Intervention de Micheline Jacques

Réunion du 11 janvier 2023 à 21h30
Politique du logement dans les outre-mer — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Photo de Micheline JacquesMicheline Jacques :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, il n’y a pas de politique publique efficace sans cadre normatif adapté. Cette problématique est au cœur des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et c’est une approche qui me tient à cœur.

En effet, au cours des auditions en vue du rapport d’information sur la politique du logement dans les outre-mer, de trop nombreux freins normatifs à la production de logements nous ont été rapportés. Or une bonne adaptation permettrait de répondre, certes, au défi de la production, mais aussi à d’autres enjeux. Ceux-ci sont notamment environnementaux et peuvent aussi constituer des leviers de production de valeur, à laquelle je vous sais particulièrement attaché, monsieur le ministre.

Comment comprendre que la Guyane ne puisse importer de bois de charpente du Brésil, mais qu’elle doive le faire venir de Scandinavie ? À l’heure du renchérissement du coût des énergies fossiles et des objectifs de décarbonation, cette situation est l’illustration même de l’inadaptation normative.

La Guyane pourrait également fournir davantage de bois à la Guadeloupe et à la Martinique, sachant en outre qu’elle produit des arbres disposant de solides qualités anti-termites.

À Mayotte, l’entrée en vigueur de nouvelles normes pour les portes de garage a « entraîné la destruction de toute une partie de l’artisanat local ». Voilà un autre exemple de norme qui, se concentrant sur l’objectif de sécurité, occulte les dommages collatéraux qu’elle produit.

Au contraire, il convient désormais d’évaluer de manière plus globale l’impact des normes pour renforcer ce qui pourrait être fragilisé. Là encore, la protection des savoir-faire locaux peut constituer une formidable source d’innovation tout en répondant à plusieurs enjeux.

De fait, la part de recherche et développement est encore très faible dans les outre-mer et offre un potentiel de croissance colossal, notamment pour l’adaptation des matériaux locaux ou régionaux aux contraintes de sécurité. Cela pourrait représenter des opportunités de développement de formations et, pourquoi pas, d’écoles d’ingénieurs dans chacun des bassins océaniques. J’ai eu l’occasion de le suggérer lors du débat budgétaire.

Par ailleurs, le coût des matériaux représente l’un des principaux freins à la construction. C’est pourquoi notre délégation préconise notamment les échanges, transfrontaliers et avec les îles voisines, de matériaux, mais aussi de techniques. L’arsenal normatif doit mieux prendre en compte les pratiques des pays voisins, dont les conditions climatiques ou d’exposition aux risques naturels sont plus proches de celles des outre-mer.

Stéphane Artano l’a rappelé, la Nouvelle-Calédonie a montré la voie avec un chantier d’acclimatation des normes qui s’appuie largement sur la coopération technique régionale avec l’Australie. Si son statut lui permet d’en prendre l’initiative et de maîtriser le processus d’adaptation dans les autres collectivités, l’État pourrait être coordonnateur de la même démarche pour tous les outre-mer. Elle plaide aussi depuis plusieurs années pour la tenue d’assises de la construction outre-mer qui favoriseraient, de surcroît, l’échange de bonnes pratiques, compte tenu de son expérience. C’est une proposition que la délégation a également relayée et que la direction générale des outre-mer (DGOM) et la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) pourraient organiser.

Depuis la publication du rapport d’information de la délégation sénatoriale aux outre-mer intitulé Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : faire d ’ un obstacle un atout, on peut noter les efforts des organismes et administrations producteurs de normes techniques. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour territorialiser la certification, les échanges d’informations entre territoires et, surtout, la production du cadre normatif, afin qu’il ne soit plus essentiellement pensé depuis la métropole.

Enfin, je ne saurais conclure ce propos sans évoquer l’absence de filière de désamiantage dans les outre-mer, ce qui entraîne des coûts considérables. Des propositions de neutralisation existent. Cela m’amène, du reste, à évoquer l’intérêt de l’utilisation de matériaux biosourcés au détriment du béton.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, je suis convaincue qu’en ces temps troublés et de contrainte budgétaire une approche pragmatique du logement ne peut faire l’économie de sa dimension normative.

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