La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation aux outre-mer, sur la politique du logement dans les outre-mer.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. le président de la délégation.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les besoins en logements dans les outre-mer sont criants. En 2021, notre délégation a consacré un rapport détaillé en écho au constat d’échec dressé par la Cour des comptes concernant le premier plan Logement outre-mer, dit Plom 1.
Face à la gravité de la crise du logement et pour contribuer à la réussite du Plom 2 du Gouvernement, notre délégation a procédé à un travail très approfondi de contrôle et de propositions sur cet aspect fondamental dans la vie quotidienne de nos concitoyens.
Le fort investissement de nos collègues rapporteurs dans ce travail les a conduits à élaborer un véritable programme d’actions pour « reconstruire cette politique ».
Leurs propositions sont articulées autour de trois axes majeurs.
Premièrement, il s’agit de refonder les cadres d’action de la politique du logement outre-mer pour la rendre plus efficiente.
Deuxièmement, il s’agit d’assurer un habitat pour toutes les populations dans leur diversité.
Troisièmement, il s’agit de faire de l’habitat ultramarin un modèle d’adaptation et d’innovation capable de répondre aux nouveaux défis de la politique du logement, en particulier à celui du vieillissement dans certains territoires et du réchauffement climatique.
Après le report de ce débat pour des raisons sanitaires il y a un an, nous nous félicitons de sa tenue, car le diagnostic est toujours d’actualité et la volonté de nos rapporteurs de rompre radicalement avec la « méthode descendante » qui a prévalu, au profit d’une approche territorialisée, fondée sur une évaluation fine des besoins exprimés par les collectivités elles-mêmes et dotée d’un pilotage permettant une meilleure coordination et concertation locales, apparaît toujours aussi pertinente.
Je souhaiterais insister sur quatre points.
Tout d’abord, il convient de diminuer le coût des opérations immobilières dans nos outre-mer en libérant notamment davantage de foncier aménagé, ce problème étant commun à l’ensemble des territoires.
Par ailleurs, le chantier de l’adaptation des normes doit être accéléré, l’inadaptation normative étant, là encore, un des facteurs du renchérissement des coûts. Un travail important reste à conduire avec la Commission européenne, nous le savons. Le travail mené par la Nouvelle-Calédonie est, de ce point de vue, précurseur et devrait servir de modèle. En octobre, vous nous aviez confirmé que votre objectif était bien de faire évoluer certaines normes européennes. Où en est-on aujourd’hui après la présidence française du Conseil de l’Union européenne et la présidence de la Conférence des présidents des régions ultrapériphériques (RUP) européennes en 2022 ?
Ensuite, on doit s’atteler à la résorption des habitats indignes de la République. Le nombre d’habitats indignes se chiffre à 110 000 dans les départements d’outre-mer et le phénomène est de plus en plus diffus. Les opérations d’autoconstruction et d’autoréhabilitation peuvent apporter des réponses. Pourtant, elles sont encore trop peu utilisées, notamment du fait du manque de soutien des assurances.
Enfin, il est nécessaire d’accélérer la construction de logements sociaux et très sociaux. Faut-il rappeler que seuls 15 % des ménages des départements et régions d’outre-mer (Drom) résident dans des logements sociaux, alors que 80 % d’entre eux sont éligibles au logement social et 70 % au logement très social ? Le Plom 2 fixait un objectif de 30 % de logements très sociaux.
Monsieur le ministre, où en sommes-nous à l’heure actuelle ? Quel bilan dresserez-vous du plan Logement outre-mer 2019-2022 ? Quelles initiatives avez-vous prises à la suite de vos rencontres avec les bailleurs sociaux et les acteurs majeurs que sont la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Action Logement ? Quelles sont donc les perspectives pour les outre-mer en 2023 ?
Permettez-moi d’insister aussi sur la situation à Mayotte et en Guyane, car le manque de logements et la multiplication des bidonvilles ont d’innombrables répercussions, notamment sur la santé, l’éducation, l’environnement ou la sécurité de leurs populations.
Mes collègues compléteront ce court propos liminaire, mais, à nos yeux, le chantier du logement est prioritaire, immense et absolument vital pour nos outre-mer !
Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER. – Mme Marie Mercier applaudit également.
La parole est à M. Guillaume Gontard, au nom de la délégation aux outre-mer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président Artano vous a présenté succinctement les axes majeurs du riche rapport de la délégation aux outre-mer La politique du logement dans les outre-mer.
Mes excellents corapporteurs, Micheline Jacques et Victorin Lurel, que je remercie de leur confiance pour m’avoir laissé m’exprimer au nom de la délégation, vous préciseront nos travaux et nos propositions sur les deux premières parties du rapport.
La première partie vise à refonder les cadres de la politique du logement outre-mer, qu’il s’agisse des financements, mais également du besoin de penser une politique plus adaptée à chaque territoire et plus en appui des collectivités locales.
La deuxième partie vise à faciliter l’accès des populations à un habitat décent, en diminuant le coût des opérations immobilières, notamment via une adaptation normative, mais aussi en résorbant l’habitat indigne, en réhabilitant le parc existant et en accélérant la construction de logements sociaux.
Pour ma part, je me concentrerai sur la troisième partie du rapport que j’ai plus directement pilotée. Au-delà des difficultés structurelles dont le constat est posé dans ce rapport, l’habitat dans les outre-mer peut être un modèle d’adaptation et d’innovation pour répondre aux nouveaux défis de la politique du logement, et ce pour trois raisons principales.
D’abord, les outre-mer sont de véritables laboratoires des évolutions des besoins de logement et des modes d’habitat. Ensuite, ils sont déjà un terrain d’expérimentation pour l’adaptation de dispositifs et de procédures innovants. Enfin, les outre-mer ont un formidable potentiel de systèmes constructifs locaux, adaptés aux nouveaux défis du logement, comme le réchauffement climatique, qu’il conviendrait surtout de mieux promouvoir et mutualiser.
Autrement dit, comment sortir de la standardisation de la production de logement et du tout béton ? Comment réduire les coûts de construction tout en améliorant la qualité ? Comment limiter la dépendance énergétique des logements et respecter les ambitions de la stratégie bas-carbone ? Comment renforcer la résilience du bâti face aux catastrophes naturelles ? Comment construire pour s’adapter aux évolutions démographiques, notamment au vieillissement et aux modes de vie tournés vers le plein air, tout cela en favorisant les économies locales ?
La bonne nouvelle, c’est que la réponse à tous ces défis est presque unique : développer une filière locale du bâtiment en s’appuyant sur le savoir-faire des architectes ultramarins, notamment sur la mémoire de l’habitat vernaculaire, sur les matériaux locaux et biosourcés – le bois, le bambou, la brique de terre compressée, etc. –, pour bâtir de nouvelles formes d’habitats légers, ouverts, moins gourmands en énergie et plus résilients face aux risques climatiques. À rebours de notre jacobinisme historique, l’enjeu est de s’adapter aux spécificités de chaque territoire ultramarin.
Cela passe naturellement par un assouplissement ou par une adaptation des normes en vigueur que le rapport détaille. Pour ne prendre qu’un exemple, il est indispensable de faciliter la certification des matériaux biosourcés venant des pays voisins de nos Drom pour leur permettre de raccourcir les circuits d’approvisionnement. Cela passe également par une meilleure utilisation des financements publics pour soutenir notamment des éco-quartiers.
Cela doit permettre de penser un habitat, notamment social, plus ouvert et inclusif, avec des espaces extérieurs et des espaces verts, favorisant une meilleure aération, une diminution des frais de climatisation et un mode de vie souvent plus collectif qu’en métropole, tourné vers l’extérieur.
S’agissant des risques sismiques et cycloniques, la problématique est grande. L’habitat léger est plus résilient face au risque sismique, l’habitat en béton plus résilient face au risque cyclonique. Pour concilier les deux et rester cohérent avec sa philosophie générale, le rapport suggère de favoriser l’habitat léger et de prévenir le risque cyclonique en prévoyant des pièces sécurisées dans les logements, ainsi que des refuges collectifs.
C’est donc une filière économique complète et totalement locale – architecture, matériaux majoritairement biosourcés, bureaux d’études, maîtrise d’œuvre, etc. – qu’il nous faut développer, une filière pourvoyeuse d’activité économique et d’emplois, une filière écologiquement beaucoup plus vertueuse, une filière permettant de bâtir mieux pour moins cher.
Pour ce faire, nous préconisons l’organisation d’assises pour la construction ultramarine, qui réuniraient l’ensemble des acteurs publics et privés et auraient notamment pour objet de valoriser les initiatives, les techniques, les matériaux et les expériences locales. L’objectif serait également de mutualiser les bonnes pratiques, les réussites et les retours d’expérience, ainsi que de proposer une révision des normes de construction, etc.
Faisons de nos territoires ultramarins un laboratoire de l’innovation écologique et sociale en matière de logement. Monsieur le ministre, nous n’attendons que votre signal !
Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDPI.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour discuter d’un sujet important et dont les réponses ne sont toujours pas à la hauteur des besoins : le logement.
C’est un sujet qui nous concerne tous. Les demandes explosent, la précarité est grandissante, la population a besoin de compter sur une réelle politique du logement pour faire face à l’ensemble des enjeux. C’est d’autant plus vrai en outre-mer, où trop souvent les problématiques métropolitaines se trouvent exacerbées.
L’échec du premier plan Logement outre-mer, entre 2015 et 2019, témoigne d’une inefficacité du Gouvernement à apporter collectivement, avec tous les acteurs des territoires, des réponses locales et concrètes face à la diversité et à la spécificité de chaque territoire ultramarin. Apporter une réponse verticale n’a pas été la solution.
Le second plan Logement outre-mer, qui a été allongé d’un an afin de prendre en compte la crise sanitaire, a pour ambition d’agir avec tous les acteurs concernés par la politique du logement en outre-mer : les collectivités, les services déconcentrés, les bailleurs, les représentants de locataires et tant d’autres. Est-ce la réalité dans les faits ? La route est encore longue et les difficultés sont encore présentes.
Pour mémoire, 80 % de la population en outre-mer est éligible au logement social, alors que ce dernier constitue uniquement 18 % du parc immobilier. Ce taux d’éligibilité est supérieur à la moyenne nationale, qui tourne autour de 73 %.
Le vingt-septième rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement revenait sur la situation en outre-mer. L’État n’est toujours pas au rendez-vous. « Plus un seul sans-abri », disait le Président de la République en 2017 : aujourd’hui, le nombre de sans domicile fixe explose, l’accès au logement n’est pas garanti pour tous, la pauvreté en outre-mer est deux à cinq fois plus élevée qu’en France métropolitaine.
Le droit de vivre dignement est condamné, c’est d’autant plus frappant à Mayotte et en Guyane. Les loyers sont chers, l’accès au logement devient difficile face à des revenus, là encore, inférieurs à la moyenne nationale. Il faut accompagner nos concitoyens ; on ne peut imaginer une politique du logement sans prendre en compte la détresse sociale.
