Les crédits demandés pour la mission « Travail et emploi » s'élèvent à 20,9 milliards d'euros, soit une progression de plus de 42 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022. Cette hausse considérable est à relativiser, car les crédits ouverts au titre de l'année 2022 s'élèveraient à plus de 21 milliards d'euros, compte tenu des lois de finances rectificatives et des reports de crédits intervenus en cours d'exercice. L'exercice 2023 commencerait donc avec un niveau de crédits proche de celui qui a été ouvert pour 2022.
Il est complexe d'évaluer la pertinence de cette enveloppe budgétaire, car l'année 2023 comporte de nombreuses inconnues pour les politiques de l'emploi et de la formation professionnelle.
Le projet France Travail, dont les contours sont encore à préciser, aura des effets sur les dispositifs d'insertion dans l'emploi. Le plan d'investissement dans les compétences (PIC) devrait arriver à son terme l'an prochain, mais on ignore encore dans quelles conditions. Après une concertation avec les partenaires sociaux, les aides à l'embauche d'apprentis devraient être redéfinies. Quant au financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle, il devrait être affecté par des mesures de régulation des dépenses liées au compte personnel de formation (CPF) et par la baisse des « coûts-contrats », dont les effets sont encore difficilement chiffrables. En outre, ce projet de loi de finances (PLF) pour 2023 n'apporte qu'une réponse très partielle au problème du déséquilibre financier de France compétences qu'il faudra à terme, résoudre.
Dans ces conditions, je considère que nous devons aborder l'examen de la mission « Travail et emploi » sous trois angles : évaluer la pertinence des moyens alloués au service public de l'emploi et aux dispositifs d'insertion dans l'emploi, dans un contexte plutôt favorable pour le marché du travail ; assurer un financement lisible et pérenne de l'apprentissage et de la formation professionnelle par l'État et les employeurs et mieux réguler les dépenses associées ; et, plus largement, maîtriser les dépenses publiques de manière partagée entre l'État et les collectivités territoriales.
Tout d'abord, la situation de l'emploi demeure favorable, avec un taux de chômage de 7,4 % au second semestre 2022. Ce niveau est stable depuis la fin de l'année 2021 et permettrait de réduire les dépenses d'indemnisation des chômeurs qui bénéficient d'allocations de solidarité. Les crédits prévus à ce titre diminueraient ainsi de 21 %, pour s'établir à 1,85 milliard d'euros.
Malgré l'amélioration de la situation de l'emploi, la subvention pour charges de service public versée à Pôle emploi atteindrait 1,25 milliard d'euros en 2023, soit une progression de 17 % par rapport à l'année 2022. Ces ressources permettront à Pôle emploi de maintenir des effectifs à un niveau presque identique à celui de 2022, avec 52 837 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Parmi ces effectifs, 1 000 ETPT sont maintenus pour répondre aux difficultés de recrutement des entreprises et 900 ETPT sont destinés à la mise en oeuvre du contrat d'engagement jeune (CEJ). Sur les 1 500 ETPT supplémentaires accordés pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire, 700 ETPT seraient conservés en 2023. Dans le contexte actuel, il ne me paraît pas pertinent de maintenir ces effectifs exceptionnels. Je vous proposerai donc de réduire la subvention de Pôle emploi du montant correspondant à ces effectifs, soit 50 millions d'euros.
Les moyens alloués aux dispositifs d'insertion dans l'emploi seraient en hausse de 15,7 %. Ils permettraient d'assurer la montée en charge du CEJ, qui a succédé à la Garantie jeunes depuis mars 2022.
Déployé par les missions locales et Pôle emploi, le CEJ propose aux jeunes de 16 à 25 ans éloignés de l'emploi un parcours d'accompagnement intensif d'au moins quinze heures hebdomadaires. Le bénéficiaire peut être orienté vers des dispositifs d'insertion et bénéficier d'une allocation d'un maximum de 520 euros par mois. À la fin du mois de septembre 2022, 193 000 CEJ ont été conclus, dont 82 000 par Pôle emploi et 110 000 par les missions locales. Un objectif de 300 000 CEJ est fixé pour 2023, dont 200 000 suivis par les missions locales et 100 000 par Pôle emploi. Une somme de 1,68 milliard d'euros est demandée pour atteindre cet objectif.
Si les premiers résultats sont encourageants, il est encore trop tôt pour mesurer l'effet du CEJ sur l'insertion professionnelle des jeunes. Néanmoins, les objectifs fixés paraissent cohérents avec la trajectoire observée depuis le mois de mars.
