Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin trois de nos collègues membres de la délégation sénatoriale à la prospective afin qu'ils nous présentent les travaux qu'ils ont menés pendant plusieurs mois sur l'avenir de la gestion de l'eau. Je remercie Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman et Alain Richard d'avoir répondu favorablement à notre invitation et de se prêter au jeu de nos questions, afin de nourrir l'insatiable « curiosité aquatique » de notre commission et partager leurs pistes de réflexion.
Certains d'entre vous ont participé au débat sur la gestion de l'eau dans une perspective économique et écologique, qui s'est tenu en séance publique le 10 janvier dernier. L'objectif est non pas de répliquer le débat dans une autre enceinte, mais d'engager un échange constructif autour de la question centrale de l'eau, de sa gestion, de son partage et de son avenir dans un contexte de changement climatique qui bouleverse radicalement nos certitudes hydrologiques et nos habitudes en matière de consommation d'eau.
La situation ne fait désormais plus aucun doute pour personne : l'eau est un marqueur du changement climatique, un indicateur avancé des nouvelles conditions de vie qui nous attendent si nous ratons le virage de la transition écologique. Pour qui s'intéresse au devenir de nos sociétés, il n'est pas de sujet d'étude plus anticipateur que l'eau. Ainsi que l'a pointé Erik Orsenna dans son dernier ouvrage La Terre a soif, « une ère nouvelle a commencé, l'obsession de l'eau ne va plus nous quitter. » Le temps de l'insouciance hydrique est révolu. Nous savons désormais que l'eau est une ressource vitale qui peut venir à manquer, y compris dans notre pays au climat tempéré. L'été 2022 l'a rappelé avec une cruelle évidence dans la quasi-totalité de nos territoires : communes approvisionnées en eau potable par camions-citernes, nombreux fleuves et rivières à sec - dans mon département, cela devient presque une habitude ! -, champs aux récoltes brûlées sur pied faute d'eau. Les images sont terribles et ont frappé les esprits.
Il convient dès aujourd'hui de se préparer à cette nouvelle donne, afin de prévenir les conflits d'usage, assurer la souveraineté alimentaire et la sécurité hydrique de notre pays à l'échelle des bassins hydrographiques et de chaque territoire, tout en préservant les écosystèmes aquatiques. L'histoire nous enseigne que les conflits de l'eau peuvent dégénérer en violences majeures du fait de sa rareté autant que de sa répartition et que des civilisations ont disparu faute d'avoir pu sécuriser leur approvisionnement. L'eau est un bien atypique, qui présente un inconvénient majeur : on ne peut pas apprendre à s'en passer ! À la fois ressource, milieu et élément vital pour la régulation du climat, le fonctionnement des écosystèmes et le développement humain, l'eau est partout où est l'homme, souvent invisible, parfois trop visible, mais toujours là.
La délégation à la prospective, avec son savoir-faire reconnu en matière d'anticipation et ses techniques d'exploration des futurs probables, s'est penchée sur le sujet majeur de la ressource hydrique et de son évolution à moyen et long termes, qui préoccupe tous les membres de cette commission. Nous savons que la gestion de l'eau doit s'inscrire dans le temps long. Nous savons également que nous devons accentuer les efforts collectifs pour chacune des catégories d'usagers, afin de consommer moins et mieux, réutiliser plus et apprendre à partager. Les défis sont colossaux. Pour les relever, nous ne sommes cependant pas dénués d'atouts : une organisation efficace par bassin, des agences de l'eau impliquées et conscientes des difficultés et une prise de conscience citoyenne des difficultés à venir. Ne l'oublions pas.
Plus que pour aucune autre politique, les raisonnements à courte vue ne sauraient avoir cours en matière de gestion de l'eau. C'est la raison pour laquelle nous accueillons très favorablement nos collègues sénateurs qui ont pris le temps de lever la tête du guidon, en pensant à des solutions de long terme pour agir au plus vite. La sécurisation de la ressource en eau nous commande sans plus tarder de dégager les moyens financiers nécessaires aux collectivités et aux agences de l'eau pour préparer la nouvelle donne hydrique et de lutter contre les fuites des réseaux, qui deviennent inadmissibles. Le gaspillage de la ressource n'est tout simplement plus acceptable.
Après les Assises de l'eau, le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique et le chantier eau du Conseil national de la refondation, le temps de la concertation et de la vision partagée doit laisser place à celui de l'action. Ces séquences ont notamment mis en avant des enjeux de gouvernance, d'immenses besoins de financement et la nécessité d'outils de conciliation pour surmonter les conflits d'usage, qui risquent de se multiplier. Le Gouvernement et le législateur doivent répondre à ces urgences : la résilience hydrique de nos territoires nous oblige à être au rendez-vous, aux côtés des collectivités, des consommateurs, des agriculteurs et des industriels.
Je ne vais pas m'attarder plus longtemps sur ces enjeux - notre commission est familière des problématiques de l'eau. Je vais laisser la parole aux auteurs du rapport d'information Éviter la panne sèche - Huit questions sur l'avenir de l'eau, en les remerciant une nouvelle fois de bien vouloir partager le fruit de leurs travaux.
Tout d'abord, au nom de l'ensemble des rapporteurs de la délégation à la prospective, je tiens à remercier la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et son président Jean-François Longeot de nous avoir invités à présenter nos travaux devant vous ce matin.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je rappelle que la délégation à la prospective du Sénat, créée en 2009, qui compte 36 membres et qui est présidée par Mathieu Darnaud, est une instance originale. Elle n'a pas d'équivalent à l'Assemblée nationale, et en compte assez peu dans les autres parlements en Europe et même dans le monde.
Nous traitons d'enjeux économiques, sociaux, environnementaux ou encore sociétaux qui s'inscrivent dans le temps long, ce qui nous a amenés à nous intéresser à de multiples sujets : les dettes publiques, le télétravail, les outils numériques, les nouvelles mobilités, l'alimentation durable, les robots et l'intelligence artificielle, pour ne parler que des rapports les plus récents.
Sur toutes ces questions, il est utile de prendre du recul, d'identifier les tendances de fond, qu'elles soient économiques, technologiques ou sociétales, pour en tirer les conséquences en termes de conduite des politiques publiques.
La gestion de la ressource en eau est un sujet de prospective, avec une dimension technique, mais il est nécessaire de dépasser cette seule dimension pour en faire une véritable question politique.
Six ans après le rapport intitulé Eau, urgence déclarée de nos collègues Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet, la délégation à la prospective a souhaité se pencher de nouveau sur l'« or bleu », dans le contexte d'un changement climatique rapide et préoccupant.
Nous avons débuté nos travaux au mois de mars 2022, entendu plus d'une trentaine d'acteurs et de spécialistes et procédé à deux déplacements de terrain, avant de présenter notre rapport à la fin du mois de novembre dernier. L'actualité nous a d'ailleurs rattrapés, avec la sécheresse intense et généralisée que la France a connue durant l'été 2022.
Avant tout, nous avons voulu établir un état des lieux sur la disponibilité de la ressource et ses utilisations.
Rappelons, en premier lieu, que l'eau douce provient principalement des précipitations, qui sont abondantes en France, avec 900 millimètres de pluies par an, soit un volume estimé à 510 milliards de mètres cubes d'eau par an, dont 210 milliards de mètres cubes de pluies dites « utiles », qui s'infiltrent dans les nappes phréatiques ou ruissellent dans les cours d'eau.
Au passage, je signale que nous avons limité notre analyse à la France métropolitaine, puisqu'il existe une délégation aux outre-mer au Sénat et parce que la problématique de ces territoires est très différente de celle de l'Hexagone.
Nous n'utilisons qu'une petite partie du volume de pluies utiles que nous recevons : 32 à 35 milliards de mètres cubes par an.
La production d'énergie électrique est le plus gros préleveur d'eau : 17 milliards de mètres cubes par an, essentiellement pour le refroidissement des centrales nucléaires. Mais cette eau est restituée immédiatement et en quasi-totalité au milieu, légèrement plus chaude.
Notons aussi que 5 milliards de mètres cubes sont prélevés pour alimenter les canaux de navigation et les ouvrages hydrauliques : cette eau est déplacée, freinée dans sa route vers la mer, mais ne conduit pas à la diminution de la ressource.
L'industrie prélève 3 milliards de mètres cubes d'eau, là aussi rapidement restituée au milieu. L'enjeu pour l'industrie est plutôt celui de la qualité de l'eau et de la lutte contre les pollutions.
L'eau potable nécessite 5 milliards de mètres cubes de prélèvements, dont 1 milliard retourne à la nature du fait des fuites des réseaux. Sur les 120 à 150 mètres cubes facturés par an en moyenne à chaque ménage, l'essentiel repart dans les réseaux d'assainissement. Là aussi, l'enjeu est la lutte contre les pollutions.
L'utilisation de l'eau la plus sensible concerne le secteur agricole, qui ne prélève que 3 milliards à 3,5 milliards de mètres cubes d'eau, mais en consomme une bonne part pour la pousse des plantes et a des besoins concentrés au printemps et en été, lorsque, justement, on manque d'eau. Seulement 5 % de la surface agricole est irriguée, mais les besoins risquent d'être croissants du fait du changement climatique, alors que les tensions sur la ressource se multiplient.
Or l'eau doit aussi être préservée pour protéger les milieux, la faune et la flore. Trop prélever serait catastrophique.
Va-t-on manquer d'eau ? C'est la question à laquelle nous avons essayé de répondre avec l'aide des scientifiques. Le déplacement vers le Nord de la zone de convergence intertropicale devrait avoir des incidences fortes, avec moins de pluies en été, une baisse des débits des cours d'eau de 10 % à 40 %, comme le montre l'étude Explore 2070, une sécheresse agricole plus longue et une évapotranspiration accrue. L'eau tombera aussi de manière plus violente et plus concentrée dans le temps.
Il faut noter qu'aucune région n'échappera au phénomène, y compris le nord et l'est de la France, et que les effets accrus du changement climatique sur l'Europe, mis en évidence par des études récentes, laissent craindre une diminution rapide de la ressource disponible. Notable exception, le système Rhône bénéficiera jusqu'en 2100 de la fonte des glaciers, qui soutiendra les étiages avant un retournement de tendance à l'horizon du prochain siècle.
Dans ce contexte, nous redoutons la multiplication des conflits d'usage, la difficulté de plus en plus grande à trouver des équilibres entre acteurs lors de sécheresses plus longues et plus rudes. Face à la raréfaction attendue de la ressource en été, les Assises de l'eau ont fixé le cap. Nous partageons cette vision : l'effort de sobriété, fixé à 25 % à l'horizon 2035, constitue un objectif certes ambitieux, mais indispensable.
Classiquement, lorsque l'on parle de politique de l'eau, on distingue le grand cycle - l'eau « dans la nature » - du petit cycle - les opérations menées autour des usages domestiques et économiques. Dans notre rapport, nous appelons à ne pas oublier que le petit cycle reste un enjeu important. Ce n'est pas parce que nous avons su nous doter d'un réseau de distribution qui irrigue tout le territoire et de systèmes d'assainissement performants, largement grâce aux efforts des collectivités territoriales, qu'il faut désormais considérer le petit cycle comme secondaire.
Des investissements lourds continuent d'être nécessaires, d'abord pour la maintenance des réseaux, car il ne faut pas oublier que le taux de renouvellement des canalisations est de l'ordre de 0,6 % à 0,7 % par an, ce qui est nettement insuffisant. Des investissements nouveaux sont également nécessaires pour filtrer les nouveaux polluants dans les usines d'assainissement ou encore pour rendre plus robuste notre système de captage et de distribution d'eau, les petits réseaux devenant vulnérables lors des sécheresses. On l'a vu cet été, avec plus d'une centaine de communes qui se sont retrouvées avec des captages à sec et en rupture d'approvisionnement en eau potable.
Dans notre rapport, nous appelons aussi à ne pas négliger la question de la qualité de l'eau. Il s'agit là d'une préoccupation de santé publique et de santé environnementale, et la bataille de la qualité de l'eau n'est pas encore gagnée. Comme tous nos voisins européens, nous n'atteindrons pas les objectifs de bon état des masses d'eau en 2027, fixés par la directive-cadre sur l'eau (DCE) de 2000.
Certes, le traitement des eaux usées s'est bien amélioré, les pollutions industrielles sont mieux maîtrisées, mais des points négatifs restent à corriger : les effluents d'élevage continuent à générer des phénomènes d'algues vertes, les pollutions diffuses agricoles liées aux pesticides sont encore la cause d'une majorité des déclassements des masses d'eau au regard des exigences de la DCE, et nous devons nous attaquer aux micropolluants - microplastiques, résidus médicamenteux, etc.
Nous nous sommes intéressés aux instruments à mobiliser et à renforcer pour une politique de l'eau efficace. En effet, une politique publique performante doit reposer sur des outils adaptés de connaissance, de gouvernance ou encore de financement.
Sur l'appareil de surveillance de la quantité et de la qualité de l'eau, nous sommes relativement bien pourvus, et nous avons fait des efforts de transparence avec des données mises à disposition du public. Mais il convient de veiller à ne pas réduire la voilure, par exemple sur notre réseau de piézomètres ou encore sur la surveillance des débits d'étiage. Les difficultés tiennent au manque de données en temps réel ou encore à la nécessité de disposer d'analyses prospectives plus poussées. De ce point de vue, nous attendons pour 2024 les résultats de la version 2 de l'étude Explore 2070, qui permettra d'affiner les prévisions à long terme.
Sur la gouvernance, nous considérons que le système mis en place avec la loi sur l'eau de 1964 reste pertinent. Les agences de l'eau couvrent chacune un bassin hydrographique cohérent et sont responsables à la fois de la planification, à travers l'élaboration des schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (Sdage), et de la collecte des redevances, puis de leur redistribution pour soutenir des projets de gestion de l'eau, selon une programmation pluriannuelle sur six ans. Les agences ont acquis une technicité incontestable et nous appelons à préserver l'architecture générale de la gouvernance de l'eau.
Sur les aspects financiers, nous sommes plus critiques, estimant que, face à des besoins croissants de financement de la politique de l'eau, il faut trouver des ressources nouvelles, et pas seulement prélever toujours plus sur les usagers du petit cycle pour financer des actions qui relèvent du grand cycle de l'eau. Le Gouvernement a annoncé une hausse bienvenue de 100 millions d'euros du plafond de dépenses des agences de l'eau, mais il faut trouver des ressources pérennes, comme l'affectation aux agences d'une fraction de taxe d'aménagement.
Nous analysons, dans notre rapport, le rôle éminent des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre effective des actions en faveur de l'eau. Au-delà du petit cycle, qui constitue une responsabilité historique, les collectivités s'impliquent de plus en plus dans le grand cycle, en participant à des établissements publics territoriaux de bassin ou en mettant en oeuvre la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi), désormais confiée aux intercommunalités.
Nous appelons à davantage décentraliser la prise de décision en matière de gestion quantitative de l'eau, car les collectivités ont l'expertise de terrain et doivent pouvoir décider des priorités. Encore faut-il que les moyens techniques et financiers suivent ! Les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) en cours d'élaboration constituent une opportunité pour trouver les bons équilibres à l'échelle locale, en impliquant tous les acteurs - agriculteurs, citoyens, élus locaux.
Je vais vous présenter les propositions du rapport. La stratégie de sobriété devient indispensable face au changement climatique ; mais elle sera sans doute insuffisante. Mobiliser davantage la ressource en eau, tout en respectant les équilibres écologiques : voilà l'équation délicate à résoudre. Toutes les grandes civilisations ont fondé leur agriculture sur la gestion de l'eau. L'eau fait société ; elle est un objet politique.
Différentes techniques existent, comme le transfert d'eau. Le projet Aqua Domitia vise par exemple à alimenter l'est de l'Occitanie à partir du Rhône, mais ce projet est difficilement reproductible dans d'autres configurations hydrographiques. La recharge artificielle des nappes et la réutilisation des eaux usées doivent être encouragées. Dans les Pyrénées-Orientales, nous avons échangé avec le président de la communauté d'agglomération de Perpignan sur l'assainissement : plus de 60 % des eaux usées sont rejetées dans la mer. La désalinisation de l'eau de mer reste très coûteuse, notamment énergétiquement.
Les retenues d'eau existantes, notamment pour l'irrigation agricole, pourraient être modernisées. Pour les créations de nouvelles retenues, les débats sont parfois houleux. Retenir l'eau l'hiver quand elle est abondante, grâce à des réserves de substitution, est plus pertinent que de pomper l'eau l'été. La réglementation est très stricte et ne permet pas des stockages de confort. Les études d'impact sont très détaillées et les autorisations environnementales ne sont délivrées que s'il n'y a pas d'incidence sur l'environnement. Il faudra contrôler avec soin les conditions de fonctionnement de ces réserves et leur impact, mais disqualifier globalement le stockage de l'eau n'est pas fondé scientifiquement. Une analyse au cas par cas, territoire par territoire, est nécessaire pour s'assurer de la nécessité de créer de nouvelles retenues.
Les réserves multi-usages doivent être privilégiées, pour soutenir l'irrigation, tout en servant, par exemple, de base de loisirs, de réserve de pêche, voire de support à des installations de production d'énergie, à l'instar des panneaux photovoltaïques flottants de la Compagnie nationale du Rhône, au lac de la Madone.
Il va falloir faire preuve d'inventivité et faire fi de tout dogmatisme pour préserver l'environnement et ne pas cesser d'utiliser l'eau. Nous avons souhaité ne pas céder à l'écopessimisme, sans être naïfs face aux difficultés à venir.
Nous identifions deux scénarios : un scénario catastrophe, avec une baisse généralisée du niveau des nappes et une réduction des capacités d'irrigation, voire d'approvisionnement, impliquant des fermetures d'exploitations agricoles, des ruptures d'approvisionnement en eau potable et une dégradation des écosystèmes ; et un scénario plus vertueux, permettant une gestion de l'eau apaisée, grâce à une anticipation de la moindre disponibilité de la ressource estivale et des conflits d'usage, et un partage de la ressource. La réalité se situera probablement entre ces deux scénarios.
Les principales propositions du rapport sont les suivantes : permettre la construction de nouvelles retenues d'eau multi-usages, quand le service économique et environnemental rendu est positif ; prioriser les solutions fondées sur la nature pour le grand cycle de l'eau ; accélérer l'adaptation de l'agriculture aux tensions hydriques ; augmenter les moyens des agences de l'eau ; repolitiser les instances de gouvernance de l'eau ; encourager la recherche et développement (R&D) ; décentraliser davantage la décision publique en faisant confiance aux échelons locaux ; enfin, renforcer la pédagogie.
Ce rapport lance le débat. Erik Orsenna dit que l'eau est le miroir de nos sociétés. D'où cette exigence d'apaisement, pour éviter les conflits.
Ce travail permettra sans doute d'apaiser le débat.
Les retenues d'eau sont essentielles. En région Auvergne-Rhône-Alpes, une centaine de projets sont lancés, mais nombre d'entre eux sont suspendus par des recours, malgré l'obtention des autorisations. Comment sécuriser la réalisation de ces projets et favoriser leur acceptabilité ?
Les conflits s'accentuent d'année en année. Les centrales nucléaires demandent beaucoup d'eau, et je regrette que le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, que nous examinons actuellement, ne s'intéresse pas à la pérennité des centrales dans un contexte de changement climatique, alors qu'elles consomment beaucoup d'eau.
L'évolution des concessions des barrages hydroélectriques, essentiels pour soutenir l'étiage est une question majeure. L'Europe a mis en demeure la France de mettre en concurrence ces concessions. Il y va de la maîtrise de notre politique de l'eau, tout comme des solidarités interbassins. Quel est votre avis sur la question ?
Les réglementations d'intervention des agences de l'eau, en fonction des bassins, sont différenciées, notamment pour ce qui concerne les redevances. En Haute-Garonne, la redevance, qui soutient l'action du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage) Vallée de la Garonne, est assez exemplaire. Elle était financée à 50 % par l'agence de l'eau, mais cette dernière va supprimer sa participation ; la discussion à venir avec les usagers pour négocier la nouvelle redevance sera très délicate. Voilà qui implique de nombreuses questions, comme l'évolution des modalités d'intervention des agences et les modèles économiques à trouver pour la gestion de l'eau, notamment s'agissant du niveau de dépenses.
Cette question de l'eau est primordiale. L'eau, c'est la vie. Nos ancêtres ont toujours créé leurs habitations près de l'eau ; pour installer leurs monastères, les moines commençaient toujours par créer des retenues. J'apprécie donc votre volonté de créer des réserves.
Ma question porte sur les fuites du réseau d'eau potable, qui nous font perdre plus d'un milliard de mètres cubes d'eau par an : avec de tels volumes, nous pourrions créer 2 000 retenues et irriguer 500 000 hectares. Nous avons mis un terme à notre politique de grands barrages depuis l'arrêt du projet de Chambonchard ; je le déplore.
L'acceptabilité des projets est problématique, comme les événements récents en attestent. La question de la réutilisation des eaux usées doit aussi être abordée, notamment pour l'agriculture. Il faut également des moyens financiers plus importants pour les agences de l'eau : la rénovation des canalisations d'eau potable mobilisera des centaines de millions d'euros. Je regrette que nous ne sachions pas gérer l'eau correctement, souvent pour des raisons idéologiques.
Des pays investissent dans le traitement de l'eau salée. Qu'en est-il de la France ? C'est un enjeu d'avenir.
Autrefois, dans le Lot, les maisons individuelles avaient des citernes ; pourrait-on envisager la création de citernes individuelles ?
La qualité de l'eau est altérée par les résidus microplastiques et médicamenteux et autres molécules chimiques, qui progressent de manière exponentielle sans être détectés. Quel est votre avis sur les substances perfluoroalkylées (PFAS) ?
Les centrales nucléaires utilisent deux systèmes alternatifs pour refroidir les réacteurs : en circuit ouvert, le prélèvement est beaucoup plus important et l'eau rejetée est plus chaude, ce qui pose des problèmes pour les cours d'eau ; en circuit fermé, le prélèvement est trente fois moins important, raison pour laquelle j'ai défendu, hier soir en séance publique, un amendement pour privilégier ce mode. La ministre m'a dit que cela figurait déjà dans le texte, mais je n'en suis pas si sûre.
Monsieur Pellevat, chaque autorisation administrative est légalement soumise au contrôle du juge - vu d'où je viens, j'aurais du mal à le critiquer ! En tant qu'ancien membre du Conseil d'État, je rends hommage au travail des tribunaux administratifs, dont la tâche n'est pas facile et qui rendent globalement une justice de qualité.
Il est vrai, cependant, que beaucoup d'obstacles de procédure incitent les élus à prendre de grandes précautions. Une jurisprudence du Conseil d'État permet de régulariser a posteriori des décisions fautives du point de vue de la procédure, mais pas sur le fond. Je perçois néanmoins, en première instance, une certaine réceptivité des tribunaux administratifs aux recours que l'on pourrait qualifier de « protestataires ». Je n'ai pas suffisamment de recul pour savoir si les cours administratives d'appel rectifient le tir ou non.
Au Conseil national de la transition écologique, j'avais travaillé sur ces questions : il faudrait sans doute consolider juridiquement les dispositions du code de l'environnement, trop souvent imprécises et laissant donc place à l'interprétation du juge.
Les agences de l'eau ont des ressources insuffisantes - c'est-à-dire, pour parler clairement, que l'impôt qui leur revient est insuffisant. Or, comme vous le savez, le Gouvernement freine tout ce qui pourrait apparaître comme une augmentation d'impôt. C'est l'esprit qui a inspiré la solution du plafond mordant, responsable en partie du fait que notre pays, à la ressource en eau proverbiale, apparaît aujourd'hui comme un mauvais élève dans ce domaine.
En réalité, une bonne partie du financement des agences de l'eau provient non du contribuable, mais du redevable. Pour éviter une augmentation faciale de l'impôt, on procède à une augmentation de fait, via les redevances. J'ai déjà essayé de l'expliquer au Gouvernement, mais il faudra continuer à argumenter dans ce sens...
Construire des citernes individuelles est vertueux, mais faut-il tout réglementer ?
Au risque d'être trivial, je dirais que la meilleure incitation, c'est le prix. Cela s'appelle l'économie de marché. L'augmentation tendancielle du prix encouragera le recueil et l'utilisation des eaux naturelles.
N'oublions pas que nous présentons un rapport de la délégation à la prospective, qui ne donne pas lieu directement à une proposition de loi, mais a plutôt vocation à nourrir la réflexion dans les commissions permanentes.
La mobilisation de la ressource est une question fondamentale. Il faut toujours s'interroger sur l'équilibre, y compris financier. Le gaspillage n'est pas acceptable, que l'on soit dans une économie planifiée ou dans une économie de marché.
La désalinisation de l'eau de mer n'est pas rentable : notre pays ne manque pas d'eau en soi. Cette technologie devrait donc être réservée aux zones littorales, où les besoins augmentent fortement pendant la saison touristique, et à nos outre-mer. Considérons les réalités territoriales avant de décider ici de la construction d'une retenue ou là de la réutilisation des eaux usées... Aujourd'hui, les intercommunalités rendent les eaux usées au milieu après traitement ; ne pourrait-on pas imaginer de les réutiliser, sachant qu'elles y reviennent de toute façon in fine ? Dans nos zones de montagne, des retenues d'eau servent, en hiver, à l'enneigement artificiel et sont utiles, en été, pour abreuver les troupeaux. Doit-on rejeter en bloc l'enneigement artificiel ou considérer que le tapis neigeux est protecteur pour le milieu, qu'il permet de retarder et de rendre plus progressif le retour de la sécheresse ? Il faut examiner ces questions territoire par territoire.
Il faut effectivement conserver une logique de solidarité entre les bassins. À la fin des années 1940, dans la Loire, nous avons construit un système qui repose sur la conviction que le Massif central était le château d'eau de la France - ce qu'il est de moins en moins. Faut-il aujourd'hui continuer à transférer de l'eau du bassin de la Loire vers celui du Rhône, via l'Ardèche ? La question de l'avenir du complexe de Montpezat se pose. Il n'y a qu'à lire les titres de la presse chaque été pour s'en convaincre : la Haute-Loire n'a pas d'eau, mais les Ardéchois en ont...
Sans revenir aux moines, une partie du paysage français a, en effet, été construite par les interventions humaines dosées, de qualité, ayant parfois permis de lutter contre les maladies, grâce à l'assèchement.
Je partage les propos d'Alain Richard sur les citernes. Il y a beaucoup de pédagogie à faire. C'est aussi cela qui permettra d'éviter les recours intempestifs devant le juge administratif. Comment se fait-il que Didier Guillaume, alors ministre de l'agriculture, ait autorisé des retenues, mais qu'aucune n'ait finalement vu le jour ?
La citerne individuelle est une réponse, mais n'oublions pas que l'eau est aussi un défi collectif, un bien commun. Le grand cycle de l'eau se gérera collectivement.
En Europe du Nord, mais aussi en Italie et en Suisse, on voit apparaître des études très poussées sur le stockage de l'eau dans des vallées rendues disponibles par le retrait glaciaire. De même, des températures basses permettent de faire remonter de l'eau au pied des sommets, pour la congeler et la restituer plus tard. Avez-vous pris en compte ces innovations ?
Nous avons tenté de mettre en avant toutes les technologies. Notre constat, c'est que la France prend du retard dans ce domaine. Si nous ne le rattrapons pas, nous nous retrouverons dans des situations de crise répétées.
Nous nous sommes rendus en Israël, où la moindre goutte d'eau est réutilisée, et la désalinisation est une réponse à la rareté de la ressource. C'est très coûteux, mais les régions du sud de la France pourraient l'envisager.
Il faut rechercher un ensemble de solutions, et non une solution unique. Il faut aussi prendre en compte les enjeux énergétiques. Le rapport entre les coûts et les bénéfices du point de vue financier autant qu'environnemental doit être évalué pour chaque territoire. Une réponse peut être pertinente à tel endroit et ne pas l'être ailleurs.
En acceptant un décalage dans le temps, on peut retrouver des systèmes vertueux capables de réapprovisionner tout un versant régulièrement. Le jour où il n'y aura plus d'eau, il n'y aura plus de milieu. Pour préserver la biodiversité, il faut de l'eau.
Les canalisations, qui sont entretenues par les collectivités, présentent des fuites : la perte s'élève à 1 milliard de mètres cubes d'eau. Il faut donc aider les collectivités en donnant des moyens aux agences de l'eau, qui financent de plus en plus d'actions. La rénovation des canalisations est un énorme chantier, auquel il convient de s'atteler.
Nos grands barrages ont deux fonctions principales : d'une part, produire de l'électricité, et, d'autre part, réguler la rivière, en constituant des réserves d'eau pour la consommation humaine. Ne pourrait-on coupler ces ouvrages avec des parcs photovoltaïques, et utiliser l'électricité produite pour remonter de l'eau dans les barrages au moyen de turbines ? On relâcherait cette eau lors des pics de consommation.
De tels projets doivent être encouragés et développés, mais il faudra les financer. Aujourd'hui, sachons innover, expérimenter et adapter et donnons les moyens aux territoires de le faire. Dans dix ans, ce sera trop tard !
La problématique de l'eau ne concerne pas seulement les départements situés au sud de notre pays : l'été dernier, et dans les mois suivants, l'ensemble du territoire a cruellement manqué d'eau, alors même que les précipitations ont été importantes en 2022.
Ce sujet n'a pas d'incidence directe sur la maîtrise de la ressource et ses retombées.
L'eau est un enjeu de société : sa gestion, sa maîtrise et le type d'économies à réaliser à cet égard font l'objet d'un débat démocratique, qui doit se poursuivre.
Je remercie les rapporteurs pour leurs réponses. L'eau est un enjeu fort, un enjeu de vie. Il est nécessaire de clarifier les compétences des agences de l'eau et de donner à celles-ci les moyens d'agir. Il est également indispensable de remettre les élus locaux au coeur du dispositif : outre les outils de traitement et d'assainissement, il convient de prévoir des moyens humains - en l'occurrence, un accompagnement par des techniciens et des ingénieurs - pour les accompagner, notamment lors du renouvellement des stations d'épuration.
Il faut effectivement un accompagnement par des techniciens, des ingénieurs, mais également des chercheurs.
Après une première séquence consacrée à l'avenir de l'eau, je vous propose désormais de nous tourner vers l'avenir de nos sols. Nous avons le plaisir d'accueillir Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc, respectivement présidente et rapporteur de la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Qu'ils soient remerciés pour leur disponibilité et leur implication constante. Je sais les trésors de pédagogie qu'ils déploient depuis plusieurs mois afin que la stratégie de lutte contre l'artificialisation des sols soit mise en oeuvre avec les élus locaux, sans raviver des clivages délétères entre les territoires urbains et ruraux ni opposer les espaces en fonction de leur dynamisme démographique.
Vous le savez, la loi « Climat et résilience », adoptée en août 2021, a défini un objectif, pour le moins ambitieux, de réduction de moitié du rythme d'artificialisation des sols d'ici à 2031 par rapport à la décennie précédente, et une cible d'absence de toute artificialisation nette en 2050. Le milieu de siècle sera un millésime écologique de première importance, les objectifs de neutralité carbone, de restauration de la biodiversité et de transition énergétique devant tous être atteints d'ici là. Il fera bon vivre en 2050 !
Rappelons quelques éléments clefs : aujourd'hui, entre 20 000 et 30 000 hectares sont artificialisés chaque année, à un rythme presque quatre fois plus rapide que l'augmentation de la population. La démarche tendant à instaurer le ZAN est le signe d'une convergence renforcée entre le droit de l'urbanisme et le droit de l'environnement ; la sobriété foncière est essentielle pour préserver à la fois notre souveraineté alimentaire, les fonctions écosystémiques des sols et la capacité d'absorption carbone des espaces forestiers.
Nous devons construire mieux, maîtriser l'étalement urbain quand il résulte d'une absence de vision, et inciter à la reconquête des friches. Le ZAN n'est pas une fin en soi : sinon, cette démarche serait « rigidifiante » et finirait par devenir un dogme. C'est au contraire une voie permettant de garantir à chacun un cadre de vie résilient et compatible avec la transition écologique. La stratégie de lutte contre l'artificialisation des sols s'inscrit, par ailleurs, dans le cadre de l'objectif de développement durable n° 15 des Nations unies : « préserver et restaurer les écosystèmes terrestres ».
Voilà pour le bien-fondé de la démarche, que personne ne conteste d'ailleurs. Là où la critique peut, à bon droit, trouver à s'exprimer, c'est au sujet de la méthode. Le Gouvernement n'a pas pris la mesure des difficultés d'application territoriale de la stratégie ZAN : pour favoriser les démarches de concertation territoriale et aboutir à une vision partagée des trajectoires de consommation foncière, les préfets ont été aux abonnés absents. Certains ont anticipé l'application de la loi avec un zèle qui a agacé les élus locaux. Le ZAN, je l'affirme avec force, ne doit pas constituer un prétexte à l'arrêt de tout projet d'aménagement ou de construction. Le Sénat a voté une démarche ascendante qui part des territoires, animé par la conviction que les élus locaux sont les mieux à même de savoir comment répartir les efforts dans le cadre d'instances dédiées, avec responsabilité, souplesse et pragmatisme. L'intention du législateur a été dévoyée par la voie décrétale. C'est tout bonnement inadmissible.
Fort de ce constat, le Sénat a décidé la création d'une mission conjointe de contrôle, composée de sénateurs appartenant à quatre commissions et à tous les groupes politiques. Au terme d'un cycle d'auditions qui a permis d'entendre l'ensemble des parties prenantes, la mission est parvenue à établir une cartographie claire des points de blocage et des irritants relatifs au ZAN. Le Gouvernement, dont les annonces successives sur le sujet démontrent qu'il est parfaitement au courant des obstacles et des difficultés, ne s'est pas mobilisé alors que le ZAN s'invite depuis plus d'un an à l'ordre du jour de toutes les réunions des associations représentatives des élus locaux.