Monsieur le ministre, il convient d’élaborer une réelle stratégie autour du logement, une stratégie efficace, efficiente pour répondre à ces problématiques, y compris en outre-mer. Les associations vous interpellent : il faudrait produire 15 000 logements par an pour répondre à la demande globale des territoires ultramarins. Aujourd’hui, nous n’arrivons guère à atteindre les 10 000 logements par an fixé par la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer.
L’habitat indigne représente 13 % du parc immobilier en outre-mer. Rien qu’à Mayotte, il y a autant de personnes vivant dans un bidonville que dans tout l’Hexagone.
L’habitat privé est également fortement dégradé, des moyens sont indispensables pour accompagner les réhabilitations et les opérations de désamiantage.
La rareté du foncier, le réchauffement climatique, la croissance démographique sont des enjeux centraux à intégrer pour permettre à chaque habitant d’outre-mer de vivre dignement.
La réponse à ces objectifs doit passer par des discussions et des échanges, en associant tous les acteurs liés à la politique du logement en outre-mer. Les territoires ultramarins font partie intégrante de la République et doivent être représentés dans chaque instance nationale, y compris pour les questions de logement. Les dispositifs existants doivent être plus lisibles, plus transparents, afin que chacun puisse accéder à ses droits concernant le logement, la propriété, les travaux…
Le développement de l’ingénierie locale, mais aussi l’accroissement de l’accompagnement de l’État sont essentiels. Il faut accompagner les collectivités territoriales en leur octroyant plus de moyens humains et financiers pour qu’elles puissent assurer leur mission de service public. L’accompagnement des bailleurs sociaux est également important pour protéger le parc social et les locataires, ainsi que pour développer l’offre.
J’espère fortement que ce débat et le travail engagé sur le sujet permettront d’avancer sur la politique du logement, en France métropolitaine et en outre-mer. Le conseil interministériel des outre-mer qui se tiendra au printemps prochain sera un moment décisif pour les territoires ultramarins. Nous espérons que les annonces seront à la hauteur des engagements pris par le Gouvernement, mais surtout à la hauteur des besoins, car la détresse est grande.
Monsieur le ministre, je termine en vous posant une question : parviendrez-vous à atteindre l’objectif de construction de 15 000 logements par an en outre-mer, malgré la baisse drastique des moyens alloués ?
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Madame la sénatrice, je partage votre analyse sur les besoins – on y reviendra tout au long de ce débat –, mais pas l’idée selon laquelle le Gouvernement est le seul responsable.
Nous sommes tous collectivement responsables !
Je rappelle d’ailleurs que, dans un certain nombre de territoires, le Gouvernement n’a aucune compétence en matière de logement – n’est-ce pas, monsieur Artano ? Nous en reparlerons également.
J’en viens à votre question, madame la sénatrice. Oui, nous devons changer. J’ai décidé de proposer non pas un Plom 3, mais un objectif Logement outre-mer pour la période à venir, territorialisé et signé cette fois par les collectivités locales, par les présidents d’association des maires, par les représentants des organismes HLM. Il nous faut changer de méthode. C’est pourquoi je propose cet objectif logement partagé avec tous les partenaires.
Cependant, un problème foncier et un problème de simplification se posent.
Dans le cadre du comité interministériel de l’outre-mer (Ciom), à la suite de l’appel de Fort-de-France et de la réunion organisée par le Président de la République le 7 septembre dernier, un certain nombre de données m’ont été transmises. Nous commençons à mettre en œuvre des mesures. Il faut bien calibrer notre action, car nous ne prendrons pas 500 mesures, mais seulement celles qui accroissent véritablement notre capacité à faire, ensemble, du logement.
Pour ce qui concerne le foncier, je le dis très simplement, les collectivités locales qui sont largement propriétaires de foncier disponible seront sollicitées, et fermement. Nous ferons du name and shame : nous désignerons les collectivités qui veulent construire du logement sans donner de foncier.
La situation ne date pas d’hier ; elle dure depuis quarante ans… Ce qui va changer, sous l’impulsion du Président de la République, c’est que nous allons agir ensemble.
Vous venez de le dire, monsieur le ministre, le Plom 1 n’a pas tenu son objectif de construction et de réhabilitation de 10 000 logements par an. Malgré les outils mobilisés et les plans successifs, le constat est sans équivoque : le secteur du logement reste en crise dans l’ensemble des territoires ultramarins.
Nous n’avons pas encore le bilan détaillé du Plom 2 et nous souhaitons vivement en connaître les résultats concrets. Quant aux perspectives, vous venez de les indiquer, monsieur le ministre.
En clair, avons-nous vraiment reculé sur le nombre d’habitats indignes, encore trop important dans les Drom, alors même que l’insalubrité affecte la santé physique et mentale des publics vulnérables ? Je pense aux habitats infestés de moustiques, à l’épidémie de dengue qui sévit encore à La Réunion, à la déscolarisation précoce, à la précarisation des femmes battues qui ne trouvent pas de logement social alors qu’il est prévu qu’elles en bénéficient.
Quels sont les résultats en matière d’amélioration de l’habitat privé ? Entre le 1 % logement, MaPrimeRénov’ accordée par l’État et les aides régionales existantes – il y a donc des moyens financiers ! –, force est de constater que l’éparpillement des dispositifs freine leur mobilisation respective.
Autre point de vigilance : le vieillissement de la population ultramarine, particulièrement accéléré aux Antilles, nécessite un véritable plan stratégique, comme le préconise le rapport interministériel sur l’adaptation des logements, des villes, des mobilités des territoires à la transition démographique de Luc Broussy du mois de mai 2021.
En 2050, la Martinique sera le département le plus vieux de France. Face à ce scénario catastrophe, ce plan doit être élargi aux autres territoires également touchés par la transition démographique, comme La Réunion, qui comptera 1 million d’habitants avant 2030, et Mayotte.
Pour ce qui concerne la jeunesse, tous les acteurs, notamment les bailleurs sociaux, reconnaissent qu’elle a de plus en plus de mal à accéder à un logement. Qu’il soit jeune travailleur ou étudiant, le Domien a des difficultés pour se loger.
Je ne donnerai que ce chiffre : à La Réunion, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) dispose de 1 381 places d’hébergement pour 21 000 étudiants. Un tel constat n’est pas différent dans les autres départements ultramarins.
Vous avez raison, monsieur le ministre, ce n’est pas seulement « de la faute de » : l’incurie est collective. Par exemple, la réserve foncière n’a pas été mise en place. Nous le constatons, les défis sont nombreux et variés. Aussi plaidons-nous pour une plus grande territorialisation de la politique du logement, car il convient de mieux prendre en compte les particularités de chaque territoire pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens.
Cette territorialisation doit aussi passer par une meilleure représentation des outre-mer dans les instances nationales du logement. En effet, le ministère des outre-mer n’est membre ni du conseil d’administration de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), laquelle n’est pas suffisamment mobilisée dans nos territoires, ni de celui de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ; on peut s’interroger sur une telle absence, mes chers collègues…
Si nous voulons résorber les habitats indignes, si nous reconnaissons l’inadaptation normative dans le secteur du bâtiment, décriée depuis de nombreuses années comme étant l’un des facteurs du renchérissement des coûts de la construction, si nous reconnaissons l’exiguïté de la réserve foncière et le manque de financements du fonds régional d’aménagement foncier et urbain (Frafu), principal ou secondaire, nous savons aussi qu’aucune collectivité n’aura la réserve foncière, notamment dans les territoires où il y a des pentes, pour aménager ces terrains – je pense, par exemple, aux communes des Hauts, à La Réunion.
Reconnaissons, alors, qu’un véritable plan Marshall du logement outre-mer est nécessaire, bien plus qu’un Plom 3.
Au-delà de la ligne budgétaire unique (LBU), nous pourrions être de véritables laboratoires à ciel ouvert, car les outre-mer sont des terres d’innovation et d’expérimentation. Les grandes tendances de l’habitat de demain y sont déjà perceptibles et identifiées, avec l’utilisation du bambou et des galettes de chanvre pour la construction par exemple, ou encore du bois de goyavier et du cryptomeria à La Réunion et dans d’autres territoires. Quant à l’habitat local de type « bangas », présent à Mayotte, il a vocation à être amélioré.
Nous pourrions développer une filière de recherche et de développement de l’habitat innovant avec des nouveaux matériaux, ce qui constituerait un levier important permettant de mobiliser davantage de financements européens dédiés à l’innovation. Des lignes budgétaires européennes sont en effet largement sous-utilisées dans le secteur de l’habitat.
À cet égard, le chantier de la performance énergétique des bâtiments constituerait un test, comme vous le savez en tant qu’ancien président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), monsieur le ministre.
Dans le même ordre d’idées, on pourrait envisager de modifier la réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA DOM), avec une obligation d’installer des panneaux en complément des chauffe-eau solaires, lesquels sont très présents à La Réunion, par exemple. Développer le photovoltaïque pour tendre, à terme, à l’autonomie énergétique dans l’ensemble de nos territoires me semble de bon aloi pour améliorer les trop nombreux habitats indignes. Le Sénat a d’ailleurs adopté un amendement qui vise à rendre de nouveau éligibles les installations de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil.
Pour ce qui concerne le plan de réhabilitation des logements sociaux anciens, malgré les moyens alloués par l’État, les bailleurs rencontrent de grandes difficultés financières pour répondre à leurs obligations.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, au cours des dernières décennies, nous ne sommes parvenus ni à traiter le mal-logement dans les outre-mer ni à corriger l’accroissement des disparités. En effet, les prix immobiliers ont doublé de manière disproportionnée par rapport aux niveaux de revenus. Il est de plus en plus difficile de devenir propriétaire lorsque l’on habite outre-mer.
En clair, tout cela dessine les contours de territoires inégalitaires sur le critère de la capacité à constituer un patrimoine et à accéder à un cadre de vie adapté aux aspirations et à la diversité des compositions familiales. La lutte contre le mal-logement et la politique du logement social demeurent donc un défi à relever pour l’ensemble de nos territoires, pour les maires qui doivent faire face à ce problème, et pour la population qui se sent oubliée.
Ces disparités fortes sur les marchés, aux conséquences directes sur la capacité d’accès au logement des ménages, posent également la question du creusement des inégalités. Les territoires ultramarins ont parfois l’impression d’être – j’y insiste – les grands oubliés de la politique nationale, alors même que des moyens financiers existent.
Les débats restent ouverts sur l’application de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, et, plus encore, sur les moyens d’atteindre l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) dans les départements d’outre-mer.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je plaide, comme vous, pour une plus grande territorialisation de la politique du logement et pour un plan d’urgence, que je nommerai « plan Carenco », afin qu’aucun Domien ne soit laissé sur le bord du chemin.
Madame la sénatrice Dindar, la tentation du bien est parfois pire que la tentation du mal…
Il nous faut bien cerner les questions : nous les connaissons et les partageons. Nous devons ordonnancer ce que nous avons à faire ensemble, mais il ne faut pas agir tous azimuts.
