La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Pierre Laurent.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur le thème : « L’État territorial, entre mirage et réalité ».
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre déléguée, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la délégation.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le titre du débat qui nous réunit cette après-midi peut paraître provocateur : « l’État territorial, entre mirage et réalité ».
Cette apparente provocation est toutefois forte de sa vérité, puisqu’elle rend compte des incertitudes graves pesant sur le rôle de l’organisation de l’État dans nos territoires. Cette question a été particulièrement mise en évidence pendant la crise sanitaire.
Le malaise est palpable chez les élus locaux – ce n’est pas une surprise ! –, au premier rang desquels les maires, mais aussi parmi les usagers, et il s’étend aux agents de l’État eux-mêmes.
L’État déconcentré a pourtant fait l’objet de multiples attentions depuis une quinzaine d’années ; il constitue même l’un des principaux champs de réforme de l’action publique. Les acronymes n’ont pas manqué pour désigner des politiques qui ont touché les services déconcentrés de l’État : la RéATE – réforme de l’administration territoriale de l’État –, la MAP – modernisation de l’action publique –, le PPNG – plan Préfectures nouvelle génération.
Cette cascade de réformes me semble traduire des tâtonnements et des coups de volant un peu brusques, à l’exemple du sort réservé au préfet de département. Pierre angulaire de l’État déconcentré, celui-ci a vu ses marges de manœuvre réduites par l’irruption du préfet de région, puis ses compétences réaffirmées, alors que le pouvoir d’évocation, donc de reprise du sujet, est toujours reconnu au préfet de région. Et, désormais, le préfet sera fonctionnalisé, fondu dans un corps plus large que la préfectorale, laquelle vient de disparaître…
Nous en sommes tous d’accord : cette succession saccadée de réformes est le signe d’un défaut de vision et d’une faiblesse dans l’évaluation de ces politiques publiques successives.
Madame la ministre, l’évaluation des politiques publiques est au cœur de la culture du Sénat, singulièrement de sa délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, pour ce qui la concerne, mais aussi de sa commission des lois.
Or aucune des réformes que je viens d’égrener n’a fait l’objet d’une évaluation ex post digne de ce nom. Tout s’est passé comme si les idées préconçues, les remèdes miraculeux et les intuitions plus ou moins judicieuses prenaient le pas sur la rigueur et sur l’objectivité.
Tirant ce constat d’un déficit d’évaluation, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation s’est particulièrement investie sur le sujet. Je veux saluer l’excellent travail de nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche, qui ont conduit, ces derniers mois, une mission d’information remarquable, fouillée et rigoureuse. Celle-ci a abouti à un rapport intitulé À la recherche de l ’ État dans les territoires, parce que l’on est un peu Indiana Jones quand on est élu local…
Sourires.
Il s’agit non pas d’un énième marronnier, dans un domaine qui en compte beaucoup, mais bel et bien d’une boussole pour l’avenir, présentant une vision très claire de ce que doit être, et ne doit pas être, l’État dans nos territoires.
Nos deux collègues n’ont pas hésité à prendre directement le pouls du corps préfectoral par un sondage. Il n’est pas si fréquent que les préfets et les sous-préfets se livrent ainsi à cœur ouvert sur leur vécu professionnel, et je tiens à remercier, au nom de la délégation, M. le ministre Darmanin, qui a rendu possible cet exercice inédit, mais fructueux. Madame la ministre, je vous prie d’ailleurs de lui rappeler que nous serons très heureux de lui remettre ce rapport en mains propres.
Cette consultation des membres du corps préfectoral s’est accompagnée d’un sondage auprès des élus locaux. Cette seconde consultation est très intéressante, plus encore lorsque l’on rapproche ses résultats de ceux de la première, car il se trouve que les points de vue des élus locaux et des membres de la préfectorale se rejoignent sur de nombreux points, ce qui rend ce rapport fort pertinent.
Cette comparaison met en lumière plusieurs points saillants. Ainsi, les deux groupes s’accordent sur le fait qu’une réforme territoriale de l’État est souhaitable ; en revanche, ce sont les représentants de l’État qui dénoncent le plus le rythme de la réforme, à 85 %, contre 64 % chez les élus locaux. Si ces derniers ont très majoritairement – à 80 % – le sentiment de ne pas être associés aux réformes, ce sentiment est partagé par 43 % des représentants de l’État, qui regrettent un manque d’association des préfets à ces réformes, voire un déficit de consultation.
Enfin, un point est tout à fait révélateur : un représentant de l’État sur quatre, seulement, estime que la réforme de l’organisation territoriale de l’État est efficace.
Pour autant, attend-on un Grand Soir de l’État territorial ? Selon les termes de nos collègues Canayer et Kerrouche : « Nul besoin d’un nouveau big-bang administratif au sein de l’État territorial ».
En revanche, l’État doit retrouver son efficacité dans le dernier kilomètre et jusqu’à l’ultime citoyen. Pour y parvenir, nous avons la conviction, renforcée par l’analyse que nous avons menée de la crise sanitaire, de la pertinence d’un échelon de l’État au niveau départemental pour relever un grand nombre de défis.
Pour autant, le couple maire-préfet de département doit pouvoir compter, pour bien vivre, sur un accompagnement de l’État qui aurait changé de culture en disposant de plus de moyens ; d’un État qui facilite et qui permette et non d’un État tatillon, contrôleur, voire, s’agissant de certains services, qui interprète à sa manière – erronée ! – l’esprit du législateur.
