Intervention de Jean Sol

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 novembre 2022 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « solidarité insertion et égalité des chances » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean SolJean Sol, rapporteur pour avis de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » :

Les crédits de paiement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » s'élèveront à 29,9 milliards d'euros en 2023, soit une hausse de 8,3 % par rapport à l'année 2022.

Deux prestations représentent 78 % des crédits de la mission : la prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Depuis 2017, les crédits de la mission auront augmenté de 68 % sous l'effet notamment des revalorisations de ces prestations.

Le dynamisme des crédits est principalement porté par la revalorisation anticipée de 4 %, à compter du 1er juillet 2022, de diverses prestations sociales dont la prime d'activité, l'AAH et le revenu de solidarité active (RSA) prévue par la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. L'impact de cette mesure sur le budget de la mission avoisinerait 900 millions d'euros en 2023.

En 2022, une fois de plus, la mission a été mise à contribution pour gérer l'urgence sociale et les crédits ont à nouveau fortement varié en cours d'exercice. Afin de préserver le pouvoir d'achat des Français face à la hausse des prix, la loi de finances rectificative du 16 août 2022 a prévu une ouverture de crédits à hauteur de 1,2 milliard d'euros, pour financer une prime exceptionnelle de rentrée à destination des bénéficiaires des minima sociaux et de la prime d'activité. Par ailleurs, 55 millions d'euros ont été prévus pour apporter un soutien exceptionnel en faveur de l'aide alimentaire. De leur côté, les associations de solidarité, qui sont également fragilisées par la hausse des prix, notamment par celle du coût de l'énergie, n'ont pas bénéficié d'une compensation spécifique, en dépit de leur rôle essentiel en matière de cohésion sociale.

L'évolution du programme 157, « Handicap et dépendance », témoigne d'un virage en faveur de l'autonomie des personnes handicapées.

La loi du 16 août 2022 précitée a prévu la déconjugalisation de l'AAH à compter du 1er octobre 2023 au plus tard. Le coût budgétaire de cette mesure serait de 93 millions d'euros en 2023, puis de 560 millions d'euros en année pleine. La suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH, longtemps soutenue par le Sénat contre l'avis du Gouvernement, se substituera donc en 2023 au dispositif d'abattement forfaitaire sur les revenus du conjoint introduit par la loi de finances pour 2022. Cette mesure s'accompagne d'un maintien du calcul actuel de la prestation pour les bénéficiaires en couple qui seraient perdants, afin de ne pas les pénaliser : concrètement, la déconjugalisation sera automatique, et irréversible, dès lors qu'elle sera plus favorable au bénéficiaire, sur la base des calculs qui seront effectués régulièrement par les caisses d'allocations familiales (CAF).

Il semble peu probable que la mise en oeuvre de la déconjugalisation, qui nécessite des développements informatiques importants, intervienne avant la date butoir du 1er octobre 2023, même si le ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, Jean-Christophe Combe, n'a pas fermé la porte à une entrée en vigueur anticipée lors de son audition.

Il convient de remarquer que cette mesure n'a pas été étendue à Mayotte, qui dispose d'un régime spécifique en matière de protection sociale. J'ai attiré l'attention de la ministre Geneviève Darrieussecq à ce sujet lors de son audition.

L'AAH a par ailleurs bénéficié de la revalorisation anticipée de 4 % au 1er juillet 2022, portant son montant à 956,65 euros. Le nombre de bénéficiaires atteindrait 1,26 million en 2022. Pour 2023, 12,5 milliards d'euros sont ainsi demandés au titre de cette allocation. Au total, malgré les mesures d'économies intervenues au cours du quinquennat précédent, les crédits dédiés à l'allocation auront progressé de 38 % entre la loi de finances pour 2017 et le PLF pour 2023.

D'autres évolutions de l'AAH seraient à envisager, afin d'améliorer les conditions de son cumul avec des revenus d'activité, notamment en milieu ordinaire. Ces conditions peuvent contribuer à décourager des personnes qui connaissent, par définition, des difficultés d'insertion ou de maintien dans l'emploi.

Le programme « Handicap et dépendance » contribue également à soutenir les établissements et services d'aide par le travail (Ésat) à hauteur de 1,5 milliard d'euros en 2023. L'impact de la hausse du Smic conduit en effet à une hausse de 87 millions d'euros des crédits de l'aide au poste au titre de la garantie de ressources des travailleurs handicapés (GRTH).

L'année prochaine doit voir la réalisation des principales mesures du plan de transformation de l'offre d'Ésat annoncé lors du comité interministériel du handicap du 5 juillet 2021, notamment la possibilité, pour une personne handicapée orientée en Ésat, de partager son temps de travail entre le milieu protégé et le milieu ordinaire de travail, ainsi que la mise en place, pour les personnes sortant d'Ésat vers le marché du travail, d'un parcours renforcé en emploi leur permettant de bénéficier d'un accompagnement médico-social et professionnel.

