Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin trois de nos collègues membres de la délégation sénatoriale à la prospective afin qu'ils nous présentent les travaux qu'ils ont menés pendant plusieurs mois sur l'avenir de la gestion de l'eau. Je remercie Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman et Alain Richard d'avoir répondu favorablement à notre invitation et de se prêter au jeu de nos questions, afin de nourrir l'insatiable « curiosité aquatique » de notre commission et partager leurs pistes de réflexion.
Certains d'entre vous ont participé au débat sur la gestion de l'eau dans une perspective économique et écologique, qui s'est tenu en séance publique le 10 janvier dernier. L'objectif est non pas de répliquer le débat dans une autre enceinte, mais d'engager un échange constructif autour de la question centrale de l'eau, de sa gestion, de son partage et de son avenir dans un contexte de changement climatique qui bouleverse radicalement nos certitudes hydrologiques et nos habitudes en matière de consommation d'eau.
La situation ne fait désormais plus aucun doute pour personne : l'eau est un marqueur du changement climatique, un indicateur avancé des nouvelles conditions de vie qui nous attendent si nous ratons le virage de la transition écologique. Pour qui s'intéresse au devenir de nos sociétés, il n'est pas de sujet d'étude plus anticipateur que l'eau. Ainsi que l'a pointé Erik Orsenna dans son dernier ouvrage La Terre a soif, « une ère nouvelle a commencé, l'obsession de l'eau ne va plus nous quitter. » Le temps de l'insouciance hydrique est révolu. Nous savons désormais que l'eau est une ressource vitale qui peut venir à manquer, y compris dans notre pays au climat tempéré. L'été 2022 l'a rappelé avec une cruelle évidence dans la quasi-totalité de nos territoires : communes approvisionnées en eau potable par camions-citernes, nombreux fleuves et rivières à sec - dans mon département, cela devient presque une habitude ! -, champs aux récoltes brûlées sur pied faute d'eau. Les images sont terribles et ont frappé les esprits.
Il convient dès aujourd'hui de se préparer à cette nouvelle donne, afin de prévenir les conflits d'usage, assurer la souveraineté alimentaire et la sécurité hydrique de notre pays à l'échelle des bassins hydrographiques et de chaque territoire, tout en préservant les écosystèmes aquatiques. L'histoire nous enseigne que les conflits de l'eau peuvent dégénérer en violences majeures du fait de sa rareté autant que de sa répartition et que des civilisations ont disparu faute d'avoir pu sécuriser leur approvisionnement. L'eau est un bien atypique, qui présente un inconvénient majeur : on ne peut pas apprendre à s'en passer ! À la fois ressource, milieu et élément vital pour la régulation du climat, le fonctionnement des écosystèmes et le développement humain, l'eau est partout où est l'homme, souvent invisible, parfois trop visible, mais toujours là.
La délégation à la prospective, avec son savoir-faire reconnu en matière d'anticipation et ses techniques d'exploration des futurs probables, s'est penchée sur le sujet majeur de la ressource hydrique et de son évolution à moyen et long termes, qui préoccupe tous les membres de cette commission. Nous savons que la gestion de l'eau doit s'inscrire dans le temps long. Nous savons également que nous devons accentuer les efforts collectifs pour chacune des catégories d'usagers, afin de consommer moins et mieux, réutiliser plus et apprendre à partager. Les défis sont colossaux. Pour les relever, nous ne sommes cependant pas dénués d'atouts : une organisation efficace par bassin, des agences de l'eau impliquées et conscientes des difficultés et une prise de conscience citoyenne des difficultés à venir. Ne l'oublions pas.
Plus que pour aucune autre politique, les raisonnements à courte vue ne sauraient avoir cours en matière de gestion de l'eau. C'est la raison pour laquelle nous accueillons très favorablement nos collègues sénateurs qui ont pris le temps de lever la tête du guidon, en pensant à des solutions de long terme pour agir au plus vite. La sécurisation de la ressource en eau nous commande sans plus tarder de dégager les moyens financiers nécessaires aux collectivités et aux agences de l'eau pour préparer la nouvelle donne hydrique et de lutter contre les fuites des réseaux, qui deviennent inadmissibles. Le gaspillage de la ressource n'est tout simplement plus acceptable.
Après les Assises de l'eau, le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique et le chantier eau du Conseil national de la refondation, le temps de la concertation et de la vision partagée doit laisser place à celui de l'action. Ces séquences ont notamment mis en avant des enjeux de gouvernance, d'immenses besoins de financement et la nécessité d'outils de conciliation pour surmonter les conflits d'usage, qui risquent de se multiplier. Le Gouvernement et le législateur doivent répondre à ces urgences : la résilience hydrique de nos territoires nous oblige à être au rendez-vous, aux côtés des collectivités, des consommateurs, des agriculteurs et des industriels.
Je ne vais pas m'attarder plus longtemps sur ces enjeux - notre commission est familière des problématiques de l'eau. Je vais laisser la parole aux auteurs du rapport d'information Éviter la panne sèche - Huit questions sur l'avenir de l'eau, en les remerciant une nouvelle fois de bien vouloir partager le fruit de leurs travaux.