Les rapporteurs évoqueront leurs suggestions et poseront leurs questions, mais je tiens à relever une proposition révolutionnaire, qui fait le buzz dans le milieu et qui me semble très pertinente : le rattachement des préfets au Premier ministre.
Il n’y a pas d’autre moyen de renforcer la cohésion des politiques de l’État et de leur application. Madame la ministre, si la République est une et indivisible, il me semble que l’État doit l’être tout autant. Il est de bon sens, selon moi, qu’il parle d’une seule voix et que le préfet soit chef d’orchestre.
Madame la ministre, ce rapport est de nature à susciter une intense réflexion. Notre débat s’inscrit dans un calendrier marqué par la volonté du président du Sénat d’avancer, à l’intention du Gouvernement, de nouvelles propositions en matière d’efficience de l’action publique, notamment par le biais de la décentralisation et de la déconcentration.
À l’issue d’un travail qui associe l’ensemble des groupes politiques du Sénat, nos échanges alimenteront cette ambition, et je ne doute pas qu’ils nourriront également la réflexion du Président de la République. Je me suis laissé dire, en effet, que celui-ci considérait comme urgent d’adapter l’architecture institutionnelle pour gagner en efficience…
Nous ne cessons de réformer, de corriger et de poser des pansements, mais nous souffrons d’un mal extrêmement profond : ces réformes successives tétanisent nos élus locaux et empêchent l’action publique dont nos concitoyens ont besoin.
J’ajoute que toutes les réformes territoriales sur lesquelles nous avons travaillé ont éludé la question existentielle : quid de l’État ? Quelles sont ses fonctions et ses compétences ?
Je n’ai de cesse de rappeler que nous devrions mettre fin à ses aventures hasardeuses de recomposition, parce que nous partageons tous un seul objectif : l’efficience de l’action publique dans une relation de confiance entre l’État et les collectivités.
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation. Madame la ministre, vous le voyez, le temps s’écoule : il faut se hâter !
Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, un État n’existe que sur un territoire donné, avec une population et une organisation institutionnelle durables. L’État étant par nature territorial, l’expression « État territorial » est tautologique.
Plus encore, il existe un lien indéfectible entre l’État et ses services déconcentrés, d’une part, et les collectivités territoriales, de l’autre.
L’expression « État territorial » traduit la difficulté à concevoir l’État à l’échelle locale, laquelle devient alors davantage une variable managériale d’un État soucieux de faire des économies qu’une perspective de développement territorial pensée sur un temps long.
Les nombreuses réformes engagées lors des vingt dernières années illustrent les difficultés à répondre aux deux questions majeures sur le rôle de l’État : quels doivent être les rapports entre l’État et les élus locaux ? Quelle est l’organisation optimale de l’État à l’échelle locale ?
Je rappellerai tout d’abord une évidence, qui tend parfois à être oubliée : « L’administration territoriale de la République est assurée par les collectivités territoriales et par les services déconcentrés de l’État », d’après la loi de 1992 relative à l’administration territoriale de la République.
Si l’État est unitaire, son organisation territoriale passe par une déconcentration effective, au service des collectivités territoriales et de la population.
La réforme continue des services de l’État et les principales lois adoptées à ce sujet ont porté sur la révision et sur la modernisation de l’action publique, avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), la MAP, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) ou la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Leur objectif, qui était d’améliorer la situation, n’a jamais été atteint. Il est aujourd’hui nécessaire que l’État local soit moins dispersé et mieux centré sur ses missions.
En ce sens, la proximité et l’accessibilité de l’État doivent être renforcées dans le cadre départemental, en concertation avec les élus locaux.
Les nombreuses réformes ont créé des difficultés d’assimilation. Il me semble dès lors nécessaire de consolider le rôle de l’État et de mieux associer les élus locaux aux réformes des services déconcentrés.
Je pense également que le rôle du préfet de département est primordial dans la mise en œuvre des réformes et dans la stratégie du dernier kilomètre, afin que les décisions soient prises au plus près des citoyens, dans une logique de subsidiarité permettant d’envisager la différenciation territoriale.
Sans nier le rôle du préfet de région, j’estime que le préfet de département doit être une ressource pour les élus locaux, notamment ceux des plus petites communes, un coordinateur et un pilote des politiques publiques. Pivot entre l’État national et local, il doit pouvoir disposer de ressources humaines et budgétaires suffisantes, ce qui n’est malheureusement plus toujours le cas depuis plusieurs années.
Au contraire de cette tendance, je partage l’idée qu’il faut le réarmer intelligemment.
Tout d’abord, avec davantage de moyens humains, une demande qui émane du corps préfectoral et qui est corroborée par des chiffres édifiants !
Ensuite, en adaptant l’organisation des services déconcentrés. Certains services sous tutelle ministérielle, comme les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ou l’Office français de la biodiversité (OFB), disposent d’une autonomie excessive. Leur pouvoir de décision pose des problèmes concrets dans la mise en œuvre des politiques publiques, notamment dans les domaines des énergies renouvelables et de la protection contre les risques de prédation. Pour les raisons que j’ai déjà évoquées, ces services déconcentrés devraient être placés sous l’autorité du préfet.
Au total, le démembrement ou l’éclatement de l’État en opérateurs et autres agences ne conduit pas à la simplification territoriale, qui est paradoxalement le maître-mot des réformes depuis quinze ans.
Enfin, les services déconcentrés doivent conserver un haut niveau de compétences pour l’exercice de leurs missions d’ingénierie territoriale.