En revanche, les crédits du Fonds d'accompagnement de la transformation des Ésat (Fatésat), doté de 15 millions d'euros en 2022 dans le cadre de la mission « Plan de relance », ne sont pas reconduits en 2023.

Quant au dispositif d'emploi accompagné, dont les résultats sont encourageants, il poursuit une croissance progressive : 6 500 personnes étaient accompagnées à la mi-2022, contre 3 700 fin 2020, l'objectif étant d'atteindre 10 000 personnes accompagnées fin 2023.

Dans cette perspective, l'enveloppe supplémentaire de 7,5 millions d'euros, inscrite au titre du plan de relance en 2021 et 2022, est pérennisée dans le programme « Handicap et dépendance » en 2023. Le total des crédits dédiés à l'emploi accompagné se maintient ainsi à 22,4 millions d'euros.

Au sein du programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », doté de 14,5 milliards d'euros au total, les crédits inscrits au titre de la prime d'activité s'élèveront en 2023 à 10,9 milliards d'euros, soit une hausse de 11 % : la revalorisation anticipée de 4 % des barèmes de la prestation y contribue pour une large part. L'effectif des bénéficiaires reste stable et atteindrait 4,54 millions de foyers en moyenne en 2023.

Le versement de la prime d'activité pourrait connaître une forme d'automatisation dans le cadre de la « solidarité à la source » promise par le Président de la République. En tout état de cause, une amélioration du versement à bon droit de la prestation semble nécessaire : le dernier rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, qui consacre un chapitre aux prestations sociales versées sous conditions de ressources, fait état de nombreuses anomalies et recommande d'engager un chantier de simplification. Selon la Cour, 1 euro de prime d'activité sur 5, soit plus de 2 milliards d'euros au total, serait versé à tort à titre définitif.

Dans la perspective des réformes des prestations de solidarité qui s'annoncent, on peut regretter que le rapport de Fabrice Lenglart sur le revenu universel d'activité, dont il a présenté certaines des conclusions devant notre commission en janvier dernier, ne soit pas rendu public.

La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté arrivant en fin de cycle, les crédits consacrés à cette action au sein du programme 304 diminuent de 327,6 millions à 252 millions d'euros entre 2022 et 2023. Ce plan entre en effet dans une année de transition, au cours de laquelle les conventions État-département seront renouvelées.

Un nouveau pacte de solidarité prendrait la suite de la stratégie 2018-2022, en structurant la politique de lutte contre la pauvreté autour de quatre priorités stratégiques : la non-reproduction de la pauvreté, l'insertion par l'emploi - un axe qui s'inscrit dans le chantier France Travail -, la lutte contre la grande marginalité et la transition écologique et solidaire.

Le Gouvernement a lancé plusieurs expérimentations relatives au RSA : une recentralisation du financement et de la gestion du RSA dans les départements volontaires, déjà déployée en Seine-Saint-Denis et dans les Pyrénées-Orientales et qui devrait être étendue en 2023 à l'Ariège ; une expérimentation de « territoires zéro non-recours », prévue par la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS ) et dont on attend le décret d'application ; et l'expérimentation d'un RSA sous conditions d'activité, qui répond à un engagement de campagne du Président de la République. Ces différents projets, dont l'articulation ne se dessine pas encore avec évidence, ont vocation à converger vers France Travail.

Au total, les crédits dédiés au RSA recentralisé, y compris ceux qui sont dédiés à la reprise pérenne par l'État du financement du RSA dans trois collectivités d'outre-mer, passeront en 2023 de 1,42 milliard à 1,56 milliard d'euros, sous l'effet notamment de la revalorisation de 4 %.

En matière d'aide alimentaire, un fonds pour les nouvelles solidarités alimentaires doté de 60 millions d'euros, comprenant un volet national et un volet territorial, sera créé en 2023 pour « verdir » l'aide alimentaire, portant à 117 millions d'euros le total des crédits consacrés à cette action.

Si les réseaux de l'aide alimentaire considèrent que la création de ce fonds va dans le bon sens, ils restent en attente de précisions sur le calendrier de sa mise en place et ses modalités de fonctionnement.

Les associations sont cependant frappées par un redoutable effet de ciseaux dans le contexte actuel de crise inflationniste et de tensions sur les marchés alimentaires. Déjà très sollicitées pendant la crise sanitaire, elles doivent à nouveau faire face à un afflux de demandeurs. Parallèlement, la pression sur les approvisionnements devient une préoccupation majeure, et le soutien exceptionnel d'urgence apporté en 2022 pourrait bientôt s'avérer insuffisant.

