Intervention de Maximilian Schrems

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 janvier 2023 à 9h00
Justice et affaires intérieures — Protection des données personnelles des européens : Audition de M. Maximilian Schrems avocat cofondateur de l'association noyb none of your business

Maximilian Schrems, avocat, cofondateur de l'association NOYB :

Le système de Privacy Shield n'est pas fondé sur un accord international mais il relève du droit civil. Il n'y a pas, en la matière, de traité qui s'impose au droit interne. Les États-Unis ont publié une liste de principes, que les entreprises peuvent s'engager à suivre - c'est une sorte de contrat. Sur cette base, les entreprises américaines peuvent développer des activités en Europe avec des contraintes moindres que les entreprises européennes ; elles peuvent être poursuivies par la juridiction américaine si elles ne respectent pas ces principes. Des clauses précisent qu'il ne doit pas y avoir de conflit avec le droit américain. Côté européen, la décision d'adéquation établit une conformité à notre droit - mais là encore, il n'y a pas de contrainte juridique pour les Américains, il n'y a en fait qu'un accord entre États, via l'UE côté européen, et cet accord ne prime pasle droit américain.

S'agissant de la portée de la surveillance, il faut définir quelles données peuvent être légalement saisies. Or, si l'accord est facile à trouver en matière, par exemple, de terrorisme ou d'espionnage, il l'est moins quand les États-Unis considèrent légal de saisir « toute donnée pertinente pour la conduite des affaires internationales des États-Unis », ce qui est vague et très large. Dans certains cas, des réseaux de diplomatie belge ont été hackés par les Américains !Tout un chacun peut ainsi être surveillé à ce titre, qu'il s'agisse de politiques, de journalistes, de responsables économiques... dans le strict respect de la loi américaine.

Comment changer les choses ? Si nos règles européennes étaient bien appliquées, il y aurait un impact commercial sur les entreprises américaines. Les États-Unis demandent à ce qu'on leur confie les données, sans qu'on puisse rien décider pour les protéger ni régler leur utilisation, un peu comme, autrefois, on était invité à placer son or en Suisse sans plus avoir, ensuite, le droit d'y accéder ... Cependant, la position américaine est difficile à tenir, à le long terme. Le FISA comprend des clauses d'extinction (les sunset clauses), en vertu desquelles la loi doit être renouvelée tous les deux ans pour rester en vigueur. S'il y avait suffisamment de friction internationale, le législateur américain devrait réviser ces normes. Cela dit, la situation ne paraît guère urgente aux yeux des Américains et il semble que ce soient plutôt les Européens qui cherchent un nouvel accord, quitte à ce qu'il soit de nouveau invalidé par la CJUE.

Comment les cours vont-elles interpréter la proportionnalité ? Aux États-Unis, nous ne le saurons pas, puisque l'instruction est secrète et qu'elle est entre les mains d'inspecteurs administratifs - alors que l'interprétation de la proportionnalité est décisive, elle ne sera pas rendue publique, il est donc illusoire de compter sur ce critère.

Quelles alliances nouer ? Nous travaillons avec des organisations américaines de défense des droits, comme l'American Civil Liberties Union, mais elles n'ont pas suffisamment de pouvoir dans le système américain.

Il y a effectivement une différence des deux côtés de l'Atlantique dans la conception même du droit, entre une conception fondée sur les droits humains qui prévaut en Europe depuis la deuxième guerre mondiale, et une conception fondée des droits attachés à la citoyenneté, qui apparait dans la Constitution américaine : en Europe, les étrangers sont aussi protégés par la Charte, tandis qu'aux États-Unis, pour simplifier, les droits concernent les citoyens américains.

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