Je fais, pour ma part, une différence entre l’Anah et l’Anru, dont vous auditionnerez prochainement la directrice générale. Vous pourrez ainsi lui demander pourquoi on ne construit pas de logements HLM dans les zones relevant du PNRU (programme national de rénovation urbaine). On n’en construit plus à La Réunion ! Nous allons changer cela.
Il faut appréhender les problèmes généraux, puis les territorialiser. C’est ce que je ferai, dans la suite du Plom, et que j’appellerai, comme je l’ai dit, « objectif Logement outre-mer ».
Qu’est-ce que le Frafu ? Il s’agit de la LBU, plus des fonds des régions que l’on mobilise sur des sujets particuliers.
C’est ainsi que l’on me l’a décrit, mais vous m’en direz plus, monsieur le sénateur… En tout cas, le Frafu utilise les fonds de la LBU.
La question est donc la suivante : que finance-t-on avec la LBU ? Nous devons nous mettre d’accord. Peut-être ne devrait-on pas, selon les territoires, financer les mêmes projets avec la LBU. Cela participe de la territorialisation, sur laquelle je suis vigilant.
Les organismes HLM, même si j’y suis très attaché, doivent être plus dynamiques, car la problématique repose sur eux ! Il nous faut aussi travailler avec l’Anah, qui, pour le dire ainsi, ne fait pas tout à fait le job outre-mer… Le nombre de logements vacants à réhabiliter est considérable ! J’ai invité le président du conseil d’administration et la directrice générale de l’Anah à entrer davantage dans le système.
Essayons de bien cerner les questions et de territorialiser les priorités, qui ne sont pas les mêmes selon les territoires.
Nous allons, par exemple, financer à 100 % le déplacement du village de Miquelon.
Monsieur le ministre, le Frafu est un fonds qui concerne l’aménagement, soit le poste qui souvent coûte le plus cher. Vous avez raison, on a recours à la LBU quand on a besoin d’aménager les routes en vue de la construction de logements sociaux, mais on pourrait aussi mobiliser fortement le Frafu via les dispositifs européens.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vrai que, ces dernières années, la question du logement a fait l’objet de nombreux rapports d’information et d’amendements visant à améliorer le traitement de l’habitat indigne et à faciliter la production de logements sociaux. Pour autant, la situation reste toujours aussi préoccupante et contraignante. En effet, force est de constater que leur déclinaison opérationnelle tarde à se concrétiser et que les effets ne se font pas encore sentir.
En parlant de réalités territoriales, je vais me permettre d’apporter quelques précisions sur les dispositifs relatifs au logement à Saint-Pierre-et-Miquelon.
En application de la loi organique, la compétence en matière de logement appartient à la collectivité. Par voie de conséquence, la loi de 1989 sur le logement ne s’applique pas sur l’archipel alors qu’elle est d’ordre public dans l’Hexagone.
Ainsi, au travers de son schéma territorial d’aménagement et d’urbanisme (Stau), la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon porte un véritable projet d’accompagnement à la rénovation thermique et, parallèlement, mène un processus d’élaboration d’un programme territorial de l’habitat.
Dans le contexte tendu que nous connaissons et face à la pénurie du parc immobilier, la collectivité souhaite répondre aux besoins de la population en matière de logements. Les bâtis sont parfois dégradés, tandis que les loyers proposés ainsi que les coûts à l’achat ont fortement augmenté ces dernières années et ne sont plus du tout maîtrisés.
Dans ce cadre, il est nécessaire de réfléchir à la mise en place d’outils fiscaux de lutte contre la vacance et la rétention foncière – la collectivité y travaille –, ainsi qu’au déploiement d’un système d’aide incitatif à la rénovation énergétique, avec un focus social et urbanistique. Nous devons aussi étudier la faisabilité de l’instauration d’un code de la construction et de l’habitation qui prenne en compte la reconnaissance des normes pour les matériaux de construction nord-américains utilisés localement et la pratique dominante de l’autoconstruction.
Afin de répondre à ces différentes problématiques, je souhaite vous interpeller sur cinq thèmes, monsieur le ministre.
Premièrement, concernant la réactivation de la LBU pour Saint-Pierre-et-Miquelon, que vous avez évoquée, je rappelle que ce dispositif a eu un réel effet de levier sur la création d’une offre dans le marché locatif aidé entre 1981 et 2015. La réactivation de ce type de dispositif permettrait d’augmenter rapidement l’offre locative et redonnerait de l’activité au secteur du bâtiment et aux PME de la construction, à coût réduit pour la puissance publique et, in fine, pour le particulier.
Deuxièmement, le rôle de l’État dans la politique de logement social sur le territoire doit être clarifié en matière de financement des résidences sociales et des aides personnalisées au logement. Par ailleurs, la collectivité territoriale souhaite que l’État puisse accompagner dans leurs projets de rénovation et d’adaptation les personnes en perte d’autonomie ou de handicap.
Troisièmement, à ce jour, Saint-Pierre-et-Miquelon n’entre toujours pas dans le champ d’intervention de l’Anah, qui reste un partenaire privilégié des collectivités territoriales dans le développement de leur politique de logement. Il est indiscutable que l’appui méthodologique et les moyens financiers proposés par l’Anah permettraient à l’archipel de se doter d’une véritable politique de l’habitat.
Quatrièmement, au regard des objectifs fixés par le Gouvernement en matière de consommation d’énergie et de rénovation thermique, l’État pourrait-il s’engager à étudier les possibilités d’accompagnement des usagers dans leurs projets de rénovation et d’adaptation du logement en termes tant de financement que d’expertise en appui au point info énergie (PIE) local ? Je sais que Stéphane Normand a interrogé le Gouvernement à ce sujet récemment.
Cinquièmement, et ce n’est pas le moindre des thèmes que je souhaite aborder – vous l’avez d’ailleurs évoqué, monsieur le ministre –, le déplacement du village de Miquelon, du fait du changement climatique et de la montée des eaux a pour conséquence la nécessité de s’adapter et de réurbaniser de nouvelles zones. Cette initiative, lancée par la mairie de Miquelon, a été soutenue par l’État, donc le Gouvernement, et la collectivité territoriale.
La question se pose aujourd’hui des moyens financiers qui pourront être mis sur la table pour accompagner la mise en œuvre des réseaux de la nouvelle zone à urbaniser. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, ce que vous venez de dire à ce sujet ? Tous les habitants de l’archipel, notamment ceux de Miquelon ainsi que les jeunes qui voudraient revenir s’y installer, seraient heureux d’entendre cet engagement de l’État, que je saurais apprécier à sa juste valeur.
De manière globale – j’anticipe quelque peu et je le dis comme je le pense –, il serait inacceptable de s’entendre dire que la compétence logement de la collectivité l’oblige à faire face et à se débrouiller seule.
Ce que nous demandons, ce sont des moyens financiers en investissements afin de soutenir le conseil territorial – nous l’avons récemment précisé à la Première ministre –, afin de donner une impulsion et un effet de levier aux constructions locatives à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cet effet de levier ne serait pas le même que sur d’autres territoires ultramarins : les moyens financiers à mobiliser ne sont pas aussi énormes que cela si nous nous y mettons tous.
Nous souhaitons un véritable partenariat. C’est d’ailleurs ce que l’État vient de faire en Guadeloupe en apportant, dans le dernier budget un soutien massif de 20 millions d’euros, notamment pour redresser les finances du syndicat mixte d’eau et d’assainissement. On ne peut pourtant pas dire que l’État ait des compétences en ce domaine, mais je salue son initiative et cet investissement. Il s’agit, selon moi, d’intelligence collective. Je suis persuadé que nous saurons trouver cette voie à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Monsieur le sénateur Artano, vous savez combien Saint-Pierre est cher à mon cœur ! Je m’y rendrai d’ailleurs au mois de mars ou d’avril prochain.
Je vous ferai des réponses simples.
Oui, la compétence logement relève de la collectivité et, de ce fait, les aides de l’Anru et de l’Anah ainsi que la LBU et les aides à la pierre ne s’y appliquent pas. Il faut changer cela, car une commune de 6 000 habitants ne peut, sans aide, disposer des mêmes services que les autres collectivités.
Dans le cadre des discussions engagées avec le président du conseil territorial et dans la ligne de la réunion du 7 septembre dernier et de l’appel de Fort-de-France, nous allons donc nous efforcer d’y remédier soit au travers du Ciom, soit de manière institutionnelle. L’objectif est d’intervenir sans empiéter – c’est important – sur la compétence de votre collectivité. Il s’agit seulement de se donner les moyens de vous aider.
Vous l’avez dit, la LBU finance depuis 2017, à titre dérogatoire, le logement à Saint-Pierre-et-Miquelon ; il n’y a pas de raison de s’arrêter….
Il faut nous engager vers la responsabilisation et la différenciation ; ainsi, la discussion engagée aboutira. J’en présenterai les résultats au ministre de l’intérieur et des outre-mer au mois de juillet prochain, puis, au mois de septembre, nous soumettrons ce volet ensemble, après le Ciom, à la Première ministre et au Président de la République.
J’en viens au déplacement du village de Miquelon.
La République a déménagé des dizaines de villages, notamment pour construire des barrages hydrauliques. Ici, ce sera plus simple. Je vous confirme que la direction générale de la prévention des risques (DGPR) financera à hauteur de 100 % les dépenses individuelles.
Doit-on donner cette aide directement aux personnes – et c’est le fonds Barnier qui joue à plein –, …
… ou essaie-t-on de centraliser à l’échelon de l’État pour financer aussi les investissements collectifs ? Ce sera l’objet de ma prochaine visite dans votre territoire, monsieur le sénateur.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, il n’y a pas de politique publique efficace sans cadre normatif adapté. Cette problématique est au cœur des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et c’est une approche qui me tient à cœur.
En effet, au cours des auditions en vue du rapport d’information sur la politique du logement dans les outre-mer, de trop nombreux freins normatifs à la production de logements nous ont été rapportés. Or une bonne adaptation permettrait de répondre, certes, au défi de la production, mais aussi à d’autres enjeux. Ceux-ci sont notamment environnementaux et peuvent aussi constituer des leviers de production de valeur, à laquelle je vous sais particulièrement attaché, monsieur le ministre.
Comment comprendre que la Guyane ne puisse importer de bois de charpente du Brésil, mais qu’elle doive le faire venir de Scandinavie ? À l’heure du renchérissement du coût des énergies fossiles et des objectifs de décarbonation, cette situation est l’illustration même de l’inadaptation normative.
La Guyane pourrait également fournir davantage de bois à la Guadeloupe et à la Martinique, sachant en outre qu’elle produit des arbres disposant de solides qualités anti-termites.
À Mayotte, l’entrée en vigueur de nouvelles normes pour les portes de garage a « entraîné la destruction de toute une partie de l’artisanat local ». Voilà un autre exemple de norme qui, se concentrant sur l’objectif de sécurité, occulte les dommages collatéraux qu’elle produit.
Au contraire, il convient désormais d’évaluer de manière plus globale l’impact des normes pour renforcer ce qui pourrait être fragilisé. Là encore, la protection des savoir-faire locaux peut constituer une formidable source d’innovation tout en répondant à plusieurs enjeux.
