Intervention de Serge Merillou

Réunion du 7 février 2023 à 22h00
Compétitivité : une urgence pour redresser la ferme france — Débat sur les conclusions d'un rapport d'information de la commission des affaires économiques

Photo de Serge MerillouSerge Merillou :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’avoir une pensée pour notre collègue Jean-Claude Tissot, qui est le chef de file de notre groupe sur les sujets agricoles, et que je remplace ce soir au pied levé, car il est, hélas ! confronté à un drame personnel.

Comme je l’ai dit en introduction, notre rapport dresse un constat sans appel, rappelé par beaucoup d’intervenants : la ferme France décline. Partout sur nos territoires, les agriculteurs nous interpellent, nous font part des difficultés, parfois insurmontables, que rencontrent celles et ceux qui nous nourrissent et ne sont pas rémunérés à hauteur de leur engagement.

Notre agriculture et notre gastronomie sont réputées dans le monde entier. La qualité de nos denrées, notre savoir-faire ne sont plus à démontrer.

Pourtant, à l’heure où le commerce international des produits agroalimentaires n’a jamais été aussi dynamique, nous ne sommes pas au rendez-vous.

Nous sommes le seul grand pays agricole dont les parts de marché reculent quand, dans le même temps, nos importations de produits agricoles explosent. En vingt ans, nous sommes passés du deuxième au cinquième rang mondial en termes d’exportations. Notre excédent commercial résulte pour l’essentiel du seul effet prix de nos exportations, notamment des vins et spiritueux, filière de plus en plus concurrencée.

Mes chers collègues, nous devons nous inquiéter d’une telle situation, d’autant que le contexte géopolitique est tendu et l’inflation galopante. Nous le constatons, le prix des denrées alimentaires s’envole et certaines viennent à manquer.

Plus que jamais, nous devons repenser notre modèle agricole pour tendre vers une pleine souveraineté et ne pas dépendre de l’extérieur pour notre alimentation. Il n’y a rien de pire que les peuples qui ont faim ! Nous devons être en mesure de nourrir convenablement les Français, quelle que soit leur classe sociale.

Nous devons reconnecter l’agriculture avec les attentes des consommateurs. Notre pays, grande puissance agricole, le grenier de l’Europe, en est capable sous réserve d’une réelle volonté politique.

Pour ce faire, il est impératif de réarmer la ferme France en lui donnant les moyens de ses ambitions, les moyens d’être compétitive.

Redevenir compétitif, c’est d’abord redevenir attractif. Aujourd’hui, face aux difficultés financières, matérielles ou techniques, beaucoup d’agriculteurs ne s’en sortent plus. Précarité et agribashing n’incitent pas à l’installation de nouveaux exploitants. En ce sens, les chiffres publiés par la Mutualité sociale agricole ces dernières années sont significatifs et doivent nous interpeller.

Réforme de l’enseignement, du foncier, juste rémunération des agriculteurs ou encore revalorisation des retraites agricoles : les chantiers sont nombreux et les avancées en la matière, pour l’heure, insuffisantes.

Redevenir compétitif implique aussi de revoir nos politiques agricoles. La stratégie insufflée par le Président de la République dans son discours de Rungis, qui ne vise que la seule montée en gamme, ne peut être l’alpha et l’oméga de notre agriculture.

D’autant plus que les agriculteurs ont vu le montant de leurs charges s’envoler, leur fiscalité augmenter et la concurrence mondiale s’intensifier. Ils ont en outre pu constater que le soutien du Gouvernement dans le cadre des accords de libre-échange était pour le moins mitigé.

Faute d’un accompagnement adapté et à la hauteur des ambitions du Président de la République, cette stratégie du « tout montée en gamme » risque d’entraîner notre pays dans une crise de souveraineté alimentaire et de pouvoir d’achat.

Pour faire face à la demande et redonner une dynamique à notre ferme France, nous devons – j’en suis convaincu – réinvestir le marché « cœur de gamme » et booster notre productivité. L’agriculture française est capable de répondre à ces défis.

Nos éleveurs, nos agriculteurs sont responsables et soucieux de produire des denrées de qualité. Faisons-leur davantage confiance et, surtout, donnons-leur un cadre et des outils adaptés : il s’agit de les accompagner face aux nombreux défis auxquels ils doivent faire face.

