Intervention de Nassimah Dindar

Réunion du 11 janvier 2023 à 21h30
Politique du logement dans les outre-mer — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Photo de Nassimah DindarNassimah Dindar :

Vous venez de le dire, monsieur le ministre, le Plom 1 n’a pas tenu son objectif de construction et de réhabilitation de 10 000 logements par an. Malgré les outils mobilisés et les plans successifs, le constat est sans équivoque : le secteur du logement reste en crise dans l’ensemble des territoires ultramarins.

Nous n’avons pas encore le bilan détaillé du Plom 2 et nous souhaitons vivement en connaître les résultats concrets. Quant aux perspectives, vous venez de les indiquer, monsieur le ministre.

En clair, avons-nous vraiment reculé sur le nombre d’habitats indignes, encore trop important dans les Drom, alors même que l’insalubrité affecte la santé physique et mentale des publics vulnérables ? Je pense aux habitats infestés de moustiques, à l’épidémie de dengue qui sévit encore à La Réunion, à la déscolarisation précoce, à la précarisation des femmes battues qui ne trouvent pas de logement social alors qu’il est prévu qu’elles en bénéficient.

Quels sont les résultats en matière d’amélioration de l’habitat privé ? Entre le 1 % logement, MaPrimeRénov’ accordée par l’État et les aides régionales existantes – il y a donc des moyens financiers ! –, force est de constater que l’éparpillement des dispositifs freine leur mobilisation respective.

Autre point de vigilance : le vieillissement de la population ultramarine, particulièrement accéléré aux Antilles, nécessite un véritable plan stratégique, comme le préconise le rapport interministériel sur l’adaptation des logements, des villes, des mobilités des territoires à la transition démographique de Luc Broussy du mois de mai 2021.

En 2050, la Martinique sera le département le plus vieux de France. Face à ce scénario catastrophe, ce plan doit être élargi aux autres territoires également touchés par la transition démographique, comme La Réunion, qui comptera 1 million d’habitants avant 2030, et Mayotte.

Pour ce qui concerne la jeunesse, tous les acteurs, notamment les bailleurs sociaux, reconnaissent qu’elle a de plus en plus de mal à accéder à un logement. Qu’il soit jeune travailleur ou étudiant, le Domien a des difficultés pour se loger.

Je ne donnerai que ce chiffre : à La Réunion, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) dispose de 1 381 places d’hébergement pour 21 000 étudiants. Un tel constat n’est pas différent dans les autres départements ultramarins.

Vous avez raison, monsieur le ministre, ce n’est pas seulement « de la faute de » : l’incurie est collective. Par exemple, la réserve foncière n’a pas été mise en place. Nous le constatons, les défis sont nombreux et variés. Aussi plaidons-nous pour une plus grande territorialisation de la politique du logement, car il convient de mieux prendre en compte les particularités de chaque territoire pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens.

Cette territorialisation doit aussi passer par une meilleure représentation des outre-mer dans les instances nationales du logement. En effet, le ministère des outre-mer n’est membre ni du conseil d’administration de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), laquelle n’est pas suffisamment mobilisée dans nos territoires, ni de celui de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ; on peut s’interroger sur une telle absence, mes chers collègues…

Si nous voulons résorber les habitats indignes, si nous reconnaissons l’inadaptation normative dans le secteur du bâtiment, décriée depuis de nombreuses années comme étant l’un des facteurs du renchérissement des coûts de la construction, si nous reconnaissons l’exiguïté de la réserve foncière et le manque de financements du fonds régional d’aménagement foncier et urbain (Frafu), principal ou secondaire, nous savons aussi qu’aucune collectivité n’aura la réserve foncière, notamment dans les territoires où il y a des pentes, pour aménager ces terrains – je pense, par exemple, aux communes des Hauts, à La Réunion.

Reconnaissons, alors, qu’un véritable plan Marshall du logement outre-mer est nécessaire, bien plus qu’un Plom 3.

Au-delà de la ligne budgétaire unique (LBU), nous pourrions être de véritables laboratoires à ciel ouvert, car les outre-mer sont des terres d’innovation et d’expérimentation. Les grandes tendances de l’habitat de demain y sont déjà perceptibles et identifiées, avec l’utilisation du bambou et des galettes de chanvre pour la construction par exemple, ou encore du bois de goyavier et du cryptomeria à La Réunion et dans d’autres territoires. Quant à l’habitat local de type « bangas », présent à Mayotte, il a vocation à être amélioré.

Nous pourrions développer une filière de recherche et de développement de l’habitat innovant avec des nouveaux matériaux, ce qui constituerait un levier important permettant de mobiliser davantage de financements européens dédiés à l’innovation. Des lignes budgétaires européennes sont en effet largement sous-utilisées dans le secteur de l’habitat.

À cet égard, le chantier de la performance énergétique des bâtiments constituerait un test, comme vous le savez en tant qu’ancien président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), monsieur le ministre.

Dans le même ordre d’idées, on pourrait envisager de modifier la réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA DOM), avec une obligation d’installer des panneaux en complément des chauffe-eau solaires, lesquels sont très présents à La Réunion, par exemple. Développer le photovoltaïque pour tendre, à terme, à l’autonomie énergétique dans l’ensemble de nos territoires me semble de bon aloi pour améliorer les trop nombreux habitats indignes. Le Sénat a d’ailleurs adopté un amendement qui vise à rendre de nouveau éligibles les installations de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil.

Pour ce qui concerne le plan de réhabilitation des logements sociaux anciens, malgré les moyens alloués par l’État, les bailleurs rencontrent de grandes difficultés financières pour répondre à leurs obligations.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, au cours des dernières décennies, nous ne sommes parvenus ni à traiter le mal-logement dans les outre-mer ni à corriger l’accroissement des disparités. En effet, les prix immobiliers ont doublé de manière disproportionnée par rapport aux niveaux de revenus. Il est de plus en plus difficile de devenir propriétaire lorsque l’on habite outre-mer.

En clair, tout cela dessine les contours de territoires inégalitaires sur le critère de la capacité à constituer un patrimoine et à accéder à un cadre de vie adapté aux aspirations et à la diversité des compositions familiales. La lutte contre le mal-logement et la politique du logement social demeurent donc un défi à relever pour l’ensemble de nos territoires, pour les maires qui doivent faire face à ce problème, et pour la population qui se sent oubliée.

Ces disparités fortes sur les marchés, aux conséquences directes sur la capacité d’accès au logement des ménages, posent également la question du creusement des inégalités. Les territoires ultramarins ont parfois l’impression d’être – j’y insiste – les grands oubliés de la politique nationale, alors même que des moyens financiers existent.

Les débats restent ouverts sur l’application de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, et, plus encore, sur les moyens d’atteindre l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) dans les départements d’outre-mer.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je plaide, comme vous, pour une plus grande territorialisation de la politique du logement et pour un plan d’urgence, que je nommerai « plan Carenco », afin qu’aucun Domien ne soit laissé sur le bord du chemin.

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