La durée du mandat d'un président de l'Inserm est de quatre ans : j'espère bien exercer cette fonction le plus longtemps possible, même si je ne maîtrise évidemment pas l'ensemble des paramètres. Je compte faire le maximum dans le temps qui me sera imparti.
Concernant les conditions de ma candidature, je tiens à préciser que j'entretiens de bons rapports avec Gilles Bloch, et que je ne me suis pas présenté contre lui, mais parce que j'ai une vision de l'Inserm différente de la sienne, un profil différent du sien, qui m'a notamment permis de m'investir longtemps dans le monde hospitalier, ce qui me semble constituer un atout si vous acceptiez de me confier la présidence de l'Inserm.
Je ne sais pas si le programme que je viens de vous présenter est différent de celui qu'il aurait détaillé si vous l'aviez reçu, mais je tiens à dire que j'ai été désigné à l'issue d'une compétition qui, je l'espère, a été saine. Un jury international a entendu les différents candidats à ce poste avant de proposer deux noms, celui de Gilles Bloch et le mien, noms qu'il a ultérieurement soumis aux ministres de tutelle. Ceux-ci nous ont auditionnés avant que la Première ministre et le Président de la République ne fassent leur choix.
Monsieur Chantrel, je regrette tout comme vous que l'Inserm ait été écarté au cours de la pandémie : il aurait effectivement dû être au premier plan de la lutte contre la covid-19.
S'agissant du positionnement de l'Inserm au sein du monde de la recherche, permettez-moi de m'exprimer franchement : je ne compte pas déconstruire l'Inserm. J'ai créé puis dirigé une unité de l'Institut pendant dix-sept ans, travaillé dans différentes commissions au sein de cet organisme. Je crois à la force de l'Inserm - il ne doit y avoir aucune ambiguïté à ce sujet - et je ne veux absolument pas qu'il devienne une agence gestionnaire de moyens. L'Inserm doit rester un opérateur pilote et développer une stratégie nationale.
J'ai l'habitude de m'exprimer avec franchise : j'ai clairement dit qu'il existait un sous-investissement dans le domaine de la recherche et que je regrettais à la fois ce qu'il faut bien appeler une dévalorisation des chercheurs et le fait que les CHU n'avaient plus le temps de se consacrer à la recherche. Je le répéterai à mes autorités de tutelle, si vous me désignez pour exercer cette présidence, et entend bien agir pour pallier ces difficultés.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les relations entre les organismes nationaux de recherche (ONR) et les universités, ainsi que sur la territorialisation de la politique à mener.
Je suis actuellement doyen de la faculté de médecine Paris-Saclay, pôle universitaire auquel j'ai cru et que j'ai soutenu dès l'origine, considérant que le rapprochement entre l'université Paris-Sud et, d'une part, les grandes écoles et les différents ONR, d'autre part, les différentes composantes de l'université et les autres universités, était une force.
Aujourd'hui, Paris-Saclay a mis en place une quinzaine de graduate schools, dont quatre concernent la faculté de médecine que je dirige, ce qui a largement contribué au développement de la recherche transdisciplinaire : on observe ainsi un rapprochement entre la médecine et certaines disciplines comme les mathématiques, l'intelligence artificielle, la biostatistique ou la bioinformatique ; il n'est pas rare aujourd'hui de voir des mathématiciens ou des ingénieurs - issus de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) ou de Supelec par exemple - proposer leurs projets à des chercheurs en médecine. L'avenir de la recherche s'inscrit dans ce partenariat entre acteurs, ONR, universités et hôpitaux.
Les universités, quelles que soient leurs forces, ont tendance à protéger et à privilégier le développement de leur site, et manquent d'une vision nationale. Or il est important que notre pays bénéficie d'une stratégie globale. Il est également primordial que nous soyons capables d'analyser les forces et les faiblesses de chaque site - je me déplacerai sur le terrain pour mener cette étude.
S'agissant de la prépondérance de l'AP-HP et de l'Île-de-France dans le domaine hospitalier, permettez-moi de vous faire remarquer que les capacités en recherche des établissements franciliens sont certes les plus importantes, mais qu'il existe d'autres CHU d'une taille loin d'être modeste sur le reste du territoire. Il faudra certainement encourager le travail en réseau de l'ensemble des établissements pour aboutir à une recherche de meilleure qualité. Une partie de ma mission pourrait consister à conseiller les dirigeants des différents CHU sur les stratégies à suivre.