Parmi les autres dispositifs d'insertion, j'évoquerai les contrats aidés. En complément des parcours emploi compétences (PEC) dans le secteur non marchand, le Gouvernement a renoué avec les contrats aidés dans le secteur marchand, les contrats initiative emploi (CIE), dans le contexte de la crise sanitaire. La LFI a prolongé pour 2022 ces dispositifs, en prévoyant de financer 100 000 entrées en PEC et 45 000 entrées en CIE jeunes. Les objectifs sont revus à la baisse pour 2023 avec 80 000 entrées en PEC et 31 150 en CIE jeunes, compte tenu de l'amélioration de la situation de l'emploi.
Une enveloppe de 686,4 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) est demandée à ce titre. S'il me paraît justifié de réduire les objectifs d'entrées en contrats aidés, ces orientations devraient s'appuyer sur une meilleure évaluation de leurs effets sur l'insertion dans l'emploi durable.
Le soutien au secteur de l'insertion par l'activité économique (IAE) devrait s'élever à 1,32 milliard d'euros en 2023, soit un niveau légèrement supérieur à 2022. Cette relative stabilité fait suite à une augmentation considérable des crédits octroyés au secteur, qui ont progressé de 57 % sur la période 2018-2023. Malgré ce soutien important, il conviendra d'être vigilant sur les besoins des structures de l'IAE face à l'inflation, afin qu'elles puissent mener à bien leur mission.
Afin de financer les aides au poste des entreprises adaptées, les crédits demandés s'élèveraient à 462,4 millions d'euros, soit une hausse de 8,8 %.
L'article 47, rattaché à la mission, permettra de prolonger jusqu'au 31 décembre 2023 l'application de deux expérimentations qui arrivent à leur terme à la fin de l'année 2022 : d'une part, les contrats à durée déterminée (CDD) dits Tremplin, contrats conclus entre une entreprise adaptée et un travailleur handicapé destinés à l'accompagner dans sa transition professionnelle vers le milieu ordinaire ; d'autre part, l'expérimentation des entreprises adaptées de travail temporaire (EATT). Je vous proposerai de soutenir cette mesure.
Les moyens consacrés au développement de l'emploi par le soutien aux entreprises seraient en hausse.
En premier lieu, le financement de l'activité partielle est intégralement rapatrié au sein de la mission « Travail et emploi » pour l'année 2023, alors qu'elle était partiellement financée par la mission « Plan de relance » en 2022. Une enveloppe de 400 millions d'euros est demandée, ce montant correspondant au maintien d'une situation économique stable, sans bouleversement significatif sur le marché du travail.
À ce titre, l'article 48 prévoit de pérenniser deux dispositions de l'ordonnance du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle : l'éligibilité à l'activité partielle pour les salariés d'employeurs publics ayant une activité industrielle et commerciale et pour les salariés d'entreprises n'ayant pas d'établissement en France. Je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption de cette disposition.
En second lieu, la compensation des exonérations ciblées de cotisations sociales en faveur des entreprises connaîtrait une hausse de 6,3 % par rapport à la LFI de 2022, atteignant ainsi 3,1 milliards d'euros. Cette hausse s'explique principalement par l'introduction, sur l'initiative du Sénat, de la déduction forfaitaire sur les heures supplémentaires pour les entreprises de 20 à 250 salariés par la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Ainsi, 796 millions d'euros seraient alloués à ce dispositif, soit une hausse de 32 % par rapport à 2022.
En outre, 1,39 milliard d'euros est prévu pour compenser les exonérations de cotisations sociales sur les contrats d'apprentissage dans le secteur public, soit une hausse de 54 % par rapport à 2022, compte tenu de la dynamique de l'apprentissage.
J'en viens au financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle.
La dynamique se poursuit, avec une hausse de 38 % du nombre de contrats d'apprentissage entre 2020 et 2021. En 2022, le nombre de contrats conclus devrait s'établir entre 750 000 et 800 000.
En conséquence, les dépenses d'apprentissage supportées par France compétences, selon un financement au « coût-contrat », dépassent encore largement le montant des contributions des employeurs. En 2022, le produit des contributions employeurs devrait atteindre 9,6 milliards d'euros, alors que les dépenses d'alternance pourraient s'élever à 10 milliards d'euros et celles qui sont liées au CPF se maintenir autour de 2,7 milliards d'euros.
