Intervention de Martine Berthet

Commission des affaires économiques — Réunion du 25 janvier 2023 à 9h00
Proposition de loi visant à régulariser le plui de la communauté de communes du bas chablais — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Martine BerthetMartine Berthet, rapporteure :

Au risque d'anticiper peut être les échanges que nous aurons dans quelques instants, je souhaiterais dire, tout d'abord, que je comprends les interrogations que la démarche de ce texte peut susciter chez nous, parlementaires. D'abord, parce qu'il traite d'un cas bien délimité, celui d'un projet précis et de collectivités identifiées. D'autre part, car son intitulé, qui parle de « régularisation » d'un plan local d'urbanisme, peut prêter à confusion sur l'objectif réel poursuivi par le texte.

Je souhaite répondre d'emblée à ces deux remarques, avant de rentrer dans les détails. D'une part, je rappelle qu'il est fréquent que nous traitions de mesures qui visent à régler des cas spécifiques, dans tous les domaines de la loi : je pense par exemple à une proposition de loi que nous avions examinée en 2019, qui traitait spécifiquement de la Clairette de Die ; aux règles spécifiques pour les aménagements des jeux Olympiques ou du Grand Paris ; aux délais supplémentaires accordés pour l'élaboration des PLUi métropolitains ou parisiens ; ou encore à des dérogations individuelles à la loi Littoral pour des projets précis d'équipements publics... Il est rare, mais pas inédit, que la loi traite parfois de cas spécifiques.

D'autre part, ce texte ne vise pas à « corriger » un document d'urbanisme, en ce qu'il serait fautif ou illégal, ni à imposer un projet d'État à une collectivité. Il vise en fait à résoudre une difficulté de coordination dans le temps des procédures d'urbanisme, qui a abouti à une situation de blocage, tout cela résultant en premier lieu de la complexité du droit de l'urbanisme.

Je pense que tous ici, en tant qu'élus, nous mesurons bien cette complexité : nous savons les contraintes et le degré de précision qui s'appliquent à l'élaboration d'un plan local d'urbanisme (PLU), sans parler d'un PLUi. Nous savons aussi que les documents d'urbanisme s'inscrivent dans le temps long, alors que les projets naissent et évoluent bien plus vite. En se cachant derrière ces complexités, faut-il laisser péricliter un projet d'intérêt général, par ailleurs validé à tous les niveaux ? C'est la question qui se pose à nous aujourd'hui.

En 2015, des études ont été lancées en Haute-Savoie pour concrétiser un projet discuté de longue date : la réalisation du dernier tronçon d'une liaison routière 2x2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, sur le tracé de l'axe entre Annemasse et Thonon-les-Bains. Après étude d'impact, autorisation environnementale, enquête publique et décret en Conseil d'État, ce projet a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). Cette DUP de décembre 2019, qui a définitivement autorisé le projet, est aujourd'hui purgée de tout recours. Comme le permet le droit, et avec l'accord des communes concernées, la DUP a prévu la mise en compatibilité de dix PLU, afin qu'ils intègrent le projet routier.

Mais en parallèle, la communauté de communes concernée par le projet avait prescrit l'élaboration d'un PLUi, finalement adopté en février 2020. Il n'avait pas pu être inclus dans la DUP portant mise en compatibilité, puisqu'il n'existait pas encore... Or, son adoption a « écrasé » les PLU précédents, qui avaient, eux, bien été modifiés. Vous voyez que je vous ai dit la vérité sur la complexité des procédures...

En l'état, le projet routier, malgré sa validation par le public, par l'État, par l'autorité environnementale et par les collectivités, se retrouve donc contraire au nouveau PLUi, ce qui bloque sa réalisation.

Le texte qui nous est soumis vise à réparer cet oubli de coordination, en appliquant la DUP, prise en 2019 pour modifier les anciens PLU, au nouveau PLUi. J'insiste : il n'y a aucune modification du projet autoroutier sur le fond, c'est une simple application de la DUP au nouveau document d'urbanisme.

J'en viens à ma position sur ce texte, et à la démarche d'examen qui a été la mienne.

Je l'ai dit, ce texte est inhabituel, et concerne un cas spécifique. Il me semble qu'un procédé dérogatoire comme celui-ci doit rester rare et être bien justifié. J'ai donc voulu passer le projet de loi au « filtre » de plusieurs critères, inspirés de la jurisprudence constitutionnelle sur les validations législatives.

Premièrement, j'ai vérifié que ce texte ne visait pas à faire échec à des décisions déjà prises, à restreindre un droit au recours ou bien à aller à l'encontre des compétences des collectivités territoriales. En d'autres termes, ce projet est-il un texte « aidant », qui vise à résoudre une difficulté, ou un texte qui vient censurer, faire échec à des attentes légitimes ?

Au cours de mes nombreuses auditions, j'ai constaté que l'incompatibilité entre le PLUi du Bas-Chablais et le projet de liaison routière n'était pas l'expression d'une volonté politique de la communauté d'agglomération de faire échec au projet, au contraire.

C'est plutôt une erreur de traduction au sein du document d'un projet anticipé et soutenu de longue date par l'ensemble du territoire. D'ailleurs, l'ensemble des autres documents d'urbanisme du territoire - schémas de cohérence territoriale (ScoT), PLU, schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) - le prennent déjà en compte et le qualifient de « projet structurant » pour la région.

