Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 30 octobre 2007 à 16h15
Finances locales — Rejet des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la péréquation des ressources en faveur des collectivités territoriales est un sujet qui nous occupe depuis quelque temps, c'est le moins que l'on puisse dire.

À dire vrai, ce sujet imprègne le débat sur les finances locales depuis au moins une bonne trentaine d'années, époque de la mise en place de la dotation globale de fonctionnement, puis avec les différentes lois et mesures qui ont modifié l'économie générale du système de financement de l'initiative locale.

Il l'imprègne d'autant plus qu'au fil des ans et des opportunités budgétaires, l'État s'est défaussé progressivement de nombre de ses obligations sur les collectivités territoriales.

Je citerai pour mémoire les politiques de formation professionnelle, du logement, de la réalisation et de l'entretien d'infrastructures routières ou encore des politiques sociales, non seulement en direction des personnes les plus vulnérables et des personnes âgées ou dépendantes, mais aussi des handicapés.

Après le débat qui devait se conclure par la préférence accordée aux transferts par rapport aux financements croisés, aujourd'hui, il n'est pas un ministre qui ne propose une nouvelle action, sans pour autant que les collectivités territoriales soient considérées comme « partenaires privilégiées », elles qui deviennent de fait les « payeurs » quasi exclusifs.

Pour répondre à ces transferts imposés, les collectivités concernées sont loin de disposer des mêmes ressources et la situation ne s'est guère améliorée depuis trente ans, compte tenu, justement, de ces charges nouvelles. On peut même dire que certains écarts se sont accrus.

J'approuve ce passage de l'exposé des motifs du texte proposé par nos collègues socialistes : « L'action de l'État ne parvient pas à réduire la fracture territoriale. Les impôts locaux, reposant sur des bases archaïques, sont sources d'injustices, aussi bien pour les contribuables que pour les collectivités. Les correctifs apportés pour pallier ces carences ont finalement conduit à plafonner certains prélèvements locaux plutôt qu'à réformer la structure de ces prélèvements. » Mais je ne peux pas souscrire à l'idée que les marges de manoeuvre budgétaires de l'État « sont, aujourd'hui plus que jamais, limitées. »

En fait, nous le savons bien, les gouvernements qui viennent de se succéder ont multiplié les initiatives entraînant une réduction des recettes fiscales de l'État. La dernière en date est la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA, une illustration parfaite étant fournie par le bouclier fiscal, ramené à 50 % alors qu'il venait juste d'être instauré à 60 % par la loi de finances pour 2007.

Toutes ces mesures n'ont d'autre objet que de répondre aux attentes d'une infime minorité de contribuables ou aux exigences d'optimisation fiscale des grands groupes, et elles coûtent cher au budget de l'État !

Cependant, la vraie question à nous poser est plutôt la suivante : est-il toujours opportun de confier aux collectivités territoriales la responsabilité de piloter toutes les actions susceptibles d'apporter une réponse à un besoin social déterminé ?

La prise en charge de l'autonomie des personnes âgées en est un parfait exemple.

On a refusé de traiter la situation des personnes âgées sous l'angle de la dégradation de leur santé, pour ne la considérer que comme un problème social, alors même que l'espérance de vie, nous le savons, varie selon l'activité professionnelle exercée.

De surcroît, la comparaison du nombre des personnes âgées dépendantes selon les différentes parties du territoire national montre, à l'évidence, de profondes inégalités locales. Ainsi la répartition géographique des demandeurs de l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie, n'est-elle pas équilibrée.

Nombre de départements ruraux, par ailleurs victimes de la pseudo-rationalisation des dépenses de santé, comptent une proportion particulièrement élevée de personnes âgées de plus de soixante ans, voire de plus de soixante-quinze ans.

En 1999 - les données n'ont pas dû être modifiées de façon significative depuis -, la part des personnes âgées de plus de soixante-quinze ans dans la population représentait plus de 14 % dans la Creuse, contre 4, 5 % dans le Val-d'Oise.

Naturellement, la demande potentielle relative à l'allocation personnalisée d'autonomie est donc bien plus forte dans la Creuse, département rural doté de faibles ressources financières, que dans le Val-d'Oise, département urbain où sont implantées des zones d'activité particulièrement significatives.

Nul doute que, a contrario, les élus val-d'oisiens, par rapport à leurs homologues creusois, se doivent de faire face à une demande en équipements scolaires dans des proportions bien plus importantes, mais la situation de la Creuse ne permet pas à ce département de faire face aux obligations de l'APA, ce qui peut le contraindre à exiger plus de l'imposition locale par rapport à bien d'autres départements.

De fait, le mode de financement de l'action en direction des personnes âgées paraît aujourd'hui profondément inadapté, indépendamment des outils de péréquation, bien imparfaits, qui ont été mis en place.

Tout cela revient à nous interroger sur l'absolue pertinence de la décentralisation dans tous les cas de figure.

En réalité, nous le savons tous, notamment tous ceux qui ont voté en 2003 et 2004 les différents textes, notamment la loi relative aux libertés et responsabilités locales, formant ce que certains appellent le deuxième volet de la décentralisation, le Gouvernement, en faisant le choix de la responsabilité locale, a surtout fait le choix de décharger l'État de ses obligations.

À nos yeux, s'agissant de l'action sociale, une bonne part des compétences qui ont été transférées aux départements devrait même être du ressort de la sécurité sociale collective, dont le caractère universel et égalitaire est autrement plus garanti que tout autre dispositif.

Depuis de longues années, les parlementaires du groupe communiste républicain et citoyen proposent la création d'un cinquième risque de la sécurité sociale, ce qui serait un gage d'efficacité et de justice sociale dans la mesure où le dispositif s'appuierait sur un régime solidaire.

La mesure proposée dans le présent texte visant à prévoir le versement d'une partie de la CSG aux collectivités territoriales nous apparaît, en fait, comme une reconnaissance de cette réalité, mais, en même temps, comme un refus d'aller jusqu'au bout de la démarche.

Quant au RMI, souvenons-nous que c'est la réduction des indemnisations ASSEDIC qui est responsable, aujourd'hui, de l'augmentation de la prise en charge par cette allocation d'un nombre toujours plus important de demandeurs d'emploi.

Toute réflexion sur l'évolution des mécanismes propres aux finances locales doit donc, sous peine de ne pas favoriser l'émergence de solutions durables et acceptables, poser aujourd'hui clairement la question des contours, du contenu et de la pertinence des responsabilités assumées par les collectivités territoriales.

Nous continuons de penser, mes chers collègues, que le transfert aux collectivités territoriales des routes, des bâtiments scolaires, d'une grande partie de l'action sociale, des politiques de formation permanente et d'apprentissage, ainsi que d'une bonne part des charges d'infrastructure publique ne constitue pas la réponse la plus acceptable ni la plus pertinente à la question de la satisfaction des besoins collectifs de nos concitoyens.

Tout au plus pouvons-nous, du point de vue de l'État, enregistrer, notamment depuis 2004, une compression du déficit budgétaire, l'essentiel - plus de 70 % - des charges d'investissement public étant désormais assumé par les collectivités locales en lieu et place de l'État.

L'un des effets de la décentralisation, telle qu'on a pu la concevoir notamment durant la législature précédente, est d'avoir porté sous la barre des 5 % la part du budget de l'État consacrée aux dépenses d'investissement. Autrement dit, en faisant abstraction de ces dépenses pour le moins réduites, nous sommes toujours en situation de déficit de fonctionnement.

Le texte que nous examinons aujourd'hui intervient sur un aspect relativement restreint du financement des collectivités. Loin de moi l'idée d'en faire le reproche aux auteurs de la proposition de loi, car, compte tenu du peu de temps accordé à la discussion - moins de deux heures -, je peux comprendre qu'il était difficile de faire une présentation plus large.

Cependant, le fait de concevoir la péréquation dans un contexte d'enveloppe constante et de progression plus que limitée des concours budgétaires de l'État aux collectivités locales revient, très vite, à battre en brèche les principes d'autonomie des collectivités territoriales, pourtant affirmés, au moins en théorie, par l'article 72-2 de la Constitution.

L'outil de péréquation « horizontale » qui nous est ici présenté s'apparente, qu'on le veuille ou non, à un certain partage de la misère, partage porteur de nouvelles difficultés à répondre aux attentes de nos concitoyens.

Selon nous, la péréquation implique a priori la mise en place de nouveaux outils et de nouvelles recettes fiscales, destinées à un partage plus équilibré des moyens disponibles.

Elle doit ainsi commencer par une remise en question des mesures actuellement retenues pour l'allégement de la fiscalité des entreprises. Elle pourrait aussi passer, faut-il le rappeler, par la récupération du produit de la cotisation minimale de taxe professionnelle, qui, d'après les documents qui nous ont été fournis jusqu'à présent, rapportera cette année 2, 5 milliards d'euros de ressources au budget de l'État - bien loin des 820 millions d'euros dont nous parlions tout à l'heure -, soit deux fois et demie le montant de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et plus que la DGF des groupements !

Par ailleurs, la taxation des actifs financiers des entreprises, inscrite dans une proposition de loi que nous avons déposée le 17 mars 2005, permettrait de fournir les moyens de financer et de conduire une véritable politique de péréquation des ressources pour le financement de l'initiative locale. Le produit de cette taxation pourrait alimenter un fonds de péréquation national, qui serait réparti en fonction des capacités contributives des habitants des collectivités. De plus, cela permettrait de prendre en compte la réalité de l'évolution de l'activité économique.

Comme l'ont fait remarquer le directeur général des collectivités territoriales et le président de l'Association des maires de France, l'industrie paie aujourd'hui 69 % du montant total de la taxe professionnelle, alors qu'elle ne participe que pour 32 % à la valeur ajoutée ; à l'inverse, les activités financières produisent 35 % de la valeur ajoutée et s'acquittent de 2, 5 % de la taxe professionnelle.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite maintenant insister sur la notion d'initiative locale.

En effet, il est inconcevable de développer une approche critique de la décentralisation telle qu'elle a été conçue depuis quelques années sans souligner cette évidence : à force de transférer sur le local ce qui devrait procéder du national ou du collectif solidaire, on finit aussi par brider l'initiative et la créativité des collectivités territoriales.

Quand la commission des finances laisse supposer que la péréquation serait améliorée si le complément de garantie de la DGF des communes n'évoluait plus que selon un taux égal au plus à 15 % de la progression de la DGF, elle ne tient pas compte des conséquences des mesures déjà mises en oeuvre. Celles de la loi de finances pour 2007 se sont ainsi traduites, pour 3 000 communes, par un gel de leur garantie, qui n'a représenté qu'un volume de 13 millions d'euros, soit un montant faible en termes de péréquation, mais qui a pu créer des situations difficiles pour certaines communes.

En outre, le dispositif envisagé n'intègre pas non plus les propositions gouvernementales contenues dans le projet de loi de finances pour 2008 : pacte de stabilité imposé à toute force, nouvelle atteinte à la dotation de compensation de la taxe professionnelle et minorations de plusieurs compensations en matière de fiscalité locale touchant la taxe professionnelle ou le foncier non bâti.

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