De fait, la part de recherche et développement est encore très faible dans les outre-mer et offre un potentiel de croissance colossal, notamment pour l’adaptation des matériaux locaux ou régionaux aux contraintes de sécurité. Cela pourrait représenter des opportunités de développement de formations et, pourquoi pas, d’écoles d’ingénieurs dans chacun des bassins océaniques. J’ai eu l’occasion de le suggérer lors du débat budgétaire.
Par ailleurs, le coût des matériaux représente l’un des principaux freins à la construction. C’est pourquoi notre délégation préconise notamment les échanges, transfrontaliers et avec les îles voisines, de matériaux, mais aussi de techniques. L’arsenal normatif doit mieux prendre en compte les pratiques des pays voisins, dont les conditions climatiques ou d’exposition aux risques naturels sont plus proches de celles des outre-mer.
Stéphane Artano l’a rappelé, la Nouvelle-Calédonie a montré la voie avec un chantier d’acclimatation des normes qui s’appuie largement sur la coopération technique régionale avec l’Australie. Si son statut lui permet d’en prendre l’initiative et de maîtriser le processus d’adaptation dans les autres collectivités, l’État pourrait être coordonnateur de la même démarche pour tous les outre-mer. Elle plaide aussi depuis plusieurs années pour la tenue d’assises de la construction outre-mer qui favoriseraient, de surcroît, l’échange de bonnes pratiques, compte tenu de son expérience. C’est une proposition que la délégation a également relayée et que la direction générale des outre-mer (DGOM) et la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) pourraient organiser.
Depuis la publication du rapport d’information de la délégation sénatoriale aux outre-mer intitulé Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : faire d ’ un obstacle un atout, on peut noter les efforts des organismes et administrations producteurs de normes techniques. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour territorialiser la certification, les échanges d’informations entre territoires et, surtout, la production du cadre normatif, afin qu’il ne soit plus essentiellement pensé depuis la métropole.
Enfin, je ne saurais conclure ce propos sans évoquer l’absence de filière de désamiantage dans les outre-mer, ce qui entraîne des coûts considérables. Des propositions de neutralisation existent. Cela m’amène, du reste, à évoquer l’intérêt de l’utilisation de matériaux biosourcés au détriment du béton.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, je suis convaincue qu’en ces temps troublés et de contrainte budgétaire une approche pragmatique du logement ne peut faire l’économie de sa dimension normative.
Madame la sénatrice, puisque vous représentez Saint-Martin et Saint-Barthélemy, je tiens à dire que je compte beaucoup sur les collectivités territoriales pour proposer des terrains dont elles sont propriétaires en vue de construire des logements destinés aux fonctionnaires.
Si vous me proposez des terrains soumis à bail emphytéotique de soixante ans, je m’engage à trouver des investisseurs prêts à financer la construction de ces logements. Cela ne coûtera un sou ni à vous ni à personne ; mieux, cela vous reviendra dans soixante ans ! Je suis en train d’écrire, à cet effet, à chacun des présidents de collectivité : tous ont des terrains, à Saint-Martin comme à Saint-Barthélemy !
Pour ce qui concerne les normes, je vous annonce une bonne nouvelle : la mise en place en 2023, en accord avec la Commission européenne, des marquages outre-mer en substitution des marquages CE pour favoriser l’approvisionnement dans le bassin.
Cette année verra aussi la production du tableau d’équivalence des normes Europe pour une liste de familles de matériaux de construction importés des pays limitrophes outre-mer.
Sur les normes, vous avez raison, il faut avancer.
Je me suis fâché contre les artisans du Plom 2, car je trouvais que cela n’allait pas assez vite. Un certain nombre de normes sortiront en 2023 : nous devrions donc avancer.
Pour le reste, nous progresserons dans le cadre du Ciom.
Enfin, je suis en discussion avec mes homologues espagnol et portugais sur les régions ultrapériphériques – une réunion aura lieu à Madrid prochainement –, en vue d’une révision prévue par l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, afin de balayer toutes ces normes qui sont bloquantes, en matière de logement comme dans d’autres domaines.
Il faut cependant faire attention, car l’Europe nous apporte beaucoup : nous sommes donc sur un chemin de crête. Les RUP procurent beaucoup d’argent, mais ont aussi de nombreuses contraintes. Il faut trouver le bon chemin, et c’est l’objet des discussions institutionnelles que je mène. J’irai cette semaine à Saint-Martin, à la Martinique et en Guyane afin de travailler sur les sujets suivants : RUP, Europe, normes, Fonds européen de développement régional (Feder).
Monsieur le ministre, je ne représente que la collectivité de Saint-Barthélemy. Je transmettrai votre réponse à son président, Xavier Lédée.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise du logement dans les outre-mer constitue un problème grave et persistant. La question du logement est au centre des attentes et des préoccupations des populations ultramarines.
Les chiffres sont là : dans les départements et régions d’outre-mer, on évalue à 110 000 le nombre de locaux impropres à l’habitation et présentant pour leurs occupants des risques sanitaires ou sécuritaires.
En outre, 80 % des ménages des Drom sont éligibles au logement social et 70 % au logement très social. Or ce sont seulement 15 % des ménages qui accèdent aux logements sociaux. Sur l’île de La Réunion, ce sont 33 000 familles qui sont dans l’attente d’un logement social !
Enfin, on compte près de 120 000 logements vacants dans les Drom. Ce phénomène concerne en particulier les Antilles.
Les conditions de vie dans certains de ces territoires sont indignes de la République. C’est pourquoi il est urgent de mener une grande et ambitieuse politique publique en faveur du logement en outre-mer. Nous l’avons compris, l’État n’est pas le seul concerné : les collectivités, les bailleurs sociaux sont aussi parties prenantes. En outre, les problématiques sont différentes selon les territoires.
Après l’échec du Plom 1, qui n’a pas tenu son objectif de construire et de réhabiliter 10 000 logements par an, un deuxième Plom a été lancé pour les années 2019-2022. Abandonnant la stratégie quantitative du premier plan, le second, qui a été prolongé d’un an, présente une nouvelle approche, tendant à mieux prendre en compte les spécificités des territoires et les enjeux qualitatifs.
Aussi, monsieur le ministre, quel premier bilan pouvez-vous nous présenter en matière de construction de logements locatifs sociaux et très sociaux et de logements réservés à des publics ciblés ? Quels chiffres pouvez-vous également nous donner sur l’action du Gouvernement menée en faveur de la résorption de l’habitat insalubre ? Qu’en est-il, enfin, de la réhabilitation du parc locatif social et de l’accession sociale à la propriété, destinée aux ménages sous plafond de ressources ?
Face à l’ampleur de la crise du logement ultramarin, laquelle, faute d’une véritable politique volontariste de l’État – et depuis longtemps ! –, ne pourra que s’aggraver et afin d’anticiper l’après-Plom 2, la délégation sénatoriale aux outre-mer a recommandé au Gouvernement, dans son rapport d’information datant du mois de juillet 2021, la mise en œuvre d’une action territorialisée et adaptée aux facteurs économiques, environnementaux et humains des outre-mer.
À cet égard, nous l’avons dit, il paraît pertinent que cette territorialisation se traduise notamment par une véritable représentation des outre-mer dans chacune des instances nationales du logement. En effet, le ministère des outre-mer n’est membre ni du conseil d’administration de l’Anru ni de celui de l’Anah. De même, on peut regretter l’absence d’un parlementaire ultramarin au conseil d’administration de l’Anah.
Enfin, il me paraîtrait approprié que les agences nationales, telles qu’Action Logement ou la Banque des territoires, désignent des référents locaux au sein de chaque territoire ultramarin.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour être efficiente, la politique du logement dans les outre-mer requiert des objectifs concrets et territorialement adaptés. Elle nécessite également une volonté forte de l’État et une ambition du « sur mesure ». Elle exige aussi un pilotage au plus près des acteurs locaux.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l ’ intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je suis très content qu’un élu de l’Aisne s’intéresse au logement social outre-mer : cela prouve que l’on n’a pas perdu la bataille et qu’ensemble on peut la gagner !
Sourires.
Je ne ferai pas d’évaluation quantitative du dispositif que j’appelle objectif Logement outre-mer, car cela ne sert qu’à se faire taper dessus ensuite… Le plus possible ! Voilà ce que nous devons faire ensemble. Nous avons de la marge et, plus nous en ferons, mieux ce sera.
Permettez-moi de clarifier mon propos : la suite du Plom 2 sera donc un document intitulé « objectif Logement outre-mer », signé par l’ensemble des parties et pas simplement par l’appareil d’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez soulevé le grave problème des logements vacants, qui permettraient de loger des dizaines de milliers de personnes. Nous allons travailler avec l’Anah – comme je l’ai dit précédemment, je vais rencontrer le président du conseil d’administration et la directrice générale dans les jours qui viennent – pour mettre en place des mesures fortes.
L’aide à l’accession et à la sortie de l’insalubrité a été rétablie dans la loi de finances pour 2020. Les crédits de la LBU destinés aux opérations de résorption de l’habitat indigne, contre lequel nous luttons, ont été multipliés par deux entre 2019 et 2020, pour atteindre 32 millions d’euros.
Monsieur le sénateur, vous avez raison : il faut avoir cette vision d’ensemble que chacun appelle de ses vœux. C’est cela qui compte, ce qui explique que je veux non plus un plan Logement outre-mer étato-étatique, mais un objectif Logement outre-mer signé par tous, pour traduire une vision globale et qui décline ensuite, territoire par territoire, les efforts à réaliser.
Car il n’est pas vrai qu’il faille faire les mêmes efforts à La Réunion qu’à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon qu’en Martinique. C’est ce que nous essaierons de mettre en place : nous y parviendrons si toutes les parties acceptent de signer. Il faudra un peu de temps pour mettre en marche ce dispositif.
Applaudissements sur les travées du groupe GEST.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les problématiques de la politique du logement outre-mer sont nombreuses et le très riche rapport d’information de la délégation aux outre-mer dont nous discutons aujourd’hui en brosse un portrait éloquent.
Parmi les nombreux sujets soulevés par le rapport d’information et les 77 recommandations qu’il formule, j’ai souhaité concentrer mon propos, dans le temps qui m’est imparti, sur la dernière série de recommandations. Celles-ci sont relatives aux nécessaires évolutions de la construction pour s’adapter tout à la fois aux besoins des territoires et au dérèglement climatique, avec son corollaire de catastrophes naturelles qui n’épargnent pas, tant s’en faut, nos territoires ultramarins.
Inventer l’habitat résilient de demain, construit à partir de matériaux biosourcés, est un impératif quand le bâtiment représente les trois cinquièmes des déchets du pays. Les matériaux doivent être produits localement à partir de filières durables, comme le bois, la terre, la paille de chanvre, le bambou. L’habitat doit être imaginé par des architectes pour répondre aux besoins spécifiques des territoires, en tenant compte de leur géographie, de leur climat et des modes de vies de leurs habitants. Il doit aussi être plus économe en énergie et plus résilient face aux catastrophes naturelles qui vont se multiplier. Au-delà des outre-mer, inventer cet habitat de demain est un défi pour l’ensemble du pays.