De plus, et j'insiste sur ce point fondamental, le projet a fait l'objet de l'ensemble des modalités de concertation, de participation du public, d'accord des collectivités et de droit de recours prévues par la loi. Il y a eu enquête publique, et même une concertation publique sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP) qui s'est avérée très largement favorable au projet. La déclaration d'utilité publique est aujourd'hui purgée de tout recours, et les quelques contentieux ont été rejetés par la justice.

L'examen de cette proposition de loi n'est donc pas l'occasion de revenir sur le fond du projet, car « le match s'est déjà joué ». La proposition de loi vise non pas à empêcher, mais bien à permettre.

Deuxièmement, j'ai vérifié qu'il n'était pas possible de parvenir à ce même objectif par une méthode alternative, qui ne passe pas par la loi. J'ai ainsi exploré trois pistes.

D'abord, prendre un nouveau décret de DUP, pour mettre en compatibilité le PLUi, est impossible au titre de la jurisprudence du Conseil d'État, car on ne peut pas prendre deux DUP pour un même projet.

Ensuite, faire évoluer le PLUi du Bas-Chablais par les procédures ordinaires serait extrêmement long et coûteux pour la collectivité, pour un bénéfice de fond nul. Il faudrait repasser par une révision lourde, qui durerait au moins trois ans et impliquerait de répéter l'ensemble des étapes (études d'impact, consultations, évaluation environnementale, enquête publique), alors que le projet n'a pas évolué d'un iota depuis lors !

Enfin, attendre l'adoption d'un nouveau PLUi, qui pour les raisons précitées, n'interviendrait aussi que dans plusieurs années.

Ces trois options n'offrent donc pas de solution satisfaisante, soit par impossibilité juridique, soit par impossibilité pratique. La question des délais notamment est centrale, car ils conditionnent la faisabilité du projet. D'une part, car la DUP existante arrivera à son terme en 2029, et il faut que le projet ait été réalisé d'ici là. D'autre part, car la situation actuelle d'engorgement du Bas-Chablais est difficilement tenable.

Troisièmement, et pour finir, j'ai vérifié que le texte répondait à un objectif d'intérêt général.

Il ressort de nos auditions et travaux que la réalisation de cette section à 2x2 voies répond effectivement à deux motifs d'intérêt général :

D'abord, le désenclavement du Bas-Chablais. Ce territoire n'est aujourd'hui desservi par aucune route nationale ni autoroute, à la différence du reste du département. Ce potentiel routier est aujourd'hui bien trop limité au vu du développement économique, touristique et démographique rapide de ce bassin frontalier - avec la deuxième plus forte croissance de la région ! Les maires que nous avons entendus estiment aujourd'hui que ne pas relier le Bas-Chablais reviendrait à créer volontairement un territoire à deux vitesses, entre des zones urbaines dynamiques (Annemasse, Thonon, Genève), et des campagnes délaissées et enclavées, ce qu'ils n'acceptent pas.

Ensuite, le réseau départemental existant atteint ses limites capacitaires, ce qui est source de nuisances et de risques réels. Dans des communes de 4 000 habitants, la départementale traversant le bourg voit passer jusqu'à 22 000 véhicules par jour, dont jusqu'à 10 % de poids lourds... Et le trafic croît fortement, avec un réseau ferroviaire qui est lui aussi déjà saturé. Pour les habitants, c'est source de nuisances sonores et de délais énormes. Pour l'environnement, les heures de bouchons chaque jour entraînent une forte pollution. Surtout, c'est un risque pour la sécurité, avec un trafic démesuré pour des hameaux et des petits bourgs, avec des passages à niveau d'un autre temps.

Pour toutes ces raisons, l'ensemble des collectivités territoriales et la grande majorité de la population soutiennent ce projet d'intérêt général. Toutes les communes ont rendu un avis favorable à la DUP. La Commission nationale du débat public (CNDP) a observé que seuls 10 % des participants à la concertation s'y déclaraient défavorables. La justice n'a elle non plus jamais contesté l'intérêt général du projet, à l'occasion des recours.

Je conclus donc, à l'issue de mes travaux, que la mesure portée par ce texte, bien que dérogatoire, se justifie par le fait qu'elle vise à remédier à des difficultés concrètes mettant en danger un projet d'intérêt général, soutenu par les parties prenantes, et qu'il n'existe pas d'alternative satisfaisante à cette solution législative.

Comme je l'ai dit, j'estime que le seul argument selon lequel la méthode législative retenue est dérogatoire ne saurait s'opposer à ce que l'on s'accorde sur une solution permettant à ce projet de se réaliser. La concertation publique a eu lieu, le projet a été validé : il faut maintenant qu'il puisse être mené à bien, car il relève de l'intérêt général. En tant qu'élus des territoires, qui connaissons la complexité parfois ubuesque du droit de l'urbanisme, il me semble que nous pouvons nous retrouver autour de cette conclusion et que nous devons être constructifs et aidants lorsque nous le pouvons.

En conséquence, je vous propose aujourd'hui d'adopter cette proposition de loi sans modification, et donnerai donc un avis défavorable à l'adoption de l'amendement de suppression qui a été déposé et que nous devons examiner aujourd'hui.

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