Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à partager avec vous ma conviction profonde : les difficultés d’accès au logement sont aujourd’hui l’un des principaux facteurs, peut-être le principal, de la déstabilisation de la société française. Cette conviction est celle des sénatrices et sénateurs du groupe écologiste, qui ont tenu à inscrire l’examen de cette proposition de loi visant à renforcer l’action des collectivités territoriales en matière de politique du logement dans leur espace réservé. Mais l’objet de ce texte est, je le crois, partagé sur toutes les travées par des sénateurs de différentes régions, tous confrontés à l’accélération de cette fracture.
Ce sentiment d’injustice, ces difficultés au quotidien pour se loger nourrissent l’aigreur collective, le vote pour une offre extrémiste de recroquevillement. Néanmoins – c’est la « bonne nouvelle » du moment –, toute la France ne se résigne pas aux injustices sociales. Les manifestations de ce mardi l’ont montré…
Le coût du logement n’a cessé d’augmenter de manière considérable depuis trente ans. Le phénomène naît et s’installe d’abord dans les zones urbaines, à Paris et en petite couronne, dans les années 1990, puis dans des métropoles, comme Nantes et Rennes dans les années 2000 ou Bordeaux dix ans plus tard. Il n’est ainsi pas rare de voir des biens se vendre aujourd’hui en euros au même prix qu’il y a trente ans, mais, à l’époque, on payait en francs ! Cela représente une multiplication par six au cours de cette période !
Nous connaissons les conséquences de ce déséquilibre en termes de reflux de la mixité résidentielle et scolaire – Éric Maurin en parlait déjà voilà quinze ans –, d’étalement urbain, d’explosion des mobilités contraintes et de consommation d’espaces naturels et agricoles. La nécessité et l’urgence du ZAN, ou « zéro artificialisation nette », sont aussi en lien direct avec cette rupture dans les parcours résidentiels pour les petites classes moyennes et leur éloignement des centres urbains.
Ces trente dernières années, la ruée vers les zones littorales de l’ouest et du sud-ouest et l’augmentation vertigineuse des prix de l’immobilier en bord de mer, que la crise du covid-19 a, semble-t-il, encore accélérées, ont aussi entraîné une véritable fracture dans le peuplement. Je suis d’origine finistérienne : nous ne pouvions pas imaginer que, dans ce département, où les habitants sont particulièrement attachés à leur commune, il deviendrait en cinq ans à peine impossible pour beaucoup d’acquérir une maison, même petite, sur leur territoire de naissance et de vie.
Le sénateur de Loire-Atlantique que je suis ne peut que constater cette situation inextricable dans un département cumulant attractivité métropolitaine et attractivité touristique. C’est maintenant vers les départements limitrophes que sont poussés les ménages modestes, avec les difficultés que nous savons en termes de mobilité et d’accès aux services publics. Et je ne parle pas ici de tous ceux qui ne trouvent tout simplement plus à se loger ; les chiffres publiés par la Fondation Abbé Pierre sont suffisamment explicites à ce sujet. Cette fondation insiste d’ailleurs sur l’explosion du mal-logement en zone littorale.
Nous sommes donc dans une situation grave, et le débat, déjà long, que nous avons eu dans cet hémicycle lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, avec des cris d’alerte venant de toutes les travées, a souligné l’urgence à agir.
Cette proposition de loi n’a pas la prétention de régler à elle seule la crise actuelle. Courte – c’est un texte d’initiative parlementaire –, elle veut d’abord souligner l’importance de l’intervention des collectivités territoriales, sans lesquelles nous ne pourrons pas agir efficacement. Elle vise donc à en renforcer les budgets pour en conforter l’action.
Depuis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, les régions ont acquis une compétence pour faciliter l’accès au logement. Certaines s’en sont d’ailleurs saisies pour financer la production de logements sociaux. C’est surtout le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), c’est-à-dire le document de planification dont elles ont la charge, qui va devenir de plus en plus le document stratégique de référence. Il fixera les lieux de la production de logement, car il intégrera notamment la cartographie de synthèse du ZAN, après les travaux menés à l’échelle des plans locaux d’urbanisme (PLU), des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) et des schémas de cohérence territoriale (Scot).
La région va jouer un rôle de plus en plus important dans les politiques de logement, indissociables des politiques d’emploi et d’aménagement du territoire ; c’est le sens de l’histoire. Elle se doit donc d’être confortée, car ses besoins en ingénierie et en animation territoriale, sans parler des aides directes à la construction, seront de plus en plus importants.
Je n’ignore pas qu’il n’y a pas au sein des régions un consensus sur la manière de décliner cette compétence sur l’accès au logement. Nous le savons, certaines régions sont réticentes à se positionner plus fortement sur cette compétence, au risque d’être happées et de se retrouver en première ligne. Toutefois, déjà, cette modeste proposition de loi participe au nécessaire débat sur le rôle des régions dans les futures politiques du logement. Au regard des débats qu’a déjà suscités ce texte, il n’était probablement pas inutile de mettre une pièce dans la machine…
Beaucoup plus consensuel, le renforcement du rôle des établissements publics fonciers locaux (EPFL) est souhaité par tous. Je ne connais pas aujourd’hui, en Loire-Atlantique, un seul élu, quelle que soit sa couleur politique, qui ne le demande pas. D’ailleurs, mes chers collègues, vous avez reçu du réseau des EPFL un courrier de soutien très clair à cette proposition de loi.
Ce texte ne porte pas sur l’articulation entre les établissements publics fonciers locaux et les établissements publics fonciers de l’État (EPFE), où les collectivités locales jouent aussi un rôle important ; le débat eût été trop large, mais il devra avoir lieu. Mes collègues du groupe écologiste et moi-même avons simplement cherché à répondre à l’urgence, sachant qu’avec la mise en œuvre du ZAN, les besoins d’intervention sur la réhabilitation des cœurs de bourgs ou d’anciennes zones artisanales deviendront de plus en plus considérables. Ainsi, en Loire-Atlantique, bien que l’EPFL ait été renforcé, il ne peut pas répondre à l’ensemble des demandes des communes.
L’article 2 de la proposition de loi devrait, je crois, faire l’objet d’un véritable consensus entre nous et nous permettre de gagner du temps. Si nous votons ce texte aujourd’hui, il faut tenir compte de la navette parlementaire, des délais pour que les EPFL votent les changements de taux – si tel est le cas, puisqu’il s’agit d’une mesure optionnelle –, tout cela prendra plus d’un an. Au regard de l’urgence de la situation, il faut absolument gagner du temps.
Qui dit dépenses pour les régions ou pour les EPFL dit recettes… La logique de cette proposition de loi est donc d’asseoir les recettes sur l’un des facteurs de déstabilisation actuels : l’explosion du nombre de résidences secondaires dans certains territoires. Aujourd’hui, le nombre de résidences secondaires augmente plus rapidement que la production de logements neufs : par exemple, il y a près de 300 000 résidences secondaires en Bretagne ! De ce point de vue – je me tourne vers notre collègue Max Brisson –, la situation du Pays basque est emblématique.
En zones tendues, il est clair que les résidences secondaires participent à la déstabilisation du marché du logement. En ajoutant donc une surtaxe raisonnable, de 0 % à 25 %, pour les propriétaires de ces biens, nous ne les amènerons probablement pas à les remettre sur le marché – ce n’est de toute façon pas le sens de ce texte –, mais nous permettrons une augmentation substantielle de la capacité d’action des EPFL, qui, selon nos calculs, pourraient dans certains territoires voir leurs recettes multipliées par deux, s’ils appliquent le taux de 25 %. Si nous avons restreint le dispositif aux zones tendues, le débat reste ouvert pour l’étendre à l’ensemble des périmètres des EPFL.
Enfin, et j’insiste beaucoup sur ce point, il s’agit d’une possibilité, non d’une obligation. Ce sont les élus qui gèrent les EPFL qui décideront de l’augmentation. En outre, il s’agit d’une augmentation extrêmement raisonnable, entre 0 % et 25 %. Nous avons repris ce qui avait été proposé voilà quelques semaines par Philippe Bas – je ne sais pas s’il faut prendre Philippe Bas en exemple ce matin