Nous vous proposons d'abord de réaffirmer notre attachement à l'espace Schengen, espace de libre circulation qui est l'un des acquis précieux de l'Union européenne.
Dans le même mouvement, nous avons souhaité rappeler une évidence : la libre circulation à l'intérieur de l'espace Schengen ne peut exister durablement sans un contrôle efficace de ses frontières extérieures, contrôle qui est assuré par les États membres, avec l'appui de l'agence Frontex. À l'heure actuelle, environ 2 000 personnels de l'agence - en pratique, des officiers sous statut Frontex et des experts nationaux détachés - sont déployés pour cette mission dans le cadre de 18 opérations.
En ce sens, notre proposition souligne l'apport du règlement Frontex 2019/1896 qui a consolidé le mandat de l'agence : il prévoit de la doter d'un contingent permanent de 10 000 garde-frontières et garde-côtes à échéance 2027, lui demande d'agir sans délai dans le respect des droits fondamentaux, lui permet de prendre une part plus active aux opérations de retour et l'autorise à coopérer avec les pays tiers.
Enfin, et je parle ici en cohérence avec la position de nos collègues André Reichardt et Jean-Yves Leconte, rapporteurs de la commission des affaires européennes pour le nouveau pacte sur l'asile et la migration, nous rappelons que la politique de contrôle des frontières doit être étroitement liée à la politique migratoire et à la politique de l'asile, au sein d'une approche globale.
Le deuxième objectif de notre proposition est de demander un vrai pilotage politique de l'agence Frontex. Tout d'abord, même si le prochain directeur exécutif est bien nommé le 20 décembre comme prévu, il faut déplorer le temps qui a été nécessaire pour procéder à cette nomination, à savoir huit mois. Il faut également regretter l'absence de candidature française pour cette direction. Il ne s'agit pas de contester la pertinence des trois candidatures en lice - celles de Terezija Gras, ministre du gouvernement croate, de Aija Kalnaja, directrice intérimaire actuelle de Frontex, et de Hans Leijtens, directeur de la maréchaussée des Pays-Bas, qui semble être le favori ; mais la France disposait des talents nécessaires pour faire acte de candidature. Ce refus d'obstacle du Gouvernement pourrait entraîner une perte d'influence de notre pays sur l'agence, qui est la plus grosse agence de l'Union européenne. On peut déjà observer que, sur environ 1 875 personnels sous statut, l'agence ne compte que 32 Français, soit 1,7 % !
Au-delà du choix de son directeur, l'agence doit vite se remettre au travail, ce qui demande un meilleur pilotage politique. Cela passe, d'une part, par un renforcement du suivi et de l'orientation de l'action de l'agence par les ministres des affaires intérieures, mais aussi par un rehaussement des compétences des représentants des États membres qui siègent au sein du conseil d'administration, à qui l'on demande certes une expertise technique, mais aussi une capacité managériale et une intelligence politique. Tout ceci afin que Frontex bénéficie de lignes directrices claires dans son action.
Je complète ces recommandations par une demande essentielle : pour que le pilotage politique de Frontex soit complet, les parlements nationaux doivent être associés au contrôle de son action. Or, à l'heure actuelle, ils en sont exclus. Le Parlement européen ne les a pas invités lorsqu'il a mis en place unilatéralement son groupe de suivi des missions de l'agence, alors que l'association du Parlement européen et des parlements nationaux est expressément prévue dans le règlement Frontex. En outre, nos parlements ne peuvent se désintéresser de la surveillance des frontières, mission intrinsèquement liée à la souveraineté nationale. Ce matin, à l'invitation du président Buffet, j'ai assisté à une audition sur le régime juridique du secours en mer et l'accueil des personnes débarquées. Aujourd'hui encore, des embarcations de migrants tentant de gagner les îles britanniques ont coulé dans la Manche. Sur de tels sujets, il est important que les parlementaires nationaux, qui sont plus proches des citoyens que les parlementaires européens, puissent rendre des comptes aux citoyens. C'est pourquoi nous préconisons la mise en place d'un groupe de contrôle parlementaire conjoint, à l'image de celui qui fonctionne déjà bien pour l'agence européenne pour la coopération policière (Europol).
