Intervention de François Bonneau

Réunion du 12 janvier 2023 à 14h30
Sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de François BonneauFrançois Bonneau :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis près d’un an, le marché de l’énergie connaît des perturbations historiques, notamment en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Ce contexte international, inédit au XXIe siècle, place le marché énergétique en tension et a été le révélateur d’une crise du marché électrique sous-jacente.

En effet, avec le système actuel, le prix du mégawattheure a atteint des niveaux sans précédent, passant de 40 euros début 2021 à 400 euros en septembre 2022.

De telles hausses, même si le prix du mégawattheure a eu tendance à baisser récemment, aux alentours de 137 euros, ne sont acceptables et supportables ni pour nos entreprises ni pour l’ensemble des particuliers. Elles s’expliquent en partie par le fonctionnement actuel du marché électrique européen, qui nous place de facto en économie de guerre. En effet, le prix de l’électricité étant indexé sur celui du gaz, peu importe le coût réel de la production, le prix final dépend du contexte international que nous ne pouvons pas contrôler.

S’il convient de noter les interventions de l’État pour contenir la hausse du prix de l’électricité à l’aide du bouclier tarifaire, du dispositif « amortisseur électricité » ou encore des chèques énergie, le problème de fond n’est pas réglé. D’une part, de telles aides coûtent à l’État et ne peuvent perdurer. D’autre part, la crise de notre système électrique est également structurelle.

L’Arenh nous conduit aujourd’hui à vendre notre production électrique nucléaire à bas coût pour la racheter ensuite plus cher sur le marché européen. Ce système en pleine crise est une aberration qui profite aux revendeurs : ce sont les consommateurs français qui en payent le prix fort ! C’est d’autant plus vrai qu’il s’accompagne d’une extension progressive des tarifs réglementés de vente dont le coût se répercute, une fois de plus, sur nos concitoyens et sur les entreprises nationales.

Rappelons d’ailleurs que les énergies renouvelables sont prioritaires lors de l’injection sur le réseau, ce qui conduit à presque arrêter les structures de production électrique pilotables lorsqu’il y a du vent notamment. Quelque part, cela nous fait payer deux fois la production, puisque nous n’avons pas la maîtrise du stockage de l’énergie.

À l’inverse, lorsque les énergies renouvelables sont à l’arrêt, nous n’avons plus suffisamment de pilotable disponible à fournir, notamment à cause de l’Arenh, et nous payons jusqu’à dix fois le prix, ce qui est insensé !

À cela s’ajoute la mauvaise gestion interne d’EDF, avec un déficit financier structurel étalé sur plusieurs années. Cette situation particulièrement préoccupante contraint aujourd’hui l’État à reprendre la main. C’est aussi la gestion de l’entretien du parc nucléaire par l’entreprise qui nous place dans une situation complexe.

Fin octobre, plus de la moitié du parc nucléaire était hors d’usage. En cause, des problèmes d’érosion sur des réacteurs qui ont nécessité une intervention rapide et fait émerger des critiques sur une potentielle négligence eu égard à l’entretien des centrales.

Rappelons que, au 11 janvier de cette année, douze des cinquante-six réacteurs de ce qui fut par le passé un fleuron industriel français permettant une production décarbonée, pilotable et à bas coût étaient à l’arrêt.

L’électricité n’est pas un produit de consommation comme un autre, elle ne doit pas dépendre uniquement de l’offre et de la demande. Tant pour sa production que pour sa disponibilité auprès des usagers, il importe de définir un cadre souverain devant dépasser les seules lois du marché.

La proposition de résolution soumise à notre examen aujourd’hui vise à sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels. S’il est une certitude, c’est effectivement que nous ne pouvons pas nous contenter du statu quo actuel.

Tout d’abord, parce que les particuliers sont aujourd’hui touchés de plein fouet par la crise. Ils ne pourront donc pas, en plus de l’inflation générale, supporter à long terme et sans aides des factures électriques dont le montant est doublé, triplé, quadruplé, voire plus si la situation ne venait pas à évoluer. Un certain nombre de nos concitoyens sont déjà en précarité énergétique. Notre devoir est de les accompagner !

Ensuite, parce que les collectivités territoriales sont asphyxiées : sans elles, ce sont des territoires, des services et une certaine qualité de vie qui sont menacés ! Il s’agit d’une préoccupation majeure dans chaque commune. Les maires doivent désormais choisir entre chauffer convenablement leur école, permettre à leurs administrés de faire du sport ou défendre des projets pour leur commune.

Certains m’opposeront qu’au nom de la libre concurrence, nous ne pouvons plus aider nos collectivités financièrement. Soit. Mais nous devons nous battre collectivement pour leur permettre d’accéder à un tarif attractif ne faisant pas l’objet de spéculation, afin qu’elles puissent continuer d’exercer, pour ceux qui l’auraient oublié, leurs missions de service public !

Enfin, nous ne pouvons pas nous contenter du statu quo actuel, parce que le monde économique est menacé. Réalisme ou défaitisme, le spectre d’un mur des faillites causé par la hausse des prix de l’énergie se dresse d’ores et déjà devant nous. Nos boulangers baissent le rideau, nos restaurateurs commencent à manifester leurs craintes, nos artisans arrivent à bout de leurs capacités, certaines grandes entreprises préfèrent ne plus produire et recourir au chômage partiel. Le marché européen nous asphyxie !

Je le dis clairement, si nous ne pouvons pas aider plus nos collectivités, nos particuliers, nos TPE-PME, c’est à la base du problème et avec courage qu’il faut s’attaquer ! Les Français nous le demandent !

Pour agir concrètement désormais, deux voies s’offrent à nous : une réforme du marché de l’électricité européen ou une sortie du marché européen, afin de contrôler directement les prix de l’électricité.

Pour bien mesurer l’action à mettre en œuvre, le premier point crucial est de s’interroger sur la place du nucléaire en France. Aujourd’hui, nous sommes pénalisés si nous n’utilisons pas assez d’énergies renouvelables alors même que l’électricité produite par la France est quatre fois plus décarbonée que celle qui est produite par l’Allemagne.

Des pistes européennes existent, avec notamment une refonte du marché de l’électricité. Elles devront s’accompagner d’une réflexion approfondie sur la place que doivent prendre les différentes énergies, notamment les renouvelables et le nucléaire.

Une révision complète des règles relatives au marché européen de l’électricité a été annoncée par la Commission européenne le 18 octobre 2022. C’est une annonce salvatrice, mais qui tarde à être concrétisée dans les faits.

Parmi les pistes évoquées ou actées lors des derniers conseils européens, on propose de découpler les prix du gaz et de l’électricité, afin de mettre fin au système du merit order, qui conduit à une hausse artificielle du prix de l’électricité. On propose également de plafonner le prix du gaz, et donc par extension de l’électricité, via la bourse TTF, le marché gazier de référence à l’échelle européenne, mais le contexte international ne nous y aide pas.

Au-delà, il y a également la piste pour la France de sortir temporairement du marché électrique européen. C’est une piste pertinente qu’il ne faut pas exclure.

La dérogation temporaire aux règles du marché de l’électricité accordée aux deux pays de la péninsule ibérique peut faire des émules. Il convient malgré tout de noter qu’il s’agit d’une dérogation, donc une mesure d’exception, qui a été accordée eu égard au faible nombre d’interconnexions électriques du Portugal et de l’Espagne.

La majorité du groupe Union Centriste estime qu’une sortie dérogatoire et temporaire du marché européen de l’électricité peut être opportune.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion