Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 7 février 2023 à 14h30
Soutien du sénat à l'ukraine — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà 349 jours, la Fédération de Russie a décidé, sur ordre de son président Poutine, l’invasion d’un autre pays souverain, l’Ukraine, en violation du droit international.

Cela fait 349 jours qu’un peuple souffre. Cela fait 349 jours qu’un peuple est bombardé. Cela fait 349 jours qu’un peuple se bat pour sa liberté et, à travers elle, pour la nôtre.

Au Sénat, depuis bientôt un an, nous suivons l’évolution de la situation et nous nous sommes réunis à de multiples reprises. La semaine dernière encore, nous entendions les mots forts du président de la Rada, Rouslan Stefantchouk : « On nous tue par le froid et l’obscurité » ou « La Russie a volé un an de la vie de l’Ukraine. »

Ces mots ne peuvent rester sans écho et je salue l’initiative du président du groupe Les Indépendants – République et Territoires, à l’origine de cette proposition de résolution. Elle nous permet de regarder derrière nous et de tirer un premier bilan de cette année de guerre en Europe afin de tracer les perspectives qui devront conduire vers une paix victorieuse pour l’Ukraine et les Ukrainiens.

Le 26 octobre dernier, nous avons eu un débat très riche, très fort : nous avons condamné et dénoncé cette invasion et ses conséquences, notamment à l’égard des populations civiles. Nous avons condamné une invasion et des exactions contraires au droit international. Nous n’oublierons pas Boutcha, Irpin, Marioupol et toutes les autres villes martyres.

Nous nous sommes inquiétés des conséquences collatérales pour l’Europe et pour le monde, particulièrement en matière d’énergie et de sécurité alimentaire.

Nous nous sommes interrogés sur les risques d’usure que fait peser cette guerre ; une usure qui pourrait atteindre la solidarité et le soutien des pays et de leurs concitoyens à la cause de l’Ukraine.

Ces quelques mois qui nous séparent de ce dernier débat permettent de dresser un certain nombre de constats et de tirer quelques leçons.

Le premier de ces constats est que le soutien à l’Ukraine non seulement reste indéfectible, mais aussi se renforce dans l’opinion. Malgré l’inflation, malgré les coûts de l’énergie, nos concitoyens n’ont pas fléchi et l’adhésion à l’Union européenne s’est même renforcée.

Les pays européens et leurs alliés continuent de faire preuve de solidarité et ne cessent de renforcer leur aide, qu’elle soit financière, militaire ou diplomatique. L’Union européenne a su démontrer ses capacités de ressources pour affronter les turbulences. Nous ne devons pas relâcher l’effort, mais continuer de relever collectivement certains défis qui n’ont pas encore été traités – j’y reviendrai.

Le second constat est que le soutien, notamment sous forme d’envoi de matériel, a produit des effets. L’armée ukrainienne a pu mettre à son actif la reconquête d’une partie de son territoire : l’armée russe détenait 24, 4 % du territoire ukrainien en mars 2022 ; aujourd’hui, elle n’en contrôle plus que 18 %. Même modeste, c’est une avancée.

Les premiers responsables en sont bien sûr les Ukrainiens, dont le courage et la combativité continuent d’être à l’œuvre sur les différents fronts : on pense notamment à Bakhmout, où les combats sont particulièrement violents, et à d’autres zones où la situation reste très fragile.

Enfin, l’escalade tant crainte n’a pas eu lieu. Tout du moins pas sous la forme que certains prédisaient. La seule escalade que l’on observe est celle de la violence utilisée par l’armée russe à l’encontre du peuple ukrainien. En effet, nous avons observé un changement de nature de la stratégie russe, les infrastructures critiques ukrainiennes et les populations civiles étant délibérément et systématiquement ciblées dans une fuite en avant à caractère mortifère.

Contraire à toutes les lois, cette stratégie ne peut que renforcer notre détermination à nous tenir aux côtés des Ukrainiens. Alors oui, nous aiderons à reconstruire les infrastructures ! Alors oui, nous continuerons de soutenir les populations !

J’aurai ici une pensée, mes chers collègues, pour les Français qui sont encore en Ukraine. Certains, dans l’est du pays, sont sous les bombes, notamment à Kharkiv. Ils ne sont pas partis, car leur vie est là-bas, tout comme leurs attaches familiales. Certains n’ont pas les capacités financières ni les contacts nécessaires en France pour partir. Il ne faut pas les oublier, monsieur le ministre, et nous devons être à leurs côtés pour répondre à leurs éventuelles demandes.

