Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 9 février 2023 à 14h30
L'état territorial entre mirage et réalité — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

En effet, vous n’ignorez pas que les historiens, les géographes et les philosophes aiment souvent s’écharper sur les concepts et les récits, afin de défricher ce qui relèverait du mythe ou du réel, de l’illusion ou du vécu. Autant dire que l’intitulé du débat a tout pour me plaire !

Seulement, pour vous parler en toute transparence, j’ai été dubitatif en découvrant son objet, car je n’ai pas su exactement ce que signifiait l’expression « État territorial ». Est-ce une variante de l’État unitaire ? De l’État fédéral ? De l’État décentralisé ou de l’État déconcentré ? Vise-t-on la France en particulier, ou s’agit-il, plus largement, d’un modèle théorique abstrait ?

Bien entendu, je comprends l’esprit de la formule : elle vise le rapport de l’État à son territoire, ou à ses territoires, et plus spécifiquement le rapport entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales. C’est finalement un moyen de nous confronter à l’ambiguïté du lien entre le territoire de l’État et les territoires dans l’État. Bref, voilà un vaste programme, que notre assemblée ne craint pas d’affronter. Je m’en réjouis !

En effet, par cette expression, nous poursuivons les travaux déjà engagés en 2016 par le Sénat à la suite du rapport d’information rédigé par Éric Doligé et Marie-Françoise Perol-Dumont.

Nos anciens collègues dressaient le constat suivant : les services déconcentrés de l’État sont confrontés à une succession de réformes qui remettent périodiquement en question leurs modalités d’organisation, leurs priorités d’action et leurs moyens matériels et humains.

Plusieurs axes de progression étaient ressortis de ce rapport, parmi lesquels je relèverai la volonté de maintenir la proximité de l’administration déconcentrée avec les collectivités territoriales, mais surtout de donner à ces dernières les moyens de surmonter la complexité de l’organisation administrative et de ses procédures.

Il y a quelques semaines, nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche se sont chargés de dresser un nouveau bilan de ces problématiques, via un nouveau rapport, d’ailleurs excellent, sur le thème de l’État territorial. Je veux souligner la qualité de leur travail et faire observer que notre assemblée tient assidûment son rang de chambre des territoires.

Surtout, il ressort de ce travail que les problématiques identifiées dès 2016 demeurent, pour l’essentiel, les mêmes.

C’est tout particulièrement le cas de l’ingénierie territoriale, qui continue de poser de nombreuses difficultés dans nos collectivités. Les petites communes et communautés de communes de notre ruralité, symboles de la diversité territoriale de notre pays, sont les plus concernées.

Là-bas, les acteurs locaux, élus et agents constatent une baisse régulière des compétences des services déconcentrés de l’État.

Le RDSE étant forcément sensible à cette question, nous avons souhaité, en 2018, y apporter une réponse en créant l’ANCT. Celle-ci devait remédier à l’insuffisance, voire à l’absence de moyens d’ingénierie, ainsi qu’à la trop grande complexité des procédures, accrue par la multiplication des intervenants et des opérateurs.

Hélas, de nombreux progrès restent à faire, l’agence ne pouvant répondre à elle seule à une telle problématique. Nos collègues Josiane Costes et Charles Guené l’avaient d’ailleurs souligné en 2020 dans leur rapport intitulé Les collectivités et l ’ ANCT au défi de l ’ ingénierie dans les territoires.

Une pluralité d’acteurs sont mobilisés : intercommunalités, services départementaux et régionaux, services privés d’ingénierie, etc. Pourtant, il reste des carences. Les besoins en ingénierie des collectivités territoriales les moins densifiées sont encore largement non pourvus.

Il nous reste donc de quoi nous occuper dans les années à venir pour mettre en place des dispositifs qui favoriseront la bonne administration de nos territoires. Et cela devra naturellement venir de l’État.

En conclusion, pour revenir à l’intitulé du débat, s’il faut choisir entre mirage et réalité, l’idée d’un « État territorial » donne moins à représenter la réalité qu’à la transformer.

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