Sans m’étendre, je terminerai en mentionnant les risques que font peser sur l’organisation territoriale de l’État la fonctionnalisation des préfets, l’augmentation du nombre des préfets thématiques et le délaissement des sous-préfectures.
Pour que l’État territorial ne soit pas qu’un « État plateforme », il est donc nécessaire de renforcer les services déconcentrés de l’État en suivant des principes simples, qui ont été rappelés : proximité et compétences sous l’autorité du préfet, dans le cadre du département.
Il n’y a nul besoin d’un énième big-bang territorial, il faut simplement revenir aux fondamentaux de l’administration territoriale de l’État.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question, qui me permet de rappeler quelques fondamentaux, même si les choses peuvent bien sûr toujours être améliorées.
Comme l’indique la Constitution, le préfet est le représentant de l’État et de chacun des ministres du Gouvernement. C’est lui qui met en œuvre les politiques de l’État, avec l’ensemble des services qu’ils soient placés ou non sous son autorité directe.
Nous avons vu sa capacité à piloter tous les services durant la crise de la covid-19, où le couple maire-préfet a fait preuve de son efficacité au service de nos concitoyens.
Vous vous en félicitez, monsieur Darnaud, et nous aussi !
Je vous avais mal compris ! Dans ce cas, nous divergeons…
Un point sur lequel nous sommes parfaitement en phase, monsieur Anglars, c’est sur le fait que l’État est par essence territorial.
Je le répète, l’interlocuteur naturel et bien connu des élus, c’est le préfet, qui est le représentant de l’État et de chacun des ministres du Gouvernement. Les élus le savent, ils peuvent également compter sur son équipe de proximité constituée des sous-préfets d’arrondissement. C’est parce que ceux-ci jouent un rôle essentiel que l’État a décidé de les renforcer.
Je le rappelle, cinq sous-préfectures, que j’énumérerai dans une réponse ultérieure, ont rouvert leurs portes, et une nouvelle sous-préfecture a été créée en Guyane. Trente postes de sous-préfet ont été créés par redéploiement des postes de sous-préfet à la relance dans des départements ruraux et dans ceux qui comptent une équipe préfectorale peu nombreuse.
En renforçant l’État territorial, le Gouvernement fait le choix de renforcer les interlocuteurs naturels des élus.
Pour faciliter son action et lui donner de nouvelles marges de manœuvre dans le cadre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, le préfet est désormais délégué territorial d’un plus grand nombre d’opérateurs qu’auparavant : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’OFB, et en plus de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l’Agence nationale de l’habitat (Anah).
Des mesures de simplification ont également été prises en faveur du préfet de département : il peut désormais signer des décisions d’attribution de dotations de soutien à l’investissement local (DSIL), en lieu et place du préfet de région.
Madame la ministre déléguée, vous disposez de deux minutes pour répondre à chaque orateur. Je vous demande de respecter le temps de parole qui vous est imparti.
La parole est à Mme Colette Mélot.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la quête de l’unité nationale est ancienne. Déjà, à la veille de la Révolution, les Français invitaient à rapprocher les administrations de leurs administrés. Les cahiers de doléances ont permis d’instaurer une nouvelle organisation territoriale, qui devait notamment permettre à chacun de se rendre au chef-lieu de son département en une journée à cheval.
Situées à moins de trente minutes en voiture – et non plus à cheval ! – du domicile de chaque Français, les maisons France Services (MFS) se sont multipliées dans notre pays. Éléments forts de la traduction de l’État territorial, ces espaces couvrent même les zones les plus isolées via des solutions mobiles, comme les terres montagneuses de la Corse.
C’est une bonne chose, car toutes les solutions sont bienvenues pour maintenir une offre de services publics de proximité. Les retours de terrain sont globalement bons, et les Français se les approprient progressivement.
Nous en sommes tous convaincus ici, la diversité de nos territoires fait la richesse de la France. En milieu rural ou urbain, à la montagne ou outre-mer, les élus locaux n’ont pas les mêmes attentes et leurs habitants n’ont pas les mêmes besoins.
Dans une logique de différenciation, les politiques publiques doivent correspondre au mieux aux spécificités de nos territoires. Nous devons raisonner au travers d’une grille de lecture plurielle.
Je souhaiterais également parler de l’accompagnement des élus. La création de l’ANCT en 2020 visait à fluidifier les relations entre l’État et les collectivités territoriales, ainsi qu’à faciliter la réalisation de leurs projets locaux.
Lors de l’examen du budget pour 2023, notre groupe saluait l’augmentation des dotations qui lui sont destinées. Nous venons d’apprendre que les effectifs humains de l’agence seront augmentés dans les préfectures. Cela paraît une excellente nouvelle, qui va dans le bon sens.
Un récent rapport sénatorial pointait justement du doigt le manque d’implication de certains préfets. Selon ce même document, l’agence est trop éloignée du terrain et des préoccupations des élus, alors qu’elle doit remplir sa mission d’outil facilitateur.
Nous le savons, les solutions viennent généralement directement du local. L’État doit prêter une oreille attentive aux remontées du terrain et accompagner les élus face aux défis qu’ils surmontent quotidiennement.
Madame la ministre, le tour de France des régions que vous réaliserez avec les dirigeants de l’Agence devrait permettre de poursuivre le dialogue. Nous espérons que les conclusions que vous en tirerez nourriront de manière effective les politiques publiques conduites par votre ministère.
L’État territorial est fondé sur deux piliers : les collectivités décentralisées et les administrations déconcentrées. Ce système est amené à évoluer régulièrement, pour s’adapter aux évolutions de notre pays et aux besoins des élus.
