Intervention de Marie-Arlette Carlotti

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 novembre 2022 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2023 — Audition du général d'armée aérienne stéphane mille chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

Photo de Marie-Arlette CarlottiMarie-Arlette Carlotti :

Depuis 2021, les aviateurs et l'ensemble des militaires de l'armée de l'air et de l'espace ont vu la structure de leur rémunération évoluer du fait de la mise en oeuvre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). Si cette politique a permis de renforcer la lisibilité des primes et indemnités touchées par les militaires dans l'ensemble des forces, elle ne constitue pas un levier de revalorisation des rémunérations des militaires, notamment dans l'armée de l'air et de l'espace.

Nous faisons pourtant face à une reprise de l'inflation qui risque de porter atteinte au pouvoir d'achat des militaires. L'armée de l'air et de l'espace, qui est en concurrence directe avec le secteur privé dans certaines spécialités recherchées, est particulièrement exposée à ce risque de perte d'attractivité qui se matérialise par des départs non anticipés. Alors que la prochaine LPM est actuellement en cours de préparation, pouvez-vous nous dire si l'armée de l'air dispose actuellement des ressources budgétaires suffisantes pour assurer sa capacité à attirer et à fidéliser les compétences dont elle a besoin ?

Général d'armée aérienne Stéphane Mille. - S'agissant de la lutte anti-drones, nous menons des recherches tous azimuts, notamment dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques de 2024. Nous réalisons actuellement une expérimentation à Mont-de-Marsan sur des moyens à énergie dirigée. Toutes les pistes sont ouvertes afin de renforcer notre capacité de lutte anti-drones, sur nos emprises et sur nos théâtres de déploiement. Singapour dispose de drones intercepteurs, décollant et volant très vite, capables d'attraper un autre drone avec un filet. Toute étude permettant de renforcer nos moyens d'intervention sur la menace drone nous est aujourd'hui utile.

S'agissant du spatial, nous recherchons aussi toutes les options possibles. Depuis le début de la LPM, nous avons remplacé la plupart de nos composantes souveraines. Nous définissons trois niveaux pour nos matériels : un coeur souverain, un niveau où nous faisons appel à des opérateurs de confiance, et enfin le niveau du marché commercial. Pour le deuxième et le troisième niveau, nous ne cherchons pas nécessairement à disposer de capacités souveraines.

Le taux de revisite est un sujet essentiel pour les mois à venir, qui orientera la ligne de budget sur les services spatiaux, nous permettant de disposer des projets innovants des starts up, pour les intégrer à notre outil de défense spatial de demain.

S'agissant de l'équilibre entre sophistication et masse, je n'ai pas de recette miracle. Les deux sont nécessaires. Pour être performant dans la haute intensité et garantir la dissuasion, la sophistication est indispensable. Mais il faut effectivement de la masse pour tenir dans toute la durée des conflits, y compris quand ils ne sont pas de haute intensité. Un équilibre subtil doit être trouvé, l'un n'allant pas sans l'autre.

S'agissant de Djibouti et de la base aérienne 188, vous avez évoqué la renégociation en cours des accords avec ce pays. En fonction de leur issue, les conséquences pour la base aérienne seront différentes. A ce stade, il n'y a pas de perspectives d'évolution connues.

Lors de mon déplacement en Indonésie, j'avais constaté que mon homologue restait quelque peu interrogatif sur le déploiement de notre mission PEGASE. Le survol et l'atterrissage des A400 M, MRTT et Rafale sur son territoire ont cependant fini par l'impressionner. C'est un autre homme que j'ai vu à Washington en septembre. Grâce à ces démonstrations, nous conservons donc cette capacité de persuasion, qui permet de transformer la vision que les pays de l'Indopacifique portent sur la France.

La transition vers un format tout Rafale n'est pas encore pour aujourd'hui. Ce ne sera pas non plus le cas quand la LPM s'achèvera en 2030 puisqu'il y aura encore des Mirage 2000 D rénovés. Néanmoins, plus les années passeront, moins nous aurons de Mirage 2000 et plus nous disposerons d'une flotte essentiellement composée de Rafale. Nous serons par ailleurs dans l'attente de l'aviation de chasse du futur. Selon moi, le SCAF est bien le moyen qui nous permettra d'obtenir la supériorité pour pénétrer les défenses ennemies au plus profond. Cela doit nous permettre de pouvoir à la fois délivrer la force de frappe nucléaire si besoin mais également d'acquérir ponctuellement et localement la supériorité aérienne permettant la progression efficace des troupes au sol.

20 % des appareils sont aujourd'hui dotés de radars AESA. Nous aurons des livraisons en 2023, avec pour objectif de passer à 50 % à la fin de l'année 2023. C'est un des bénéfices de nos exportations de Rafale. Nous avons en effet investi une partie des recettes de ces exportations sur les radars AESA.

