Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous rencontrer - je viens plus souvent à la rencontre de vos collègues de la commission des finances ou des affaires sociales - pour la présentation de notre rapport au Parlement sur l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
Je souhaite tout d'abord vous adresser mes meilleurs voeux pour cette année 2023, au cours de laquelle la sagesse du Sénat sera bienvenue. Vous connaissez mon attachement à la mission d'assistance au Parlement, confiée à la Cour par la Constitution, et j'aurai à coeur de continuer à veiller à l'excellente qualité de nos relations et à renforcer nos liens institutionnels.
L'année 2023 s'ouvre pour la Cour des comptes par une publication aussi importante qu'originale relative à la préparation des Jeux de Paris 2024. Pour la présenter, j'ai à mes côtés Nacer Meddah, président de la formation interjuridictions, créée pour mener cette enquête d'ampleur, et également président de la 3e Chambre.
Avant de vous détailler les conclusions et les enseignements de ce rapport, je salue l'immense travail fourni par les rapporteurs et remercie Dominique Lefebvre, conseiller maître, Laurent Le Mercier, conseiller référendaire en service extraordinaire, et Mireille Riou-Canals, présidente de section.
Je veux également citer les chambres régionales des comptes d'Île-de-France et de Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui ont participé à ce travail commun avec la Cour des comptes, ce qui témoigne du haut niveau de mobilisation des personnels des juridictions financières pour mener à bien ce contrôle continu.
Il s'agit d'un travail inédit par son sujet, car il est rare pour un pays d'accueillir des jeux Olympiques et Paralympiques - la dernière fois remonte à cent ans en ce qui nous concerne -, mais aussi par sa forme parce que la Cour des comptes est ici non pas dans un rôle de contrôle ex post, mais d'accompagnement in itinere de la décision publique, dans une mission de suivi et de contrôle continu dont elle est peu coutumière.
Le rapport que je vous présente aujourd'hui est un rapport d'étape et il doit être reçu comme tel. Nous aurons l'occasion de revenir devant vous au mois de juin prochain, car nous actualiserons ce rapport afin de tenir compte de la révision budgétaire de décembre 2022.
Cette mission exceptionnelle, nous vous la devons, puisque, par l'article 29 de la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, vous avez donné mandat à la Cour de contribuer, par ses constats et recommandations, au bon déroulement des Jeux et à l'information des citoyens, qui est, à mes yeux, notre mission principale.
Vous nous avez demandé d'identifier, chemin faisant, les défis à relever pour en réussir l'organisation et en maîtriser les coûts, alors que les Jeux sont souvent l'objet de dérives budgétaires, qui grèvent la confiance des citoyens dans l'opportunité d'accueillir de tels événements.
En effet, la problématique de l'acceptabilité est très importante : si c'est toujours une fierté pour un pays d'organiser un tel événement, nos citoyens sont peut-être plus regardants que par le passé. Ainsi, l'acceptabilité se conquiert et se mérite.
Cette innovation répond donc au caractère exceptionnel de cet événement pour lequel l'exigence de transparence et d'exemplarité est particulièrement forte pour les Français.
Compte tenu de cette mission et de l'ampleur du sujet, la Cour a démarré ses travaux dès l'année 2019. Elle a choisi de conduire une série de travaux en temps réel et tout au long des préparatifs de l'événement. Avant de vous transmettre ce premier rapport d'étape, une douzaine de contrôles ont déjà été réalisés.
Fruit des premiers contrôles engagés en 2019-2021 sur le Cojop et la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solidéo), un premier référé sur la gouvernance financière et budgétaire des Jeux avait été adressé en avril 2021 au Premier ministre de l'époque, Jean Castex.
Pour l'exercice de sa mission de contrôle, la Cour a ensuite constitué en octobre 2021 une formation interjuridictions associant la Cour et des chambres régionales des comptes, qui a conduit dix enquêtes sur la délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 (Dijop), sur le Cojop, sur la Solidéo, sur deux thématiques fondamentales pour la réussite des Jeux - la sécurité et les transports - et sur cinq collectivités territoriales occupant une place majeure dans cette préparation. Je tiens à préciser à ce sujet que la Cour ne contrôle pas le Comité international olympique (CIO), organisation internationale non gouvernementale et détentrice de la marque des Jeux, qui n'a pas son siège en France et n'est donc pas située dans notre périmètre de contrôle.
