétente dans l'État membre de départ. Le certificat permet de vérifier, outre le respect de certaines formalités, que l'opération n'est pas réalisée à des fins abusives, frauduleuses ou criminelles. L'autorité chargée de ce contrôle dispose d'ailleurs de pouvoirs d'investigation en lien avec cette mission.
Compte tenu de la spécificité de ce contrôle préalable, je vous proposerai, par le biais d'un amendement, que cette mission soit confiée au greffier du tribunal de commerce. Je précise, par ailleurs, que, dans le cadre des fusions transfrontalières, notre droit interne a déjà attribué ce contrôle au greffier du tribunal de commerce.
En outre, avant l'immatriculation de la société dans l'État membre d'arrivée, un second contrôle de légalité doit être effectué par une autorité compétente. C'est donc un double contrôle de légalité qui s'impose aux sociétés candidates à la mobilité au sein de l'Union européenne.
Enfin, compte tenu du délai imposé pour transposer la directive, soit avant le 31 janvier 2023, et de l'existence d'un avant-projet d'ordonnance en cours de finalisation, je vous proposerai de réduire le délai de transposition de la directive à trois mois, au lieu de six.
Quant à l'article 10 du projet de loi, il vise à modifier les articles L. 223-42 et L. 225-248 du code de commerce. Ces dispositions s'appliquent aux sociétés par actions : société anonyme (SA), société à responsabilité limitée (SARL), société en commandite par actions (SCA) et société par actions simplifiée (SAS). Dans le cas où les capitaux propres d'une société deviennent inférieurs à la moitié de son capital social, l'assemblée générale des actionnaires ou les associés doivent se réunir dans un délai de quatre mois pour décider de dissoudre ou non la société. En cas de non-dissolution, la société dispose alors de deux exercices comptables pour remédier à la situation, faute de quoi toute personne intéressée est en droit de demander sa dissolution.
Le Gouvernement fait valoir que le droit en vigueur est bien plus sévère que la règle prévue à l'article 58 de la directive du 14 juin 2017. Il s'agit d'une situation de « surtransposition ». Cette directive a en effet laissé une marge de manoeuvre plus souple aux États membres, la dissolution n'étant pas imposée. Il y aurait donc un risque de dissolution excessif et accru comparativement aux autres entreprises de l'Union européenne. Le Gouvernement propose, en conséquence, de modifier la nature de la sanction, en remplaçant la dissolution par l'obligation d'apurer les pertes au moyen d'une réduction du capital social jusqu'à un minimum qui serait fixé par décret en Conseil d'État.
Cette modification, qui maintient une double sanction, mais dans un délai plus long, me semble justifiée à l'aune des conséquences économiques des crises récentes ; je pense notamment aux difficultés rencontrées par un certain nombre d'entreprises du fait du covid-19 ou de la guerre en Ukraine.
Ce projet de loi intervient également dans le domaine de la commande publique, au travers de son article 11. Cet article vise à revenir sur la transposition partielle de deux directives de 2014 relatives aux marchés publics et aux contrats de concession.
Conformément à ces directives, le code de la commande publique prévoit que certaines infractions, par exemple le travail illégal ou encore des manquements aux obligations fiscales, entraînent des exclusions dites « de plein droit » des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession. En parallèle, le droit européen permet aux opérateurs économiques ainsi sanctionnés de démontrer leur « fiabilité » et de pouvoir soumissionner malgré leur exclusion, s'ils ont pris des mesures concrètes de nature à prévenir la commission de nouvelles infractions.
Or, lorsque les deux directives de 2014 ont été transposées en droit interne, par le biais de deux ordonnances en 2015 et en 2016, le Gouvernement a écarté ce mécanisme de régularisation pour les infractions pénales les plus graves, notamment la traite d'êtres humains, la corruption ou l'escroquerie, au motif, fort légitime, de la « moralisation » de la commande publique. À la suite d'un recours, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) tout comme le Conseil d'État ont jugé en 2020 que le mécanisme de régularisation prévu par les directives est censé s'appliquer indifféremment à l'ensemble des cas d'exclusion mentionnés par lesdites directives.
L'article 11 étend, par conséquent, ce mécanisme de régularisation aux infractions pour lesquelles il avait été initialement écarté.
