Intervention de Fabien Gay

Réunion du 12 janvier 2023 à 14h30
Sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Cette tarification est d’ailleurs une création non pas du marché européen, mais de Marcel Boiteux, directeur de cette grande entreprise que fut EDF de 1967 à 1987. Simplement, à l’époque, il avait raison, car cela répondait à une stratégie nationale.

À l’inverse, il s’agit d’une aberration lorsqu’on l’applique à l’échelon européen. En effet, peu importe que l’on dépende peu du gaz, comme c’est le cas de la France – moins de 1 % –, ou beaucoup comme en Allemagne, où cette part s’élève à 40 % : on paye tous le même prix !

Et contrairement à la promesse ronflante de départ, cela ne pousse pas les États membres à décarboner leurs productions ou à investir dans les énergies renouvelables. Car, quoi qu’il arrive, et même sans investissement, ils payeront le même prix que leurs voisins.

Troisième illusion : le marché européen mettrait en lien producteurs et acheteurs. Mais là où il y a un marché, il y a des traders. C’est justement ce que nous avons vécu cet été lorsque le marché s’est emballé et que le prix de l’électricité s’est envolé au-delà de 1 000 euros par mégawattheure. Ce n’est pas sérieux, d’autant que le phénomène ne reposait pas sur l’évolution des coûts de production ou des prix, mais découlait du trading !

Pour vous donner une idée de l’étendue des dégâts – car il faut rappeler les chiffres et les faits –, il n’est qu’à regarder ce qui s’est passé pour GEMS (Global Energy Management & Sales), la filiale de trading d’Engie. Écoutez-moi bien, mes chers collègues : en 2021, elle réalisait 365 millions d’euros de bénéfices ; en 2022, en pleine crise énergétique, ceux-ci se sont établis à 2 milliards d’euros !

Autre exemple, Mint Energie, qui a profité de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) et d’un prix de 46, 5 euros par mégawattheure, a revendu son électricité sur le marché au prix de 257 euros ! Sans rien produire et en quelques jours, elle a ainsi réalisé 6 millions d’euros net de bénéfices.

Et le pire du scandale, c’est que l’État a financé ce fournisseur d’énergie en le laissant percevoir 12 millions d’euros au titre du bouclier tarifaire. Mint Energie, qui ne produit rien et rançonne les usagers, a perçu 18 millions d’euros net de bénéfices. Il faut arrêter ce massacre et ce racket organisé !

Oui, il est possible de faire autrement ! D’ailleurs, beaucoup de monde, même à droite, est désormais d’accord avec nous pour délier les prix du gaz et de l’électricité. Très bien ! Mais comment faire sans sortir de ce système ?

Vous allez me répondre qu’il suffit de maintenir la tarification sur la base du coût marginal, sauf pour le gaz. C’est du reste ce que fait le Gouvernement, madame la ministre, en plafonnant son prix. Mais cela soulève trois problèmes.

Premièrement, cela revient à subventionner une énergie fossile, ce qui, vous en conviendrez, n’est pas bon pour la planète.

Deuxièmement, les Allemands bloquent. Évidemment ! Dans un système qui lie les prix du gaz et de l’électricité, ceux-ci ont un avantage comparatif.

Troisièmement, l’horizon 2023 et 2024 est très dégradé. Aujourd’hui, la Chine est à l’arrêt, mais lorsque l’activité repartira, elle va devoir acheter du gaz à n’importe quel prix. Si, actuellement, nous importons du gaz américain et qatari, qu’en sera-t-il les années suivantes compte tenu de cette compétition internationale qui va faire flamber les prix ?

En bref, tous ceux qui, au sein du marché européen, ont tout intérêt à conserver ce lien entre les prix du gaz et de l’électricité continueront à bloquer.

Alors oui, nous l’affirmons, il est possible d’emprunter un autre chemin en demandant dès maintenant une dérogation. Et il faut arrêter de nous dire que ce n’est pas possible, car le Portugal et l’Espagne ont démontré le contraire.

Cela ne signifie pas qu’il faille copier ces pays ou que nous soyons dans la même situation qu’eux, car ils sont en bout de chaîne tandis que nous sommes au cœur du réseau, mais ces voisins ont montré qu’il était possible que certains États membres bénéficient d’une dérogation. Alors, emboîtons-leur le pas !

J’ajoute que l’Allemagne, elle, n’a pas demandé de dérogation, mais a mis 200 milliards d’euros sur la table pour subventionner son économie.

À titre dérogatoire, nous proposons en premier lieu de réactiver les tarifs réglementés pour tout le monde ; l’Assemblée des départements de France (ADF) y est favorable. Il faut d’urgence protéger les plus fragiles : les usagers, les TPE et nos collectivités territoriales.

Entre nous, affirmer que nous avons obtenu des énergéticiens que le prix de l’électricité soit « bloqué » à 280 euros par mégawattheure relève de la blague et de l’aberration : les mêmes fournisseurs qui pratiquent ce tarif ont payé, pour 70 % du total de l’électricité qu’ils vendent, 42 euros par mégawattheure, au prix de l’Arenh. Et même s’ils achetaient les 30 % restants sur le marché au prix de 800 euros par mégawattheure, ils continueraient à réaliser des profits…

Il est donc temps de rétablir les tarifs réglementés. Bien entendu, cette mesure coûte de l’argent – c’est évalué à 3, 5 milliards d’euros –, mais combien a-t-on versé l’an dernier au nom du bouclier tarifaire ou du filet de sécurité ? 43 milliards d’euros !

Nous proposons d’en finir avec l’Arenh. Vous comprendrez que ce système dépouille et rackette EDF et ses usagers.

Je pense enfin que nous devons faire notre retour à la tête de l’Europe pour sortir de ce mécanisme européen des traders et de ce marché libéral. Et nous le pouvons, car nous sommes la France, un pays respecté !

Nous voulons conserver les interconnexions, maintenir un système qui protège l’ensemble des consommateurs et des consommatrices et qui, surtout, repose sur un mix électrique national.

Nous devons faire valoir notre intérêt, celui du nucléaire, mais nous devons aussi aider celles et ceux qui dépendent fortement des énergies fossiles en inventant des règles fondées, non pas sur la compétition, mais sur la coopération, pour sortir l’ensemble de l’Europe des énergies fossiles et répondre aux besoins vitaux des peuples qui auront toujours besoin d’énergie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion