Intervention de Marine Jeantet

Commission des affaires sociales — Réunion du 11 janvier 2022 à 9h05
Audition de Mme Marine Jeantet candidate aux fonctions de directrice générale de l'agence de la biomédecine

Marine Jeantet, candidate aux fonctions de directrice générale de l'Agence de la biomédecine :

Je suis très honorée d'être entendue par le Sénat et j'espère que vous me donnerez votre confiance. Je vous adresse tous mes voeux pour cette nouvelle année.

L'Agence de la biomédecine est un établissement public administratif sous tutelle du ministère de la santé, créé par la loi du 6 août 2004, à la suite de l'Établissement français des greffes. Il concerne quatre grands domaines d'activité, qui ont en commun l'utilisation de produits du corps humain à des fins médicales et scientifiques : prélèvement de greffes d'organes et de tissus, prélèvement de cellules souches hématopoïétiques pour des greffes de moelle osseuse, assistance médicale à la procréation, diagnostic prénatal et embryologie, avec le travail sur les cellules souches embryonnaires... Ces domaines sont largement régis par les dispositions des lois de bioéthique, dont la dernière a été promulguée il y a 18 mois.

Compte tenu de ses missions extrêmement techniques et sensibles, l'agence bénéficie d'équipes avec une expertise multidisciplinaire de très haut niveau, que je salue : expertise médicale, scientifique, juridique, éthique, et en matière de systèmes d'information et de gestion des données. L'agence est reconnue nationalement et internationalement par les professionnels de santé, les chercheurs et les associations de patients et d'usagers.

Elle requiert des opérations vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Assurer la continuité de service pour la répartition des greffons nécessite une organisation logistique très pointue.

Sa gouvernance est originale et structurée : un conseil d'administration est présidé par le Pr Bay ; un conseil d'orientation, où siègent plusieurs parlementaires, est présidé par le Pr Guérin ; et le collège médical et scientifique comprend deux parties, une sur les greffes, l'autre sur l'embryologie et la procréation.

Nous débutons un nouveau cycle, avec la troisième révision de la loi de bioéthique votée en 2021. Ses dispositions sont claires, avec des avancées notamment sur la procréation médicalement assistée et de nombreuses clarifications. L'heure est à l'application concrète de cette loi.

Début 2022, le ministre de la santé a annoncé la révision des trois plans ministériels concernant l'agence. Il signera prochainement le nouveau contrat d'objectifs et de performance. Le cadre stratégique est très bien défini, reste à le mettre en oeuvre en fonction des moyens alloués.

Le quatrième plan greffe, que Mme Cortot-Boucher vous a présenté en juin, a pour objectif de relancer l'activité greffe, très impactée par le covid, avec une baisse de 25 % des transplantations en 2020. Il est nécessaire de relancer les prélèvements, alors que le taux de refus avait augmenté durant la pandémie. Nous devons sensibiliser davantage le public. Nous devons développer le don du vivant, méconnu, et sensibiliser notamment pour des dons de rein et de foie, à destination des enfants.

Cela passe par un meilleur déploiement territorial. Nous faisons le pari d'un changement de méthode, avec des objectifs nationaux qui seront adaptés aux spécificités locales, en lien avec les autorités régionales de santé (ARS). L'agence animera ce déploiement territorial avec ses correspondants régionaux.

Cela passera aussi par le recours à des infirmières en pratique avancée, une des réponses à la pénurie de personnel des hôpitaux, et qui améliorera la qualité du processus de greffe dans son ensemble - du recueil du consentement au suivi post-greffe - et redonnera du temps aux médecins.

Nous voulons promouvoir davantage le don, ce qui est une des missions que la loi confie à l'agence, afin d'agir sur les mentalités et augmenter le taux de prélèvement.

Le plan greffe bénéficie pour la première fois d'un financement dédié de 210 millions d'euros supplémentaires sur cinq ans, ce qui souligne l'implication du ministère de la santé.

Nous mettons en place le quatrième plan sur les greffes de moelle osseuse pour faciliter l'accès aux cellules souches hématopoïétiques, et pour sélectionner le meilleur greffon en fonction de la pathologie, de l'âge, du stade de la maladie et de l'urgence. Nous voulons augmenter le faible nombre de donneurs - 330 000 en France contre 9 millions en Allemagne. Alors que nous avions comme objectif 20 000 nouveaux donneurs par an, nous sommes sur la bonne pente avec déjà 24 000 donneurs en 2021. Nous voulons aussi diversifier les donneurs : il faut masculiniser le registre, car les dons faits par des femmes après une grossesse, qui immunise, sont de moins bonne qualité pour le receveur. Et il nous faut plus de dons de personnes issues de la diversité pour disposer de tous les phénotypes.

