Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 24 janvier 2023 à 14h30
Jeux olympiques et paralympiques de 2024 — Exception d'irrecevabilité

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, aux termes de la Charte olympique, « le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine ».

Dans notre monde globalisé, le sport a ce pouvoir unique de rassembler les peuples. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne peut que souscrire à l’esprit des jeux Olympiques.

Mes chers collègues, mon groupe émettra des critiques, mais en aucun cas nous ne dévaluerons l’importance du sport, qui est l’un des quelques domaines universels de l’activité humaine.

Des règles, mais également des valeurs, universelles l’encadrent – celles du fair-play, du respect et de l’amitié –, qui sont reconnues dans le monde entier. Notre groupe reconnaît et soutient le pouvoir rassembleur, le pouvoir d’intégration du sport.

Néanmoins, nous ne pouvons que regretter et dénoncer un texte hautement sécuritaire qui porte mal son nom, puisqu’il nous parle, hélas ! moins de sport que de sécurité.

Le groupe CRCE considère que la devise olympique « Plus vite, plus haut, plus fort » est ici détournée pour un « plus vite, plus haut, plus fort » de sécurité et d’atteinte au droit à la vie privée, protégée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi qu’à la liberté d’aller et venir, protégée par les articles 2 et 4 de cette même déclaration.

Ce projet de loi – j’ai déjà eu l’occasion de le dire – est un cheval de Troie, tant les dispositions attentatoires aux libertés et aux droits fondamentaux qu’il comporte seront susceptibles d’être pérennisées – c’est déjà le cas pour onze d’entre elles.

Nous dénonçons un projet de loi porteur de graves atteintes à des libertés constitutionnellement garanties. Dans ces conditions, mon groupe se doit de tirer la sonnette d’alarme. Nous ne laisserons pas passer de telles atteintes, qui gâcheraient la fête.

Nous constatons avec tristesse que les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 seront un accélérateur de surveillance.

Certes, nous ne nions pas l’enjeu que constitue la sécurité. Oui, les Jeux de 2024 nécessitent un niveau exceptionnel d’organisation et de sécurité.

À titre d’exemple, la Seine-Saint-Denis accueillera le village olympique en 2024. En tant que sénatrice de ce département, je suis inquiète. Le fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des champions, en mai 2022, a mis en lumière les carences de la France pour assurer la sécurité d’un événement sportif majeur.

Pourtant, face à cet enjeu dont vous reconnaissez l’importance, vous nous proposez de recourir à des entreprises privées. Nous dénonçons cette réponse, qui n’est pas à la hauteur de l’ambition nécessaire.

Oui, mes chers collègues, le recours aux 22 000 à 33 000 agents de sécurité privée demandés par le comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques pour encadrer les Jeux confirme la tendance à l’intégration de la sécurité privée en tant que force de police institutionnalisée et bras armé de l’État.

Encore une fois, tout comme nous l’avions indiqué lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), nous estimons que la sécurité privée ne doit pas être confondue avec la sécurité étatique. Le cuisant échec essuyé en 2012 lors des Jeux de Londres l’atteste.

Nous ne pouvons que rappeler que cette montée en puissance de la sécurité privée dissimule également la marchandisation de la sécurité publique et la délégation de missions de service public à des entreprises qui ont pour unique finalité la recherche de la rente, une finalité bien éloignée des fonctions régaliennes de l’État.

Cela révèle un manque de cohérence en matière de politique publique que nous avions déjà pointé du doigt en mai 2021, lors de l’examen de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, puis lors de l’examen de la Lopmi.

Nous regrettons que la gestion sécuritaire des Jeux se traduise également par les opérations antidélinquance menées depuis novembre 2022 et qui continueront jusqu’aux Jeux.

Aujourd’hui, deux opérations antidélinquance d’envergure sont menées chaque jour à Paris et en Seine-Saint-Denis, auxquelles s’ajoutent deux opérations dans les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne, sans compter les initiatives de moindre ampleur pluriquotidiennes. Entre le 7 et le 27 novembre, 235 de ces opérations ont été conduites, pour une cinquantaine de gardes à vue. Est-ce bien nécessaire ?

