Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce début d’année, les syndicats paysans sont unanimes. L’inquiétude est grande, avec une préoccupation majeure : il est difficile de savoir si nos agricultrices et les agriculteurs pourront vivre de leur travail en 2023.
Les crises récentes nous ont montré l’importance de protéger nos filières du tout-dérégulé. Déjà, en 2021, pendant la crise de la covid, les prix des intrants agricoles ont connu leur plus forte hausse de la décennie : soit 10 % pour les engrais, l’énergie et les lubrifiants, et 11 % pour l’alimentation des animaux.
Il y avait certes tout un contexte : une pression sur les marchés, des stocks et approvisionnements limités, des récoltes de céréales amoindries par les aléas climatiques, les sécheresses et le gel. Mais il y a aussi une inflation artificielle sur le marché de l’énergie qui vient de la spéculation sur les marchés boursiers. On le voit depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie : en plus d’une crise de l’approvisionnement, il y a des profiteurs de crise et il y a du trading.
C’est donc un poste de dépenses qui a augmenté de plus de 370 % entre 2021 et janvier 2022. Là encore, le marché financier impose les lois de la spéculation à des hommes et des femmes qui veulent vivre de leur travail.
Or ce système, le Gouvernement le cautionne. Vous avez refusé de rétablir les tarifs réglementés de vente pour toutes les TPE et PME, dont les exploitations agricoles. Et l’on s’étonne ensuite d’avoir une filière qui se demande si elle passera l’année !
Quant au plafonnement à 280 euros le mégawattheure, soyons sérieux : quand on passe de 42 euros le mégawattheure en 2021 à 280 euros en 2023, il y a de quoi mettre la clé sous la porte.
Monsieur le ministre, vous nous présenterez cette année une loi d’orientation et d’avenir agricoles. Les agriculteurs et agricultrices vous attendront sur toutes ces questions comme sur votre politique commerciale.
En l’espace d’un an, deux traités de libre-échange supplémentaires ont été conclus, l’un avec le Chili – mon collègue l’a dit –, l’autre avec la Nouvelle-Zélande. Je veux bien que l’on fasse une séquence émotion sur le recul de la filière bovine en France, mais rien qu’avec ces deux traités, pas moins de 12 000 tonnes de viande bovine seront introduites sur le marché européen, dopées à des substances interdites dans l’Union européenne.
Ensuite, il faudra dire à nos agriculteurs : « Il va falloir monter en gamme, sinon c’est fini, c’est la retraite anticipée ! » Du moins, si vous leur en laissez une, parce que, avec votre projet de réforme, c’est plutôt le chômage à 50 ans qui les attend…
Votre projet d’agriculture n’est pas celui du groupe communiste, vous l’aurez compris, mais cela n’empêche pas le débat. Toutefois, pour qu’il ait lieu, il ne faut pas tenir des propos en demi-teinte. Il faut assumer que vous défendez des importations venues de l’autre bout du monde, qui font subir une concurrence déloyale à la filière française et aux filières européennes.
Il faut assumer devant la jeunesse du pays, qui s’est mobilisée pour le climat, que vous signez pour des produits qui font le tour du monde, soit 20 000 kilomètres, pour arriver dans nos assiettes ; des produits que l’on sait faire ici avec une meilleure qualité.
Ce n’est pas là seulement le fait de politiques européennes face auxquelles la France serait impuissante. Lors de la signature du traité avec la Nouvelle-Zélande, c’est la France qui exerçait la présidence de l’Union européenne ; c’est la France qui s’est empressée de ratifier l’accord trois semaines avant la fin du mandat du président Macron. Ces accords « nouvelle génération », comme on les appelle, sont en réalité antidémocratiques, et le Parlement n’y a même pas été associé.
D’ailleurs, même pour les accords mixtes, on voit bien que vous n’avez pas envie de débattre. Il y a bien eu au Sénat, vous le savez, monsieur le ministre, une proposition de résolution adoptée à l’unanimité pour que le projet de loi de ratification du Ceta (Comprehensive Economic and Trade Agreement) soit inscrit à l’ordre du jour de la Haute Assemblée. Cela fait sept ans que l’Assemblée nationale a voté cet accord, alors que, à l’époque, elle n’était qu’une simple chambre d’enregistrement pour le Gouvernement. Et il n’y a toujours rien au Sénat !
En revanche, 90 % des dispositions prévues dans le Ceta s’imposent aujourd’hui à notre économie et à notre agriculture. Voilà sept ans qu’elles s’appliquent, sans un vote, sans bilan, sans recul, autant dire sans rien ! La dernière fois qu’un ministre m’a dit : « Laissez-moi vous emmener dans une exploitation agricole et vous verrez ! », il s’agissait de M. Riester, et j’attends encore… Monsieur le ministre, je réitère ma proposition : si vous trouvez une seule exploitation où le bilan est bon, je viendrai avec vous y passer la journée, sans caméra !
Les agriculteurs et les agricultrices méritent mieux que ce mépris, et il est temps que le débat ait lieu sur la politique commerciale que vous menez en réalité.