Pour réduire les délais de greffe, nous voulons optimiser les typages d'antigènes d'histocompatibilité (HLA) : on peut désormais s'inscrire en ligne, avant de recevoir un kit de prélèvement salivaire à faire à la maison. Cela évite la congestion du système de soins.

L'assistance médicale à la procréation avait fait l'objet de nombreux débats en 2021. Le secteur a été mis sous très forte tension, avec un afflux de demandes dépassant les anticipations. L'extension à de nouveaux publics, notamment des femmes seules, a rallongé les délais d'attente. Vous avez enclenché un véritable changement sociétal, mais nous ne savons pas encore s'il sera conjoncturel - une forme de rattrapage - ou structurel.

Notre objectif est de tendre vers l'autosuffisance nationale du don de gamètes. Nous avons augmenté le nombre de donneurs de gamètes mâles, mais devons améliorer l'objectif sur le don d'ovocytes. À cela s'ajoute la forte demande d'autoconservation de gamètes pour raisons non médicales, qui se confirme en 2022. L'agence a mis en place un comité national de suivi qui partage les informations, suit les évolutions et adapte le financement - le ministère a donné les moyens nécessaires.

Je suis aussi très attentive au dernier champ d'activité de l'agence, les consultations de génétique et les nouvelles techniques de diagnostic comme le séquençage génomique à très haut débit. Il faut aussi informer le public de manière neutre et rigoureuse sur les multiples tests en vente sur internet. Nous devons suivre attentivement les évolutions technologiques. Les activités de recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires mobiliseront également mon attention.

Je vais présenter mon parcours, que vous connaissez déjà. Je suis médecin de formation, spécialisée en santé publique, en raison de mon intérêt pour les politiques publiques et pour une approche pluridisciplinaire. J'ai réalisé une carrière variée, à la fois en administration centrale, territoriale, en cabinet, en établissement public et à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS). En plus de mes compétences médicales et techniques, j'ai ainsi pu développer des compétences stratégiques, administratives, gestionnaires et juridiques.

J'ai commencé ma carrière dans les produits de santé, d'abord à l'Agence française des produits de santé, désormais Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), puis à la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, et enfin au cabinet de Xavier Bertrand. Puis j'ai rejoint la direction de la sécurité sociale pour m'occuper du financement du système de soins, champ plus large qui comprenait la construction et le suivi de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (Ondam). Je me suis aussi occupé de l'expérimentation de nouveaux modes de rémunération des professionnels de santé, notamment les maisons de santé, que vous avez soutenue. J'ai ensuite intégré l'IGAS, où j'ai effectué de nombreuses missions dans le champ de la santé et de la protection sociale, avant de diriger la branche accidents du travail-maladies professionnelles - vous m'aviez entendue à ce moment-là. Depuis 2019, je m'occupe de la lutte contre la pauvreté et de la mise en place de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, dans une approche interministérielle et territorialisée.

La bioéthique m'a toujours passionnée : j'ai effectué mon premier stage d'externe en 1992 dans le service d'immunologie pédiatrique du Pr Fischer à l'hôpital Necker, où l'on procédait aux premières greffes de moelle osseuse, et réalisé deux maîtrises de génétique humaine et d'immunologie au moment où étaient votées les premières lois de bioéthique.

Désormais, le cadre stratégique et juridique de l'agence est bien posé. Il faut mettre en oeuvre ces orientations. Mon expérience hospitalière de praticienne et celle, plus administrative, acquise à la direction de la sécurité sociale et à l'IGAS, me permettront de comprendre les contraintes pesant sur les équipes et les établissements hospitaliers. La crise de l'hôpital m'obligera à être à l'écoute des professionnels de santé, coeur du réacteur de l'agence. Je souhaite aller très vite sur terrain pour les rencontrer et trouver des solutions dans ce contexte difficile, notamment pour réussir le déploiement territorial.

J'associerai aussi les associations de patients et d'usagers, les chercheurs et les médias. Le déploiement d'une démocratie sanitaire est l'une des priorités de l'agence, qui figure dans le contrat d'objectif et de performance proposé au ministre : c'est la condition sine qua non pour maintenir la confiance du public sur ces activités sensibles, dans une période où elles sont questionnées.

Je pense avoir déjà acquis cette expérience dans le cadre de mes activités actuelles, notamment en matière de lutte contre la pauvreté, où je travaille en lien étroit avec les associations. Cette coordination aurait été très utile dans la gestion de la crise covid, pour trouver des solutions concrètes permettant d'atténuer le choc sur les populations les plus vulnérables.

J'aurai à coeur de m'inscrire dans la continuité de l'action des directrices générales qui m'ont précédée et qui ont consolidé les valeurs de l'agence, celles d'équité, d'impartialité, de fiabilité, de transparence et de solidarité. Compte tenu de mon parcours, je crois pouvoir préserver cette expertise.

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