Dans ce contexte, le Sénat, chambre des territoires, a décidé de faire usage de son droit constitutionnel d'initiative législative, par l'intermédiaire d'une proposition de loi déposée le 14 décembre dernier, visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs du ZAN au coeur des territoires. C'est ce texte que Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc vont nous présenter. Je les remercie vivement de partager avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable les convictions qu'ils se sont forgées tout au long de leurs travaux, auxquels j'ai moi-même participé, à l'instar de quelques membres de la commission - Jean-Claude Anglars, Bruno Belin, Ronan Dantec, Joël Bigot -, et la voie équitable, territorialisée et opérationnelle qu'ils souhaitent tracer pour que le ZAN devienne une politique publique ambitieuse dont la France pourra s'enorgueillir, une fois que les difficultés et « retards à l'allumage » seront derrière nous.
Une demande de commission spéciale sur la présente proposition de loi sera examinée ce soir par la conférence des présidents. Les membres de cette commission pourraient être désignés le 1er février prochain.
Lors de la vingtaine d'auditions que nous avons menées, de nombreuses inquiétudes se sont fait jour. Notre objectif était de déposer, avant la suspension des travaux parlementaires de fin d'année, une proposition de loi sénatoriale relative au ZAN, afin que nous soyons force de proposition et puissions apporter les ajustements nécessaires pour rendre opérante la loi « Climat et résilience ». L'examen de cette initiative sénatoriale doit avoir lieu au cours du premier trimestre 2023, sans quoi nous serons en retard sur l'application du ZAN.
Nous avons voulu apporter des réponses aux régions, aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), et souhaitons que s'engage un dialogue entre les deux chambres du Parlement et le Gouvernement.
Nous avons préféré nous inscrire dans un objectif d'adaptation du cadre existant plutôt que de remettre en cause l'esprit de la loi « Climat et résilience » que nous avons votée, mais qui doit être améliorée. Nous partageons tous l'objectif de protection des sols, notamment agricoles, poursuivi par ce texte ; nous ne sommes donc pas revenus sur les échéances de 2030 et 2050. Nous avons cherché à rendre plus équitable l'application du ZAN à chaque fois que cela était possible, en répondant point par point aux inquiétudes exprimées : manque de temps pour travailler ; absence de garanties pour les communes rurales ; insuffisances de la gouvernance, etc. Avec les garde-fous et les souplesses que nous avons prévus, nous pourrons rassurer les collectivités sur les objectifs de réduction de l'artificialisation.
Nous proposons donc vingt mesures, portant sur dix thématiques.
Nous vous remercions, monsieur le président, pour votre implication personnelle dans cette mission, ainsi que les collègues pour leur participation.
Ce sujet touche tous les territoires. Nos travaux s'inscrivent dans le cadre de la loi « Climat et résilience » et du ZAN, sauf pour ce qui concerne les projets d'intérêt national.
Le Sénat, en votant la territorialisation, s'est opposé à la méthode descendante présentée par le Gouvernement et a obtenu une méthode ascendante : la prise en compte de chaque territoire, dans une logique de différenciation. Nous avons également voté le droit de proposition au bénéfice des élus, qu'ils doivent exercer au sein des instances d'élaboration du schéma de cohérence territoriale (Scot).
Pour résumer, les surfaces mobilisées pour les projets d'intérêt national doivent être comptées à part. Les élus locaux ont pu faire usage, jusqu'au 22 octobre 2022, d'un droit de proposition de territorialisation des trajectoires de consommation foncière, via leur Scot, aux exécutifs régionaux. En l'état actuel du droit, les régions sont chargées, d'ici février 2024, de réviser leur schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).
Notre mission conjointe s'est constituée parce que des problèmes se sont posés.
Tout d'abord, nous avons noté que les décrets d'avril 2022 revenaient sur ce que nous avions voté, à savoir : les critères de pondération ; les projets d'intérêt national ; la prise en compte des efforts déjà réalisés par les élus locaux lors de la dernière décennie ; une nomenclature de l'artificialisation différente de celle que proposait le Parlement. Dans la mesure où l'« intérêt pour agir » des parlementaires n'est pas reconnu - des efforts sont encore à faire au sein de notre État de droit... -, c'est l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) qui a porté les recours contre ces décrets.
Le nouveau ministre, Christophe Béchu, a sifflé la fin de la récréation lors de sa prise de fonction en saisissant la Fédération nationale des agences d'urbanisme (Fnau) afin qu'elle fasse des propositions pour la réécriture du décret sur la nomenclature. Il n'y a toutefois pas d'urgence à définir la typologie des sols que recouvre la notion d'artificialisation, car nous allons nous appuyer, jusqu'en 2031, sur les espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF).
En outre, le droit de proposition que nous avons obtenu, et qui devait être exercé par les Scot avant le 22 octobre dernier, n'a pas vraiment fonctionné, faute d'un accompagnement suffisant de la part des services de l'État. Certains élus n'ont ainsi pas pu déposer de propositions, faute d'ingénierie adéquate.
Par ailleurs, les propositions faites aux régions ne sont pas vraiment discutées, d'une part à cause du délai contraint - entre le 22 octobre 2022 et le 22 mars 2023 - et, d'autre part, par manque de volonté ou de moyens de la part de certaines régions.
Notre mission s'est donné pour objectif de trouver des solutions pour nos élus les plus ruraux, dont certains ne parviennent à se faire entendre ni de leur EPCI, ni de leur Scot, ni de leur région, et ont l'impression d'être « victimes du ZAN ». Nous répondons à une urgence rurale, mais aussi à une urgence à laquelle font face de petites villes, du littoral et de montagne.
Nous avons donc conçu deux outils qui constituent un filet de sécurité pour ces territoires. Le premier est emblématique et parle à tous les élus ruraux : le « droit à l'hectare », qui permettra à de petites communes de réaliser des projets de logement, de développement économique ou d'équipement bien pensés. Nous proposons ainsi une garantie minimale aux élus. Le second est une « part réservée » aux projets d'intérêt territorial au sein du Scot.
En ce qui concerne le droit à l'hectare, les communes auront également la possibilité, pour ne pas mobiliser une surface si elles n'ont pas de projet de consommation foncière, de la remettre au « pot commun » du territoire afin d'assouplir le dispositif et de garantir la solidarité territoriale.
Le Scot répartit les enveloppes au sein des EPCI. La commune qui n'utilisera pas son droit à l'hectare pourra le reverser au sein de son EPCI. L'idée est de mutualiser afin de ne pas geler le droit à construire. Par ailleurs, chaque commune bénéficiera d'une garantie minimale afin de pouvoir se doter, au besoin, d'un équipement public indispensable.
Nous souhaitons également mutualiser les projets supracommunaux : lorsqu'une commune accueille un projet qui profite à d'autres communes alentour, celle-ci ne doit pas être sanctionnée par l'imputation sur son compte foncier local de l'entièreté du projet.
Notre deuxième grande proposition est une meilleure régulation du ZAN : nous proposons, à cet effet, la création d'une conférence régionale du ZAN. Les régions étant chefs de file pour porter la transition écologique, cette échelle nous a semblé pertinente.
Cette conférence se verrait confier au moins trois missions. La première est d'émettre un avis sur les projets d'intérêt national - si un projet tel que le canal Seine-Nord Europe n'était pas sorti du dispositif, les Scot des Haut-de-France ne disposeraient plus du moindre hectare.
Il y a un léger progrès sur le sujet : alors que le Gouvernement ne voulait initialement pas en entendre parler, il a désormais évolué. Là où le bât blesse, c'est que le Gouvernement définit de manière unilatérale ce qu'est un projet d'intérêt national. De plus, il accepte, à ce stade, des échanges informels, les demandes de sortie de l'enveloppe uniquement pour les très grands projets. Prenons l'exemple de mon département : si une commune de 5000 habitants accueille une prison de 50 hectares, son emprise foncière serait intégrée dans l'enveloppe régionale, le Gouvernement considérant que cela ne répond pas à une logique d'intérêt national. Nous considérons que l'avis des élus sur ce que recouvre un projet d'intérêt national doit être pris en compte. Le programme Gendarmerie du ministère de l'intérieur, par exemple, n'est ainsi pas considéré pour le moment comme un projet d'intérêt national.
La LGV, comme les grands ports, appellent une discussion, qui pourra avoir lieu au sein de cette conférence régionale.
