Tout d'abord, au nom de l'ensemble des rapporteurs de la délégation à la prospective, je tiens à remercier la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et son président Jean-François Longeot de nous avoir invités à présenter nos travaux devant vous ce matin.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je rappelle que la délégation à la prospective du Sénat, créée en 2009, qui compte 36 membres et qui est présidée par Mathieu Darnaud, est une instance originale. Elle n'a pas d'équivalent à l'Assemblée nationale, et en compte assez peu dans les autres parlements en Europe et même dans le monde.
Nous traitons d'enjeux économiques, sociaux, environnementaux ou encore sociétaux qui s'inscrivent dans le temps long, ce qui nous a amenés à nous intéresser à de multiples sujets : les dettes publiques, le télétravail, les outils numériques, les nouvelles mobilités, l'alimentation durable, les robots et l'intelligence artificielle, pour ne parler que des rapports les plus récents.
Sur toutes ces questions, il est utile de prendre du recul, d'identifier les tendances de fond, qu'elles soient économiques, technologiques ou sociétales, pour en tirer les conséquences en termes de conduite des politiques publiques.
La gestion de la ressource en eau est un sujet de prospective, avec une dimension technique, mais il est nécessaire de dépasser cette seule dimension pour en faire une véritable question politique.
Six ans après le rapport intitulé Eau, urgence déclarée de nos collègues Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet, la délégation à la prospective a souhaité se pencher de nouveau sur l'« or bleu », dans le contexte d'un changement climatique rapide et préoccupant.
Nous avons débuté nos travaux au mois de mars 2022, entendu plus d'une trentaine d'acteurs et de spécialistes et procédé à deux déplacements de terrain, avant de présenter notre rapport à la fin du mois de novembre dernier. L'actualité nous a d'ailleurs rattrapés, avec la sécheresse intense et généralisée que la France a connue durant l'été 2022.
Avant tout, nous avons voulu établir un état des lieux sur la disponibilité de la ressource et ses utilisations.
Rappelons, en premier lieu, que l'eau douce provient principalement des précipitations, qui sont abondantes en France, avec 900 millimètres de pluies par an, soit un volume estimé à 510 milliards de mètres cubes d'eau par an, dont 210 milliards de mètres cubes de pluies dites « utiles », qui s'infiltrent dans les nappes phréatiques ou ruissellent dans les cours d'eau.
Au passage, je signale que nous avons limité notre analyse à la France métropolitaine, puisqu'il existe une délégation aux outre-mer au Sénat et parce que la problématique de ces territoires est très différente de celle de l'Hexagone.
Nous n'utilisons qu'une petite partie du volume de pluies utiles que nous recevons : 32 à 35 milliards de mètres cubes par an.
La production d'énergie électrique est le plus gros préleveur d'eau : 17 milliards de mètres cubes par an, essentiellement pour le refroidissement des centrales nucléaires. Mais cette eau est restituée immédiatement et en quasi-totalité au milieu, légèrement plus chaude.
Notons aussi que 5 milliards de mètres cubes sont prélevés pour alimenter les canaux de navigation et les ouvrages hydrauliques : cette eau est déplacée, freinée dans sa route vers la mer, mais ne conduit pas à la diminution de la ressource.
L'industrie prélève 3 milliards de mètres cubes d'eau, là aussi rapidement restituée au milieu. L'enjeu pour l'industrie est plutôt celui de la qualité de l'eau et de la lutte contre les pollutions.
L'eau potable nécessite 5 milliards de mètres cubes de prélèvements, dont 1 milliard retourne à la nature du fait des fuites des réseaux. Sur les 120 à 150 mètres cubes facturés par an en moyenne à chaque ménage, l'essentiel repart dans les réseaux d'assainissement. Là aussi, l'enjeu est la lutte contre les pollutions.
L'utilisation de l'eau la plus sensible concerne le secteur agricole, qui ne prélève que 3 milliards à 3,5 milliards de mètres cubes d'eau, mais en consomme une bonne part pour la pousse des plantes et a des besoins concentrés au printemps et en été, lorsque, justement, on manque d'eau. Seulement 5 % de la surface agricole est irriguée, mais les besoins risquent d'être croissants du fait du changement climatique, alors que les tensions sur la ressource se multiplient.
Or l'eau doit aussi être préservée pour protéger les milieux, la faune et la flore. Trop prélever serait catastrophique.
Va-t-on manquer d'eau ? C'est la question à laquelle nous avons essayé de répondre avec l'aide des scientifiques. Le déplacement vers le Nord de la zone de convergence intertropicale devrait avoir des incidences fortes, avec moins de pluies en été, une baisse des débits des cours d'eau de 10 % à 40 %, comme le montre l'étude Explore 2070, une sécheresse agricole plus longue et une évapotranspiration accrue. L'eau tombera aussi de manière plus violente et plus concentrée dans le temps.
Il faut noter qu'aucune région n'échappera au phénomène, y compris le nord et l'est de la France, et que les effets accrus du changement climatique sur l'Europe, mis en évidence par des études récentes, laissent craindre une diminution rapide de la ressource disponible. Notable exception, le système Rhône bénéficiera jusqu'en 2100 de la fonte des glaciers, qui soutiendra les étiages avant un retournement de tendance à l'horizon du prochain siècle.
Dans ce contexte, nous redoutons la multiplication des conflits d'usage, la difficulté de plus en plus grande à trouver des équilibres entre acteurs lors de sécheresses plus longues et plus rudes. Face à la raréfaction attendue de la ressource en été, les Assises de l'eau ont fixé le cap. Nous partageons cette vision : l'effort de sobriété, fixé à 25 % à l'horizon 2035, constitue un objectif certes ambitieux, mais indispensable.