Adaptation de l’agriculture au changement climatique – c’est le principal défi des dix années à venir –, enjeux environnementaux, gestion de l’eau, concurrence internationale déloyale à cause de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que nous : il est urgent de sauvegarder notre souveraineté alimentaire pour ne pas, demain, être totalement dépendants des aléas géopolitiques, sanitaires ou encore climatiques.

Les trois années que nous venons de traverser ont certes été difficiles, mais elles ont également été riches d’enseignements.

Il est temps de reconquérir, dans tous les domaines, notre appareil productif et de cesser de s’en remettre aveuglément aux sirènes de la mondialisation à tout-va.

Ce rapport n’a pas pour objet d’opposer les modèles agricoles et les agriculteurs entre eux – surtout pas ! Il ne vise pas non plus à opposer l’agriculture conventionnelle et l’agriculture biologique, les céréaliers aux éleveurs, l’agriculture dite « productive » – encore faudrait-il définir précisément ce que ce terme recouvre – à une agriculture plus « familiale ».

Il faut produire pour toutes et tous, dans un cadre clair, afin de répondre aux différentes attentes de nos concitoyens et d’avoir une alimentation sûre, locale, de qualité, diversifiée, mais également accessible économiquement.

Ce dernier point est essentiel : chacun de nos concitoyens doit pouvoir manger français tous les jours, et pas uniquement le dimanche. Rappelons-nous que le contenu de l’assiette est le premier révélateur d’inégalités.

Mes chers collègues, pour ce faire, nous devons changer de cap, mais non sans garde-fou.

En tant que corapporteur socialiste d’un rapport transpartisan, j’ai évidemment des divergences avec mes collègues au sujet d’un certain nombre de propositions. Mais c’est là tout l’intérêt de la confrontation des idées. Après tout, quand on reste dans l’entre-soi, il n’en sort jamais grand-chose. Il est toujours intéressant de partager et de comparer les points de vue, pour trouver des accords et avancer.

Pour ce qui est de nos désaccords, je citerai tout d’abord l’évolution du rôle qui pourrait être confié à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

La rentabilité et la compétitivité de notre ferme France ne doivent pas altérer la qualité des produits et représenter un danger pour la santé de nos concitoyens – c’est évidemment la ligne rouge à ne pas franchir.

Il en est de même pour la réduction des coûts de production, qui ne peut prendre la forme d’une détérioration des conditions salariales des travailleurs. Sur ce dernier point, nous avons échangé et trouvé un accord.

Monsieur le ministre, ce rapport transpartisan est une contribution qui me paraît pertinente compte tenu de l’état de notre modèle agricole. L’accueil positif qui lui a été réservé par le monde agricole en témoigne.

Privilégier la montée en gamme grâce à la production sous signes officiels de qualité, comme le bio, les labels, ou encore la production locale est un bel objectif, mais il doit s’accompagner d’une présence de l’agriculture française sur tous les segments du marché. Tel est à mon sens le véritable défi à relever.

Le groupe politique auquel j’appartiens a été à l’origine de nombreuses initiatives lorsque nous étions aux responsabilités. Je pense notamment à l’engagement de Stéphane Le Foll en matière de développement du bio et de l’agroécologie ou encore à celui des sénateurs de mon groupe, depuis des années, en faveur du développement des paiements pour services environnementaux.

J’encourage moi-même ces modes de production, de distribution, de mise en valeur des produits de nos terroirs dans mon département. Nous devons collectivement les promouvoir.

Je l’ai dit, la stratégie de montée en gamme nécessite un accompagnement fort et massif des agriculteurs pour limiter la différence de prix sur les étals. Nous devons viser une démocratisation de ces produits, afin que chacun puisse en bénéficier.

Mais, pour l’heure, monsieur le ministre, la priorité est de nourrir tous les Français et de faire en sorte que chacun d’entre eux ait les moyens de se nourrir ! Or nous ne sommes pas sur la bonne voie.

Rendons à nos agriculteurs la fierté de produire et n’oublions pas que, dans nos départements ruraux, l’agriculture est souvent la dernière activité économique qui exerce, sans contrepartie financière, un rôle irremplaçable dans l’aménagement et l’entretien de l’espace.

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