En matière de protection de l'enfance, 50 millions d'euros sont inscrits au PLF, afin d'aider financièrement les départements à mettre en oeuvre l'obligation, prévue par la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, d'accompagner les jeunes majeurs de moins de 21 ans sortant de l'aide sociale à l'enfance (ASE) sans ressources ni soutien familial.

L'article 46 quater, inséré dans le PLF à l'Assemblée nationale et rattaché à la mission, prévoit que la part de l'État dans le financement du nouveau groupement d'intérêt public (GIP) « France enfance protégée » créé par la loi précitée pourra, à titre dérogatoire, être supérieure à celle des départements en 2023 alors que la loi prévoit un financement à parts égales. Toutefois, le coût supplémentaire qui en résulte pour l'État n'a pas été répercuté dans les crédits de la mission. Afin que le report de la montée en charge de la contribution des départements ne compromette pas d'emblée la capacité du GIP à exercer ses missions, je vous présenterai un amendement abondant les crédits de l'action « Protection et accompagnement des enfants » de 1,4 million d'euros.

Par ailleurs, il est prévu que l'État compense à hauteur de 20 millions d'euros, soit 30 % des dépenses supplémentaires pour les départements, les revalorisations salariales des professionnels de la protection maternelle et infantile (PMI) actées lors de la conférence des métiers du 18 février 2022.

S'agissant des mineurs non accompagnés (MNA), alors que les flux d'entrée semblent repartir à la hausse, la contribution de l'État aux dépenses des départements continue à baisser, passant de 93 millions d'euros en 2022 à 90 millions en 2023. Sur ce montant, 54 millions d'euros pourraient être versés au titre de la phase initiale d'évaluation de la minorité et de mise à l'abri des personnes se présentant comme MNA, tandis que 36 millions d'euros correspondent à la contribution « exceptionnelle » aux dépenses supplémentaires pesant sur l'ASE à la suite de l'admission de MNA.

La contribution forfaitaire de l'État à la phase « amont » est désormais conditionnée à la conclusion d'une convention avec le préfet pour la mise en oeuvre du dispositif d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM). Bien que la loi du 7 février 2022 ait rendu obligatoire le recours au fichier AEM, quinze départements n'ont pas encore conclu de convention.

Au titre de la protection juridique des majeurs, les crédits s'élèveront en 2023 à 802 millions d'euros, après 734 millions d'euros en 2022, soit une hausse de 9 %. Cette hausse prend en compte le recrutement en cours de 200 équivalents temps plein (ETP) dans les services mandataires. Une participation plus importante de l'État reste toutefois attendue des représentants du secteur afin d'améliorer la qualité du travail des mandataires judiciaires et l'attractivité du métier, compte tenu de l'augmentation prévisible de la population des personnes qui ne sont pas en mesure de pourvoir à leurs intérêts.

Enfin, même si leur poids reste modeste, avec 57,7 millions d'euros initialement demandés pour 2023, les crédits du programme « Égalité entre les femmes et les hommes » ont doublé depuis 2019 et augmentent de 14 % par rapport à 2022. Je rappelle que ces crédits n'ont pas vocation à financer la totalité des mesures prises par l'État dans ce domaine. Ainsi, 4,2 millions d'euros supplémentaires sont notamment dédiés à la montée en charge des mesures de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, tandis que les crédits dédiés aux centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) connaissent une augmentation de 1,6 million d'euros.

En outre, un amendement tendant à augmenter de 2,9 millions d'euros les moyens dévolus à la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), chargée de la gestion de la plateforme téléphonique 39.19, a été retenu dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, portant ainsi le total des crédits de paiement (CP) de la mission à 60,6 millions d'euros.

Enfin, les crédits dédits à l'aide financière à l'insertion sociale et professionnelle des personnes engagées dans un parcours de sortie de la prostitution augmentent pour la deuxième année consécutive, atteignant 1,6 million d'euros. Une instruction interministérielle du 13 avril 2022 a rappelé l'impératif de finaliser l'installation dans tous les départements des commissions départementales de lutte contre la prostitution et d'ouvrir des parcours de sortie de la prostitution, dès lors qu'ils répondent aux prérequis. En effet, six ans après l'entrée en vigueur de la loi qui les a prévues, ces commissions départementales ne sont toujours pas installées sur l'ensemble du territoire. La volonté d'accélérer le déploiement du parcours de sortie de la prostitution commence néanmoins à porter ses fruits : 529 parcours avaient été autorisés par décision préfectorale au 1er septembre, soit une augmentation de 18 % en huit mois.

Au total, l'évolution de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » témoigne d'une intervention croissante de l'État face à la succession des crises. Son poids dans les finances publiques devrait nous conduire à suivre avec attention les chantiers qui s'ouvrent en matière de lutte contre la pauvreté, d'insertion et d'emploi, qui auront nécessairement une incidence pour les collectivités territoriales.

Aussi, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission, ainsi qu'à l'article 72 quater qui lui est rattaché.

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