Ces dernières années, les réformes territoriales se sont succédé. La dernière en date, la loi 3DS, s’inscrit dans la digne voie de la décentralisation, tout en apportant son lot d’ajustements techniques. Pour s’y retrouver, les élus doivent avoir accès à des relais d’information facilitateurs, souples et simples d’accès.
Madame la ministre, comment les missions des agents des préfectures et sous-préfectures pourraient-elles évoluer pour mieux répondre à l’impératif de proximité avec les élus locaux ?
Par ailleurs, quels sont les dispositifs prévus pour prendre davantage en compte l’avis des citoyens dans l’organisation des services déconcentrés et dans l’élaboration des politiques publiques à visée territoriale ?
Madame la sénatrice Mélot, vous avez abordé trois points : l’ANCT, la proximité et la façon dont nous renforçons les moyens de l’État en région, et, enfin, les maisons France Services.
En ce qui concerne l’ANCT, le communiqué de presse que nous avons publié hier est largement inspiré du rapport que nous ont remis les trois sénateurs. J’ai accueilli ce travail de façon tout à fait positive malgré les quelques critiques émises. Nous les avons prises comme des pistes d’amélioration sur lesquelles nous avons travaillé pour décider, à la fois, de doubler les effectifs de l’ANCT en région et de les placer dans les sous-préfectures, au plus proche des collectivités territoriales, comme vous le souhaitez.
L’ANCT, qui a été créée au mois de janvier 2020, n’a que trois ans d’existence. Nous travaillerons ensemble sur des axes d’amélioration. Vous l’avez dit, madame la sénatrice, le président Bouillon et le directeur général de l’ANCT vont entreprendre un tour de France des régions.
Vous me demandez comment améliorer la proximité de l’ANCT et des agents qui travaillent dans les préfectures. Tel est justement l’objet de ce tour de France auquel Christophe Béchu et moi-même allons participer : déterminer sur quels leviers nous pouvons agir dans cette perspective.
S’agissant des moyens de l’État dans les régions, je ne veux pas répéter ce que j’ai déjà dit sur ce thème, mais je rappellerai nos deux axes principaux de travail.
Tout d’abord, nous agissons au niveau des préfectures, avec la réouverture de cinq sous-préfectures, le maintien des emplois dans le périmètre de l’administration territoriale de l’État (ATE) en 2021 et en 2022, ainsi que la création de 350 ETP supplémentaires en cinq ans, dont 43 dès cette année, et de 30 postes de sous-préfets créés par redéploiement des postes de sous-préfets à la relance.
Ensuite, le Gouvernement renforce son partenariat avec les collectivités. J’aurai l’occasion de l’évoquer dans mes réponses à d’autres questions.
Je conclurai en saluant vos propos sur les maisons France Services, dont l’efficacité est avérée sur notre territoire. Un budget a été alloué à la création de 200 MFS supplémentaires dans les territoires, pour toujours plus de proximité.
Madame la ministre, je vous remercie des différents éléments dont vous venez de nous faire part. Les améliorations qui ont déjà été apportées vont vraiment dans le bon sens. Nous espérons qu’il en ira de même pour celles que vous nous annoncerez après votre tour de France.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un monde idéal, les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État devraient être en mesure de répondre parfaitement aux besoins des habitantes et des habitants, comme aux besoins des élus de leur territoire.
L’action publique serait facilitée par une organisation claire, fluide et efficace de la gouvernance à l’échelon local. Les actrices et acteurs publics locaux seraient valorisés et disposeraient de compétences et de moyens importants pour jouer leur rôle. Enfin, les services publics seraient accessibles à toutes et tous.
Force est de constater que ce doux rêve n’est pas la réalité !
Les nombreux échanges que chacun d’entre nous peut avoir avec les élus locaux montrent au quotidien le mirage qu’est l’État territorial à proprement parler. L’excellent rapport d’information sur l’État dans les territoires, réalisé au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation par mes collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche, en fait une démonstration limpide.
Prenons déjà l’ensemble des réformes des collectivités et des services déconcentrés. Les années passent, et ces réformes se multiplient au gré des conjonctures politiques. La révision générale des politiques publiques, la modernisation de l’action publique et la loi 3DS en sont autant d’illustrations. Et venant d’une métropole à statut particulier, celle de Lyon, je puis vous indiquer que la lisibilité de l’action publique, qu’elle soit étatique ou territoriale, reste très floue pour nos concitoyens, pour qui le vent des réformes a brouillé la compréhension de l’action publique.
S’il y a un point commun à ces réformes, c’est qu’elles ont été souvent construites de façon brouillonne, avec une concertation très limitée des premiers concernés, c’est-à-dire les élus et, dans une moindre mesure, les représentants de l’État déconcentré.
Il faut aussi se rendre compte de la fatigue des élus face à ces réformes incessantes qui n’ont rien clarifié. Le rapport d’information sur l’État dans les territoires l’explique bien : plus de quatre élus sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux différentes réformes. Pour les préfets et les sous-préfets, ce chiffre s’élève à 43 %.
En 2016, un autre rapport d’information de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation précisait déjà que l’association aux réformes des acteurs de terrain demeurait insuffisante aux yeux de la majeure partie des élus locaux et des syndicats qui ont été auditionnés.
Comment mener une réforme efficace des politiques de décentralisation et de déconcentration si les autorités locales et les administrations concernées ne sont pas suffisamment consultées, si l’État reste trop à distance ? La réponse, c’est qu’on ne peut pas ! Le rapport de mes collègues le démontre, comme celui, plus récent, sur l’ANCT. Le résultat est là : les réformes ne correspondent pas à leurs attentes et ne résolvent pas un certain nombre de problèmes.