Fidèles à leur tradition décentralisatrice, les écologistes ont toujours plaidé pour la différenciation des territoires, l’adaptation des normes et le renforcement des tissus économiques locaux. Ce qui est vrai pour résorber la fracture territoriale en métropole prend une dimension bien supérieure dès qu’il s’agit des territoires ultramarins.
De nombreuses préconisations du rapport ont un intérêt majeur. Elles permettraient de renforcer et de créer des tissus économiques locaux, de créer des emplois pour tout niveau de qualification, de créer de la richesse et de limiter l’exode de la jeunesse ultramarine, exode responsable également du vieillissement évoqué dans le rapport d’information.
Au-delà des nombreux bénéfices écologiques de ces propositions, sur lesquelles je reviendrai dans un instant, leur mise en œuvre permettrait de doter les territoires ultramarins d’outils concrets pour prendre à bras-le-corps le défi du logement dont nous débattons ce soir.
Chaque territoire ultramarin dispose de savoir-faire traditionnels qu’il faudrait non seulement sauvegarder, mais aussi valoriser. Ainsi, la renaissance de la filière de la brique de terre comprimée à Mayotte doit être soutenue et étendue à d’autres expérimentations.
Dans tous les territoires, les potentialités sont multiples. J’en citerai quelques-unes pour vous faire voyager : pin des Caraïbes, bambou, bagasse, vétiver, falcata, amarante appelée aussi bois violet, angélique, gaïac, wacapou, wapa, etc. L’exemple de l’écomusée Te Fare Natura à Moorea en Polynésie française, conçu pour mettre en avant le bois et le style local, doit être érigé en modèle. Avec les matériaux biosourcés, c’est l’habitat vernaculaire qu’il faut réhabiliter.
Partout où une alternative existe, il faut substituer au béton des matériaux locaux moins onéreux, plus vertueux et beaucoup plus efficaces compte tenu des conditions climatiques – ils résistent souvent mieux à l’humidité et à la salinité de l’air. Ils sont également plus efficaces pour concevoir des logements mieux aérés, diminuant les besoins en climatisation, et mieux isolés pour limiter les besoins thermiques. Ils sont enfin plus efficaces face au risque sismique.
Si le béton a d’indéniables qualités, s’il résiste notamment mieux au risque cyclonique, c’est également une ressource non renouvelable et importée. Des alternatives doivent être trouvées pour limiter son usage au strict nécessaire. Comme les auteurs du rapport d’information, nous pensons qu’il faut plutôt privilégier les techniques locales et déjà expérimentées plutôt que de durcir la réglementation paracyclonique. Les architectes auditionnés ont rappelé qu’ils savaient concilier les différents risques dans la conception de l’habitation, mais aussi proposer des solutions de refuge adaptées.
Plus largement, nous sommes entièrement favorables à la promotion d’une architecture bioclimatique performante, reposant sur des savoir-faire traditionnels sublimés par les connaissances de notre siècle. À ce titre, comme le suggère le rapport d’information, les territoires ultramarins sont, et peuvent être davantage encore, de véritables laboratoires à ciel ouvert, des terres d’innovation et d’expérimentation.
Considérant les besoins de logements neufs, la réglementation environnementale 2020 (RE2020) trouvera en outre-mer une application proportionnellement plus massive qu’en métropole. Faisons de nos territoires ultramarins le modèle de nos nouvelles ambitions écologiques en matière de construction, en associant matériaux naturels et production d’énergies renouvelables ! On pourra ainsi constater que construction vertueuse, confort de vie et développement économique se conjuguent favorablement. Tout ira ainsi de mieux en mieux !
Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDPI.
Monsieur le sénateur, je le redis, cela fait plaisir de voir un élu non ultramarin s’intéresser à ces questions. Je vous remercie donc de votre intervention.
L’État ne saurait être maire, architecte et constructeur. Je suis d’accord avec vous à 100 %, à une réserve près : je ne sais pas si, avec les méthodes que vous évoquez, nous réussirons à construire 80 000 logements sociaux d’urgence, qui est le besoin actuel. Si nous en faisions 5 000, ce ne serait déjà pas mal.
Monsieur le sénateur, c’est aux maires et aux architectes qu’il faut tenir votre propos ! Le ministère chargé de l’outre-mer ne délivre pas les permis de construire et ne définit pas les plans de ces bâtiments que, tout comme moi, vous appelez de vos vœux.
Nous allons faire de la publicité en ce sens, mais que pouvons-nous faire de plus ? Nous essayons de planifier – je pense notamment au bioéthanol que j’ai évoqué récemment devant des parlementaires –, mais nous devons progresser tous ensemble.
L’objectif Logement outre-mer devra conduire les différentes parties à s’engager dans cette voie. Dans ce domaine – malheureusement ou heureusement, je ne sais pas –, nous ne pouvons qu’inciter les élus locaux.
Monsieur le ministre, un ministre peut tout de même prendre un certain nombre d’initiatives, ne serait-ce que pour organiser les filières, pour faire de la formation et travailler sur le côté normatif. Vous le savez, certaines normes sont très bloquantes – vous l’avez évoqué précédemment. Il faut les faire évoluer et les assouplir, afin que des expérimentations soient menées dans les territoires d’outre-mer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la délégation sénatoriale aux outre-mer a publié, il y a tout juste dix-huit mois, un rapport d’information très intéressant sur la politique du logement dans les outre-mer.
La problématique de l’habitat informel a retenu l’attention de mes collègues et méritait d’être débattue dans cet hémicycle. Aussi, je profite de l’occasion pour remercier le président de la délégation, Stéphane Artano, de cette initiative, ainsi que les rapporteurs Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel du travail accompli.
Pour répondre à la problématique du logement en outre-mer, le Parlement adoptait au moins deux novembre 2018, dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite Élan, des dispositions spécifiques à la Guyane et à Mayotte pour lutter contre l’habitat informel. Dans ces territoires, le législateur donnait ainsi aux représentants de l’État le pouvoir d’ordonner aux occupants des habitats informels d’évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à la démolition des structures dès lors que celles-ci présentaient des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique.
La nouveauté résidait dans le fait que les préfets pouvaient ordonner les démolitions sans passer par une décision judiciaire.
Nous pouvons le dire, la loi Élan a suscité un formidable espoir au sein de nos populations, éprouvées par le développement des habitats sans droit ni titre. La Guyane et Mayotte sont confrontées à l’accroissement de l’habitat spontané qui se développe sous la pression démographique, conséquence d’une très forte immigration.
En Guyane, un logement sur quatre a été construit sans droit ni titre. À Saint-Laurent-du-Maroni, commune frontalière avec le Surinam, l’habitat informel représente 60 % des logements. Aussi, dès que la mairie envisage un projet de construction, le terrain est occupé. Il en est de même pour une opération d’intérêt national dont la mission première est d’enrayer la dynamique du logement informel et d’anticiper la démographie galopante en créant près de 30 000 logements d’ici à 2030.
Paradoxalement, de nombreuses zones d’habitat spontané sont installées sur du foncier appartenant à l’État, le premier propriétaire foncier de Guyane. L’impuissance de certains acteurs ne rassure guère les petits propriétaires, qui ont le désagréable sentiment d’être privés de leurs droits, mais aussi du fruit de leur dur labeur.
L’ancienne maire que je suis a fréquemment été confrontée aux difficultés liées à l’occupation illégale de logements et au développement de zones d’habitat informel.
L’ancienne maire que je suis a souvent eu à intervenir face à la colère des habitants, des propriétaires, désabusés par les occupations illégales de certains bâtiments et de nos espaces publics.
En tant que maire, je devais m’employer à calmer l’exaspération des citoyens face à l’inaction de l’État. En 2018, alors même que les parlementaires, ici au Sénat, discutaient des contours de la loi Élan, une foule vindicative avait procédé au délogement d’une dizaine de familles d’un squat à Cayenne. Nous avons évité de peu un drame. Alors, moi aussi, j’avais placé beaucoup d’espoir dans cette loi.
Quatre ans après, quel bilan pouvons-nous tirer de cette loi ? En s’appuyant sur son article 197, les préfets de Guyane et de Mayotte ont certes ordonné la démolition de plusieurs zones d’habitat spontané, des opérations ont permis de raser des dizaines de squats où se côtoyaient insalubrité, misère et insécurité, mais nous devons avoir la franchise et l’honnêteté de dire que ces opérations n’ont malheureusement pas eu les résultats escomptés.
Face à la pression migratoire qui frappe ces deux territoires et à la multiplication des contentieux qui ralentissent les procédures, plusieurs limites sont à souligner.
À Mayotte comme en Guyane, le législateur a voulu, au travers de cette loi, faciliter l’expulsion des occupants de terrain sans droit ni titre. Le passage de la théorie à la pratique est toutefois bien plus complexe que prévu.
En effet, dans un élan humaniste, le législateur a conditionné les expulsions à des propositions de relogement. Les préfectures ne sont néanmoins pas en mesure de proposer des solutions de relogement aux familles. Par conséquent, les opérations d’évacuation aboutissent systématiquement à la reconstruction de nouvelles zones. Les habitants errent d’un squat à un autre.
J’insisterai donc sur ce point : la Guyane n’est pas en mesure de proposer des solutions de relogement aux habitants délogés. En raison d’une offre de logements quantitativement insuffisante, la Guyane ne peut déjà pas répondre à la demande de nos compatriotes en matière de logements. Depuis vingt ans, l’habitat informel progresse bien plus vite que le logement légal.
Par conséquent, je me réjouis de ce débat, mais également de l’examen, demandé par le groupe RDPI, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l’occupation illicite. Nous devons chercher de nouvelles adaptations, afin que l’État de droit puisse s’exercer pleinement en Guyane comme à Mayotte, mais aussi dans tous les territoires, face aux occupations illicites. Il n’est pas acceptable que certains territoires de la République continuent à livrer, seuls, ce combat contre l’habitat informel.
Pour conclure, je rappellerai une réflexion de l’ancien Président de la République, François Mitterrand, lors de son déplacement officiel en Guyane au mois de septembre 1985 : il s’était alors offusqué que l’on continue à lancer des fusées sur fond de bidonvilles. Près de quarante ans plus tard, les fusées décollent toujours. Les zones d’habitat informel, elles, se multiplient à la vitesse d’un lanceur au décollage.
Monsieur le ministre, rien n’a changé depuis plus quarante ans !
Madame la sénatrice, une chose a changé : la pression migratoire est devenue extraordinaire.
Certes, c’est une constante en Guyane, notamment avec les Haïtiens, les Surinamiens et les Brésiliens. La Guyane a une tradition d’accueil, même si la question du logement se pose toujours.
Il ne faut pas confondre avec la nouvelle immigration d’Afghans, de Syriens, de Marocains et de Kurdes. Je le dis : je ne veux pas qu’ils stationnent autour de la cathédrale. J’ai donc donné instruction de démonter systématiquement leurs tentes. Nous avons obtenu parallèlement des places et de l’argent pour les loger. Je salue d’ailleurs l’action du président de l’assemblée de Guyane, Gabriel Serville, qui a mis à disposition des locaux. Nous sommes donc confrontés à un problème d’immigration.