Si ces directives ainsi que la décision du Conseil d'État nous laissent peu de marge de manoeuvre quant à la nécessité de permettre aux contrevenants de régulariser leur situation, je vous proposerai néanmoins un amendement visant à encadrer ce dispositif, afin de préserver le caractère pleinement dissuasif des peines d'exclusion de plein droit des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession et d'améliorer la lisibilité du droit de la commande publique. La particulière gravité des infractions concernées par l'article 11, allant, comme je l'ai dit, jusqu'à la traite d'êtres humains, nous incite en effet à nous assurer que notre législation maintienne un contrôle, même minimal.
J'en viens à présent à la transposition de la directive du 20 juin 2019 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l'Union européenne, qui constitue l'objet des articles 17 et 18 du projet de loi pour ce qui concerne la commission des lois.
Visant l'ensemble des travailleurs de l'UE, cette directive a également vocation à s'appliquer aux agents publics travaillant dans les trois versants de la fonction publique, soit 5,66 millions de personnes au 31 décembre 2020. Sur les vingt-six articles que comporte la directive, un seul nécessite une transposition par la voie législative pour qu'elle puisse s'appliquer aux agents publics : il s'agit de l'article 4, qui introduit l'obligation pour les employeurs « d'informer les travailleurs des éléments essentiels de la relation de travail. »
Afin de transposer cette obligation d'information dans le droit interne, l'article 17 du projet de loi vise à consacrer, au sein d'un nouvel article du code général de la fonction publique, un droit pour tout agent public à « recevoir de son employeur communication des informations et règles essentielles relatives à l'exercice de ses fonctions ».
La liste des éléments précis qui seraient communiqués aux agents publics ainsi que les modalités de cette communication seraient déterminées par un décret en Conseil d'État, qui renverrait lui-même à un arrêté établissant les modèles des documents que les employeurs remettraient aux agents publics.
Les éléments communiqués devraient notamment porter sur l'identité et l'adresse de l'employeur ; la situation administrative de l'agent ; les droits de l'agent à la formation, à rémunération, aux congés payés ; le temps de travail de l'agent ; ainsi que sur les modalités de cessation de fonctions pour les fonctionnaires ou modalités de fin de contrat pour les agents contractuels.
Ainsi, l'ensemble des agents soumis au code de la fonction publique, qu'ils aient la qualité de fonctionnaires ou de contractuels, bénéficieraient du nouveau droit à l'information. Le projet de loi tend également à rendre applicable ce droit aux catégories de personnels des établissements publics de santé qui ne relèvent pas du code général de la fonction publique. Sont ainsi visés les praticiens hospitaliers titulaires, les praticiens recrutés par contrat et les assistants des hôpitaux, ainsi que les praticiens associés.
Les États membres avaient jusqu'au 1er août 2022 pour transposer cette directive, si bien que la France est déjà en retard de quatre mois. Afin d'éviter les risques de recours en manquement que pourrait introduire la Commission européenne auprès de la CJUE, il convient donc de procéder rapidement à cette transposition.
Pour autant, il semble que la valeur ajoutée du nouveau droit à l'information ainsi créé résidera probablement davantage dans la simplification qu'il opère pour les agents publics que dans la nature des informations transmises en elles-mêmes. En l'état du droit, les agents publics ont en effet déjà accès à ces informations.
Par ailleurs, la question de l'évaluation de la charge de travail supplémentaire induite par cette disposition pour les employeurs publics des trois versants méritera vraisemblablement d'être posée, une fois que les décrets d'application auront été publiés et que la mesure aura été mise en oeuvre.
Enfin, l'article 25 du projet de loi vise à modifier le dernier alinéa de l'article L. 221-3 du code de l'action sociale et des familles qui prévoit la coopération entre les services d'aide sociale à l'enfance (ASE) des États membres de l'Union européenne.
Le Gouvernement propose d'intégrer un renvoi au règlement du 25 juin 2019 dit « Bruxelles II bis refonte », entré en vigueur le 1er août 2022, en remplacement du règlement du 27 novembre 2003 dit « Bruxelles II bis » déjà incorporé à l'article L. 221-3 du code de l'action sociale et des familles. Cette mise à jour du droit national est donc justifiée et n'appelle pas de commentaire particulier.
Par conséquent, je vous suggère de proposer à la commission des affaires sociales d'adopter le projet de loi modifié par les amendements que je vous présenterai tout à l'heure.