Les moyens, principalement humains, manquent parfois dans les territoires, et cela se fait sentir dans l’ensemble des politiques publiques. En 2011, les agents des directions départementales interministérielles (DDI) étaient 39 796 ; en 2020, ils n’étaient plus que 25 474, soit une chute de 36 %. Les préfectures ne sont pas en reste, qui ont connu une baisse similaire. C’est non pas le statut des agents, comme on a pu le dire ce matin, mais bien l’austérité à bas bruit qui a sclérosé notre capacité à mener des politiques publiques agiles et répondant aux besoins.
La situation des services publics – hôpitaux, écoles et autres guichets administratifs – est délétère dans de nombreuses régions, en particulier dans les zones rurales.
À ce titre, près d’un maire de commune de moins de 1 000 habitants sur deux estime que l’offre de services publics sur son territoire est défaillante. C’est d’autant plus compliqué pour ces maires de petites communes qu’ils sont souvent isolés et qu’ils ne disposent pas des mêmes ressources que les grandes collectivités. Ces dernières sont mieux représentées au sein des agences, comme les agences régionales de santé (ARS) ou l’Anah, et elles peuvent mobiliser des réseaux importants, ce qui n’est pas le cas des élus des petites communes.
Aussi, que faire ? Si l’État territorial est un mirage, pourrait-il devenir réalité ?
Il faut commencer par respecter l’ensemble des parties prenantes et inscrire la concertation et le dialogue au cœur de l’action publique déconcentrée. Un lien de relation de confiance durable doit parfois être retissé d’urgence et plus finement avec l’ensemble des actrices et des acteurs des territoires.
Je rejoins les préconisations de mes collègues sur la nécessité d’une concertation nationale avec les élus en amont de toute réforme des services déconcentrés de l’État ou des collectivités territoriales.
Avec mes collègues du groupe écologiste, je suis convaincu que le principe de subsidiarité doit être consacré, tout comme celui de la différenciation territoriale. Cela ne doit cependant pas être fait au travers de la loi 3DS, comme l’a proposé le Gouvernement. En plus d’échouer à clarifier les compétences, cette loi a accéléré la tendance de l’État à se défausser de certaines de ses prérogatives sur les collectivités.
Or les collectivités territoriales doivent avoir les moyens d’agir. Il faut un maillage plus fin de la répartition des effectifs préfectoraux, notamment dans les sous-préfectures. La proposition qui me semble la plus pertinente et la plus forte du rapport de mes collègues, mais qui n’est pas nouvelle, prévoit de passer enfin d’une logique de contrôle de légalité à une logique de conseil aux collectivités territoriales.
Toutefois, l’État est-il prêt à sortir d’une logique de contraction de ses effectifs pour s’adapter à cette demande, notamment au plus près des territoires, parfois démunis en matière de relais préfectoraux à l’ingénierie de leurs projets ? À mon sens, la clé de l’État territorial, c’est la réponse à cette équation.
Monsieur le sénateur Dossus, j’ai déjà en partie répondu à vos interrogations dans mes premières interventions.
Je ne partage évidemment pas votre point de vue sur le mirage que serait l’État territorial. Comme vous le savez, je me suis beaucoup rendue sur le terrain pendant six mois. En tant que secrétaire d’État à la ruralité, j’ai rencontré une quarantaine de préfets de département. Dire de ceux-ci et de leurs équipes qu’ils sont un mirage… Ils ne le prendraient pas très bien, alors qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes !
Je suis allée également à la rencontre des élus locaux – environ une soixantaine par département – à chacune de mes visites officielles. Je me suis jetée dans cette arène en sachant combien les élus locaux demandent plus de proximité et veulent être rassurés. Cette exigence me paraît totalement légitime – j’étais maire jusqu’au 7 juillet 2022.
Néanmoins, je ne puis pas vous laisser dire que l’État territorial est un mirage, parce que beaucoup de choses ont déjà été faites pour améliorer le dialogue et la proximité.
Aujourd’hui, la quasi-totalité du corps préfectoral et des services de l’État dans les régions sont aux côtés des élus locaux. Je vous le dis franchement, la première phrase – si ce n’est pas la première, c’est la deuxième ou la troisième ! – que tous les élus locaux me disent quand je les rencontre, c’est : « Je veux vous dire à quel point le préfet, ses services et le sous-préfet sont efficaces ».
S’il y a des territoires dans lesquels les services de l’État ne donnent pas satisfaction à nos élus, j’en suis extrêmement surprise. Cela peut toujours arriver de-ci de-là, mais on a globalement l’impression que les services de l’État sont aux côtés des élus, tout comme je le suis en tant que représentante du Gouvernement, même si j’évoque lors de mes déplacements des sujets contraignants, comme le zéro artificialisation nette (ZAN). Selon moi, l’État territorial n’est donc pas un mirage.
Vous appelez de vos vœux une meilleure prise en compte de la différenciation, qui nous tient à cœur et sur laquelle nous travaillons. Je pense à des lois passées, comme la loi Montagne, ou au pouvoir dérogatoire du préfet pour s’adapter à une situation sur le terrain.
De même, les caractéristiques de Lyon ont justifié la mise en place d’une organisation spécifique. Le Gouvernement, sous l’autorité de la Première ministre et du Président de la République, veut davantage de différenciation. Nous répondons donc favorablement à votre appel.