Au total, la Cour a formulé à l'occasion de ces différents contrôles une centaine de recommandations, et nos constats, alertes et orientations ont déjà été en grande partie pris en compte par les différentes parties prenantes. Je me réjouis de ce mode de fonctionnement, qui permet à la Cour des comptes d'accompagner la décision publique au plus près de ses besoins et de l'actualité. La transparence constitue aussi l'un des leviers essentiels pour raffermir le lien de confiance fragilisé entre nos concitoyens et les décideurs publics - la Cour entend s'y employer.
Comme vous le savez, un siècle après ceux de 1924, les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 sont un événement majeur dans notre histoire, pour notre pays, pour les pouvoirs publics, pour les visiteurs du monde entier et pour nos concitoyens. Mais ils le sont aussi pour les finances publiques, qui supportent une partie certes minoritaire, mais significative du coût de cette manifestation.
Des moyens très importants, d'origine publique comme privée, ont été engagés pour cet événement qui aura, je l'espère - c'est l'ambition de la candidature française - des retombées bien au-delà des quinzaines olympique et paralympique. J'insiste sur la question de l'héritage, c'est-à-dire de la trace que vont laisser ces jeux.
J'illustrerai mon propos par quelques chiffres : les Jeux doivent attirer 13 millions de spectateurs et 4 milliards de téléspectateurs, ce qui en fait de loin la plus grande manifestation mondiale, d'abord sur le plan sportif - ils équivalent à 55 championnats du monde en même temps -, mais aussi sur les plans événementiel et politique.
Cette compétition internationale est un défi colossal pour le pays hôte, qui culmine pendant les épreuves, mais dont la préparation n'est pas moins exigeante, tant les conditions de la réussite sont nombreuses : maîtrise d'ouvrage et livraison des sites et ouvrages, maîtrise des coûts, gestion de la sécurité, gestion des transports et des mobilités des spectateurs comme des usagers du quotidien, qualité de l'héritage laissé par la manifestation aux populations et aux territoires... Autant d'enjeux qui nécessitent une gouvernance solide et agile.
La Cour a ainsi cherché à apporter un éclairage aussi exhaustif que stratégique sur les coulisses de cet événement. Si ce rapport prescrit par la loi de 2018 est un point d'étape important de l'organisation des Jeux, il n'épuise pas le sujet.
La Cour aura l'occasion d'actualiser ses constats et recommandations et procédera au contrôle ex post des Jeux afin d'en réaliser le bilan financier, comme elle le fait pour chacun des grands événements sportifs internationaux que la France accueille. Elle l'avait d'ailleurs fait, certains s'en souviennent peut-être, pour les Jeux d'hiver de Grenoble en 1968 et ceux d'Albertville en 1992.
Pour ce rapport intermédiaire, les instructions conduites en 2022 sont intervenues dans une période charnière de la préparation des Jeux, entre la phase de planification stratégique et celle de mise en oeuvre opérationnelle, alors même que tous les arbitrages sur les conditions d'organisation et les modalités de livraison des Jeux n'étaient pas rendus, ce dont nous avons bien sûr tenu compte dans nos recommandations.
Je tiens à préciser d'emblée que la Cour ne disposait pas, pour l'établissement de ce premier rapport, de toute l'information permettant d'apprécier la soutenabilité budgétaire de la préparation des Jeux. C'est particulièrement vrai pour le Cojop, dont le budget pluriannuel a été révisé le 12 décembre lors de son conseil d'administration et qui fera l'objet de notre part d'une évaluation complémentaire au premier semestre 2023, comme je l'avais proposé aux présidences du Sénat et de l'Assemblée nationale au printemps dernier.
De mémoire, c'est sans doute la première fois que les juridictions financières ont à analyser chemin faisant l'organisation d'un événement international de cette importance. À partir d'un périmètre clair et défini de dépenses, de champs d'organisation, d'items de commande publique, la Cour s'est attachée à apprécier l'équilibre général de la manifestation et à en pointer certaines limites que je vous présenterai sans plus tarder.
Le rapport aborde plusieurs aspects de l'organisation des Jeux : la gouvernance, la gestion des organismes chargés de leur préparation - Cojop et Solidéo -, la livraison des ouvrages pérennes, placée sous la responsabilité de la Solidéo, l'organisation et la livraison des Jeux, l'exécution budgétaire du Cojop et les principaux enjeux de la révision budgétaire de décembre 2022.
Les questions d'héritage, qui feront l'objet d'une enquête approfondie à partir de 2024, sont évoquées de façon générale en conclusion du rapport.
Venons-en maintenant à ses principales conclusions, qui sont la raison de ma présence devant vous.
Tout d'abord, la Cour insiste sur le passage de la phase de planification stratégique, qui s'est dans l'ensemble bien déroulée, à la phase opérationnelle, par définition plus délicate.
Ensuite, s'agissant de l'aspect financier, si la majeure partie des surcoûts constatés s'explique par des facteurs économiques exogènes - inflation, difficultés d'approvisionnement, etc. -, les acteurs doivent rester mobilisés pour que les dépenses soient maîtrisées jusqu'au terme de la préparation des Jeux, d'autant que le Cojop, qui vient d'augmenter son budget de 10 %, ne dispose que d'une réserve limitée pour faire face aux mauvaises surprises.
Enfin, la sécurité et les transports sont deux points de vigilance particulièrement importants dans la phase opérationnelle.
En matière de gouvernance, la Cour souligne que la réussite des Jeux repose sur une parfaite articulation entre le Cojop, qui organise la manifestation, et les pouvoirs publics. Cette gouvernance a été relativement consensuelle, fluide et bien articulée, au sein des conseils d'administration qui regroupent l'ensemble des partenaires.
Pour autant, elle doit être resserrée et le partage des responsabilités entre l'organisateur, la Solidéo, l'État et les collectivités n'est pas encore complètement stabilisé, ce qui laisse subsister des incertitudes opérationnelles et des risques financiers.
L'accélération des opérations en 2022 et 2023 renforce le besoin de coordination, d'une part entre le Cojop et la Solidéo et, d'autre part, entre le Cojop et les pouvoirs publics, sous l'autorité du Dijop, dont le rôle doit être, compte tenu du bilan favorable de son action, à la fois salué et conforté.
En ce qui concerne les ouvrages olympiques, les objectifs initiaux de limitation du nombre de sites et d'utilisation, pour l'essentiel, d'équipements préexistants ont prévalu - à raison, me semble-t-il. Les seuls équipements nouveaux seront le village des athlètes, le village des médias, le centre aquatique olympique (CAO), l'Arena de la porte de la Chapelle et le Prisme dédié aux sports paralympiques en Seine-Saint-Denis.
Les sites et ouvrages olympiques et paralympiques devront être terminés dans les délais prévus, et il semble prioritaire de stabiliser les conditions dans lesquelles la Solidéo doit les livrer au Cojop, afin d'éviter de coûteuses modifications de programme qui pourraient être demandées par le CIO ou les fédérations internationales.
S'agissant de la livraison des Jeux sur les sites olympiques, la Cour invite les différentes parties à accélérer le passage à la phase opérationnelle, pour éviter des retards qui seraient pénalisants. Il convient notamment de signer au plus vite les contrats de mise à disposition des sites et les marchés de livraison pour les sites, dont le Cojop entend externaliser la gestion et qui ne sont pas tous conclus. Ce décalage de calendrier entraîne des risques opérationnels et financiers avérés pour l'organisation des Jeux. Cette situation traduit le point de passage délicat vers la phase de déclinaison opérationnelle.
Les enjeux relatifs à la sécurité et aux transports restent des défis majeurs sur lesquels la Cour veut alerter.
En matière de sécurité, la Cour a établi un premier rapport en juin 2022, recommandant notamment de resserrer la comitologie et d'actualiser le protocole État-Cojop pour prendre en compte la cérémonie d'ouverture. Elle attirait alors l'attention sur le risque capacitaire majeur qui pesait sur les forces de sécurité intérieure du fait des carences probables de la sécurité privée. Nous maintenons ce diagnostic, qui semble faire consensus : il est impératif que la mobilisation des forces se fasse à la hauteur des besoins.
Dans ce rapport d'étape, la Cour souligne que le plan global de sécurité doit être impérativement arrêté pour entrer dans une phase d'organisation opérationnelle des moyens, site par site et sous l'autorité des préfets.
Par ailleurs, le risque capacitaire reste à relever, notamment au regard de la cérémonie d'ouverture qui se déroulera sur la Seine. Un probable renfort, pour partie, des forces de sécurité intérieure pour exécuter des missions relevant de l'organisateur, doit être anticipée et son financement assuré par le Cojop - il n'y a pas de raison qu'il repose sur le contribuable. N'oublions pas que les forces publiques font face à un défi d'équilibre des missions liées aux Jeux et de permanence des mesures de sécurité sur l'ensemble du territoire. L'enjeu de la cérémonie d'ouverture est particulièrement central ; il relève d'un choix politique auquel nous devrons nous plier.
Concernant la bonne gestion des transports et des flux des personnes, sujet là aussi abordé dans un rapport en juillet 2022 et qui suppose une articulation étroite avec les enjeux de sécurité, il s'agit d'une condition sine qua non de la bonne réussite des Jeux, tant à Paris qu'en région. Or les risques de retard de livraison de certains projets structurants renforcent la tension sur le réseau existant.
La Cour met tout particulièrement l'accent sur l'impératif d'achever à temps les infrastructures - ligne 14 du métro, franchissement urbain Pleyel, porte Maillot, gare du Nord, etc. - et d'assurer la disponibilité des moyens humains et matériels nécessaires au transport des spectateurs et des accrédités, que ce soient les sportifs, les médias, les délégations internationales ou les bénévoles.
Enfin, il est nécessaire de stabiliser rapidement la déclinaison opérationnelle de l'organisation, en achevant les plans de transport site par site.
Du point de vue de l'éthique et de la probité, la Cour indique que les contrôles qu'elle a réalisés concernant la passation d'un échantillon de marchés n'ont révélé aucune irrégularité à ce stade. Toutefois, il faut garder en mémoire que les risques liés à l'exigence de livraison des sites et de la manifestation seront très importants dans la phase opérationnelle qui débute, d'autant que les deux tiers des dépenses du Cojop seront engagés en 2023 et 2024.
Si les deux organismes ont mis en place des procédures pour éviter tout risque d'atteinte à la probité, il nous paraît indispensable de nous assurer du respect de ces procédures et de la capacité des dispositifs de contrôle interne à en vérifier la mise en oeuvre. C'est en particulier le cas pour le Cojop, qui, soumis au code de la commande publique, applique des dispositions dérogatoires sur une part importante des marchés qu'il passe et pour lesquels il n'est pas astreint au respect de ces règles formelles.
En tant qu'élus, vous savez que le fait d'être pressé par le temps peut parfois entraîner des manquements. Pour éviter cela, il convient de mettre en place des procédures ad hoc.
Les exigences de livraison dans les délais et le respect des procédures du code de la commande publique imposés à la Solidéo pourraient devenir difficilement compatibles, rendant nécessaire d'anticiper ces difficultés et risques. La Cour en assurera en tout état de cause le contrôle à l'issue des Jeux. Nous ne procéderons alors pas par échantillons, mais regarderons dans le détail comment les choses se sont déroulées.
Enfin, le Cojop et la Solidéo porteront l'héritage immatériel et matériel des Jeux, c'est-à-dire la durabilité et le renouvellement des équipements sportifs, notamment en Seine-Saint-Denis, mais aussi le développement de la pratique sportive, de mesures sociales visant à l'inclusion, de programmes économiques en faveur des entreprises, de l'innovation et de l'emploi, ainsi que de mesures environnementales.
L'État a, pour sa part, adopté en 2019 un plan héritage pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 comprenant 170 mesures, dont le suivi incombe à la Dijop et qui gagneraient à être mieux hiérarchisées.
Les contrôles réalisés ou en cours n'ont pu véritablement approfondir ces sujets, qui devraient faire l'objet d'un rapport de la Cour après 2024. Nous sommes sensibilisés à cette dimension sur laquelle nous mettrons l'accent, car il s'agit là encore d'un élément d'acceptabilité.
Au-delà de ces messages, je vous présenterai nos principales conclusions, à ce stade, sur la soutenabilité budgétaire de ces Jeux.