La Lopmi nous l’annonçait déjà : les Jeux seront l’occasion d’illustrer la doctrine de maintien de l’ordre répressive et sécuritaire du ministère de l’intérieur, une doctrine à laquelle mon groupe s’oppose fermement, lui préférant le triptyque « prévention, dissuasion, répression ».

Mon groupe s’oppose tout aussi fermement à la légalisation de la vidéosurveillance algorithmique portée par ce projet de loi. La détection par logiciel d’événements et de comportements dits « suspects » portera, une nouvelle fois, une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et à la liberté d’aller et venir des participants.

Cette légalisation sera l’occasion, pour les entreprises françaises, de montrer leur savoir-faire en matière de répression et, pour le Gouvernement, de déployer une technologie encore illégale, mais dont l’offre commerciale est pourtant déjà bien disponible.

Nous dénonçons l’utilisation des Jeux pour faire franchir une nouvelle étape à l’acceptation par la population de telles technologies. L’état d’exception créé à cette occasion permet de faire passer des lois sécuritaires qui subsisteront ensuite ; ne nous leurrons pas !

J’en viens à un autre aspect de ce texte, tout aussi important. Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à entamer l’examen de la réforme des retraites, le présent projet de loi prévoit un recul scandaleux de la limite d’âge des fonctionnaires occupant des emplois participant directement à l’organisation des Jeux, « au nom de l’intérêt du service », et ce jusqu’au 31 décembre 2024.

Dans la même veine, l’ouverture le dimanche des commerces de vente dans les communes des sites de compétition et à proximité remet en cause le principe du repos dominical et porte atteinte au droit fondamental à la vie privée et familiale.

Par ailleurs, un seul aspect de ce projet de loi a un lien concret avec le sport : le contrôle antidopage. Je vous remercie à ce propos, madame la ministre, d’avoir cité parmi vos prédécesseurs mon amie Marie-George Buffet, qui a beaucoup travaillé sur le sujet.

Le texte autorise donc, pour le temps des Jeux, l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou son identification par ses empreintes génétiques afin d’améliorer les contrôles antidopage.

Si cette transposition d’une norme internationale encadrant le contrôle antidopage est nécessaire au déroulement des Jeux, mais aussi de la Coupe du monde de rugby, la Cnil et la Ligue des droits de l’homme dénoncent en revanche « des tests particulièrement intrusifs, qui dérogent de façon importante aux principes encadrant actuellement les analyses génétiques dans le code civil ».

Mon groupe dénonce le caractère paradoxalement temporaire de cette mesure qui sera appelée à se pérenniser, et ce alors même qu’elle déroge de manière disproportionnée à des dispositions du code civil.

Enfin, alors que la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques pouvait représenter une formidable opportunité de modernisation et d’amélioration de la qualité du service du réseau francilien, se pose aujourd’hui la question de la capacité d’Île-de-France Mobilités à répondre au défi de la saturation.

Alors que de nouvelles lignes de métro auraient dû être prêtes pour relier les différents sites olympiques et permettre le transport de 10 millions de personnes, seul le prolongement de la ligne 14 sera livré à temps. Les promesses de réponse aux besoins de mobilité générés par les Jeux au moyen de solutions décarbonées peineront à être tenues, et ce n’est pas la privatisation voulue par certains qui améliorerait la situation !

Toujours au sujet des transports, nous considérons que l’élargissement de l’accès aux images de vidéoprotection aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP ne procède pas d’une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public qui serait ainsi poursuivi et le droit au respect de la vie privée des usagers.

En conclusion, mon groupe considère que ce projet de loi libéral et sécuritaire ne respecte pas le juste équilibre entre sécurité et protection des libertés et droits fondamentaux. Il n’honore pas les jeux Olympiques, mais porte de graves atteintes aux libertés publiques. En ce sens, nous considérons qu’il est contraire au bloc de constitutionnalité.

Mon dernier mot sera pour celles et ceux qui seront exclus des enceintes des jeux Olympiques du fait du prix exorbitant des billets, et qui ne verront de ce fait les Jeux que de loin. Tout compte fait, et cela est bien dommage, les Jeux de 2024, qui devraient être une énorme fête populaire, seront un mirage de convivialité.

Je vous appelle ainsi à voter notre motion d’irrecevabilité. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, celle-ci se justifie amplement.

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