Pour conclure, vous avez évoqué les réformes. Oui, vous avez raison, il y en a eu beaucoup par le passé, mais elles se sont arrêtées. Nous sommes en phase de stabilisation.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il me semble que, en 2023, l’État territorial en France relève davantage de la réalité que du mirage. En effet, ces dernières années, nous avons assisté au réarmement de l’État dans les territoires, un réarmement concret et financier.
Sur le plan concret, tout d’abord, comment débattre de l’État territorial sans évoquer les 2 538 maisons France Services ? Elles représentent à mes yeux le symbole d’une proximité retrouvée, dans nos territoires ruraux, entre l’État et nos concitoyens.
Comme l’a souligné le récent rapport de notre collègue Bernard Delcros, l’intérêt du programme France Services est désormais indéniable. Il réside essentiellement dans la proximité et la dimension humaine de l’accompagnement apporté aux usagers, grâce aussi au déploiement de 4 000 conseillers numériques, à l’heure où le numérique exclut encore parfois une partie de la population de l’accès aux services publics.
Force est de constater que le réseau France Services est aujourd’hui salué par une majorité d’usagers et d’élus locaux. Pas moins de 93, 4 % des usagers sont satisfaits de leur démarche dans ces espaces. Quant aux 520 élus locaux interrogés par la plateforme de consultation du Sénat, seuls 6, 5 % d’entre eux considèrent que le dispositif n’est pas pertinent. Même certaines communautés de communes, pourtant réticentes en 2019 lorsque le réseau fut créé, ont pu constater que les espaces France Services répondaient aux besoins et aux attentes de la population.
Mes chers collègues, lors du lancement de l’agenda rural, le programme France Services était une priorité. Aujourd’hui, ses maisons sont une réalité et, surtout, le programme est un franc succès, à l’image de l’espace France Services de Die, dans mon département de la Drôme, qui enregistre 5 580 demandes annuelles, justifiant ainsi la demande d’une nouvelle labellisation dans le territoire du Diois.
Le renforcement de l’État territorial s’illustre également depuis ces dernières semaines dans certains territoires. Nantua dans l’Ain, Rochechouart en Haute-Vienne, Château-Gontier en Mayenne, Clamecy dans la Nièvre, Montdidier dans la Somme, Saint-Georges-de-l’Oyapock en Guyane : fin 2022, nous avons été témoins de la réouverture ou de la création de sous-préfectures en France.
Quand je parle du réarmement de l’État territorial, je pense également à la création de 200 brigades de gendarmerie prévue dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) promulguée en janvier 2023. La cartographie des implantations réalisée en lien avec les préfets et les collectivités sera d’ailleurs publiée très prochainement.
Je pense enfin à la relocalisation des services de la direction générale des finances publiques (DGFiP) dans 50 villes médianes sélectionnées depuis 2021. Nous avons pu en bénéficier dans la Drôme et en Ardèche – je salue au passage notre collègue Mathieu Darnaud. Autant d’exemples concrets qui montrent que l’État territorial est non plus un mirage, mais bel et bien une réalité perceptible et saluée.
Toutefois, comme chacune et chacun d’entre nous le sait, le réarmement de l’État territorial ne peut être complet que s’il est financé. Cette question est d’ailleurs un marronnier dans cet hémicycle !
Ainsi, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, la mission « Administration générale et territoriale de l’État », qui porte notamment les moyens du réseau préfectoral, des services placés sous l’autorité des préfets de région et des directions départementales interministérielles, a connu une hausse de crédits de 13, 3 % par rapport à 2022. Une telle augmentation viendra renforcer de manière inédite les moyens et les effectifs de l’administration territoriale de l’État, à hauteur de 2, 79 milliards d’euros.
Cette évolution met fin à plus de vingt années de réduction systématique des effectifs départementaux et – nous le souhaitons – à la lente érosion des liens entre l’État et ses citoyens.
Autre motif de satisfaction de ce budget : le nombre d’apprentis dans le réseau de l’administration territoriale devrait continuer à croître en 2023. Rappelons que 622 apprentis étaient présents dans ce réseau au 31 décembre 2021 ; ils étaient deux fois moins nombreux en 2020.
Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous avons assisté au rejet des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » par le Sénat… Toujours est-il que l’État territorial dispose aujourd’hui de moyens financiers supplémentaires non négligeables. Et c’est ce choix budgétaire qui permet le déploiement concret du réarmement sur tous les territoires !
Cela étant, il reste encore beaucoup à faire, et de nombreux progrès peuvent être réalisés pour renforcer l’État territorial dans notre pays.
Que pourrions-nous améliorer ? Nous avons des marges de manœuvre en matière d’ingénierie de l’État. L’ANCT doit, je le crois, renforcer ses liens avec les élus.
En réponse à la remise du rapport d’évaluation de notre délégation, hier, vous avez, madame la ministre, souhaité un nouveau souffle pour l’ingénierie des collectivités, afin de faire de l’ANCT un interlocuteur de proximité et du quotidien pour les élus locaux. Comment ce nouveau souffle pourrait-il se concrétiser ?
Par ailleurs, l’efficacité est bien évidemment au cœur de la perception en matière de service public. Le baromètre de l’action publique a été une formidable création. Mais dans quelle mesure les citoyens se saisissent-ils de cet outil ? Comment pourrions-nous le développer ?
J’envisage enfin l’État territorial, qui est un vecteur de cohésion sociale, comme un État facilitateur, travaillant de manière complémentaire avec tous les acteurs locaux au service premier de nos administrés. Dans quelle mesure l’État territorial pourrait-il aller davantage vers ces derniers ?
