Intervention de Jean-Yves Roux

Réunion du 1er février 2023 à 14h30
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Photo de Jean-Yves RouxJean-Yves Roux :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, chacun a en tête la volte-face historique de la Cour suprême américaine, qui est venue rappeler combien l’accès à l’avortement demeure très inégal et fragile dans le monde.

Nous retrouvons donc aujourd’hui un texte que notre assemblée avait – hélas ! – rejeté au mois d’octobre dernier. C’est une bonne chose qu’il nous soit soumis de nouveau, même dans une version épurée, pour ainsi dire, puisqu’il n’y est plus question de la contraception, seulement de l’IVG.

Pour autant, je regrette que, malgré cette réécriture, le texte n’ait pas été amélioré d’un point de vue formel. Un tel sujet aurait mérité de ne pas être pollué par des questions de formalisme juridique…

Si nous sommes attachés à la défense de l’IVG comme liberté pour les femmes et pour les hommes qui les accompagnent, nous sommes également attachés à notre Constitution comme texte fondamental et précieux. Chacun connaît ici la formule de Montesquieu : on ne touche à la Constitution que d’une main tremblante.

De toute évidence, le choix de placer cette disposition dans un chapitre consacré à l’autorité judiciaire ne saurait convenir. L’article 34 aurait paru plus opportun, en tout cas moins inapproprié.

J’ai également entendu certains arguments qui ne m’ont pas convaincu : « nous sommes en France et non aux États-Unis », plaident ceux qui nient la tendance mondiale et européenne à une forme de recul des droits et des libertés fondamentales des femmes. Au contraire : si d’autres reculent, soyons fiers de montrer le chemin inverse, le chemin qui refuse la régression !

Par ailleurs, avance-t-on, la constitutionnalisation serait illusoire, parce qu’elle ne résoudrait pas les problèmes d’accès à l’IVG. Évidemment ! Mais à quoi faudrait-il s’attendre ? Une telle remarque, tout compte fait, vaut pour l’ensemble des droits consacrés par le bloc de constitutionnalité.

Pensons, par exemple, aux libertés de conscience, de réunion, d’expression, de la presse. Chacune de ces libertés a été consacrée, sans que cette consécration résolve à elle seule la question de l’accès.

Les problèmes d’accès et de réalisation concrète ne sont globalement pas des problèmes constitutionnels : c’est au législateur et au pouvoir réglementaire de les régler.

Notre Constitution doit afficher des principes, des valeurs et des objectifs. Elle indique la finalité de notre droit, celle à laquelle il ne saurait déroger.

De toute évidence, la garantie donnée à la liberté des femmes d’interrompre leur grossesse trouvera sa place dans un tel corpus. Et il me semble trop précaire de se limiter à la seule interprétation jurisprudentielle du Conseil constitutionnel.

Pour reprendre les mots de notre collègue Stéphane Artano, un revirement de jurisprudence et d’interprétation serait trop simple à justifier : on nous expliquerait que l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, sur lequel le Conseil appuie sa jurisprudence, ne se réfère, au sens strict comme au sens historique, ni à l’IVG ni à la contraception.

C’est au fond ce qui est arrivé aux États-Unis et c’est ce contre quoi nous devons nous prémunir.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDSE, dans sa majorité, votera en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle.

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