Cette proposition de résolution nous conduit à nous interroger sur les prochaines étapes à entreprendre pour aboutir à une sortie de ce conflit.

Sur ces travées, comme partout ailleurs, personne ne veut la guerre. Nous souhaitons le retour à une situation pacifiée. Mais nous devons être clairs sur un point : quitte à nous répéter encore et encore, nous ne pouvons viser autre chose que la victoire de l’Ukraine sur son agresseur russe.

Je l’ai déjà dit ici et je le répète : aucun traité ne saurait être arraché par la force. C’est d’égal à égal, sous la protection de l’ensemble de la communauté internationale, rassemblée au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU), que l’Ukraine et la Fédération de Russie doivent définir les modalités de leur coexistence, même si nous savons que celle-ci sera difficile, notamment dans les premiers temps, une fois – nous l’espérons – la paix retrouvée. Car tout démontre que c’est dans un rapport de force, y compris militaire, avec Poutine que la voie de la diplomatie pourra être retrouvée. Lui seul nous oblige à réagir ainsi, ne l’oublions pas !

Pour atteindre ce but, il convient de souligner l’importance du saut qualitatif de l’aide militaire. Des chars seront fournis, même s’il faudra nécessairement du temps pour assurer cette livraison. Ils seront un renfort de poids pour l’armée ukrainienne. Des avions pourraient l’être également. La stratégie ukrainienne reste et doit rester une stratégie défensive que nous devons soutenir par ces moyens. Elle l’a toujours été, parce que c’est l’Ukraine qui est la nation agressée et c’est elle qui doit pouvoir se défendre.

Ces renforts sont d’autant plus nécessaires que la Russie a des ressources en termes de matériel ou de soldats : nous ne connaissons pas encore les effets de la massification de son armée sur une éventuelle offensive à venir à la fin de l’hiver ou au début du printemps.

Comme depuis le début de la guerre, l’aide européenne doit être combinée à des sanctions contre l’économie russe. Il convient à cet égard de saluer le nouveau paquet de sanctions annoncé par Ursula von der Leyen pour le 24 février prochain, soit un an jour pour jour depuis le début de l’invasion.

Dans ce cadre, la présente proposition de résolution cite notamment la Biélorussie, qui fait partie de l’équation. N’oublions pas non plus cet État vassal du régime de Moscou et ayons une pensée pour les opposants biélorusses emprisonnés ou exilés.

Comme le texte l’évoque, nous devons combiner notre action avec une réflexion plus poussée qui pourra aboutir à des enquêtes sur des faits susceptibles de constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. L’Europe travaille sur différentes pistes en ce sens. La France, monsieur le ministre, devra y prendre toute sa part.

La guerre nous oblige à l’humilité. Comme la proposition de résolution nous y invite, plusieurs questions restent à trancher à l’échelon français, à l’échelle européenne et au sein de l’Otan : comment établir le basculement stratégique ? Comment reprendre l’avantage dans le cadre d’une stratégie défensive ? Comment reconstruire l’Ukraine ? Sur ce dernier point, la France devra y participer aux côtés de ses partenaires. À ce stade, le classement en zone rouge de l’ensemble de l’Ukraine par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères empêche les entreprises françaises d’y participer : il faudra travailler sur le sujet.

Cette humilité, nous devons également l’appliquer à la France. Cette guerre interroge nos certitudes et nous devons, dès aujourd’hui, réfléchir ensemble sur les capacités militaires qui nous permettent de protéger notre pays, sur la réaffirmation de notre place dans l’Otan, sur la place de la France sur le continent européen et au niveau international ou encore sur nos capacités économiques et industrielles. Cette réflexion doit s’inscrire non seulement à l’échelon national, mais aussi dans le cadre européen. Ce sont des chantiers importants.

Mes chers collègues, nous ne devons pas craindre Vladimir Poutine quand celui-ci souligne qu’au travers de l’Ukraine il fait la guerre à l’Occident. M. Poutine est un prédateur : il profitera de chacune de nos faiblesses. Ses provocations verbales lors de la célébration de la victoire de Stalingrad, jeudi dernier, ont pour terreau l’exaltation d’un patriotisme agressif. Alors, soyons forts et sachons résister !

Oui, c’est un prédateur, à l’extérieur comme à l’intérieur de ses frontières. Le peuple russe comporte aussi son lot d’opposants à la guerre : ceux qui ne veulent pas que leurs enfants se fassent dévorer par le nationalisme, ceux qui ne veulent pas que la dictature s’étende sur le monde. Sachons écouter leur voix, même si elle est encore faible et réprimée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion