Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 1er février 2023 à 14h30
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle

Éric Dupond-Moretti :

Je le dis d’emblée, il nous faut faire montre de la plus grande humilité relativement à ces deux questions. Nul ne détient la vérité révélée et les propositions méritent toutes d’être examinées pour les avantages qu’elles contiennent, aussi bien que pour les réserves qu’elles entraînent.

L’emplacement de ce droit au sein de la Constitution n’est pas une question purement symbolique. C’est avant tout une question juridique. Or, je l’ai déjà dit, il ne faut toucher à notre Constitution, selon la formule désormais consacrée, que d’une main tremblante.

La commission des lois ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisqu’elle a relevé qu’une telle disposition devait trouver sa place dans notre Constitution, pour s’y fondre, au risque, sinon, de la fragiliser.

Le choix de cet emplacement sera également la traduction de la portée que le Parlement a voulu lui assigner. Il participera directement à donner tout son sens à la reconnaissance de ce droit.

À cet égard, M. le sénateur Philippe Bas a déposé un amendement ayant pour objet, outre qu’il propose une rédaction alternative, de placer la reconnaissance de ce droit à l’article 34 de la Constitution.

Je l’ai dit, cette proposition, comme les précédentes, mérite un examen attentif.

Sans déflorer les débats que nous aurons dans quelques instants, et malgré le fait, monsieur le sénateur, que, comme à votre habitude, vous ayez pesé chaque mot au trébuchet, la rédaction que vous proposez soulève plusieurs interrogations. Elle renvoie en effet entièrement au législateur le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les femmes peuvent recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

C’est, très exactement, l’état de notre droit.

Vous le savez, il résulte déjà de l’article 34 de la Constitution qu’il revient au seul législateur de prévoir les garanties, tout comme les limites, du droit à l’avortement.

C’est ce qu’il a fait encore récemment, par la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, ce dont, par ailleurs, je me réjouis.

J’entends votre argument : cet alinéa, en faisant référence à cette liberté qu’il revient à la loi d’organiser, consacrerait implicitement cette liberté au niveau constitutionnel. Le doute subsiste sur la réalité de cet effet.

Je comprends et partage par ailleurs votre souci de laisser une certaine marge de manœuvre au législateur : il est en effet souhaitable que les conditions dans lesquelles le droit à l’avortement s’exerce puissent évoluer avec le temps.

L’Assemblée nationale a, quant à elle, retenu la création d’un nouvel article 66-2. Cet emplacement a été choisi par les députés afin de donner une chance supplémentaire au texte d’être voté par le Sénat, puisque vous aviez rejeté, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques semaines plus tôt, la proposition de loi de votre collègue Mélanie Vogel, qui proposait le même emplacement. Le sujet reste donc ouvert sur ce point.

Par ailleurs se pose bien évidemment la question de la rédaction de cette inscription du droit à l’IVG dans la Constitution. Là encore, et à plus forte raison, il nous faut être humbles face à la tâche. Chaque mot doit bien évidemment être réfléchi, pesé, justifié. Et il ne s’agit pas là d’une entreprise très aisée.

Après le refus net du Sénat de constitutionnaliser le droit à la contraception, l’Assemblée nationale a fait un premier pas. Elle a ainsi renoncé, par son vote, à l’inscription du droit à la contraception dans la Constitution, recentrant ainsi la proposition sur la constitutionnalisation de l’IVG.

Pour motiver son refus, la commission des lois a, à son tour, relevé, à bon droit, les risques d’une rédaction inaboutie ou inadaptée.

Les termes retenus d’« effectivité et d’égal accès » semblent ainsi ouvrir un nouveau débat. Il est vrai, comme je l’ai indiqué devant l’Assemblée nationale, qu’une rédaction inadaptée pourrait conduire à consacrer un accès sans aucune condition à l’interruption volontaire de grossesse, par exemple à des IVG réalisées bien au-delà de la limite légale en vigueur.

Une écriture mal jaugée pourrait également se révéler trop rigide et empêcher une adaptation possible du dispositif actuel, si celle-ci était nécessaire, comme cela a été le cas lors de l’adoption de la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, laquelle a permis l’allongement du délai légal de recours à l’IVG de douze semaines à quatorze semaines.

Vous l’avez compris, la tâche est ardue, mais la volonté est claire.

Le Parlement se mobilise comme jamais auparavant pour consacrer le droit à l’IVG dans la Constitution.

Le Gouvernement est venu, devant chaque assemblée, soutenir les initiatives, d’où qu’elles émanent, en participant aux débats, dans le rôle qui est le sien.

La navette parlementaire fait son œuvre, car je crois comprendre que l’Assemblée nationale a pris acte du premier refus du Sénat et vous présente une version prenant en compte un certain nombre de craintes.

Comme je vous l’ai dit, toutes les craintes ne sont pas levées, car l’œuvre est complexe. Mais l’espoir est permis, l’espoir que le Parlement, avec l’appui du Gouvernement, poursuive ses travaux pour trouver un accord. Il y va du droit des femmes à disposer de leur corps. Cela seul devrait suffire à nous convaincre tous.

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