Je suis un ancien préfet, et je dois dire qu’il faut choisir entre ordre et désordre. Je n’ai jamais expulsé, sauf cas grave, des personnes que l’on ne peut pas reloger. Et comme le territoire de la Guyane est contraint, nous n’y arrivons pas…
La solution passe par la construction de logements, notamment sociaux, et par le démarrage réel des opérations d’intérêt national (OIN). J’ai rencontré ce matin Mme Trochimera, la maire de Cayenne, pour lui dire que les 26 OIN ne se feront pas avec l’aide des Forces armées en Guyane (FAG). Il faudra vingt-cinq ans…
Nous allons nous atteler à faire avancer la zone d’aménagement concerté (ZAC) de Margot à Saint-Laurent-du-Maroni, en la confiant directement à la communauté de communes, comme je l’ai annoncé au président Serville. J’insiste, il faut construire du logement : c’est la réponse !
Nous avons des problèmes, mais, de grâce – je sais, madame la sénatrice, que vous pensez la même chose –, ne trahissons pas notre âme
Mme Marie-Laure Phinera-Horth approuve.
J’ai vu ces immigrés, je ne les blâme pas : ils sont comme vous et moi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du logement dans les outre-mer a déjà fait l’objet de nombreux débats. Pour autant, elle demeure une préoccupation majeure de nos populations.
Le rapport d’information n° 728 sur la politique du logement dans les outre-mer de Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel comprend de nombreuses recommandations destinées à permettre la mise en œuvre d’un plan pluriannuel pour favoriser la construction de logements sociaux et résorber l’habitat insalubre.
Cela a été dit, le premier Plom, de 2015 à 2019, a été un échec. La non-prise en compte de nos spécificités locales n’a pas permis de conduire une politique de logement efficace.
Les mesures déployées sans réelle ingénierie locale ont laissé nos territoires avec les mêmes problématiques : habitat indigne et insalubre, dents creuses, friches, inadéquation entre l’offre et la demande, sans même parler des problématiques liées à l’indivision successorale.
L’objectif d’« assurer un habitat pour toutes les populations dans leurs diversités » n’a pas été atteint. Avec la mise en place du Plom 2 entre 2019 et 2022, on a tenté de rattraper le retard accumulé pour résorber l’habitat indigne et construire efficacement sur l’ensemble de l’archipel.
Au sein de notre population, ce sont 80 % des ménages qui sont éligibles au logement social. Il y a clairement une inadéquation entre l’offre de logement et les besoins exprimés.
Il nous appartient aujourd’hui, collectivement, de trouver des solutions innovantes pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.
Ces réponses devront s’inscrire dans l’esprit de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS, en apportant des solutions différenciées, car, si la plupart de nos territoires sont exposés aux mêmes risques naturels majeurs, ils font cependant face à des contraintes différentes, liées en grande partie à leur position géographique, mais aussi à la densité de la population de leur territoire.
Plus de cinq ans après la production du rapport d’information de 2017, Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : faire d ’ un obstacle un atout par nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer Éric Doligé, Karine Claireaux et Vivette Lopez, nous pouvons constater que certaines des recommandations formulées n’ont pas eu d’applications concrètes au sein des territoires ultramarins. Nous avons malheureusement pu en mesurer les conséquences après le passage des ouragans Irma et Maria en 2017 et Fiona récemment. Tout comme vous, monsieur le ministre, puisque vous vous êtes rendu sur place, nous avons vu les dégâts qu’ils ont occasionnés.
Il paraît indispensable de mieux prendre en compte nos modes de construction pour faire face aux risques naturels majeurs, mais aussi de repenser l’aménagement de nos territoires.
La réalité socioéconomique de nos populations doit aussi conduire notre réflexion et guider notre action.
Comment permettre au plus grand nombre de ménages d’accéder à la propriété, avec des coûts de construction modérés dans un contexte d’inflation ?
Quelles mesures pouvons-nous prendre pour diminuer notre impact énergétique lors de la construction des habitations, mais aussi dans les usages du quotidien ?
Nos politiques publiques doivent être la caisse de résonance de la dimension sociale, environnementale et économique de la vision stratégique qui doit inspirer nos débats sur les orientations des politiques de logement dans les outre-mer, afin qu’elles s’inscrivent à court, moyen et long termes.
Nous devons nous servir des exemples de constructions d’une particulière longévité comme base pour adapter nos pratiques, en appliquant, bien évidemment, les nouvelles normes.
Je pense à la maison Boc, une habitation en bois édifiée dans le centre-ville de Grand-Bourg de Marie-Galante, construite en 1900, et à la maison Zévallos, une maison coloniale de 1870, en bois, située dans la commune du Moule. Ces deux maisons toutes deux en bois et primées par le Loto du patrimoine pour faciliter leur rénovation interpellent par leur longévité et leur résistance aux aléas climatiques.
S’inspirer des modes de construction traditionnels et des styles architecturaux de l’époque en les adaptant à nos modes de vie actuels est un enjeu, notamment environnemental, que nous devons relever de façon efficiente.
La mutualisation des expertises locales sur les modes de construction adaptée aux territoires ultramarins doit faire l’objet d’un véritable projet qui pourrait se traduire par la création d’un laboratoire de recherche.
Maîtriser les coûts des constructions en édifiant des maisons en bois, plus respectueuses de notre environnement, moins coûteuses, grâce à la mise en place de circuits d’acheminement plus courts, favorisant aussi la diminution de l’empreinte carbone, est un double enjeu.
Enfin, je terminerai mon propos en rappelant qu’habiter un logement dans les Drom expose aux aléas climatiques et qu’il est important d’assurer son habitation. Si les risques sont importants, il nous appartient de veiller à maîtriser les coûts assurantiels, car nous n’en retirons pas toujours les effets escomptés.
Cela a été dit, le souhait de nombreux architectes est de construire différemment, selon de nouvelles normes. Le 20 janvier prochain, les architectes de la Guadeloupe et de la Martinique organiseront un colloque sur la construction en bois dans les outre-mer. Nous sommes sur le bon chemin et les propositions que vous avez formulées vont dans le bon sens, monsieur le ministre.
Applaudissements sur les travées du groupe GEST.
Madame la sénatrice, vous avez évoqué deux sujets.
Sur les divisions successorales, j’ai participé hier, comme certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, à un colloque organisé par le Conseil supérieur du notariat et j’ai également rencontré les assureurs. Les uns et les autres doivent participer à la rénovation des logements outre-mer, car nous n’y arriverons pas sans eux.
Je pense aux difficultés que posent les successions compliquées à la Martinique et en Guadeloupe, sans parler de Mayotte et de Saint-Martin ! Les indivisions successorales conduisent à des blocages et les constructions sur la zone dite des cinquante pas géométriques posent également problème. Nous travaillons sur ces sujets avec les collectivités territoriales, notamment régionales, pour trouver des solutions.
Les logements vacants sont un autre sujet d’ampleur. Il suffirait d’occuper la moitié d’entre eux pour atteindre notre objectif. Ce point me préoccupe : comment peut-on avoir une crise du logement en Guadeloupe et en Martinique, alors que ces territoires perdent 5 000 habitants par an et que des milliers de logements sont vacants ? Il nous faut trouver la solution ! C’est ensemble que nous y parviendrons, avec les notaires et les assureurs notamment.
Je finirai en évoquant, dans le même ordre d’idées, un point qui concerne la Martinique et la Guadeloupe : faut-il ou non relever le revenu minimum pour permettre à un certain nombre de personnes plutôt âgées, qui ont réussi, d’occuper des logements HLM vacants ? J’y suis favorable, mais il faut mettre cette mesure au point.
Sur l’habitat individuel adapté, vous avez évidemment raison, madame la sénatrice. J’en parlerai en conclusion tout à l’heure.
Mmes Micheline Jacques et Nassimah Dindar applaudissent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à commencer mon propos en saluant l’initiative de la délégation sénatoriale aux outre-mer qui a demandé un débat sur la thématique de la politique du logement outre-mer.
Il s’agit d’un sujet fondamental pour les habitants de nos territoires frappés par une crise du logement sans équivalent, qui mérite que notre assemblée travaille sur cette question plus longuement qu’à la marge d’un projet national et hexagonal.
Les chiffres que je vais livrer ont déjà été moult fois donnés dans cet hémicycle. D’ailleurs, vous les connaissez, monsieur le ministre.
Je l’ai indiqué à cette même tribune le 1er décembre dernier, le logement, c’est tout d’abord un « constat saisissant » : « 80 % des Ultramarins sont éligibles à un logement social, mais 15 % d’entre eux seulement en disposent. » C’est d’autant plus préoccupant que nos populations vieillissent et que leurs revenus sont plus faibles que dans l’Hexagone.
Il est donc impératif de répondre au besoin annuel en logements sociaux, lequel est estimé entre 9 000 et 10 000.
Autre chiffre alarmant : les logements indignes et insalubres représentent près de 13 % du parc de logements dans les outre-mer, contre 1, 3 % dans l’Hexagone.
Dans le seul département de La Réunion, plus de 100 000 habitants sont mal logés, 17 000 logements privés sont identifiés comme insalubres et 25 000 familles primo-accédantes sont en attente d’un logement social. Au 30 juin 2022, près de 38 000 demandes de logement social sont enregistrées, alors que 2 000 logements à peine ont été livrés par an en moyenne dans les cinq dernières années.
La production de logements outre-mer est en crise profonde. Les Plom 1 et 2 n’ont pas répondu aux attentes, ainsi que tout le monde en convient. Il est temps de redresser la barre, afin de présenter aux Ultramarins une politique du logement ambitieuse et efficace.
Une fois ce diagnostic posé, nous devons proposer ensemble des actions concrètes afin d’améliorer la situation. De multiples solutions existent ; encore faut-il les appliquer.
Pour que les crédits de la ligne budgétaire unique soient mieux consommés, nous devons tout d’abord mettre en adéquation les financements proposés avec les besoins réels. À La Réunion par exemple, les T1 et les T2 sont construits non seulement en nombre insuffisant, mais aussi à un coût trop élevé. La question de l’adaptation des normes et des matériaux doit être posée.
La rareté et la cherté du foncier, ainsi que le surcoût des matériaux, doivent nous obliger à changer de logiciel. Il faut impérativement diriger les financements vers les logements pour les seniors ou vers les petites surfaces à destination des jeunes ménages et des personnes seules.
Sans une adaptation de l’offre, mais aussi de la gouvernance, avec une décentralisation accrue de la gestion de ses crédits, la LBU ne sera pas mieux consommée et ne gagnera pas en efficacité.
L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) joue, par ailleurs, un rôle important dans nos territoires, mais elle doit impérativement revoir ses maquettes financières validées avant la crise sanitaire et économique, car les conséquences du covid-19 associées au contexte insulaire ont fait exploser les surcoûts.