Il est clair que les investissements se sont révélés plus élevés que prévu, non pas en raison de dérives financières, mais parce que ces jeux sont un catalyseur de projets, offrant l'occasion de réaliser des investissements attendus depuis longtemps par les territoires. De plus, il apparaît que l'équilibre financier du budget du Cojop n'est pas assuré de façon certaine. Enfin, le coût réel de cette manifestation sportive ne peut être en l'état complètement déterminé.
En ce qui concerne la Solidéo, la maquette financière établie en 2016 à 1,6 milliard d'euros prévoyait son indexation. L'inflation devrait conduire à un surcoût de 306 millions d'euros - soit le double de ce qui pouvait être estimé à l'origine - du fait de l'accélération constatée en 2022. Par ailleurs, des financements complémentaires, pour des investissements réalisés à l'occasion des Jeux dans une logique d'héritage, s'élèveraient désormais à près de 700 millions d'euros.
Si la Cour constate que les engagements publics des cofinanceurs de la maquette financière de la Solidéo sont tenus, sous réserve des tensions inflationnistes, cette évolution semble davantage résulter d'un effet accélérateur sur les investissements publics que d'une dérive des coûts.
S'agissant du Cojop, la Cour avait formulé plusieurs recommandations pour la révision du budget pluriannuel lors du contrôle réalisé cet été. Elle demandait que ne soient retenues que des ressources acquises ou en voie de l'être, notamment en ce qui concerne les partenariats avec des sponsors, et que les risques identifiés, en particulier l'inflation, soient intégralement pris en compte.
Le budget pluriannuel du Cojop, établi en 2018 à 3,8 milliards d'euros, conformément au dossier de candidature, et porté en 2020 à près de 4 milliards d'euros, a été substantiellement révisé lors du conseil d'administration tenu le 12 décembre dernier pour être porté à 4,3 milliards d'euros, soit une augmentation de 17,7 % depuis 2018.
La Cour préconisait de sanctuariser la réserve pour aléas de 315 millions d'euros, or elle constate que celle-ci a été réduite à 200 millions d'euros, bien qu'une provision pour risque d'inflation de 75 millions d'euros ait été inscrite en parallèle.
Nous tenons ainsi à rappeler que l'évaluation des coûts liés à l'organisation des Jeux est essentielle, d'une part en raison de l'objectif affiché dès la candidature d'organiser des Jeux sobres, au coût maîtrisé pour les finances publiques et, d'autre part, en raison de l'exigence de transparence qu'impose l'acceptabilité des Jeux pour la population.
Or les chiffres avancés par les organisateurs des Jeux et les responsables publics de 6,9 milliards d'euros en phase de candidature, puis de 8,8 milliards d'euros à ce jour ne peuvent être validés par la Cour, d'autant que le budget du Cojop a été établi en euros courants alors que celui de la Solidéo est en euros constants 2016.
En effet, ils reposent sur des estimations fragiles, des périmètres mal définis de dépenses publiques et privées, et ne comprennent pas non plus certaines dépenses - sécurité, transports, autres dépenses d'investissement et de fonctionnement des collectivités locales.
S'agissant plus précisément des financements publics identifiés à ce stade, ceux-ci concernent pour l'essentiel la livraison des ouvrages olympiques et s'élèvent à 2,2 milliards d'euros, seuls 171 millions d'euros étant attribués au Cojop pour l'organisation en tant que telle de la manifestation au titre des jeux Paralympiques.
Au total, les crédits publics engagés pour le Cojop et la Solidéo s'élèvent à 2,4 milliards d'euros, dont 1,3 milliard d'euros pour l'État et 1,1 milliard d'euros pour les collectivités locales. Néanmoins, le coût public sera sensiblement supérieur et pourrait approcher les 3 milliards d'euros après la prise en compte, notamment, des dépenses fiscales, de sécurité, sanitaires ou encore de transport, qui ne sont pas dans les budgets du Cojop et de la Solidéo.
C'est pourquoi la Cour n'est pas en mesure d'établir le coût réel des Jeux et son impact total sur les finances publiques, en l'absence de recensement exhaustif et précis des dépenses d'investissement et de fonctionnement liées aux Jeux, dont une partie ne sera d'ailleurs connue qu'après l'événement. Elle renvoie ainsi au rapport ex post pour une véritable analyse du coût global des jeux Olympiques et Paralympiques 2024.