Ce sont autant de réflexions que je souhaitais partager avec vous à l’occasion de ce débat, mes chers collègues, et qui rappellent que l’État territorial n’est ni un mirage ni une chimère : il est bel et bien une réalité, dont nous devons renforcer l’existence.
Monsieur le sénateur Buis, vous avez abordé plusieurs sujets.
Je serai très rapide s’agissant de l’ANCT, que j’ai déjà évoquée et sur laquelle je reviendrai encore. Je ferai seulement un zoom sur la question de l’ingénierie.
L’ANCT est un outil d’ingénierie dans les territoires. Afin de compléter son dispositif, nous travaillons à l’heure actuelle sur un programme qui permettrait d’accompagner les petites communes, citées par M. Dossus comme des collectivités requérant une grande attention.
Par ailleurs, vous avez souligné combien les maisons France Services sont utiles et à quel point elles permettent de descendre par capillarité dans nos territoires, avec les 2 600 espaces France Services. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous devez faire savoir qu’il reste 200 maisons France Services à déployer, si possible avec des véhicules. Car un véhicule permet de couvrir une dizaine de villages, ce qui est extrêmement précieux.
Monsieur Buis, vous l’avez dit, le renforcement et le réarmement de l’État territorial passent par des moyens humains ; j’ai largement développé ce point. Mais il passe aussi par des budgets, qui ont été votés, comme vous l’avez rappelé, en augmentation pour la première fois de plus de 13 %.
Je conclurai mon propos avec le baromètre des résultats de l’action publique, que vous avez évoqué. Le Président de la République a souhaité mettre en place dès 2021 cet outil, qui porte en son sein des objectifs et une évaluation que vous appelez tous de vos vœux et qui sont pour nous extrêmement importants.
Ce baromètre présente aux Français pour chaque politique des indicateurs chiffrés, précis, déclinés pour les 101 départements de métropole et d’outre-mer, qui portent sur la situation initiale, en 2017 ou à la date de lancement d’une réforme, sur le niveau d’avancement et sur l’objectif que nous visons pour 2022.
Depuis sa mise en ligne, il a reçu 2, 12 millions de visites, avec en moyenne 90 000 visites par mois : c’est dire à quel point il est utile.
Vous me demandez s’il sera pérennisé, comme vous le souhaitez. La réponse est oui, monsieur le sénateur, et nous le renforçons même en l’étendant à 60 politiques prioritaires du Gouvernement.
Je vous remercie, madame la ministre, des précisions que vous avez apportées sur le baromètre de l’action publique et sur le développement de l’ANCT dans les petites collectivités.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au travers de la loi relative à l’administration territoriale de la République, dite loi ATR, on retrouve le lien de l’État territorial, entre l’État et ses services déconcentrés, d’une part, et les collectivités territoriales, d’autre part. Mais comment définir cet État territorial ?
Nous pourrions évoquer les services rendus par l’État au travers de ses missions, les services publics et les services au public.
Les réformes de l’État territorial résultent de la sédimentation de phases de la décentralisation. Elles se sont enchaînées ces dernières années, en dépit de l’intention louable d’améliorer le fonctionnement des services pour répondre au mieux à la demande d’État dans les territoires.
Force est de constater que le compte n’y est pas et que le résultat est perfectible. C’est notamment le cas au regard de la baisse des moyens de l’État dans les territoires, trop souvent prélude d’une dégradation à bas bruit de l’offre de services publics. S’y ajoute l’extrême difficulté qu’éprouvent les élus locaux à identifier le bon interlocuteur dans les méandres de l’administration territoriale.
Les conséquences de ces réformes, systématiquement dépourvues d’évaluation, ont ainsi fini par jeter le trouble, tant chez les élus locaux que chez les agents de l’État eux-mêmes.
Nous avons perdu le lien entre les élus et les services déconcentrés de l’État, qui ne s’y retrouvent plus.
À la faveur, si je puis dire, de la crise de la covid-19, le couple maire-préfet a été remis en lumière, mais il n’est pas superfétatoire de s’interroger sur son efficacité.
Tous deux représentants de l’État et dotés de la compétence générale, ils incarnent la République dans les territoires. Le maire et le préfet coproduisent l’action publique au quotidien. Le préfet est le représentant à la fois du Gouvernement, de l’État et du territoire qu’il administre. C’est dans le savant dosage entre ces trois fonctions qu’il doit être jugé. De fait, une étroite collaboration entre élus et préfet est nécessaire, mais à quel prix ?
Les communes gèrent de plus en plus de compétences pour lesquelles elles ne disposent pas de moyens affectés. Malheureusement, ces charges nouvelles sont loin d’être compensées par un État qui, tout en déléguant de plus en plus ses pouvoirs, continue à vouloir les contrôler à distance.
Par ailleurs, le processus d’érosion de la fiscalité locale se poursuit.
À la suite de la suppression de la taxe professionnelle et de la taxe d’habitation, couplée à une baisse des impôts de production, les collectivités semblent frappées par une recentralisation rampante de leurs ressources.
Symbole des relations orageuses entre le président Macron et les maires, la suppression de la taxe d’habitation a été vécue comme injuste et inique par la plupart de nos élus locaux. Je rappelle que cette suppression aura eu pour effet de faire passer de 54 % à 35 % le taux d’autonomie financière des intercommunalités.