Le troisième objectif de notre proposition est de clarifier le mandat de Frontex. La mission première de Frontex est le contrôle des frontières extérieures ; elle doit assumer cette mission dans le respect des droits fondamentaux. À cet égard, notre proposition salue la mise en oeuvre désormais intégrale des dispositions du règlement de 2019 qui garantissent un respect effectif des droits fondamentaux, en premier lieu la procédure d'alerte en cas de violation des droits fondamentaux, assortie d'un mécanisme de traitement des plaintes. Elle invite cependant les responsables de l'agence à éviter toute instrumentalisation de cette procédure par des parties hostiles à l'existence même de Frontex. En second lieu, le respect des droits fondamentaux doit être assuré par l'action de vérification incombant à l'officier aux droits fondamentaux, qui a accès à toutes les procédures et dont l'action est désormais appuyée par 46 contrôleurs. Sur ce point, la proposition émet plusieurs préconisations afin d'éviter l'institutionnalisation d'une guerre des chefs au sein de l'agence, entre son directeur exécutif et l'officier aux droits fondamentaux : instauration de canaux de dialogue permanent entre ces responsables ; nécessité d'une expérience de l'officier et des contrôleurs, non seulement en matière de droits fondamentaux, mais aussi en matière de surveillance des frontières ; principe d'une évaluation professionnelle annuelle de l'officier par le conseil d'administration et de l'examen de son action par le Médiateur européen.
Concernant les opérations conjointes entre Frontex et les États membres, la proposition rappelle que Frontex n'intervient qu'à la demande des États membres et sous leur autorité. En conséquence, son rôle premier n'est pas de surveiller les États membres, et ses personnels ne peuvent être tenus responsables des éventuelles actions litigieuses commises par leurs agents. Simultanément, conformément à l'article 46 du règlement de 2019, Frontex peut se retirer d'une opération conjointe si elle considère ne plus être en mesure d'intervenir sans enfreindre le cadre légal.
Le maintien de l'efficacité opérationnelle de l'agence Frontex constitue le quatrième objectif de notre proposition. À ce titre, nous rappelons que les exigences de responsabilité et de transparence à l'égard de l'agence s'accroissent avec ses compétences. À la suite de la Cour des comptes européenne, nous demandons aussi un renforcement des fonctions support clefs - passation des marchés publics, audit interne, analyse des risques et évaluation des vulnérabilités aux frontières -, ce qui implique un nouvel effort de recrutement d'experts, mais aussi un meilleur partage des informations des États membres avec Frontex.
Nous demandons ensuite solennellement le respect des engagements budgétaires et du calendrier prévu pour la mise en oeuvre effective d'un contingent permanent d'ici 2027. La proposition souligne aussi l'importance des opérations de surveillance maritime dans la lutte contre l'immigration irrégulière et les réseaux criminels transfrontaliers ; elle salue l'efficacité du partenariat actuel avec la Grèce, ainsi que les discussions actuelles visant à préciser à nouveau le mandat de cette opération.
La résolution appelle aussi au renforcement de la veille opérationnelle menée par Frontex sur les côtes belges et françaises afin de décourager les départs de migrants vers le Royaume-Uni et de démanteler les réseaux de passeurs. Elle salue par ailleurs la mobilisation de l'agence aux frontières des États membres riverains de l'Ukraine, pour aider ces derniers à contrôler leurs frontières et à fluidifier les passages des ressortissants ukrainiens fuyant la guerre. Quelques membres de la commission des affaires européennes ont pu se rendre en Pologne et en Slovaquie au printemps pour constater l'efficacité de ces dispositifs, même si les flux sur place étaient alors moins importants qu'au début de la guerre.
Toujours au titre de l'efficacité opérationnelle, la résolution souligne l'importance des accords de statut qui permettent le déploiement d'équipes Frontex dans des pays tiers, comme c'est le cas aujourd'hui en Albanie, au Monténégro, en Moldavie et en Serbie. Sur ce point, nous recevions hier une délégation du parlement albanais dont les membres nous expliquaient que le dispositif leur semblait efficace, l'apport de Frontex étant selon eux essentiel pour lutter contre les migrations irrégulières. La proposition de résolution salue l'action menée désormais par l'agence dans le cadre des opérations de retour, et se félicite du rôle central qu'elle est amenée à jouer dans le fonctionnement du système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages - European Travel Information and Authorization System (Etias). Ce dernier, qui doit entrer prochainement en vigueur, permettra une délivrance automatisée d'autorisations de voyage dans l'Union pour les ressortissants de pays tiers qui ne sont pas soumis à l'obligation de visa.
Enfin, la proposition de résolution émet un constat simple, à l'heure où la Commission européenne réfléchit à modifier à nouveau le règlement Frontex : ce dernier est entré en vigueur le 13 novembre 2019 et l'agence n'a pas encore eu le temps de déployer tous les outils prévus par ce cadre juridique. Il est donc prématuré d'évaluer son efficacité et inopportun d'envisager déjà son actualisation. En réalité, l'urgence est d'abord que l'agence, dotée de son nouveau directeur exécutif, se remette vite au travail. Il faudra ensuite lui laisser du temps pour remplir entièrement sa mission.