La deuxième mission concernera les projets d'intérêt régional, pour lesquels nous demandons plus d'équité dans le calcul du ZAN et réfléchissons à une mutualisation. Si une commune accueille un lycée, nous pouvons envisager de répartir les droits avec les communes voisines, sur l'initiative de la conférence régionale.
La troisième mission consistera à apporter davantage de souplesse aux communes : celles qui n'utilisent pas leurs droits pourront les transférer à d'autres qui en auraient besoin.
Par ailleurs, nous proposons des outils très attendus par les élus : le droit de préemption ZAN et le sursis à statuer ZAN. Pour le moment, le Gouvernement abonde de manière substantielle le fonds Friches, devenu fonds vert. Or nous constatons des signaux faibles de stratégies opportunistes sur la captation des aides dédiées aux friches, ce qui n'est pas acceptable. Dans l'attente du deuxième volet de la mission conjointe, qui traitera du financement et de la fiscalité, ces deux outils permettront de préempter une friche ou de surseoir à statuer, afin de suspendre la délivrance de permis pour des projets directement contraires aux objectifs ZAN d'une commune ou d'un EPCI.
Je rappelle que le compte à rebours est déjà déclenché pour la prise en compte des projets et des réalisations dans le calcul de la consommation foncière. Une course aux certificats d'urbanisme est en cours, mais les maires doivent avoir conscience que des projets autorisés pourront être retirés. Le droit de préemption et le sursis à statuer ZAN sont des instruments qui permettront aux maires de garder la maîtrise et de s'opposer à un projet qui consommerait complètement l'enveloppe foncière de leur commune.
En ce qui concerne le littoral, nous proposons la prise en compte du recul du trait de côte. Par ailleurs, nous demandons à l'État qu'il mette à disposition des élus des moyens en ingénierie ou, à défaut, d'associer les élus et leurs services municipaux. De même, nous appelons à une meilleure prise en compte des efforts de renaturation, car la rédaction de la loi ne permettait pas la prise en compte des efforts réalisés par certains.
Cela est d'ailleurs contre-productif, car les élus auront tendance à mettre sous le boisseau des projets de renaturation qui pourraient être réalisés dès à présent, dans l'attente de cette prise en compte. Les efforts doivent être récompensés dès aujourd'hui.
Nous proposons ensuite de favoriser la densification et de protéger les espaces verts. Une discussion technique a déjà commencé concernant la nomenclature, qui fait débat : les plus environnementalistes considèrent que, dès lors que l'on porte atteinte à la fonction du sol, il s'agit d'artificialisation, tandis que les plus pragmatiques plaident pour une simplification, estimant que le jardin d'un pavillon n'est pas artificialisé. Deux écoles s'affrontent au sujet de ce qu'il convient d'entendre par artificialisation. Il est certain que des seuils et des critères devront être définis et précisés. Pour notre part, nous souhaitons laisser l'appréciation de la nomenclature aux élus locaux. Dans le cas d'un jardin urbain, nous considérons qu'il faut laisser le maire libre de densifier ou de préserver l'espace vert. Nous aurions pu aller plus loin en nous appuyant sur la notion d'enveloppe urbaine pour déroger au ZAN. Par ailleurs, au sein de la ruralité, le sujet agricole fait débat, notamment la prise en compte ou non des bâtiments agricoles.
Pour résumer, nous voulons plus de temps - un an supplémentaire -, plus de souplesse, plus de gouvernance et des filets de sécurité. Le ZAN ne sera une réussite que si des mesures financières et fiscales sont adoptées : les outils publics de maîtrise du foncier doivent être renforcés. Nous avons, à cet égard, demandé à la commission des finances de saisir le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) pour répondre à la question suivante : notre fiscalité locale et nos dotations ne favorisent-elles pas l'artificialisation ? Plus un commune a d'habitants, plus elle perçoit de taxe foncière et de dotation globale de fonctionnement (DGF). Sans ajouter un impôt ZAN aux nombreuses taxes existantes, la question de la fiscalité locale mérite d'être posée. Le CPO vient de publier un rapport proposant des pistes en la matière, notamment sur la question des logements vacants. Nos élus doivent bénéficier d'un intérêt fiscal à se montrer vertueux, qui pourrait se traduire par une évolution de la fiscalité leur apportant des recettes propres.
Nous n'avons pas abordé la vaste question de la fiscalité, car nous avons hiérarchisé les priorités. Nous ne pouvions pas tout aborder de front dans les délais impartis à la mission de contrôle. Nous nous sommes concentrés sur l'architecture du ZAN. Nous avons souhaité revenir à l'esprit du texte issu de l'accord de la commission mixte paritaire (CMP) entre le Sénat et l'Assemblée nationale autour de la loi « Climat et résilience », en appelant de nos voeux l'abrogation de l'opposabilité des Sraddet, introduite par le décret d'application pris par le Gouvernement. Nous revenons également sur les délais, insuffisants pour réaliser la consultation, obligatoire, des personnes publiques associées. Comment nouer un vrai dialogue avec les collectivités sur l'organisation du Sraddet d'ici à mars 2023, en élaborant des critères spécifiques pour aboutir à une territorialisation adaptée ? C'est infaisable. La conférence régionale du ZAN doit permettre ce dialogue, grâce au délai allongé d'un an.
Nous avons évoqué notre refus de la démarche descendante du Gouvernement, qui se traduisait par un Sraddet contraignant, avec un fascicule réglementaire opposable. Cette logique faisait en quelque sorte du Sraddet un « super-Scot », ce qui conduirait à dévitaliser tous les documents d'urbanisme inférieurs dans la hiérarchie des normes et changerait la nature des relations entre les Scot, les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) et les plans locaux d'urbanisme (PLU) à leur Sraddet. Une prise en compte n'est pas une mise en compatibilité ; elle permet plus de liberté.
Lorsque les décrets d'application sont parus, nous avons tous pu constater dans nos territoires leur potentiel révolutionnaire. Plutôt que de ZAN, nous aurions dû parler de « sobriété foncière » pour que le message soit mieux compris. Le 14 décembre 2021, j'ai déposé une proposition de loi visant à introduire un dispositif de différenciation pour prendre en compte la situation des communes peu ou très peu denses - il s'agissait d'un appel. Je me réjouis donc du travail de Jean-Baptiste Blanc qui est parti, tel un missi dominici, recueillir le ressenti des élus dans les départements et expliquer les textes. Cette mission d'information répond à la vocation du Sénat de prendre en compte la réalité des territoires. La sobriété foncière est un objectif commun, mais un effort de pédagogie est nécessaire sur les moyens d'y parvenir, en particulier dans les territoires qui la pratiquaient déjà sous la contrainte de la loi, notamment les zones de montagne.
Je soulignerai les éléments forts qui, sur le ZAN, sont de nature à rassurer les élus : la gouvernance, avec la conférence régionale du ZAN, qui inclut les conseils départementaux ; le droit à construire, avec une surface minimum de 1 hectare par décennie pour toutes les communes ; la part réservée au développement rural, qui offre un droit de tirage aux communes ayant des projets ; la prise en compte des spécificités des zones de montagne et de littoral ; un calendrier de travail plus cohérent. Nous devrons rester attentifs aux préoccupations du monde agricole, notamment autour de l'activité pastorale et des bâtiments agricoles.
Cette mission d'information a abouti à une bonne synthèse et à un projet cohérent, dont nous espérons qu'il ira au bout. Nous pouvons remercier Christophe Béchu d'avoir accepté de suspendre l'application des décrets. La reconquête de nos bourgs et villages par le fonds vert est une bonne chose. Reste à revoir la fiscalité locale, mais ce sera le sujet des prochains travaux de la mission !
Sur le fond, il s'agit d'un exercice compliqué par nature, car il vise un objectif universel, mais qui repose sur la différenciation. Plus il y a de dispositifs de concertation, moins les élus se sentent entendus. Le ZAN est vécu comme une superposition de contraintes préexistantes. La question qui revient le plus dans les campagnes est celle des fermes abandonnées ou des terres agricoles non exploitées. Le secteur primaire agricole représente 65000 emplois dans ma région. Le ZAN doit préserver le potentiel de développement de nos activités nourricières.
La question de la fiscalité est un sacré morceau. Du fait des conséquences des évolutions du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) sur la capacité d'initiative de nos collectivités, le défi collectif auquel nous sommes confrontés sera difficile à relever si nous restons adossés à ce qui structure la fiscalité actuelle.
Dire que l'artificialisation des terres inquiète le monde rural est un doux euphémisme ! Je reviendrai sur la question des grands projets, qui sont censés être retirés des enveloppes régionales. Le canal Seine-Nord est emblématique de ce problème de calcul. J'ai cru comprendre des déclarations du ministre Béchu qu'il ne serait pas pris en considération, mais qu'en est-il des plateformes portuaires ?
Par ailleurs, la politique ZAN a des incidences insoupçonnées sur l'évolution des effectifs scolaires dans les communes rurales. Chez moi, il y a une vraie sédentarisation, si bien que la seule façon d'augmenter la population est de construire de nouveaux pavillons pour accueillir de nouvelles familles. Avez-vous réfléchi à cette question au cours de l'élaboration du rapport ?
Ma question porte sur l'examen en cours de deux textes législatifs : celui sur les nouvelles installations nucléaires et celui sur l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Dans la loi « Climat et résilience », il était bien précisé à l'article 194 que les installations de production d'énergie photovoltaïque étaient exclues des calculs de consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers, avec une garantie jusqu'en 2031. Dans le cadre de la CMP sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, la question du maintien de la dérogation pour les installations photovoltaïques au sol qui sont fortement consommatrices d'espace, n'est pas tranchée, et le ministre Christophe Béchu, qui n'est pas tout à fait en phase avec sa collègue Agnès Pannier-Runacher, a suggéré d'attendre le texte préparé par le Sénat pour traiter ces questions. Est-il opportun de conserver la dérogation à l'application du ZAN en faveur du photovoltaïque au sol ?
Je remercie les rapporteurs car la situation devenait ingérable, les communes étant très inquiètes. Les propositions comportent beaucoup d'éléments positifs, notamment le principe que ceux qui ont fourni un effort doivent être récompensés. La loi promulguée tendait au contraire à donner une prime à ceux qui avaient beaucoup consommé.
Certains points restent en débat. Une réflexion plus large s'ouvre sur ce qu'est un ensemble cohérent Sraddet-Scot-PLUi. Je suis assez réservé sur la conférence régionale du ZAN, car je souhaite que nous maintenions une conférence des inter-Scot et d'autres instances de dialogue. Nous sommes tous d'accord sur la volonté d'adopter une démarche ascendante, en faisant d'abord confiance aux territoires. La synthèse qui s'opère ensuite à l'échelle du Sraddet est-elle une prise en compte ou une mise en compatibilité ? Un débat stratégique doit répondre à cette question méthodologique une fois pour toute, de manière à ce que les élus locaux puissent disposer d'une visibilité sur le calendrier et le fonctionnement. Nous ne devons pas faire du ZAN le match retour de décisions déjà actées.
La question des jardins me semble également importante. L'intitulé des ENAF est clair : ce sont des espaces naturels agricoles et forestiers. Planter du gazon dans un lotissement, c'est de l'artificialisation. Sans clarté sur ce que sont les ENAF, il n'y a pas de prime à la densification, car on ne comptabilise pas les jardins. En ce qui concerne les espaces verts, les communes ont déjà beaucoup d'outils qui ne sont pas liés à l'artificialisation pour maîtriser leur densification et n'ont pas besoin du ZAN pour cela. En revanche, on pourrait sortir du ZAN, dans le cadre des mutations urbaines, les grands jardins ou parcs, qui relèvent de la renaturation, au contraire du gazon.
Le 2 février prochain, nous examinerons une proposition de loi, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST), visant à augmenter les moyens des régions et des établissements publics fonciers locaux (EPFL). Celle-ci, consensuelle, répond à une vraie demande des EPFL, auxquels nous redonnons l'autonomie fiscale.
J'ai rencontré en décembre M. Mangin, qui est chargé du suivi de la stratégie ZAN auprès de Christophe Béchu. Dans son esprit, un texte de loi était nécessaire pour définir ce que sont les grands projets d'intérêt national et les lister pour les mutualiser entre les régions. Je ne sais pas si la réflexion a pu se poursuivre, d'autant que nous savons qu'il n'y a pas de volonté de compenser la LGV en Occitanie ou l'extension du port de Calais.
Je reviens sur la question des dents creuses, dont la ministre Barbara Pompili souhaitait qu'elles soient reverdies en ville. C'est selon moi impossible, notamment dans les communes minières, du fait du statut social du logement minier. En effet, la veuve d'un mineur pouvant vivre dans un logement jusqu'à son dernier souffle, nous ne pouvons pas intégrer des populations neuves dans ces logements. De plus, si la population passe en dessous de la barre des 10000 habitants, c'est une catastrophe en matière de dotation globale de fonctionnement (DGF). Nous n'avons d'autre choix que d'utiliser les dents creuses pour rebâtir dans les centres-villes et de laisser aux élus locaux le choix des méthodes de compensation.
J'ai souvent entendu que les élus étaient les mieux placés pour le pilotage de la compétence urbanisme. Or ils ont fait beaucoup de bêtises : la France est devenu moche, les entrées de villes ont été dénaturées, les coeurs de ville désertifiés à cause des lotissements construits en dehors des bourgs... Un sénateur ne devrait pas dire cela, mais certains élus n'ont pas toujours de compétence en urbanisme. Une préfète a récemment été limogée en Indre-et-Loire pour avoir simplement voulu faire respecter le droit de l'urbanisme en empêchant la construction d'un bâtiment dans la cour d'un château.
Le ZAN est indispensable, et n'est pas une punition : nous devons penser le développement autrement et construire de manière plus dense. Pour cela, une série d'aides doivent être mises en place pour la gestion des dents creuses et la rénovation de l'ancien. De même, des aides en matière d'ingénierie sont nécessaires pour aménager sans s'étaler. Je pense à cet égard aux conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), auxquels la taxe d'aménagement n'est pas toujours allouée correctement par les départements. Le rôle des préfets doit également être renforcé pour que l'État soit fort et garant d'un urbanisme de qualité, afin que nous arrêtions de construire une France moche.
Dans mon département, très rural, beaucoup de communes sont très en dessous de mille habitants, et tout ce qui était à vendre a été vendu à la suite du covid. Nous avons beaucoup de personnes retraitées et des postes à pourvoir, mais pas la possibilité de loger la population pour les occuper. Pour une commune de 225 habitants, le PLUi donne un droit à construire, pour les dix ans à venir, de 5 logements sur 0,5 hectare... Cela ne permet pas le renouvellement de population. Comme le privé ne propose pas de locatif, pourquoi ne pas permettre aux communes de réhabiliter des maisons pour le faire ?
Par ailleurs, sur les causses du Lot, des terrains sont inscrits comme agricoles alors qu'ils ne servent pas à des activités agricoles. Nous comptons moins d'agriculteurs que par le passé, donc des bâtiments vides, notamment des granges en pierre - parfois 20 à 30 par commune - , dont les PLUi n'autorisent pas le changement de destination.
S'agissant des ENAF, pourquoi ne pas inscrire des critères pour les jardins, tels que l'absence de pesticides ou le fait d'avoir une haie naturelle à la place d'une clôture, pour qu'ils soient considérés comme non artificialisés ?
Pour appuyer le propos d'Angèle Préville, peut-être y a-t-il dans le PLU un zonage particulier à créer sur les parcs et jardins à aménager, à la manière des zones urbaines vertes (ZUV). Je suis tout à fait favorable aux conclusions du rapport, notamment au filet de sécurité, mais j'attire votre attention sur un effet de bord dû au succès de la loi Pélissard de mars 2015 relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle. En effet, de 36 500 communes en 2015, nous sommes passés à un peu moins de 35 000. La Hague, dans la Manche, a regroupé 19 communes déléguées, et aurait donc droit à 1 hectare. Or, à côté, 9 communes ont refusé de jouer collectif en se constituant commune nouvelle et sont ainsi favorisées, alors que leur surface est deux fois moindre et leur population beaucoup moins importante.
Je félicite les rapporteurs d'avoir mené à bien cette mission impossible, dont je souhaite qu'elle se traduise par de vraies évolutions législatives et réglementaires. Hier, j'ai fait un rêve : j'entendais parler de libre administration des collectivités territoriales, de libertés communales à même de libérer les énergies, de simplification normative... Cela sortait de la bouche du président Larcher ; aussi y ai-je cru un instant ! Nous sommes, ce matin, de retour à la dure réalité française.
Je ne partage pas tout ce qui a été dit : la densification à outrance n'a pas que des vertus - l'histoire récente nous l'a montré. Les décideurs se mettent d'accord avec les géographes, mais n'oublions pas les aspirations de la population, qui rêvent de vivre dans une maison à la campagne plutôt que dans une tour. Sur la question des jardins, l'enjeu de l'artificialisation est réel, mais il y en a un autre : l'imperméabilisation. Garder des espaces naturels dans des enveloppes urbaines ou des lotissements, même de taille réduite, n'est pas sans intérêt au regard du réchauffement climatique.
