Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà plus de quinze mois que la folle envolée des prix de l’énergie déstabilise le pouvoir d’achat des Européens et des Français, asphyxie les budgets de nos communes et menace la vie économique de nos entreprises.
Et depuis quinze mois, économistes, experts et ministres – à commencer par Bruno Le Maire, ici même, à plusieurs reprises – s’accordent sur un point : il y a un problème avec l’organisation actuelle du marché européen et la fixation des prix de l’électricité.
Or, depuis quinze mois, rien ne se passe. Avec cette proposition de résolution, nous vous proposons d’envoyer un signal fort pour dire : « Ça suffit ! La France ne veut plus du système actuel de fixation des prix. »
En réalité, le problème est structurel. La hausse a été forte et continue bien avant la guerre en Ukraine. La déstabilisation récente n’a fait que révéler des failles profondes, liées aux mécanismes de libéralisation et de privatisation, qui ont enfermé les marchés gazier et électrique dans des logiques concurrentielles court-termistes. L’organisation du marché – market design – inventée par strates successives par les instances européennes a imposé une concurrence artificielle contraire à la rationalité économique du secteur de la production et de la distribution de l’énergie.
Le prétendu marché européen de l’électricité n’est en rien homogène, puisque les mix de production relèvent toujours de la compétence des États membres. Pour notre part, nous visons un mix nucléaire-EnR pour décarboner l’électricité. En conséquence, les coûts de productions et de transition diffèrent d’un État à l’autre.
De plus, faute d’un mécanisme unique de fixation des prix et des tarifs liés à ces coûts réels, le secteur européen de l’électricité est un florilège de réglementations, de contrats et d’échanges toujours plus complexes, le tout pour protéger le trading.
Enfin, s’il n’est évidemment pas question, comme l’a dit Fabien Gay, de mettre fin aux interconnexions, que nous pouvons gérer sur la base de règles définies aisément, nous constatons tous que seule une part mineure de l’énergie produite est échangée sur le marché de gros. Il est souhaitable que cette part demeure, pour favoriser la stabilisation de notre approvisionnement. Pourtant, c’est ce marché minoritaire qui est responsable de l’emballement spéculatif et inflationniste mettant aujourd’hui en danger les particuliers et les entreprises.
Ainsi, l’envolée récente des prix de gros de l’électricité en Europe reflète la réalité non pas de l’ensemble des échanges, mais seulement de ceux qui se réalisent sur les bourses. Seul le marché de court terme fixe le prix alors qu’en France, moins d’un tiers des échanges d’électricité s’y font. Les autres résultent de contrats de long terme avec l’État pour les énergies renouvelables, ou via l’Arenh pour le nucléaire historique…
Dans ces conditions, la règle de la dernière centrale appelée, loin d’optimiser le système électrique, est devenue la source de sa déstabilisation.
C’est pourquoi la sortie de ces mécanismes concurrentiels, sans rapport avec les réalités industrielles de la production, est urgente. Il est impératif non seulement de décorréler le prix de l’électricité de celui du gaz, mais aussi d’organiser la sortie de ces mécanismes pour revenir à une politique tarifaire basée sur les coûts de production, et non en fonction d’acteurs parasites ne cherchant qu’à tirer profit de ces mécanismes contraires à l’intérêt général.
Cette sortie est d’autant plus indispensable qu’une stabilité retrouvée des prix, plus conforme à nos coûts de production, est indispensable. Il s’agit tant de garantir la souveraineté industrielle nécessaire à la sécurité de notre approvisionnement, que de planifier les investissements massifs supposés par la décarbonation. Sans vision de long terme, nous allons dans le mur. Or ce marché est organisé sur le court terme spéculatif. Nous ne pouvons plus accepter que ce bien universel essentiel soit confisqué par des logiques de profit aveugle.
La volatilité des prix obère les investissements dans le système électrique, ainsi que ceux nécessaires à la transformation écologique. Elle dilapide les fonds publics dans des boucliers tarifaires, qui créent autant de trous qu’ils n’en bouchent, tout en continuant à financer des acteurs spéculatifs, alors que la garantie d’un prix stable réglementé offrirait à tous, particuliers, entreprises et collectivités locales, une meilleure sécurité.
Nous proposons, vous le savez, de revenir à un monopole public capable d’évaluer les coûts marginaux à long terme de ses différentes unités de production, ayant la maîtrise de son programme d’appel.
Une chose est sûre : l’expérience a démontré que le principe de concurrence entre fournisseurs d’électricité n’a rien apporté de bon aux usagers, quels qu’ils soient.
Si nous n’opérons pas ce changement, toutes vos inventions – entre autres : plafonnement du prix du gaz et des recettes des producteurs inframarginaux, accords d’achat d’énergie (power purchase agreements, PPA) – constitueront des rustines, mais ne régleront rien.
Vous allez sanctuariser le principe de la prétendue concurrence libre et non faussée tout en passant votre temps à inventer de perpétuelles distorsions à ce principe, financées soit sur fonds publics, soit par transferts artificiels entre acteurs du marché. C’est aberrant, coûteux et inefficace.
Chers collègues, le Parlement doit reprendre la main et taper du poing sur la table des négociations européennes, toujours aussi opaques, comme nous aurions dû le faire depuis longtemps sur le refus de la mise en concurrence des barrages hydroélectriques.
Notre proposition est là pour cela. Vous pouvez vous en saisir !