Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 24 janvier 2023 à 9h35
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale visant à protéger les logements contre l'occupation illicite — Examen du rapport pour avis

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis :

Notre commission s'est saisie pour avis de l'intégralité du texte de cette proposition de loi, qui a été déposée par le député Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Se saisir pour avis de l'intégralité d'un texte - sans qu'aucune disposition soit déléguée au fond à notre commission - est une situation assez inhabituelle. Cela s'explique par l'enchevêtrement des dispositifs concernant le logement avec les questions de droit pénal et de procédure civile d'exécution, qui toutefois prédominent, d'où le renvoi au fond à la commission des lois.

Je remercie chaleureusement André Reichardt, rapporteur au fond pour la commission des lois : nous avons pu croiser nos regards et nos expériences, tout en menant la quasi-totalité des auditions en commun, et, in fine, être d'accord sur tout. Certains de nos amendements sont identiques ; d'autres, différents, relèvent de nos compétences respectives, mais tous ont été déposés dans une entente parfaite.

Dans un souci de rééquilibrage face à des procédures inextricables et afin de garantir que « force reste à la loi » devant la violence des squatteurs et des occupations illicites, la proposition de loi opère parfois un rapprochement trop rapide entre les squatteurs et les locataires en difficulté qui ont besoin d'un accompagnement précoce et adapté.

Nous avons accompli un travail de démêlage avec André Reichardt. Pour résumer les choses avec une formule à succès : nous avons voulu être gentils avec les gentils et méchants avec les méchants. Nous souhaitons ainsi être plus stricts contre les squatteurs et les locataires de mauvaise foi abusant des procédures, mais aussi préserver les droits des locataires victimes d'accidents de la vie et leur assurer un meilleur accompagnement social sans en faire porter le poids aux propriétaires.

Il convient d'établir une distinction claire entre squatteurs et locataires en difficulté. Le squat de domicile est un véritable viol de l'intimité. Il doit être réprimé sans faiblesse, mais sans adopter une vision étriquée : un accédant à la propriété ou un attributaire de logement social peut se voir priver de la jouissance de son futur logement, alors qu'il doit en supporter la charge. Ces personnes méritent elles aussi d'être protégées, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Aujourd'hui, le phénomène de squat est rare. Depuis l'adoption de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap), il est prévu une procédure accélérée permettant le recours à la force publique sous quarante-huit heures en vue d'exécuter une décision d'expulsion. Selon les chiffres qui nous ont été communiqués, il y aurait eu, en 2021, environ 160 saisines des préfets. Pas moins de 70 % des demandes sont acceptées. Pour les autres, le refus s'explique ainsi : soit il ne s'agit pas d'un domicile, soit il est impossible de reloger aussi rapidement des publics fragiles comme des familles avec enfants. Dans la très grande majorité des cas, l'évacuation est acceptée, une fois que le préfet a pris la décision d'expulsion. Il n'y aurait eu qu'environ quarante cas d'intervention effective de la force publique.

Il arrive que les squatteurs soient victimes de réseaux, mais certains activistes, qui proposent de véritables modes d'emploi et encouragent ces pratiques illégales, restent impunis.

Si, heureusement, les squats sont rares, les impayés de loyer représentent un phénomène de masse. Le récent rapport de la Cour des comptes, qui se fonde sur les chiffres des années 2018 et 2019 - avant la crise sanitaire -, constate environ 500 000 impayés par commandements de payer chaque année, dont environ 140 000 dans le parc social, soit 3,1 % des locataires, et 350 000 dans le parc privé, soit 4,9 % des locataires. Plus d'un tiers de ces impayés débouchent sur 130 000 assignations devant le juge et 120 000 décisions, ce qui signifie que la dette a été acquittée ou qu'une solution amiable a été trouvée dans les autres cas. Sur les 120 000 décisions, on recense 70 000 expulsions fermes et 50 000 expulsions conditionnelles, lorsqu'elles sont assorties d'un échéancier strict de paiement.

Ces décisions d'expulsion se traduisent par 66 000 commandements de quitter les lieux et 33 000 demandes de concours de la force publique, dont seulement 15 000 sont effectivement appliquées.

Cette simple énumération montre, heureusement, que beaucoup de situations se résolvent sans finalement recourir à la force publique. En outre, la procédure est complexe : elle nécessite de nombreux actes, tant du propriétaire que des juges. Enfin, elle est susceptible d'être particulièrement longue : on évoque souvent une durée de vingt-quatre à trente-six mois, mais ce n'est pas toujours le cas.

Il convient de bien distinguer les deux parties de la procédure. Le premier volet, d'une durée maximale de trois ans, offre au locataire un délai suspensif, qui s'arrête au premier incident de paiement, afin que celui-ci puisse apurer sa dette. Il y va de l'intérêt réciproque des parties : le locataire se met en règle et garde son logement tandis que le propriétaire recouvre l'intégralité des sommes qui lui sont dues. Le second volet intervient après la décision d'expulsion : le juge peut de nouveau accorder des délais jusqu'à trois ans. Quant à lui, le préfet peut atermoyer ou refuser le concours de la force publique. La situation est alors bloquée : le locataire n'a plus vraiment intérêt à payer et c'est le propriétaire qui supporte indûment l'incapacité de l'État à reloger le ménage en difficulté ou à faire respecter la loi.

