Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en lisant ce rapport, je me suis souvenu des leçons que j’apprenais plus jeune. La France était alors le « grenier à blé » de l’Europe, un pays de cocagne, deuxième exportateur mondial. Aujourd’hui, nous sommes au cinquième rang ! Dans les années 1980, nous comptions 1, 2 million d’exploitations agricoles, contre un peu moins de 440 000 aujourd’hui.
Oui, en 2023, la France est l’un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent, tandis que ses importations alimentaires explosent. Le potentiel productif agricole s’érode d’année en année : baisse du nombre d’exploitations, chute de la surface agricole utile en cultures et plafonnement des rendements. La productivité de l’agroalimentaire, faute d’investissements suffisants, est également en berne.
Nos collègues ont donc passé plusieurs mois à dresser un tableau exhaustif de la filière agricole, mais, point plus intéressant, ils se sont penchés sur les causes et ont donc interrogé l’esprit des réformes successives qui ont conduit notre agriculture à aller aussi mal.
Depuis plusieurs décennies, nous nous sommes habitués à entendre une petite musique jouée par ceux qui vitupèrent notre modèle agricole, pourtant l’un des plus vertueux.
C’est dans ce contexte politico-médiatique qu’en 2017 notre Président a plaidé pour « la montée en qualité, la montée du bio ». Les produits français n’étant plus compétitifs, ils devaient monter en gamme afin d’atteindre des marchés de niche plus rémunérateurs, tandis qu’« en même temps » le marché allait être ouvert aux produits étrangers cœur de gamme. Cette politique agricole à deux faces sera une impasse.
Tels Perrette et son pot au lait, ces décideurs ont rêvé : adieu lait, pommes, tomates, poulet !
Oui, comme Perrette, ces gouvernements successifs ont fini par trébucher sur la réalité : ce modèle était déconnecté des attentes des Français et les contraintes qui pèsent sur lui sont autant de boulets qui l’ont entravé.
C’est ce que démontre ce rapport, très pédagogique, au travers notamment d’exemples tirés de la consommation quotidienne de nos concitoyens.
Prenons l’exemple de la pomme. Voilà dix ans, nous en exportions 700 000 tonnes, et en importions 100 000 tonnes. À ce jour, nous n’en exportons plus que 350 000 tonnes, et en importons 200 000 tonnes… Derrière ces chiffres, ce sont nos pomiculteurs qui se sont adaptés à des contraintes toujours plus coûteuses pour produire la pomme parfaite.
Or, pour la produire, on augmente son coût et les vilaines pommes manquent pour les produits de transformation, comme le jus ou la compote. Les conséquences sont sans appel : produire une pomme française coûte 1, 18 euro contre 53 centimes pour une pomme polonaise.
La consommation régulière de la pomme pourrait donc rapidement être réservée aux consommateurs français les plus aisés, laissant les pommes étrangères, bourrées de substances interdites en France, aux consommateurs les moins aisés et aux producteurs de produits transformés à base de pommes.
Cette politique du « tout montée de gamme » a fait apparaître deux risques majeurs : une déconnexion totale de notre agriculture avec les attentes de nos concitoyens, lesquels connaissent une inflation alimentaire sans précédent, et une crise de souveraineté alimentaire. La guerre russo-ukrainienne nous a rappelé l’importance géostratégique de l’arme agricole. Certes, le ministère de l’agriculture a été renommé en conséquence, mais corriger réellement le tir est maintenant une nécessité.
La stratégie Farm to F ork, qui nous entraîne vers la décroissance, est à rebours de nos besoins et, actuellement, se heurte à la situation géopolitique. À l’heure où nous découvrons le prix de la dépendance énergétique, comment pouvons-nous ne pas doter la France d’une agriculture souveraine et compétitive ? Nous ne pouvons plus nous acheter une bonne conscience environnementale sur le dos de nos agriculteurs : ce serait irresponsable vis-à-vis de nos enfants.
Ce rapport nous donne les clés pour redresser la barre de notre filière agricole. Il serait dommage de passer à côté et de ne pas mettre en œuvre ses préconisations.