Sur un plan national, il convient de définir des axes stratégiques clairs et de continuer à renforcer nos domaines d'excellence. Pour autant, il nous faut être capable de détecter les forces émergentes et novatrices et les aider à mener à bien leurs projets.
M. Piednoir m'a interrogé sur le volume de CPJ dont il serait souhaitable que l'Inserm dispose. Je considère que les dix postes qui lui sont attribués aujourd'hui ne suffisent pas ; en outre, l'Institut devrait davantage se coordonner avec les universités, car il arrive que celles-ci le concurrencent pour certains postes. J'ai soutenu la mise en place de ces chaires, véritable interface entre les deux univers que sont l'université et le monde de la recherche, car elles créent de l'emploi et entraînent une hausse du nombre des chercheurs en France.
Plusieurs questions ont porté sur la communication que l'on devrait mettre en place vis-à-vis du grand public.
Lors de la pandémie, l'hypermédiatisation des questions de santé a conduit au dérapage de scientifiques pourtant très brillants. J'ai d'ailleurs coutume de dire que la crise de la covid-19 a rendu fous certains chercheurs. Ce n'est certes pas un phénomène inédit, puisque ce fut aussi le cas il y a quelques années lors de la découverte du VIH, mais de tels dérapages sont inacceptables : il ne faudrait pas que la soif de pouvoir se substitue à la rigueur scientifique.
Nous devons nous aussi améliorer la communication envers le public, car certaines personnes croient à des thèses particulières sur les vaccins. Cela me rappelle les années 1990 : le vaccin contre l'hépatite B était accusé de transmettre la sclérose en plaques. Certes, ceux-ci entraînent parfois des effets secondaires, mais il convient d'évaluer la balance entre les bénéfices et les risques. Les réseaux sociaux ne nous facilitent pas les choses : nous devons respecter notre intégrité scientifique pour répondre à ce phénomène.
La recherche genrée est un point très important. Nous devons étudier l'impact de l'environnement sur la santé des Français. Les femmes sont ainsi plus exposées aux risques cardiovasculaires et aux infarctus du myocarde. Je veillerai à ce que l'Inserm travaille sur cette question.
Lorsque le Président de la République a lancé le plan Innovation Santé 2030, j'imagine qu'il avait en tête le modèle de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) américaine. Or les moyens dont dispose la France sont moins importants que ceux des États-Unis : M. Bancel a obtenu plus de 500 millions d'euros en une journée pour accélérer le développement du vaccin Moderna. C'est pourquoi une réflexion s'impose au niveau européen. Réfléchissons à la prévention des maladies émergentes et soyons capables de mobiliser : c'est le rôle du président de l'Inserm de stimuler les gouvernants.
Il est possible d'établir une cartographie site par site pour les CHU. Travaillons avec eux pour les aider à définir une stratégie. Leur taille est variable et chacun ne pourra pas tout faire. Les projets qui seront auditionnés la semaine prochaine au titre des IHU sont de grande qualité. Tous ne dépendent pas de l'AP-HP.
Comment attirer et conserver des chercheurs au niveau mondial ? Bien sûr, on ne peut que regretter le départ de Mme Charpentier ou de M. Bancel. Nous devons garder nos chercheurs, valoriser leur carrière et leur offrir de bonnes conditions de travail. Nous devons améliorer les rémunérations, mais nous ne pourrons pas toujours être compétitifs.
Il n'est pas facile de construire des cohortes. Le programme d'investissements d'avenir (PIA) en a créé certaines, mais nous aurions dû nous montrer plus réactifs pour former une cohorte de lutte contre la covid-19. Il faut du temps pour qu'une cohorte soit efficace - entre 10 et 20 ans.
Les essais Discovery ont été créés ex abrupto ; nous avons affronté de nombreux obstacles. Il n'est pas facile d'organiser des essais européens académiques et multicentriques. La coordination entre les États européens est difficile ; les industriels s'en sortent mieux.
Si vous m'accordez votre confiance, j'abandonnerai mes fonctions de président de la conférence des doyens.