La Cour estime que la phase de planification stratégique des jeux Olympiques et Paralympiques s'est globalement bien déroulée. Pour autant, elle relève des points de vigilance, qui la conduisent à formuler quinze recommandations, alors que s'engage la phase opérationnelle, plus délicate, d'organisation des Jeux et que, à dix-huit mois de leur ouverture, les risques liés à l'exigence de livraison des sites olympiques et de la manifestation ne peuvent que croître.
La Cour recommande avant tout de resserrer la gouvernance et de clarifier les responsabilités des partenaires sur le plan opérationnel et financier.
Par ailleurs, pour garantir l'éthique et le droit de la commande publique, si la Cour n'a pas relevé d'irrégularité notable, elle alerte spécifiquement sur les risques croissants à l'approche de la tenue des Jeux. L'impératif absolu de respect des délais de livraison pouvant conduire à ne pas appliquer correctement le code de la commande publique, ces situations doivent être anticipées.
Ensuite, pour assurer la livraison des ouvrages olympiques et paralympiques en bon ordre, la bonne articulation entre le Cojop et la Solidéo doit être renforcée sous l'autorité du Dijop, qui joue un rôle incontournable afin de maîtriser les principaux risques. Je pense en particulier aux modifications de programme, au respect des calendriers et des budgets, ou encore aux modalités et aux calendriers de livraison des sites.
Pour assurer la livraison opérationnelle des Jeux, nous invitons par conséquent à signer au plus tôt les conventions d'utilisation des sites et les marchés de livraison externalisés indispensables aux Jeux, et à stabiliser les plans de gestion site par site.
Sur le volet sécurité et transports, nous appelons à une vigilance extrême et soulignons la nécessité de finaliser au 1er semestre 2023 le plan global de sécurité des Jeux et recommandons de finaliser les plans de transport site par site et d'engager leur déclinaison opérationnelle.
Enfin, les incertitudes qui subsistent sur l'équilibre final du budget du Cojop imposent un suivi très rigoureux pour s'assurer de la mise en oeuvre de la révision budgétaire arrêtée en décembre, d'autant que l'État apporte sa garantie en cas de déficit final du Cojop, comme la loi de finances de 2022 l'a entériné.
La Cour insiste également sur la nécessité d'établir un coût le plus complet possible des Jeux. Pour cela, un préalable est de consolider l'ensemble des dépenses d'investissement et de fonctionnement engagées.
Voilà, de toute évidence, un programme ambitieux, qui plus est dans des délais serrés. Pour actualiser la célèbre formule de Coubertin, il faudra collectivement porter nos efforts plus vite, plus haut, plus fort et ensemble !
Du reste, notre rapport apporte le détail de ces recommandations et sera, je l'espère, une ressource utile pour les parlementaires.
En conclusion, ce rapport d'étape témoigne de l'utilité des travaux de la Cour pour accompagner la décision publique, en couvrant un objet majeur, pour les pouvoirs publics comme pour les citoyens. Par ce rapport, nous cherchons à donner toutes les clés dont nous disposons pour apprécier la soutenabilité de l'événement, car son acceptabilité n'est pas acquise de façon évidente dans un contexte économique et géopolitique mondial dégradé.
Le serment des juges sportifs qui officient lors de ces Jeux énonce : « Au nom de tous les juges et officiels, je promets que nous remplirons nos fonctions pendant ces jeux Olympiques en toute impartialité. » Cela concorde avec les missions de la Cour, qui a, je crois, su montrer la réactivité et la souplesse nécessaire pour analyser in itinere un objet particulièrement récent et sui generis. Car ne nous y trompons pas, l'important n'est pas seulement de participer, mais bien de réussir. À cet égard, je veux dire aux représentants de la Nation, mais aussi à nos concitoyens, qui peuvent se montrer inquiets devant le coût d'un tel événement alors que tant d'entre eux peinent à boucler leurs fins de mois, qu'ils peuvent compter sur la Cour des comptes pour jouer le rôle de vigie que lui a confié le Parlement et qui est au coeur de sa mission constitutionnelle. Le moment venu, la Cour dressera le bilan objectif et définitif de ces Jeux.