Intervention de Marie-Pierre de La Gontrie

Réunion du 1er février 2023 à 14h30
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Photo de Marie-Pierre de La GontrieMarie-Pierre de La Gontrie :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « n’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Voilà ce que déclarait Simone de Beauvoir il y a un demi-siècle.

Rappelons-nous le long chemin parcouru, la lutte âpre et parfois violente que les femmes ont menée pour obtenir, par la première loi Veil du 17 janvier 1975, la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse.

N’oublions pas toutes ces femmes criminalisées pour avoir avorté ou pour avoir aidé d’autres à le faire. N’oublions pas toutes celles qui sont mortes faute d’avoir eu accès à des conditions dignes pour pratiquer un avortement. La constitutionnalisation de l’IVG s’inscrit dans cette longue histoire des luttes des femmes pour leurs droits.

Cela a été rappelé, notre Constitution est la règle la plus élevée de l’ordre juridique, elle organise notre vie institutionnelle, mais elle définit aussi les valeurs et principes qui fondent la communauté politique ; elle traduit notre contrat social.

Pour le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, « l’égalité de genre impose […] de tenir compte des besoins de santé des femmes, qui diffèrent de ceux des hommes ». Si ce principe avait été connu des rédacteurs du préambule de la Constitution de 1946, son article 3 qui garantit aux femmes des droits égaux à ceux des hommes aurait consacré la liberté reproductive spécifique des femmes.

La liberté reproductive des femmes est la condition de l’égalité entre les sexes et doit figurer à ce titre dans le texte qui fonde notre communauté.

Ce serait notre fierté et notre honneur que d’être le premier pays au monde à inscrire dans sa Constitution le droit des femmes à disposer de leur corps.

Ce combat, mené par la gauche depuis longtemps, est aujourd’hui partagé par plus de 80 % des Français, qui y sont favorables, toutes convictions politiques et religieuses confondues.

Pourtant, certains pensent qu’il serait inutile de protéger le droit à l’IVG au motif que la législation actuelle le protégerait déjà suffisamment. Mais, comme l’a dit précédemment le garde des sceaux, ne sera-t-il pas alors trop tard pour légiférer si des forces rétrogrades prennent le pouvoir et décident de s’attaquer à ce droit ?

N’avez-vous pas vu les manifestations hostiles au droit à l’avortement qui se sont tenues au cours des derniers mois, notamment dans les rues de Paris il y a quelques jours, rassemblant plusieurs milliers de personnes ?

D’autres affirment que le droit à l’IVG serait déjà garanti constitutionnellement au titre des libertés fondamentales : cela résulte, selon nous, d’une incompréhension. Si le Conseil constitutionnel n’a pas conclu à une inconstitutionnalité depuis sa décision initiale sur la loi Veil en 1975, puis pour chacune de ses modifications législatives, il n’a cependant jamais formellement reconnu l’IVG comme un droit fondamental.

Ces lois ont été validées au motif qu’elles respectaient un équilibre entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article II de la Déclaration de 1789, mais sans conférer pour autant une protection autonome au droit à l’IVG. La constitutionnalisation de l’IVG conférerait évidemment à ce droit une protection plus forte.

Certains avancent que cela ne résoudrait pas l’effectivité de l’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire. C’est pourquoi la rédaction proposée dans ce texte mentionne explicitement ce point.

Mais pourquoi opposer la constitutionnalisation de l’IVG et la question de son accès ? Ne pourrait-on pas, à la fois, améliorer l’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire et donner une protection supplémentaire à ce droit, en le constitutionnalisant ?

D’autres qualifient d’inutile cette constitutionnalisation au motif qu’il n’existerait aucun risque de remise en cause de ce droit dans notre pays, alors que nous assistons à un tel mouvement en Europe et aux États-Unis. Dire cela, c’est penser que la France serait une sorte d’îlot protecteur et protégé dans une Europe et un monde qui, concernant l’ensemble des droits fondamentaux, vacillent.

Avec le même raisonnement, nous aurions dû nous opposer à la constitutionnalisation de l’abolition de la peine de mort, puisque les engagements internationaux de la France rendaient ce retour en arrière impossible.

J’ajouterai un mot, enfin, sur la proposition de notre collègue Philippe Bas qui s’engage dans cette constitutionnalisation avec une rédaction différente, qu’il nous a détaillée.

Cette rédaction présente selon nous deux faiblesses.

Tout d’abord, elle n’est pas conforme au dispositif retenu à l’Assemblée nationale et ne permet pas à ce stade de vote conforme de la proposition de loi constitutionnelle.

Ensuite, le terme retenu est « liberté », au lieu de « droit ». Or, je le dis à M. Bas comme à vous tous, mes chers collègues, l’IVG n’est pas seulement une liberté ; pour nous, c’est un droit.

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