Voilà au moins trois ans que nous déplorons le caractère à la fois hétéroclite, chétif sur le plan financier et, en définitive, inadapté aux enjeux sanitaires, de la mission « Santé » du PLF.
En 2023, les crédits de la mission progresseront de 159 %, en passant de 1,3 à 3,36 milliards d'euros, mais cette hausse n'efface aucune des trois critiques que je viens de faire. Elle s'explique en effet par la création d'un nouveau programme 379, doté de 1,93 milliard d'euros - davantage que le reste de la mission - et intitulé « Compensation à la Sécurité sociale du coût des dons de vaccins à des pays tiers et reversement des recettes de la Facilité pour la relance et la résilience (FRR) européenne au titre du volet «Ségur investissement» du plan national de relance et de résilience (PNRR) ».
Sous cette appellation figurent les crédits européens destinés à couvrir les coûts liés aux dons de vaccins aux pays étrangers et à soutenir le volet investissement Ségur du plan de relance français. Ces derniers sont versés de manière conditionnelle à l'atteinte des cibles et des jalons fixés pour le bon déploiement du plan, sous forme de nombre d'établissements rénovés, par exemple.
Ce programme n'étant qu'un canal budgétaire ad hoc pour faire transiter, jusqu'en 2026, ce qui était jusqu'alors remboursé à la sécurité sociale par l'État au moyen de recettes de TVA affectées - ce fut le cas dans la seconde loi de finances rectificative de 2021 -, la politique sanitaire n'y gagne a priori pas grand-chose. La mission « Santé », elle, en retire sans doute l'assurance que nous cesserons de souhaiter sa suppression, comme nous l'avons fait l'an dernier.
À l'exclusion de ce programme, les crédits de la mission santé atteignent donc 1,43 milliard d'euros. Cette somme agrège les crédits des deux autres programmes de la mission que sont le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », qui consacre 213 millions d'euros à ces postes ; et le programme 183, « Protection maladie », qui porte 1,22 milliard d'euros de dépenses au titre de l'aide médicale d'État (AME), pour l'essentiel. C'est ce dernier qui explique, à lui seul ou presque, la hausse de 10 % des crédits de la mission à périmètre constant.
Les crédits de prévention sanitaire et d'offre de soins du programme 204 n'augmentent, eux, que de 1,6 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022. Cette hausse s'explique surtout par l'ouverture de 2 millions d'euros de crédits destinés à répondre à d'éventuelles circonstances liées à la crise sanitaire après la mise en extinction - enfin ! - du fonds de concours lié au covid-19, et par un très léger effort dans certaines politiques de prévention spécifiques.
Ce programme ne contribue plus qu'au financement de deux agences sanitaires : l'Institut national du cancer (INCa), dont les crédits stagnent à 40,5 millions d'euros, et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), dont les crédits s'élèveront à 23 millions d'euros, soit une hausse de 0,4 million par rapport à la LFI pour 2022, afin de tenir compte de la nouvelle mission sur les cosmétiques et les produits de tatouage confiée à l'agence à compter du 1er janvier 2024, en vertu d'un amendement inclus par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité à l'Assemblée nationale.
Les crédits consacrés aux actions juridiques et contentieuses, qui s'élèvent à 41,6 millions d'euros, sont en baisse de 11 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2022. Cette baisse s'explique essentiellement par la diminution de la dotation à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) au titre de l'indemnisation des victimes du valproate de sodium (Dépakine®). Voilà plusieurs années en effet que le niveau de cette dotation est abaissé, en raison d'une sous-consommation chronique des crédits, laquelle s'explique par un non-recours important au dispositif d'indemnisation.
Notre collègue de la commission des finances Christian Klinger a publié en septembre dernier un rapport qui ne préconise pas de revenir sur la réforme de la procédure d'évaluation des dossiers de 2020, mais qui formule d'intéressantes recommandations pour remédier au non-recours, notamment pour renforcer le collège d'experts et les capacités d'analyse juridique des dossiers, et mieux accompagner les familles.
