Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, Gisèle Halimi affirmait déjà en 1973 : « Il y a dans le droit d’avortement de la femme une revendication élémentaire, physique, de liberté. »
Plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, ont dit que ce droit existait et qu’il était reconnu depuis la loi Veil du 17 janvier 1975, à la suite des mobilisations de femmes, d’associations féministes, de syndicalistes et de partis politiques progressistes. Alors, pourquoi vouloir le faire entrer dans la Constitution ?
Il est indéniable qu’en 2023 l’avortement continue de rencontrer une opposition certaine, que nous vivons également dans cet hémicycle. Quand il s’agit de faire progresser les droits des femmes, des voix s’élèvent toujours pour exiger de les encadrer, voire de les limiter, surtout lorsqu’il s’agit de la liberté d’avoir ou non un enfant ! Cette situation se retrouve en France, en Europe et dans le monde.
En plus de ces blocages idéologiques, j’ai déjà eu l’occasion de décrire, ici même, les embûches matérielles qui entravent le droit à l’avortement dans notre pays : fermeture des centres de contraception et d’interruption volontaire de grossesse, manque de personnels pratiquant l’IVG, tarification à l’activité, double clause de conscience…
Les femmes les plus touchées par ces embûches sont évidemment les femmes précaires, qui laissent passer le délai légal et n’ont pas la possibilité d’aller à l’étranger. C’est une petite musique que l’on connaît bien et qui présente quelques similitudes avec les années 1970 !
J’espère donc que le Sénat va se saisir, cette fois-ci, de la présente proposition de loi pour consolider ce droit à l’IVG si chèrement acquis. Le constitutionnaliser est une opportunité qu’il faut saisir.
En effet, si le Conseil constitutionnel a toujours jugé les lois relatives à l’interruption volontaire de grossesse conformes à la Constitution, il n’a pour autant jamais consacré ce droit sous la forme d’un droit fondamental. Ainsi, l’IVG ne bénéficie que d’une protection législative, et non constitutionnelle. Aujourd’hui, une loi qui porterait atteinte au droit à l’IVG ne serait pas censurée.
Mes chers collègues, la volonté de constitutionnaliser le droit à l’avortement n’est pas nouvelle. Elle ne date pas de la décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022. Cela fait onze ans, depuis 2012, que le parti communiste porte cette idée et le groupe CRCE a déposé une proposition de loi en ce sens dès 2017.
Nous le répétons, et comme nous l’avions soutenu récemment lors de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle déposée par notre collègue Mélanie Vogel, dont nous étions cosignataires, il est grand temps de conférer à l’interruption volontaire de grossesse le statut de droit fondamental et de l’inscrire dans la Constitution afin de s’assurer que l’accès à l’IVG ne puisse être affaibli, voire supprimé, par des dispositions législatives.
Pour y parvenir, il faut émettre un vote conforme sur la proposition de loi adoptée à l’Assemblée nationale, ce qui, au vu du rapport de force, semble quelque peu incertain.
Néanmoins, depuis octobre dernier et le rejet au Sénat d’une première proposition de loi constitutionnelle, les débats traversant la société ont peut-être contribué à faire évoluer certaines positions. C’est ainsi que notre collègue Philippe Bas souhaite faire bouger les lignes : il a déposé un amendement qui porte sur l’article 34 de la Constitution, comme le défendait le groupe CRCE.
Les termes de cet amendement – « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. » – nous posent question et nous inquiètent quant à la possible latitude laissée au législateur de revenir sur certaines avancées, notamment en raison de la substitution du mot « droit » par le mot « liberté ».
Cela étant, nous sommes conscients que ledit amendement, s’il était adopté, représenterait une ouverture permettant à la proposition de loi constitutionnelle de poursuivre son parcours législatif.
Notre groupe ne fera donc rien pour bloquer un tant soit peu ce texte, mais nous souhaitons, si l’amendement était voté, qu’il soit rédigé de manière différente, en incluant le mot « droit » – pour nous, c’est un point extrêmement important.
Mes chers collègues, comme nous y invitent les associations féministes, dont certaines sont ici présentes et que je salue, soyons le premier pays garantissant le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution.
Je fais mien l’appel d’Osez le féminisme ! d’octobre dernier : « Nous appelons la France à être pionnière dans la protection du droit à l’avortement, en devenant le premier pays à constitutionnaliser ce droit fondamental, donnant ainsi un message d’espoir pour les femmes de ce monde qui se battent pour leurs droits et pour le respect de leur corps et de leur santé. »