Pour faire face à ses besoins de trésorerie, France compétences doit régulièrement recourir à des emprunts de court terme. L'établissement a également bénéficié de crédits budgétaires depuis 2021 pour soutenir ses besoins de financement : 2,75 milliards d'euros en 2021, puis 4 milliards d'euros prévus en 2022. Ces subventions ne sont toutefois pas suffisantes pour combler les déficits de l'établissement.
Alors qu'aucune dotation budgétaire n'était prévue dans le cadre de la LFI de 2022, le PLF pour 2023 prévoit une enveloppe de 1,68 milliard d'euros pour France compétences. À cette dotation s'ajoute un ensemble de mesures qui permettraient de limiter les dépenses de l'opérateur, dont la réduction de moitié de la contribution de France compétences au PIC, qui restera néanmoins de 800 millions d'euros en 2023. En outre, les niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage ont connu une première baisse moyenne de 5 % au 1er septembre 2022 et diminueraient de nouveau au printemps 2023. Selon le ministère du travail, ces mesures permettraient d'entraîner une économie de 200 millions d'euros.
Concernant le CPF, des mesures de régulation de l'offre des formations éligibles ont été engagées. La lutte contre la fraude serait renforcée par une proposition de loi que nous examinerons prochainement. Ses effets sont toutefois difficiles à évaluer.
En outre, l'article 49, introduit à l'Assemblée nationale, prévoit que la mobilisation du CPF par son titulaire pour le financement d'une action de formation fasse l'objet d'un mécanisme de régulation dont les modalités sont définies par décret. Il est souhaitable de réguler les dépenses qui lui sont liées, afin de recentrer le dispositif sur l'employabilité des utilisateurs et sur le développement des compétences à finalité professionnelle. Je vous proposerai donc d'approuver ce dispositif, sous réserve de l'adoption d'un amendement visant à en fixer les principes, afin d'instaurer un plafonnement de la prise en charge par le CPF du coût de certaines formations. Les modalités du plafonnement, les formations concernées et les cas dans lesquels le plafonnement pourra être supprimé seront déterminés par décret. Ces mesures, qui sont aussi proposées par la commission des finances, traduiraient les propositions de notre rapport d'information publié en juin 2022 sur France compétences.
Malgré ces mesures de régulation et les subventions prévues pour soutenir France compétences, l'établissement risque d'afficher une nouvelle fois un déficit significatif en 2023. Une telle situation n'est pas satisfaisante pour le financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Il est nécessaire que le Gouvernement engage une évolution structurelle du financement de cet établissement. Elle doit s'accompagner d'une évaluation de la juste contribution des employeurs, du rôle budgétaire de l'État, compte tenu de la place que prend l'apprentissage dans la formation initiale, des objectifs assignés à la formation professionnelle via l'utilisation du CPF et des outils pour mieux piloter les dépenses.
En conséquence, afin de matérialiser la nécessité de renforcer les outils de régulation des dépenses et de réduire la contribution de France compétences au PIC, je vous proposerai de diminuer de 300 millions d'euros la subvention qui lui est allouée.
Concernant les aides à l'embauche d'apprentis, je rappelle que l'aide unique aux employeurs d'apprentis, créée en 2018, a été complétée par une aide exceptionnelle à compter du 1er juillet 2020. Alors que l'aide unique ne s'adresse qu'aux entreprises de moins de 250 salariés pour des formations de niveau inférieur ou égal au baccalauréat et pendant les trois premières années du contrat, l'aide exceptionnelle soutient les employeurs lors de la première année du contrat, quelle que soit la taille de l'entreprise et pour des diplômes de niveau inférieur ou égal à bac+5. Le Gouvernement a décidé de prolonger l'application de cette aide exceptionnelle pour les contrats d'apprentissage conclus jusqu'au 31 décembre 2022.
En 2021, les dépenses de l'État au titre de ces deux aides se sont élevées à 4,5 milliards d'euros. Une enveloppe de 5,6 milliards d'euros a été ouverte pour l'année 2022. Pour 2023, 2,3 milliards d'euros en AE et 3,5 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) sont demandés pour le financement des aides. Ces moyens devraient permettre de poursuivre les versements dus au titre des contrats conclus en 2022 et de soutenir les futurs contrats par le biais d'aides dont les paramètres sont encore à définir.