En ce qui concerne les Sraddet, les frontières administratives ne correspondant pas toujours aux bassins de vie, une attention particulière sera-t-elle portée aux zones frontalières ? Par exemple, en Charolais-Brionnais ou dans le sud de la Saône-et-Loire, le dynamisme de la métropole lyonnaise se fait sentir, alors même que notre Sraddet est décidé à Dijon ou à Besançon.
En réponse à Gérard Lahellec et Jean-Claude Anglars, la mission s'est intéressée aux terres agricoles non exploitées. Le débat pourrait reprendre à cet endroit.
Nous avons été diversement surpris, au cours des auditions, de constater que le monde agricole - y compris les syndicats productivistes - était favorable aux ZAN. Nous devons collectivement déterminer si les filets que nous proposons sont suffisants pour la ruralité. Les bâtiments agricoles appellent-ils davantage de souplesse ou une dérogation ? Le député André Chassaigne avait, par exemple, fait voter un amendement pour exclure les zones de revitalisation rurales (ZRR) du ZAN. C'est un sujet énorme, qui pose la question de la définition et des seuils. De même, les lois sur le bien-être animal qui exigent plus de surface pour les bêtes doivent être prises en compte.
Monsieur Demilly, nous avons interrogé un maximum de représentants des grands projets, dont les ports. Un port en mutation entre-t-il dans le cadre d'un grand projet ? Cela reste encore à définir.
Le canal Seine-Nord Europe a vocation à relier le bassin économique parisien à tous les grands ports d'Europe du Nord, mais aussi à créer des plateformes multimodales complémentaires les unes des autres tout au long de son trajet dans la région. Le canal n'a de sens que s'il opère un report modal de la route vers la voie fluviale. Ces plateformes sont-elles intégrées à l'emprise foncière du projet ? Nous n'avons pas de réponse à cette question.
Faut-il de nouveaux pavillons pour éviter de fermer des classes dans les écoles ? Les deux filets ruraux doivent permettre de continuer à loger la population, mais dans des conditions plus satisfaisantes, en favorisant le maintien des effectifs scolaires.
Monsieur Mandelli, effectivement, les projets de loi sur le nucléaire et les énergies renouvelables sont censés être en cohérence, et les nouveaux équipements sont supposés être d'intérêt national. Si, dans l'intention première du législateur, la loi « Climat et résilience » intégrait bien le photovoltaïque, dans la discussion avec l'État sur l'exonération de ZAN du photovoltaïque, tout est encore à construire.
Ronan Dantec résume plusieurs de nos conversations : sur le rôle de la région et du Sraddet, il va bien falloir trancher. Nous sommes tous d'accord pour dire à la fois qu'il s'agit d'un chef de file pertinent, et qu'il ne doit pas y avoir de perdant du ZAN au jeu de la régionalisation et de son pendant, la métropolisation. Il faut concilier le régionalisme, utile pour répondre aux enjeux climatiques, et l'écoute de l'ensemble des territoires.
En ce qui concerne la gouvernance du ZAN, nous avons proposé cette conférence régionale, car toutes les collectivités nous ont fait savoir qu'elles n'étaient pas suffisamment écoutées dans les échanges inter-Scot. L'idée est d'émettre un avis consultatif issu d'une concertation entre les Scot, les EPCI et les départements. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus d'inter-Scot - ces derniers seront représentés par plusieurs membres. Les priorités stratégiques des différents échelons doivent être entendues. La question est de savoir comment construire une gouvernance partagée sans nier l'importance de l'inter-Scot.
Est-ce à la loi ou aux maires de définir la nomenclature de ce que sont un parc et un jardin artificialisé ? Le débat est ouvert.
Je suis d'accord avec Nicole Bonnefoy sur le fait que nous avons enlaidi beaucoup de territoires. Si nous en sommes là, c'est que le littoral a été sururbanisé, avec trop de résidences secondaires. L'État impose des objectifs de manière forte et rapide pour corriger des excès commis pendant des années. Beaucoup d'élus ont compris la nécessité de la sobriété foncière. Ceux qui seront encore dans l'excès seront sanctionnés. Par ailleurs, nous proposons, dans le texte, de donner de l'ingénierie aux élus.
Madame Préville, l'inscription des haies naturelles comme critères de non-artificialisation pourrait faire l'objet de beaux amendements.
Monsieur Houllegatte, nous n'avons pas perçu, à ce stade, les conséquences des villes nouvelles. Il s'agit d'un gros sujet, qui appellera peut-être des corrections.
Monsieur Genet, la proposition de loi n'est pas le grand soir de la simplification. Toutefois, le moment nous impose de faire preuve d'imagination : la transition écologique, dont le ZAN est un volet, sera portée par les collectivités. Beaucoup de choses doivent être repensées, dont la fiscalité. Peut-on repenser en simplifiant ? Il faudrait un colloque pour le déterminer. En tout état de cause, il faudra permettre aux collectivités de répondre facilement aux instructions, car des Scot sont déjà attaqués au titre des ZAN.
L'imperméabilisation est un beau sujet ; dans la gouvernance du ZAN, nous disons qu'il faut prendre en compte les efforts réalisés en matière de renaturation et de désimperméabilisation. Nous invitons les maires à le faire.
Enfin, l'interrégional est un grand sujet, qui touche de nombreux territoires. Par exemple, l'aéroport de Roissy dessert plusieurs régions. La conférence régionale du ZAN a vocation à mener un dialogue interrégional chaque fois que cela sera nécessaire - peut-être faudra-t-il mieux l'écrire.
Je milite pour que les Scot soient les plus intégrateurs possible, car je pense que cela va dans le bon sens. De fait, vous avez mis en perspective des propositions montrant l'intérêt d'une agilité territoriale en fonction des projets de territoires, ce qui permet d'améliorer l'approche collective, tout en portant des projets qui peuvent être individualisés sur des communes. Mais je milite également pour que les Scot soient vraiment reconnus, quitte à ce que la conférence ZAN soit inscrite dans le processus délibératif du Scot.
J'ai été alertée sur la non-prise en compte des liaisons cyclables dans le calcul de l'artificialisation des sols. Les collectivités locales ont beaucoup de projets en la matière. Le ZAN ne devrait pas empêcher le développement vertueux du vélo en faisant obstacle à la continuité du maillage cyclable. Les aménagements cyclables représentent actuellement 0,2 % des espaces artificialisés de France. Or, là aussi, les territoires - notamment sous-denses - qui ont été vertueux, en demandant de nouvelles emprises pour construire des sections linéaires, sont pénalisés. Nous attendons donc des réponses sur la politique vélo.
Nous devons parvenir à concilier la question de l'articulation de l'actuelle conférence des Scot et de nos propositions pour permettre une meilleure remontée de tous les territoires.
Madame Muller-Bronn, nous avons entendu des fédérations qui nous ont alertés sur la question des voies cyclables. Il est vrai que les emprises ont fortement affecté les collectivités, à raison de plusieurs milliers d'hectares.
En ce qui concerne les grands projets d'intérêt national évoqués par Jean-Pierre Corbisez, nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il faut les sortir du ZAN. Mais faut-il les mutualiser et les faire redescendre à la région, ou simplement les exclure ? La question n'est pas tranchée. La position du Sénat est de dire qu'en les faisant redescendre, le compte n'y est pas. Comment l'État, de son côté, prendra-t-il en compte les efforts des territoires ? S'appliquera-t-il à lui-même les exigences du ZAN ? La clef de voûte de la réussite du ZAN se trouve peut-être là : si, en plus des exigences de diviser par deux l'artificialisation à l'horizon 2030, puis de zéro artificialisation nette en 2050, nous laissons les projets d'intérêt national dans le décompte foncier, ce qui n'était pas le cas dans les anciens Sraddet, c'est la triple peine ! Nous devons trouver une voie de passage.
Le problème, c'est que tout a été pensé dans une logique qui ne prenait pas en compte toutes les transformations auxquelles nous devons faire face pour mener à bien la transition écologique et économique. Nous sommes allés très vite en besogne dans la loi « Climat et résilience » et sur le ZAN, en oubliant tout ce qui allait les accompagner en matière d'aménagement du territoire.
La réunion est close à 12 h 05.
La commission soumet au Sénat la nomination de M. Didier Mandelli, Mmes Sophie Primas, Laurence Garnier, MM. Patrick Chauvet, Franck Montaugé, Hervé Gillé et Mme Nadège Havet comme membres titulaires, et de MM. Guillaume Chevrollier, Philippe Tabarot, Daniel Gremillet, Jean-François Longeot, Mme Martine Filleul, M. Jean-Pierre Corbisez et Mme Marie-Claude Varaillas comme membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.
La réunion est close à 12 h 05.