La ville de Saint-Pierre, à La Réunion, est par exemple confrontée à ce problème. Elle a contractualisé avec l’Anru au mois de mars 2020, à la veille de la crise du covid-19, et se voit désormais contrainte de solliciter une modification du calendrier ainsi qu’une subvention supplémentaire pour finaliser son programme de rénovation urbaine, qui concerne 500 logements.
Nous avons identifié un autre combat à mener : l’Anah devrait pouvoir intervenir pleinement dans les Drom. Il est impératif de rendre les propriétaires occupants ultramarins éligibles à ses aides ; une telle disparité entre l’Hexagone et les outre-mer ne saurait perdurer.
Ajoutons que le déploiement des résidences autonomie, attendu depuis longtemps, est désormais possible grâce à la loi 3DS.
Enfin, l’accompagnement de l’autoréhabilitation des logements par leurs occupants constitue un autre levier. Certains centres communaux d’action sociale (CCAS) mènent avec succès cette politique, qu’il convient d’encourager et d’étendre. Le département de La Réunion s’est engagé dans cette voie en doublant le nombre de dossiers d’amélioration de l’habitat, le passant de 2 000 à 4 000 par an.
Je conclus mon propos en saluant la concertation opérée par l’association des maires du département de La Réunion, laquelle s’est autosaisie de cette problématique et a conduit un travail de fond en auditionnant tous les intervenants pour déboucher sur des propositions concrètes.
Selon les mots de son président, Serge Hoarau, la feuille de route qu’elle a établie « marque une étape importante, mais n’est en rien un aboutissement. ». Il ajoute : « Il est désormais de notre responsabilité à tous de la faire vivre… »
S’agissant de l’Anru, madame la sénatrice, j’ai demandé à sa directrice générale, Anne-Claire Mialot, de me transmettre toutes les conventions Anru concernant les outre-mer. Il faut en effet les revoir pour les rendre plus efficaces, même si cela représente beaucoup de travail. Je partage également votre analyse sur l’Anah, notamment à La Réunion.
Mme Mialot se rendra à La Réunion à la fin du mois pour déterminer s’il est possible de faire du logement dans les zones concernées par le programme national de rénovation urbaine. Il suffit de le décider : si nous ne le faisons pas, nous serons coincés.
Le volume des prêts d’Action Logement est appelé à diminuer, ce qui m’inquiète. Les dispositifs proposés par la Caisse des dépôts et consignations restent, bien sûr, disponibles, mais les taux proposés ne sont pas les mêmes.
Comment harmoniser tout cela et continuer à disposer de prêts, dont le taux d’intérêt ne peut plus être à 0, 45 %, puisque nous sommes face à une augmentation, sans pour autant atteindre 3, 6 % ? C’est tout l’enjeu, qui concerne notamment La Réunion, où beaucoup de logements sociaux doivent être construits.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures cinquante-deux.
Monsieur le ministre, dans ce domaine, faisons la révolution ! Ouvrons le champ des possibles !
Tout d’abord, cessons de traiter le logement outre-mer dans un vrac dit outre-mer. Le logement est l’expression de la vie des gens, de leur histoire, de leur patrimoine culturel. On ne vit pas à Saint-Pierre-et-Miquelon de la même manière qu’à Tahiti ou à Fort-de-France. Ce traitement global est donc un peu gênant et empêche, me semble-t-il, une lecture clairvoyante de situations qui sont totalement différentes les unes des autres !
Pour ma part, je ne parlerai que de la Martinique, parce que c’est le pays que je connais le mieux. Par respect pour mes collègues, je préfère qu’ils évoquent eux-mêmes les territoires qu’ils connaissent mieux que moi.
La réalité à la Martinique ne correspond pas du tout à ce que j’ai entendu ce soir. En soixante-dix ans, des efforts très importants sur le logement y ont été consentis. Certes, on peut souhaiter plus et mieux, mais l’idéal n’existe pas !
Je ne suis pas si âgée, mais je sais les progrès réalisés depuis soixante-dix ans pour que les habitants de la Martinique vivent mieux. On est loin aujourd’hui du Canal Alaric d’alors ou des opérations de résorption de l’habitat insalubre (RHI) concernant des centaines de logements.
Je vous rappelle que le premier lotissement populaire de la Martinique, celui des Terres-Sainvilles, a été construit dans les années 1920, par le maire de l’époque, Victor Sévère. Celui-ci ne disposait ni de fonds européens, ni de LBU, ni de quoi que ce soit de ce genre, mais il l’a pourtant fait. – I fé ’ y ! dirions-nous en créole.
La première des révolutions à laquelle je vous invite, monsieur le ministre, c’est le transfert du paquet du logement aux collectivités de chacun de ces pays.
Comme le propose l’Appel de Fort-de-France, la totalité de la politique du logement devraient aujourd’hui être gérée par les collectivités locales. Comment peut-on encore imaginer, en 2023, que nous en soyons réduits à attendre la LBU en provenance de la rue Oudinot pour décider de telle ou telle politique de logement sur place ?
Donnez-nous les moyens ! Ne vous inquiétez pas, nous saurons faire !
Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.
Sourires.
Vous avez évoqué certaines réalités, monsieur le ministre. On dénombre 20 000 logements vacants actuellement à la Martinique, alors que nous perdons entre 4 500 et 5 000 habitants par an. Le pays est passé de 400 000 à moins de 350 000 habitants.
Que fait-on de ces 20 000 logements vides ? J’ai des idées à ce sujet, nous pourrons en reparler si vous le souhaitez, monsieur le ministre. Rassurez-vous, je n’ai pas la volonté de spolier les propriétaires, bien au contraire !
Il s’agit de redonner vie aux fantômes que sont devenus certains quartiers, certaines rues, certaines communes, dont souvent plus de 60 % des logements sont vacants. Que devons-nous en faire ? Il faut les occuper et les reprendre en main. On ne peut continuer éternellement à construire des barres de HLM sur 1 100 kilomètres carrés. Stop ! Nous n’avons d’ailleurs plus les terrains nécessaires pour cela.
À la Martinique, la politique publique doit nous permettre de faire de la dentelle. Nous ne pouvons plus construire de grands ensembles, comme nous avons pu le faire par le passé. Il faut travailler en finesse, densifier les centres-bourgs, réoccuper les logements vacants. Cela exige que nous travaillions ensemble pour coller au plus près de la réalité de chacun des pays concernés et que nous cessions de les traiter en vrac.
Ce que j’ai entendu ce soir ne correspond en rien à la situation de la Martinique. Je suis désolée, mais je ne me suis pas sentie concernée. Recentrons-nous chacun sur nos territoires et leurs réalités et travaillons dans la dentelle, de manière extrêmement précise.
Pour terminer, monsieur le ministre, vous savez que je suis une adepte de la responsabilité. J’insiste donc : dans le cadre de l’Appel de Fort-de-France, certaines actions pragmatiques pourraient être engagées et le logement pourrait fournir une excellente illustration de cette volonté de responsabilité.
Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.
Madame la sénatrice, sur le logement, j’entends votre appel. Ce que je vais vous dire, je ne le dirai pas au sénateur Lurel tout à l’heure. L’humanité naît à partir de la conscience d’un toit, qui crée le lieu de l’esprit humain sous le ciel et qui marque la première identité et le premier refuge de chacun. C’est ce que je crois et je voudrais transmettre cette foi à toutes mes administrations et à tout l’appareil d’État.
Non à une vision globale, dites-vous. Il me semble avoir déjà répondu en souhaitant mettre un terme au Plom 3 au profit d’un objectif Logement territorialisé, fondé sur quelques principes. Je suis donc très heureux que vous ne vous sentiez pas concernée par ce que nous essayons de faire à Mayotte, sinon intellectuellement et comme représentante de la Nation.
Les sujets doivent être séparés. Sur ce point, je vous suis.
Il en va de même s’agissant des logements vacants. Pour autant, je n’ai pas de solution à vous proposer aujourd’hui, il faut y réfléchir.
Concernant l’Appel de Fort-de-France, même si je parlerai plutôt du 7 septembre – chacun son maître !
Sourires.
Je recevrai tous les parlementaires des outre-mer, ainsi que les membres des délégations compétentes, le 24 ou le 25 janvier prochain pour exposer ce que doit être, à mon sens, la feuille de route qui découle de cet Appel de Fort-de-France ou de cette soirée du 7 septembre et que nous allons partager.
Tout est ouvert. Attention, cependant, à ne pas se laisser aller : tout cela doit être bien cadré. Je n’aime pas le terme « autonomie », parce que personne n’est autonome et que nous travaillons tous ensemble, mais peu importe : cette notion recouvre la question des recettes, de la fiscalité, de l’octroi de mer.
J’ai reçu de mes autorités la permission – l’instruction, même – d’aboutir vers la fin du mois de juillet prochain. Je rencontre à ce titre chacun des présidents des collectivités signataires. C’est pourquoi je me rends d’ici à la fin du mois à Cayenne, à la Martinique et à la Guadeloupe. Nous parlerons dans le détail de tous ces sujets et nous présenterons un résultat au mois de septembre.
Monsieur le ministre, nous sommes d’accord.
Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter d’ores et déjà la bienvenue dans le plus beau pays du monde : la Martinique !
Sourires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie avant tout la délégation sénatoriale aux outre-mer et son président, M. Stéphane Artano, de cette initiative, qui permet à nos territoires d’outre-mer de débattre, avec leurs ressemblances et leurs différences.
Nous le savons tous, nos territoires ne sont pas régis par les mêmes statuts et, selon que l’article 73 ou l’article 74 de la Constitution s’applique, selon que nous exercions une compétence ou une autre, les règles ne sont pas les mêmes.
La compétence logement n’échappe pas à ce principe. Ainsi, la situation de Saint-Martin dans ce domaine est singulière, entre identité et spécialité législative : cette compétence appartient à la collectivité, alors que le social relève du droit commun national.
Depuis un transfert de compétence intervenu au mois d’avril 2012, la collectivité fixe les règles applicables dans les matières suivantes : urbanisme, construction, habitation et logement. De ce fait, nous ne bénéficions plus des aides à la pierre, de la LBU, des dispositifs financiers liés à la RHI ou du Plom.
Au-delà de la complexité engendrée par ce transfert massif, Saint-Martin pâtit d’un manque d’accompagnement de l’État, lequel, je dois l’avouer, n’est pas sollicité, ainsi que d’un défaut de compensation des charges transférées, alors même qu’un cyclone dévastateur a suivi de près ces changements. Il en résulte un déficit de logement social comme de logement intermédiaire.
Si la collectivité peine à s’approprier la compétence logement au sens large, je reste convaincue que nous devons refonder les cadres d’action de la politique du logement à Saint-Martin, avec l’aide de l’État, par le biais de conventionnements sur des programmes spécifiques.
Nous devons ainsi progresser sur trois conventions tripartites : la convention collectivité d’outre-mer-État-Action Logement, que nous devons signer rapidement, et les conventions collectivité d’outre-mer-État-Anah et collectivité d’outre-mer-État-Anru. Dans ces trois cas, nous aurons besoin de l’ingénierie administrative de l’État, mais aussi de votre appui, monsieur le ministre, pour avancer.