Le squat et les impayés de loyer sont des situations très différentes. Ce texte vise à définir des sanctions pénales lorsqu'un logement est occupé de manière illicite ou lorsque l'occupation illicite d'un logement ou lorsqu'une décision de justice définitive et exécutoire a été rendue. Il tend à sanctionner plus fortement le squat, la propagande en faveur du squat et le fait de se dire faussement propriétaire d'un bien pour le louer à des personnes qui se retrouvent involontairement en situation de squat. Il étend la procédure d'expulsion administrative sous quarante-huit heures à tous les logements, que ceux-ci soient meublés ou non : sont ainsi concernés les futurs domiciles, afin de prendre en compte les cas de squat d'un bien dans lequel le locataire ou le propriétaire n'a pas encore emménagé. À Paris, environ un quart des demandes d'expulsion émanent de locataires.

En outre, la proposition de loi précise et étend la notion de domicile, qui, pour l'essentiel, sert de base à cette procédure.

Elle instaure une exonération de la responsabilité civile du propriétaire et de son obligation d'entretien du bien en cas d'occupation illicite.

En dehors du squat, le texte tend à pérenniser le dispositif expérimental d'occupation temporaire des logements créé par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, dite loi Molle. Celui-ci a été prolongé par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan). C'est un dispositif gagnant-gagnant : celui-ci protège du squat des locaux professionnels ou d'habitation grâce à l'occupation temporaire accordée à des personnes en mobilité professionnelle, géographique ou familiale et à des personnes en difficulté. La durée de l'hébergement s'élève à dix-huit mois au maximum. Cette activité est soit assurée par des entreprises privées - deux d'entre elles sont agréées actuellement - soit par des associations d'insertion, comme Emmaüs.

Enfin, la proposition de loi vise à réduire les délais des procédures en cas d'impayé en généralisant la clause résolutoire dans les baux, en supprimant certains pouvoirs d'intervention d'office des juges et en diminuant certains délais minimaux dans la première phase visant à la résorption de la dette locative. Elle tend également à réduire les délais pouvant être accordés après la décision d'expulsion, en les faisant passer de trois ans à un an au maximum, voire de les supprimer lorsque le locataire est jugé de mauvaise foi.

Avec André Reichardt, nous estimons que la proposition de loi comporte des dispositions utiles. D'autres méritent toutefois d'être corrigées ou complétées.

Nous approuvons sans réserve les mesures contre le squat. Celles-ci sont d'ailleurs partiellement issues de la proposition de loi que j'avais déposée et qui a été votée par le Sénat le 19 janvier 2021. Mais que de temps perdu ! Si le Gouvernement avait inscrit mon texte à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale, la loi serait déjà appliquée.

Nous approuvons également l'objectif général d'accélération des procédures du contentieux de l'impayé et de l'expulsion. Ce contentieux décourage les propriétaires d'investir et de proposer des logements à la location de longue durée pour lui préférer des meublés de tourisme par exemple. Or les locations de longue durée sont nécessaires pour répondre à la crise du logement. Cette protection exagérée se retourne donc contre les locataires et se traduit par une pénurie de logements à louer.

J'en viens aux modifications importantes que nous proposons pour ce texte.

Comme je l'avais fait dans le cadre de ma proposition de loi, nous opérons une distinction stricte entre les squatteurs et les locataires en difficulté, alors que les formulations retenues par l'Assemblée nationale pouvaient faire craindre un amalgame.

Outre les précisions juridiques qu'il convient d'apporter à l'article 2, ce dernier devrait inclure les apports du texte voté par le Sénat, notamment les possibilités d'action des ayants droit et l'aide de l'État à la victime du squat pour prouver qu'il s'agit de son domicile. Très souvent, le propriétaire n'est pas en capacité de le prouver : cette tâche devrait incomber à l'État.

À l'article 2 bis, nous approuvons le principe de l'exonération de responsabilité du propriétaire en cas d'occupation illicite, mais nous voulons la réserver aux propriétaires de bonne foi et éviter absolument que des marchands de sommeil ne cherchent à utiliser ce dispositif.

À l'article 2 ter, nous approuvons le principe de la pérennisation du dispositif de logement intérimaire, mais nous voulons protéger son développement en empêchant toute requalification en bail classique, ce qui retirerait alors tout intérêt à cette solution bénéfique pour tous.

En matière de procédure d'impayé et d'expulsion, nous pensons qu'il est contraire au droit à un procès équitable de soumettre un certain nombre de décisions à des demandes des locataires, car ceux-ci sont peu conscients de leurs droits, sont peu présents à l'audience et bénéficient peu de l'aide juridictionnelle. Dès lors, soumettre l'établissement d'un échéancier d'apurement de la dette à la demande du locataire alors que celui-ci pourrait figurer dans le diagnostic social et financier (DSF) ou être proposé par le propriétaire lui-même est contreproductif. De même, il n'est guère concevable d'empêcher le juge de vérifier le montant de la dette locative. Celui-ci doit aussi pouvoir s'assurer que le logement respecte bien les conditions de décence. Certes, je comprends la volonté de responsabiliser le locataire, mais cette amélioration passera davantage par un accompagnement social adéquat que par une réduction de ses droits.

Nous souhaitons également sécuriser pour le propriétaire les exigences de la période pendant laquelle la poursuite du bail est suspendue au respect de l'échéancier fixé par le juge et qui pourrait, en l'état du droit, faire l'objet d'une cassation selon les informations que nous avons recueillies.

Si nous approuvons la réduction des délais une fois la décision d'expulsion prise contre les locataires de mauvaise foi, nous pensons qu'il est contreproductif de réduire trop drastiquement la période durant laquelle la majeure partie des impayés se résolvent, c'est-à-dire entre le commandement de payer et l'assignation. Les acteurs du secteur considèrent qu'un délai de six semaines - plutôt que quatre, comme l'a voté l'Assemblée nationale, et au lieu de deux, comme la loi le prévoit actuellement - semble être la durée minimale à respecter.

Je souhaite également que l'on puisse progresser en matière d'indemnisation des bailleurs privés lorsque le concours de la force publique pour recouvrer leur bien leur est refusé. Aujourd'hui, seulement 50 % d'entre eux seraient indemnisés - et encore partiellement. L'article 40 de la Constitution m'empêche d'aller aussi loin que je le souhaiterais : j'estime que cette indemnisation devrait être intégrale et automatique. Je vous propose cependant de confier à un décret le soin d'en définir les modalités, ce qui permettra de sortir du maquis de la jurisprudence et des pratiques variant selon les préfectures.

Enfin, et c'est pour moi un point très important, j'ai voulu améliorer la prévention des expulsions. Le rapport de Nicolas Démoulin, alors député, et celui de la Cour des comptes montrent que la prévention n'est pas assez précoce, que les services sociaux n'ont pas assez de temps pour réaliser les diagnostics sociaux et financiers et que les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex) ne disposent pas de moyens suffisants pour mener à bien leur action. Après mes échanges avec l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil) et son réseau départemental des agences départementales d'information sur le logement (Adil), avec la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), ainsi qu'avec les commissaires de justice et d'autres acteurs du secteur, je propose d'avancer d'un à trois mois, selon le département, le seuil à partir duquel un commandement de payer est transmis aux Ccapex, soit à partir de deux mois d'impayé.

En outre, je suggère d'avancer d'autant le moment à partir duquel un DSF doit être mené : sa durée sera ainsi augmentée de 50 %, et passerait de deux à trois mois. Aujourd'hui, le DSF n'est réalisé que pour un tiers des audiences. Pourtant, sans cet outil, comment accompagner sérieusement les locataires en difficulté ?

Je propose également de renforcer les moyens des Ccapex, via un nouveau chapitre consacré à l'amélioration de l'accompagnement social des locataires en difficulté. Les métropoles, qui gèrent les Fonds de solidarité pour le logement (FSL) doivent s'impliquer davantage. Les Ccapex doivent être en mesure de mobiliser les aides, de déclencher des mesures d'accompagnement social personnalisé (Masp) de niveau 3 et de pouvoir s'assurer du versement des aides personnelles au logement (APL) si les ménages en ont besoin. Plus largement, les informations doivent leur être transmises tout au long de la procédure, afin qu'elles puissent mener à bien leur action préventive et éviter qu'un ménage ne se retrouve à la rue. Ainsi, lors de la transmission du commandement de payer, les commissaires de justice pourront désormais transmettre aux Ccapex les coordonnées des locataires dont ils disposent. Cela leur est aujourd'hui interdit en raison du secret professionnel : bien souvent, les services sociaux ne disposent pas de l'information et ne peuvent pas joindre facilement les locataires en difficulté. Cela représente une avancée réelle.

Tout en renforçant le volet contre le squat et en luttant contre l'usage dilatoire des procédures par des locataires de mauvaise foi, j'entends établir une distinction nette entre squatteurs et locataires en difficulté en reprenant le contenu du texte déjà voté par le Sénat. De plus, je souhaite favoriser le développement du dispositif de logement intérimaire ou intercalaire, qui constitue aujourd'hui une possibilité légale d'occuper des locaux vacants ou sans destination immédiate au bénéfice des personnes en difficulté ou de celles qui sont en mobilité géographique. Enfin, je veux débloquer la prévention précoce des impayés de loyer et améliorer les outils d'accompagnement social sans allonger les procédures au détriment des propriétaires.

J'espère que la commission des lois adoptera ce texte, dont l'équilibre diffère de celui qui a été transmis par l'Assemblée nationale. Nos principes de justice, d'humanisme et de respect de la propriété privée et des fruits du travail sont respectés.

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