Notons enfin que l'Oniam porte également les crédits pouvant servir à l'indemnisation des conséquences dommageables d'une vaccination réalisée dans le cadre de la campagne de vaccination contre le covid-19. Il a reçu à ce titre, au 31 août 2022, 713 demandes d'indemnisation amiables, parmi lesquelles 56 ont fait l'objet d'une décision de rejet et 25 offres ont été notifiées aux personnes vaccinées lors de la campagne, principalement pour des myocardites et des péricardites ; 56 expertises médicales sont encore en cours. Les autres demandes sont en cours d'instruction.
Les services de l'État estiment qu'« en l'absence d'une doctrine pérenne et établie, il reste difficile à ce jour de chiffrer l'impact financier de cette nouvelle mission ». Il me semble en tout cas que le rapport d'étape de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur « les effets indésirables consécutifs à la vaccination contre la covid 19 et le système français de pharmacovigilance », publié en juin dernier, dont notre collègue Florence Lassarade a été l'un des rapporteurs, devrait conduire à soutenir les moyens humains de l'Oniam pour faire face aux demandes.
L'effort en matière de développement de systèmes d'information en santé est maintenu, puisque 11,5 millions d'euros y seront consacrés l'an prochain, soit presque 2 millions d'euros de plus que l'an dernier. Il s'agit notamment de financer le lancement de certains chantiers, tel l'entrepôt national de données de biologie médicale, mais aussi de finaliser les outils associés à des impératifs réglementaires. La lisibilité de cette politique n'est toutefois pas évidente, puisque l'Agence du numérique en santé ne voit transiter qu'un peu plus de 2,8 millions d'euros au titre du programme 204, tandis que sa dotation pour 2022 au titre de la mise en oeuvre du volet numérique du Ségur atteignait 322 millions d'euros.
Le programme 204 finance enfin diverses politiques de prévention sanitaire fragmentées en une multitude de sous-actions, dotées de montants souvent inférieurs à 1 million d'euros. Seules dépassent ce montant les actions de prévention en matière de santé environnementale, de nutrition, de prévention des addictions ou de santé sexuelle, qui garnissent le plan national santé-environnement (PNSE) 4, le programme national nutrition santé (PNNS) 4, le plan Chlordécone 4, le programme national de lutte contre le tabac, la feuille de route santé sexuelle, ou encore la « Stratégie nationale Sport Santé 2019-2024 », entre autres.
Il est difficile, dans ces conditions, d'évaluer la contribution du programme 204 aux objectifs qu'il se fixe, tel que celui d'« améliorer l'état de santé de la population et réduire les inégalités territoriales et sociales de santé », et à plus forte raison, au moyen d'indicateurs aussi disparates que le taux de couverture vaccinale contre la grippe des plus de 65 ans, le taux de participation au dépistage organisé du cancer colorectal, le pourcentage d'unités de distribution d'eau potable, présentant des dépassements des limites de qualité microbiologique, ou la prévalence du tabagisme chez les adultes.
À titre de comparaison, les annexes au PLF et au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) estiment les dépenses de l'État en matière de prévention sanitaire à presque 3 milliards d'euros, et celles de prévention institutionnelle portées par la sécurité sociale à 5 milliards d'euros avant la crise du covid-19, et 17 milliards en 2021, incluant certes les mesures de dépistage.
J'en viens aux crédits du programme 183, relatif à l'AME.
En 2021, la croissance du nombre de bénéficiaires, qui avait connu un bond de 11,6 % en 2020, a progressé plus lentement, de 3,3 %, pour atteindre 380 493 bénéficiaires. La dépense trimestrielle moyenne par bénéficiaire a augmenté de 6,4 % par rapport à 2020 pour atteindre 598 euros. Cette hausse est expliquée par la direction de la sécurité sociale par le rattrapage de la consommation de soins, après la forte baisse constatée en 2020.