Le Red air est un sujet ancien. J'ai moi-même souligné l'intérêt de soutenir les initiatives nationales. Ce besoin est aussi exprimé par tous mes homologues. Nous avons tout intérêt à soutenir la création d'un champion Red air français pour répondre aux besoins qui se développent. Mais il ne faudrait pas que le coût de l'heure de vol du Red air soit supérieur à celui que nous connaissons en générant l'activité en interne. Les discussions se poursuivent aujourd'hui autour du modèle économique du Red air pour garantir qu'il soit compétitif vis-à-vis des besoins d'entraînement.

Notre défense sol-air est celle prévue dans la loi de programmation militaire. Nous disposons actuellement de 8 systèmes SAMP/T, qui sont orientés vers 3 types de missions distinctes : la protection de nos bases à vocation nucléaire, la protection des forces déployées sur les théâtres d'opération, et les dispositifs particuliers de sûreté aérienne. Dans les travaux en cours de la LPM, l'idée est non seulement d'augmenter la capacité des SAMP/T actuels, pour passer à la génération suivante afin de protéger une zone plus vaste et de lutter contre les menaces supplémentaires, mais aussi d'augmenter le volume pour pouvoir répondre à une demande de protection croissante.

Les conséquences de la cession de Crotale à l'Ukraine sont aujourd'hui relativement limitées. Un dispositif sol-air digne de ce nom est un dispositif multi-couches. On ne déploie pas seulement le SAMP/T. Nous devons également déployer du Crotale pour traiter des menaces très basses et de courte portée - comme c'est le cas contre les drones en Ukraine. Notre dispositif sol/air doit donc allier du SAMP/T avec du Crotale afin qu'il traite toutes les menaces, quelle que soit la zone d'opération. La cession de deux Crotale ne nous empêche pas d'exercer nos missions. Elle ne nuit pas à l'efficacité de notre système multi-couches.

Je voudrais rappeler qu'au-delà des systèmes multi-couches, la défense aérienne intervient via l'action des avions de chasse. À titre d'exemple, les Émirats arabes unis ont contré les attaques sur leur capitale grâce leurs avions de chasse. Le système sol-air doit être complet et nous avons intérêt à disposer d'un système cohérent, réactif et en réseaux. Tous les systèmes de défense sol-air doivent être connectés avec le système de protection aérienne au sens large, système qui intègre les chasseurs.

Les drones ont vocation à augmenter dans les armées de l'air modernes. Ils sont également intégrés à la réflexion générale sur le SCAF. Nous n'avons pas encore tranché sur le meilleur montage entre le chasseur de nouvelle génération et les drones d'accompagnement. Ce ratio doit être défini dans le cadre de la phase 1B qui j'espère sera lancée prochainement.

S'agissant du MCO, les priorités sont multiples. Nous voulons des marchés efficaces, capables de nous fournir les pièces au bon moment et au bon endroit. Nous souhaitons également bénéficier de mécaniciens organisés pour optimiser l'arrivée de ces pièces. Je tiens à rappeler que nos mécaniciens ont divisé par deux les délais de démontage et de remontage des moteurs des A400 M, après avoir révisé la fiche de travail fournie par Airbus. Cette co-construction nous permet de gagner du temps dans le MCO et donc de dégager de la disponibilité.

Sur la préparation opérationnelle, nous allons réduire notamment l'activité chasse. Cela est consécutif au prélèvement des Rafale et accessoirement au retrait de la flotte de Mirage 2000 C réalisée en 2022. Faute d'un nombre de Rafale suffisants, des pilotes sur 2000 C n'ont pas pu basculer sur Rafale. Cela est gérable dans un temps court, compte tenu des progrès réalisés en matière de simulation. À Mont-de-Marsan, nous réalisons des expériences de simulation massive en réseaux ou encore d'insertion d'aspects simulés dans des missions réelles. Cela nous permettra de passer les échéances difficiles de 2023 et de 2024.

Les réservistes me paraissent suffisamment qualifiés à l'heure actuelle. Les jeunes générations sont souvent déjà qualifiées sur certains domaines particuliers : un jeune de 18 ans peut être capable de travailler avec un mini drone voire un nano drone. Par ailleurs, la réflexion sur l'augmentation des réserves est indissociable de la montée en puissance du service national universel (SNU). Nous aurons aussi besoin de réservistes pour le SNU ; nous n'avons pas seulement besoin de techniciens très spécialisés.

Nous n'avons pas de problème majeur de recrutement, sauf s'agissant du cyber où la concurrence est importante. Globalement, l'armée de l'air et de l'espace attire. En revanche, du fait des difficultés de fidélisation, le taux des jeunes recrues ne fait qu'augmenter. L'outil de formation doit donc répondre plus rapidement pour générer la même masse d'effectifs. Certaines écoles sont aujourd'hui saturées. L'école des sous-officiers de Rochefort comptait encore 800 sous-officiers par année en 2018 contre plus de 1 600 en 2023. Comme vous le savez, l'armée de l'air et de l'espace a perdu 20 % de ses effectifs depuis dix ans. Les recrutements avaient baissé pour réduire les effectifs. Il a fallu donc remonter à 1 200 pour stabiliser le modèle, puis augmenter encore de 400 de plus pour compenser les départs supérieurs à ce que nous avions imaginés.

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