Le Gouvernement va engager des concertations avec les partenaires sociaux destinées à revoir les paramètres. Ces derniers n'étant pas connus, il est difficile d'évaluer la pertinence de l'enveloppe de crédits demandée. Sa diminution par rapport à 2022 laisse entendre que le champ des nouvelles aides pourrait être plus restreint que celui de l'aide exceptionnelle, ce qui les rapprocherait du cadre défini en 2018.
Nous devrons donc assurer un suivi attentif de la budgétisation de ce dispositif lorsque ses modalités seront connues.
J'en viens au PIC.
Ce plan, qui devait s'étaler de 2018 à 2022 avec une dotation de 13,6 milliards d'euros, avait pour objectif de favoriser l'insertion professionnelle des jeunes et des demandeurs d'emploi par le rehaussement des qualifications.
Alors que le PIC devait s'achever en 2022, le Gouvernement a décidé de le prolonger jusqu'en 2023. Pourtant, les travaux d'évaluation du plan, conduits par son comité scientifique et par la Cour des comptes ont pointé les difficultés de son pilotage. La pertinence de cet outil pour déployer des actions d'insertion et de formation professionnelle est discutable, notamment pour le financement de dispositifs pérennes. S'il permet d'apporter un soutien significatif aux dispositifs de formation professionnelle et d'insertion, dans un cadre pluriannuel donnant de la visibilité aux acteurs, sa lisibilité et son pilotage sont très insuffisants.
Une enveloppe de 3 milliards d'euros avait été ouverte en 2022, répartie entre les missions « Travail et emploi », « Plan de relance » et la contribution de France compétences à hauteur de 1,6 milliard d'euros.
Les ressources du PIC en 2023 devraient s'établir à 2,4 milliards d'euros en AE et 1,75 milliard d'euros en CP. Elles proviendraient presque exclusivement du programme 103 de la mission « Travail et emploi », ce qui contribuera à une meilleure lisibilité budgétaire. La contribution de France compétences serait ramenée à 800 millions d'euros en AE et 400 millions d'euros en CP, une réduction bienvenue. Elle devrait même être plus significative, alors que la trésorerie de France compétences est en grande difficulté et qu'une partie des actions du PIC n'a pas vocation à être directement financée par les employeurs.
L'année 2023 devrait donc être celle d'une transition marquée par une revue des dispositifs financés par le PIC, afin d'évaluer l'opportunité de maintenir leur financement et d'étudier les moyens de poursuivre la déclinaison régionale des politiques d'insertion et de formation. À ce stade, les annonces du Gouvernement n'ont pas apporté de précisions sur l'avenir de ces dispositifs ni même sur la fin effective du PIC. La trajectoire proposée ne semble d'ailleurs pas marquer le fléchissement qui aurait pu être attendu pour la fin de l'exécution du plan.
Dans ces conditions, je vous proposerai de réduire les crédits prévus pour le PIC de 500 millions d'euros en AE et 250 millions d'euros en CP. Ainsi, les moyens alloués correspondraient davantage aux besoins d'une dernière année d'exécution du plan, sans freiner les initiatives pouvant être prises dans les régions en faveur de l'insertion professionnelle.
Enfin, je mentionnerai la hausse des moyens alloués à la santé au travail et au fonctionnement du ministère du travail.
Les crédits consacrés à la santé et à la sécurité au travail, à la qualité du droit et au dialogue social progresseraient de 19,5 % par rapport à 2022, pour atteindre 110,5 millions d'euros. Cette enveloppe permettra de poursuivre la mise en oeuvre de la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail. En particulier, des moyens sont prévus pour accompagner l'intégration des associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract) au sein de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et pour soutenir la transformation des services de santé au travail en vue du développement de leur offre de services et de leur certification.
Les crédits demandés pour les dépenses de personnel et de ressources humaines des services de l'État mettant en oeuvre la politique de l'emploi s'élèvent à 681 millions d'euros, soit une progression de 3,8 % par rapport à 2022, en raison de la revalorisation des rémunérations publiques.
Pour conclure, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission, sous réserve de l'adoption d'un amendement de réduction des crédits à hauteur de 850 millions d'euros en AE et 600 millions d'euros en CP, pour tenir compte de mes observations sur le financement du Pôle emploi, de France compétences et du PIC.
Je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des articles 47 et 48.
Quant à l'article 49, je vous propose d'y être favorable sous réserve de l'adoption d'un amendement précisant la portée du mécanisme de régulation des dépenses liées au CPF.