La participation des employeurs à l’effort de construction (Peec), aussi appelé dispositif 1 % logement, est également une piste de travail pour le territoire de Saint-Martin. Huit entreprises y seraient éligibles, dont la plus grande compte plus de 250 salariés, ce qui équivaudrait, en 2022, à une recette de 88 000 euros.
La participation de l’employeur pourrait s’effectuer via un versement à un organisme collecteur agréé, comme Action Logement. Pour des raisons de simplification, ce dernier modus operandi devrait être privilégié à Saint-Martin.
La Peec, en comptant le plan d’investissement volontaire d’Action Logement, pourrait permettre à Saint-Martin de récupérer entre 2, 5 millions d’euros et 3 millions d’euros par an sur les cinq prochaines années.
Il est en effet impératif que notre collectivité bénéficie du reliquat de 400 millions d’euros dudit plan d’investissement pour 2019-2022, lequel, je l’espère, monsieur le ministre, sera prorogé pour 2023-2024.
M. le ministre délégué fait une moue dubitative.
Enfin, il pourrait être possible que notre collectivité soit destinataire, à l’instar de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon, également régie par l’article 74, de crédits d’État au titre de la RHI. Sous l’angle de la politique publique de compétence étatique, la problématique du logement insalubre à Saint-Martin justifierait cet effort supplémentaire.
Telles sont, monsieur le ministre, les actions prioritaires pour Saint-Martin, qui pourraient sensiblement améliorer la situation du logement des Saint-Martinois.
Nous allons essayer d’y travailler. Je dois rencontrer prochainement le président de la collectivité de Saint-Martin, Louis Mussington, à Paris pour évoquer ces sujets.
Vous avez raison, certaines règles doivent être modifiées, ainsi que nous l’avons évoqué à la suite du 7 septembre ou de l’Appel de Fort-de-France. Vous n’avez pas accès à certains dispositifs, comme l’Anru et l’Anah ou les prêts d’Action Logement à 0, 45 %, ce qui n’est pas satisfaisant.
Pour autant, le président de la collectivité territoriale de Saint-Martin, Louis Mussington, souhaite que les entreprises de son territoire puissent cotiser. Le problème ne concerne d’ailleurs pas tant les recettes que l’accès à l’ensemble des prestations d’Action Logement. Nous y travaillons avec l’Anah, l’Anru et Action Logement et j’en débattrai avec les présidents des territoires concernés.
Je rencontrerai bientôt le président de la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy, Xavier Lédée, et le président de la collectivité territoriale de Saint-Martin, Louis Mussington, et je pars demain à la Martinique pour travailler sur ces sujets.
Madame la sénatrice, j’en profiterai pour demander au président Mussington, comme je l’ai demandé à ses homologues de Saint-Pierre-et-Miquelon ou de Saint-Barthélemy, qu’il me donne des terrains afin que nous logions les fonctionnaires.
Ils en sont propriétaires ! Je propose qu’ils les concèdent par un bail emphytéotique à des promoteurs que j’ai trouvés et qui rendront l’ensemble des constructions à la collectivité au bout de cinquante ans. Il s’agit de terrains qui sont la propriété des collectivités territoriales : cela ne coûte rien à personne et des investisseurs sont disposés à y construire des logements pour l’ensemble des fonctionnaires.
C’est une simple question de volonté : si l’on me donne le terrain, je le fais !
Madame la sénatrice, cela vaut notamment pour votre territoire. Comme je le dirai au président Mussington, c’est donnant-donnant.
Monsieur le président, je remercie la délégation sénatoriale aux outre-mer, en particulier son président, d’avoir permis cet échange.
Je ne suis pas né du ciel : mesdames, messieurs les sénateurs, je suis là pour vous écouter me dire ce qu’il faut faire. Il est fondamental que nous puissions échanger, car, si je n’écoute pas les élus, j’écouterai les administrations, lesquelles feront de l’administration administrante… Ce sera réjouissant !
Sourires.
Il nous faut changer d’approche. Cela suppose de travailler avec l’administration et avec d’autres ministères. Nous avons commencé à le faire, mais nous ne réussirons pas tout de suite.
La problématique du logement – Victorin Lurel l’indiquera sans doute de nouveau – est au cœur de la vie des habitants, au cœur de ce qu’ils sont. C’est pourquoi il faut une approche différenciée.
Je pense que nous y parviendrons, forts de tout ce qui vient d’être dit.
Ce n’est pas un problème d’argent. C’est un problème d’organisation, de volonté, de différenciation et de travail en commun sur les règles et les normes.
Nous avons enfin consommé les crédits de la LBU pour 2020-2021 – j’ignore encore si nous y parviendrons pour 2022. Il reste que des financements sont disponibles.
Je suis prêt à mener ce travail, mais je n’y parviendrai pas sans vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sans les collectivités locales et sans les constructeurs.
Je crois profondément que la décision que j’ai prise en préparant ce débat de renoncer au Plom pour lui substituer un objectif Logement outre-mer cosigné par l’ensemble des parties et déclinant des objectifs territorialisés sous un chapeau général, nous permettra d’avancer.
Personne n’est jamais sûr de réussir, mais nous pouvons être certains que nous avons plus de chances si nous travaillons ensemble plutôt que de nous en tenir à de grandes déclarations. Évidemment, cela vaut aussi pour l’État.
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore de pousser mon ministère, les administrations et l’État à agir. Tout seul, on ne bouge pas.
M. Victorin Lurel, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avoue mon embarras. C’est la première fois qu’il me revient de conclure un débat sans que je sache quoi vous dire…
Sourires.
Si j’ai eu plaisir à écouter les différentes interventions et, si j’ai apprécié certains élans poétiques, le vieux parlementaire que je suis est assez étonné par la prestation de notre ministre. Je laisserai donc de côté le beau discours que j’ai préparé afin de me concentrer sur plusieurs points. Il n’est en effet pas utile de répéter ce qui a déjà été dit et que nous savons tous.
Monsieur le ministre, pour commencer, je ne saurais trop vous conseiller d’éviter des propos qui, prononcés dans une autre enceinte que le Sénat, pourraient prêter à débat.
Je suis pour ma part croyant et pratiquant, mais je considère qu’évoquer la pression migratoire exercée en Guyane par des Syriens, des Kurdes, des Marocains et des Afghans en pointant les abords de la cathédrale de Cayenne comme vous l’avez fait relève d’une approximation inopportune dans le temple républicain qu’est cet hémicycle.
Par ailleurs, je suis sénateur depuis bientôt six ans et, avant cela, j’ai été député pendant quinze ans. Les difficultés qui doivent être réglées ne datent pas d’hier : cela fait une vingtaine d’années que nous en débattons. Nous connaissons bien ces problèmes.
Vous n’êtes chargé des outre-mer que depuis sept mois, monsieur le ministre. Vous avez eu un prédécesseur, qui a eu lui-même des prédécesseurs – j’ai d’ailleurs moi-même occupé vos fonctions. Vous ne découvrez pas les problèmes que vous avez égrenés.
À vous écouter, monsieur le ministre, vous êtes d’accord sur tout !
Vous allez par exemple satisfaire aux demandes formulées par Saint-Pierre-et-Miquelon depuis fort longtemps.
Vous allez nous faire siéger au sein de l’Anah, de l’Anru, de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Reste que vous avez choisi d’ignorer la seule instance qui nous représente valablement, à savoir l’Union sociale pour l’habitat outre-mer (Ushom).
M. le ministre délégué s ’ exclame.
Tous les parlementaires d’outre-mer, de nombreux maires et d’acteurs ont signé pour vous demander de mettre un terme au contentieux en cours. Faites-le ! Désignez des représentants de manière que nous puissions défendre nos intérêts, car ce n’est pas le cas actuellement.
À vous écouter, monsieur le ministre, nous allons continuer à impliquer de multiples acteurs. Monsieur le ministre, j’ose vous dire que vous n’arriverez jamais à régler ce problème, parce que vous n’êtes pas compétent sur tout.
Je suis par ailleurs quelque peu estomaqué par vos propos selon lesquels l’État ne serait pas responsable de tout. Nous n’avons jamais dit cela, mais la politique du logement, notamment du logement social – Catherine Conconne l’a remarquablement souligné –, est une politique de l’État, verticale et centralisée.
Monsieur le ministre, vous n’avez jusqu’à présent retenu aucune des 77 recommandations formulées dans l’excellent rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, intitulé La politique du logement dans les outre-mer. Peut-être ne l’avez-vous pas suffisamment lu ? Je ne sais pas quelles dispositions sont entrées en vigueur.
Monsieur le ministre, avant vous, il y avait un ministre ; il y a une continuité de l’action de l’État. Vous avez pris un relais, vous n’inventez pas tout. En vous écoutant, j’ai l’impression que vous avez tout découvert et que vous allez tout régler.
J’apprends – mais je ne suis peut-être pas le seul – qu’après l’échec du Plom 1 que j’ai contribué à instaurer, avant que d’autres ministres ne prennent la suite, et l’inexécution du Plom 2 dont vous êtes coresponsable, monsieur le ministre, car les comités de pilotage n’ont pas été réunis – de ce point de vue, c’est un échec total –, il y aura, non pas un Plom 3, mais un objectif Logement outre-mer. Faute d’une véritable orientation, celui-ci sera un empilement de mesures que nous connaissons déjà.
Ce que je vous propose, à l’instar de Catherine Conconne et de plusieurs collègues, c’est de faire une révolution systémique, monsieur le ministre.
Le budget de la LBU est passé de 243 millions d’euros en crédits de paiement à 179 millions d’euros. Vous déplorez l’absence d’ingénierie, alors même que vous avez diminué de 3 millions d’euros les crédits qui lui étaient consacrés !
À mon sens, monsieur le ministre, c’est une manière de vous défausser de vos responsabilités. Nous vous proposons, nous, de décider, entre adultes responsables, de décentraliser et de déléguer les crédits de la LBU.
J’entends les difficultés que cela susciterait pour le ministère du logement. Créez donc un ministère de la mer et des outre-mer relayé par des préfectures maritimes ! Cela contribuera à renforcer l’activité dans nos territoires. En tout état de cause, la direction générale des outre-mer n’a pas les moyens de s’occuper en temps réel de nos problèmes.
Monsieur le ministre, soumettez très rapidement l’objectif Logement outre-mer aux parlementaires. Notre délégation pourra lui donner visées et ambition.
Le budget que nous avons voté est en augmentation. Nous en attendons beaucoup.
Monsieur le ministre, cher ami, permettez-moi de vous dire qu’il est temps de se réveiller et d’agir.
Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Viviane Malet applaudit également.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la politique du logement dans les outre-mer.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 12 janvier 2023 :
À dix heures trente :
Vingt-sept questions orales.
À quatorze heures et le soir :
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, proposant au Gouvernement de sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels, présentée par MM. Fabien Gay, Pierre Laurent, Mme Marie-Noëlle Lienemann et plusieurs de leurs collègues (texte n° 176, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures quinze.