Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 1er février 2023 à 14h30
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle

Éric Dupond-Moretti :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, dans sa version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 24 novembre dernier.

Ce texte n’est pas encore abouti – le rapport de la commission des lois du Sénat ne manque d’ailleurs pas de le relever –, mais il est le fruit d’un travail constructif et transpartisan entre les nombreux groupes politiques de la chambre basse. Je veux d’ailleurs saluer ici les présidentes de groupe Aurore Bergé et Mathilde Panot.

Depuis l’arrêt rendu le 24 juin 2022 par la Cour suprême des États-Unis, six propositions de loi constitutionnelle ont été déposées sur les bureaux des assemblées. Six propositions, six visions différentes, et de beaux débats passés, présents et à venir devant vos deux assemblées.

L’importance des initiatives parlementaires dans cette matière démontre que le revirement de jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis a eu l’effet, chez nous, d’un électrochoc. Nous devons veiller à ce que la solidité de nos institutions se maintienne à l’épreuve du temps et à ce que ce droit, chèrement conquis, de chaque femme à disposer de son corps, soit préservé.

Disons-le, en la matière, nous ne partons pas de rien et il ne faut pas mésestimer l’œuvre du Conseil constitutionnel.

Celui-ci, depuis sa décision du 27 juin 2001, reconnaît en effet que le droit à l’IVG résulte de « la liberté de la femme qui découle de l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Mais il s’agit à présent d’aller plus loin et de conférer un fondement constitutionnel autonome à l’interruption volontaire de grossesse en l’érigeant explicitement, au-delà de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en liberté fondamentale.

Pour toutes ces raisons, je persiste et je signe, le Gouvernement soutiendra toutes les initiatives parlementaires qui viseraient à constitutionnaliser le droit à l’IVG.

À ceux qui opposent à cette initiative parlementaire que le droit à l’avortement n’est pas menacé en France, je réponds ceci : n’attendons pas qu’il soit trop tard pour le défendre. Le droit des femmes à disposer de leur corps doit être inaliénable.

En 1975, Simone Veil expliquait que l’objectif du gouvernement était de créer « une loi réellement applicable, […] dissuasive, […] protectrice ». Le législateur, au travers de nombreux textes successifs, a atteint ces objectifs.

Mais l’objectif que nous visons aujourd’hui est autre. Il s’agit à présent de protéger ce droit en l’élevant au plus haut rang de la hiérarchie des normes, à savoir notre Constitution.

Ce faisant, nous donnerions à voir à toutes les femmes – je répète, toutes les femmes – qu’elles ont le choix, que celui-ci leur appartient, et qu’elles sont soutenues par la société tout entière dans ce choix.

Car, oui, les exemples étrangers partout dans le monde nous le démontrent, une démocratie digne de ce nom ne peut exister sans l’émancipation totale de la moitié de sa population !

J’appelle votre attention sur la nécessité de ne pas se tromper de débat. J’entends évidemment la commission des lois lorsqu’elle pointe qu’une telle inscription ne résoudrait pas les difficultés concrètes d’accès à l’IVG, qui peuvent se rencontrer sur le terrain. Le Gouvernement, notamment mes collègues François Braun et Isabelle Rome, est pleinement engagé pour rendre ce droit le plus effectif, concrètement, sur le terrain.

Mais il s’agit là de deux sujets différents : d’une part, l’effectivité d’un droit, d’autre part, sa protection juridique.

Si les modalités d’exercice du droit à l’interruption volontaire de grossesse doivent pouvoir continuer à être encadrées par le législateur, car il s’agit du niveau normatif le plus adapté pour le faire, le droit à l’interruption volontaire de grossesse lui-même ne doit pas être entravé, restreint ou, pis, aboli. Une garantie constitutionnelle peut nous l’assurer pour l’avenir.

Et ce pour une raison que j’avais évoquée devant vous au mois d’octobre dernier : constitutionnaliser le droit à l’IVG, c’est s’assurer que ceux qui auraient ce néfaste projet ne puissent le faire sans l’accord du Sénat. Oui, inscrire le droit à l’IVG dans notre Constitution, c’est garantir que le Sénat aura le dernier mot pour protéger celui-ci, comme il en a en déjà protégé tant d’autres, dans la noble mission qui est la sienne.

Vous l’aurez compris, tout comme la commission, le Gouvernement n’a pas changé d’avis : il est, lui, favorable à l’inscription du droit à l’IVG dans notre Constitution.

J’en viens maintenant au sujet qui est sans doute le plus complexe, comme en témoignent les nombreuses versions et amendements déposés dans les deux chambres : je veux bien sûr parler de l’emplacement et de la rédaction de cette inscription.

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