Pour 2023, le Gouvernement prévoit des dépenses au titre de l'AME de droit commun à hauteur de 1,14 milliard d'euros, contre 1 milliard d'euros en 2022. Les 133 millions d'euros supplémentaires sont justifiés par la prolongation de la tendance pré-crise des différents facteurs de dynamisme de la dépense : la dépense de produits de santé, de prestations hospitalières, et de nombre de consommants, c'est-à-dire d'étrangers en situation irrégulière. Le Gouvernement a pourtant annoncé le renforcement des mesures d'éloignement, et un nouveau projet de loi sur l'immigration pour 2023.
De plus, des mesures avaient été introduites à la fin de l'année 2019 pour prévenir les risques de détournement du dispositif. Celles-ci renforçaient la condition de résidence en situation irrégulière, conditionnaient la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes à un délai d'ancienneté dans le dispositif et le dépôt du dossier de demande d'AME pour les primo-demandeurs à une comparution physique dans une caisse primaire d'assurance maladie (CPAM).
Ces mesures ont néanmoins dû être aménagées ou suspendues pendant la crise sanitaire, de sorte que leur effet est encore difficilement mesurable. D'un point de vue pratique toutefois, il est déjà manifeste que les CPAM n'ont pas les effectifs permettant d'absorber l'afflux de primo-demandeurs, et qu'il serait bon, dans un véhicule plus adapté que le PLF, de songer à modifier la procédure : les maisons France services, par exemple, qui associent différentes administrations, dont l'assurance maladie, et ont un maillage territorial beaucoup plus fin que les CPAM, pourraient peut-être recevoir par principe les demandeurs.
Des mesures de lutte contre la fraude avaient en outre été déployées. Il n'est guère prévu de les renforcer. Tout au plus l'accès des CPAM à la base de données Visabio, afin de vérifier la régularité de la situation des demandeurs, sera-t-elle étendue à la base de données « France-Visas », que le Gouvernement annonce plus complète que la précédente... La CPAM de Seine-Saint-Denis m'a pourtant alertée sur les dérives qu'elle constate, notamment en matière de trafic de médicaments onéreux.
Quoi qu'il en soit, de tous les éléments de diagnostic du dispositif et des causes de sa dérive financière, on ne saurait écarter totalement la question du périmètre des soins remboursés, bien plus large que celui des dispositifs analogues de nos voisins européens.
C'est pourquoi nos collègues de la commission des finances ont adopté cette année encore l'amendement du rapporteur spécial Christian Klinger qui recentre l'AME, rebaptisée « aide médicale de santé publique », sur un noyau de dépenses comprenant : la prophylaxie et le traitement des maladies graves et les soins urgents, alignant ce faisant le périmètre des soins pris en charge sur ceux qui sont couverts par le dispositif équivalent en Allemagne ; les soins liés à la grossesse et à ses suites ; un ensemble de soins de prévention comprenant les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.
J'y vois, pour ma part, un moyen utile de recentrer le dispositif sur son objectif humanitaire, par ailleurs cohérent avec les priorités que le ministère de l'intérieur dit vouloir poursuivre.
Je vous proposerai un autre amendement, consistant à créer un nouveau programme consacré au financement d'actions conduites par l'État, l'assurance maladie et les associations, notamment dans le cadre de maraudes, d'équipes mobiles de prévention ou encore de barnums de dépistage, destinés à proposer aux personnes en situation irrégulière des examens de dépistage et à les sensibiliser à la nécessité de solliciter le dispositif de l'aide médicale de santé publique. Ce dispositif est financé à hauteur de 10 millions d'euros, issus d'une partie des économies susceptibles de découler de la redéfinition du panier de soins.
J'ai moi-même pu mesurer sur le terrain, en tant que médecin et en tant qu'élue, la persistance de comportements fraudeurs, au détriment de personnes qui n'ont pas accès aux soins, faute de connaître leurs droits ou par crainte de se faire connaître de l'administration. Combattre la fraude de façon déterminée tout en maximisant l'accès aux soins des plus vulnérables, tel demeure l'objectif de cette indispensable politique sanitaire.