Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mi-janvier, il y a quinze jours, dans l’État de New York, les infirmières ont déclenché un mouvement qui fut massif. En quelques jours, elles ont eu gain de cause : elles ont obtenu des ratios de soignants par patient.
Il n’y a pas que la France qui, soumise à des contraintes budgétaires, a voulu résoudre celles-ci en réduisant le nombre de soignants au lit des malades dans ses hôpitaux.
Conjuguée à la stagnation des rémunérations – stagnation qui, les années passant, s’est transformée en baisse –, cette ligne politique visait à contenir les budgets des hôpitaux en actionnant la contrainte du premier poste de dépense, la masse salariale.
L’effet fut le même partout : les soignants, mal payés et surchargés de travail, ont commencé à quitter l’hôpital.
Si nous voulons rendre à l’hôpital public son attractivité, nous devons répondre à deux problématiques principales : celle des rémunérations, en prenant en compte le travail de nuit et le week-end, et celle de la charge de travail, élément fondamental de la qualité de vie au travail pour les soignants, et de la qualité et de la sécurité des soins pour les malades.
Le Ségur a apporté des réponses à la première question. Il doit d’ailleurs être complété, car trop d’insuffisances et trop d’injustices subsistent. Mais la question des rémunérations ne peut à elle seule maintenir ou ramener à l’hôpital des soignants fatigués, lassés de la dégradation des conditions d’exercice de leur mission.
Ces soignants, nous les avons longuement écoutés dans le cadre des travaux de notre commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, dont Catherine Deroche était rapporteure.
Nous avons entendu leur colère face à la perte de sens de leur métier. Ils aiment ce dernier et se consacrent à leur travail, mais ils ne veulent pas rentrer chez eux le soir en ayant parfois le sentiment d’avoir été maltraitants par manque de temps, ce temps qui est si précieux dès lors que l’on ne veut pas résumer le soin à des actes techniques, mais respecter en lui les dimensions relationnelle et humaine.
L’unanimité de ce constat était frappante et nous nous devons d’y apporter une réponse. Nous pouvons du reste en identifier la cause : celle-ci tient au nombre de soignants par patient, qui a été réduit au fil des années.
Il faut inverser cette évolution qui sape les fondements des métiers du soin en portant atteinte à leurs valeurs. Il faut revenir à un nombre de soignants par patient plus élevé.
À l’étranger, de nombreux pays ont établi des ratios, souvent de six à dix patients par infirmier, avec comme résultat démontré une amélioration de la qualité des soins, une diminution du nombre de complications, un raccourcissement des hospitalisations, un abaissement du nombre d’infections nosocomiales et d’erreurs médicamenteuses.
Un effet positif en termes de dépenses est même relevé à moyen terme, car l’augmentation des effectifs est plus que compensée par les coûts évités grâce à la diminution du nombre de complications et des durées d’hospitalisation.
En France, les ratios existent déjà. Ils ne sont réglementaires que pour certaines activités de soins, mais dans la réalité, dans le quotidien, ils sont omniprésents.
Les budgets de tous les hôpitaux, les projets de restructuration de tous les hôpitaux, intègrent des ratios de douze à quinze patients par infirmière quand la moyenne des pays comparables est plutôt de six à dix.
En réalité, tout le monde édicte des ratios, mais le législateur, lui, devrait rester silencieux quand ceux-ci sont devenus un puissant facteur de démotivation des soignants, car fondés sur des critères financiers, car déconnectés de la qualité des soins ?
Les travaux préparatoires à notre délibération, et en particulier les nombreuses auditions menées par la rapporteure Laurence Rossignol, que je remercie et dont je salue l’important travail, ont révélé l’unanimité des organisations professionnelles et des syndicats de soignants à ce sujet.
Des infirmières aux kinésithérapeutes, des sages-femmes aux médecins, tous demandent l’adoption de ce dispositif et le présentent même souvent comme indispensable pour stopper le départ des soignants de l’hôpital.
Je veux croire que notre assemblée saura répondre à cette demande.
Et d’autant plus largement que le texte adopté par la commission des affaires sociales a intégré les remarques constructives d’un certain nombre d’acteurs sur la nécessaire progressivité des ratios et sur leur adaptation aux spécificités des établissements et des spécialités.
Karl Popper, en son temps, a théorisé la nécessité que nous affrontons d’une formule : il faut une règle du jeu et il faut du jeu dans la règle. Nous ne devons abandonner aucun des termes de cette juste position. La souplesse, oui ; le renoncement, non.
Aucun motif technocratique ne peut justifier le refus de ratios conformes aux enjeux de qualité et de sécurité des soins quand ceux qui les refusent appliquent sans état d’âme des ratios financiers insupportables pour les soignants.
Mes chers collègues, des lits – beaucoup de lits – sont aujourd’hui fermés faute de soignants. Une enquête de l’agence pour l’emploi des soignants menée en 2022 auprès des intérimaires montre que les critères principaux amenant à la décision de quitter l’hôpital et qui pourraient amener à y retourner concernent non pas la rémunération, mais l’adaptation des plannings et un ratio infirmier/patient cohérent.
Dans son rapport du 17 novembre 2022 – il est donc tout récent – sur les déterminants de la qualité et de la sécurité des soins en établissement de santé, le collège de la Haute Autorité de santé (HAS) confirme que le lien entre les ratios de personnel, la qualité et la sécurité des soins est étayé par la littérature.
Alors, mes chers collègues, je sais l’engagement de chacun et de chacune dans notre assemblée pour que nos hôpitaux de proximité, les centres hospitaliers, universitaires ou non, de nos territoires retrouvent leur attractivité et répondent au mieux aux besoins de santé de nos populations.
La mesure que je vous propose aujourd’hui, que la commission des affaires sociales vous propose aujourd’hui, est un élément de réponse fondamental attendu par les soignants.
Le Sénat, en adoptant ce texte, enverra deux signaux majeurs.
Un premier signal aux soignants, pour leur dire que nous les avons écoutés et entendus et que nous prenons nos responsabilités pour que le sens de leur métier soit respecté, pour que qualité et sécurité des soins soient la règle.
Un second signal au Gouvernement, auquel nous demandons de fonder ses décisions à venir sur une véritable approche de santé, non pas en niant la nécessité de choix budgétaires, mais en posant la qualité et la sécurité des soins en déterminant de ces choix.
L’heure est non plus aux paroles, mais aux actes. Nous pouvons, nous devons prendre soin de nos hôpitaux et de leurs soignants. Je vous appelle à voter cette proposition de loi.