Cette réforme ne trahissait que trop bien la vision du candidat Macron, qui n’a jamais caché le peu d’intérêt qu’il portait à l’autonomie fiscale. Selon lui, il s’agissait d’un combat d’arrière-garde au regard de plusieurs exemples européens où l’absence de fiscalité propre n’empêche pas les collectivités d’être puissantes.
Pour ma part, je crois sincèrement qu’il n’y a pas de pouvoir politique sans pouvoir fiscal. Avec les réformes mises en œuvre ces dernières années, le Gouvernement considère les collectivités territoriales comme des sous-traitants de l’État. J’en veux pour preuve le basculement systématique de leurs ressources vers des dotations dont une partie est indexée sur le produit d’impôts nationaux.
De fait, nos collectivités sont placées à la merci du Gouvernement, qui peut modifier comme bon lui semble les dotations et compensations en loi de finances.
Soyons honnêtes : dans cette affaire, en réalité, c’est la pensée dominante de Bercy qui l’a emporté, cette vieille idée tenace qui anime souvent la haute administration française et selon laquelle l’autonomie fiscale locale ne serait pas souhaitable, car les élus locaux ne sauraient pas gérer les finances publiques.
Aussi, madame la ministre, comment penser un État territorial qui ne soit pas un mirage ? On ne peut parler d’État territorial sans lui octroyer les leviers financiers autonomes qui lui permettraient d’administrer ce même territoire !
Sans changement de doctrine de la part du Gouvernement, pensez-vous, madame la ministre, que l’idée d’État territorial ait encore un sens girondin ?
Monsieur le sénateur Cozic, vous abordez le sujet de l’autonomie des collectivités.
Je ne partage évidemment pas votre analyse de la situation : je pense au contraire qu’il faut tordre le cou à l’idée d’une perte d’autonomie financière des collectivités. En effet, celle-ci a augmenté en vingt ans.
Marques d ’ étonnement sur les travées du groupe SER.
Ainsi, le taux d’autonomie financière s’est accru de dix points pour le bloc communal ; entre 2003 et 2020, il est passé de 59 % à 75 % pour les départements et de 41, 7 % à 73, 9 % pour les régions. Ce n’est pas le lieu de développer ces chiffres, mais je me tiens très sincèrement à votre disposition, monsieur le sénateur, pour approfondir ce sujet et partager nos analyses.
Ensuite, il y a eu des suppressions d’impôt. Il faut s’en réjouir, et le Gouvernement les assume pleinement : la suppression de la taxe d’habitation, c’est plus de pouvoir d’achat pour les Français ; la fin de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), c’est plus de compétitivité pour nos entreprises. Oui, ce sont des marqueurs de notre gouvernement !
Je ne puis donc pas partager votre sentiment quand vous dénoncez le peu d’intérêt que le président Macron accorderait à l’autonomie des collectivités locales. Sur ce point, je ne suis pas d’accord !
En revanche, je veux souligner l’intensité de son intérêt pour la suppression des impôts.
La compensation de ces suppressions d’impôts est un sujet qui nous préoccupe tous, notamment les élus locaux parmi nous.
Vous estimez que l’autonomie des collectivités est compromise ; je comprends parfaitement votre analyse, mais nous pensons pour notre part qu’elle a été prise en compte et préservée grâce à la compensation des suppressions d’impôts locaux, car les recettes fiscales perdues ont été remplacées par d’autres recettes fiscales du même montant et de même nature.
Je vous propose donc, monsieur le sénateur, pour ne pas être trop longue, d’approfondir avec vous ce sujet un peu technique, à votre convenance.
Madame la ministre, vous l’avez dit : nous ne pouvons pas être d’accord.
J’entends bien toutes les données que vous avez présentées, notamment sur l’autonomie du bloc communal, des départements et des régions ; pour ma part, je vous ai cité la perte d’autonomie subie par le bloc intercommunal. Il faudra donc que nous croisions nos chiffres, parce que nous n’avons pas les mêmes résultats.
En ce qui concerne la suppression de la taxe d’habitation, certes, je ne conteste pas la volonté du Gouvernement de supprimer les impôts pour donner du pouvoir d’achat… Pourquoi pas, si tel est votre souhait, mais il faut aussi considérer comment nos enfants et nos petits-enfants devront assumer la gestion de la dette qui s’accumule aujourd’hui ; il faut savoir comment on finance tout cela.
En outre, j’ai le sentiment que cette réforme se fait, aujourd’hui, au profit d’une classe très aisée, plutôt qu’en faveur des gens qui ont un peu moins de moyens.
Enfin, madame la ministre, supprimer ce lien entre le citoyen et la commune était selon moi une erreur.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation n’a cessé de travailler et d’auditionner des acteurs et des associations pour trouver des réponses à ses questions, qui ne datent pas d’aujourd’hui, sur la place de l’État territorial, sur sa présence et sur son action au sein de notre République.
Cet État territorial est encore trop absent, trop observateur, trop loin des réalités de nos collectivités et des demandes de nos habitants.
Madame la ministre, l’État doit s’appuyer sur ses services déconcentrés en leur donnant les moyens d’agir ; c’est uniquement de cette manière que l’administration territoriale de la République pourra assurer sa mission de service public auprès de celles et ceux qui en ont besoin au quotidien.
Or, à coups de réformes successives, vous avez éloigné l’État de nos territoires, de nos collectivités territoriales. Cela fait plus de dix ans que l’État se désengage, à coups de fermetures de services préfectoraux et de baisses budgétaires qui ont des conséquences drastiques sur la gestion quotidienne au sein des services déconcentrés de l’État.
Alors, oui, la réalité est celle-ci : l’égalité républicaine promise par l’État est une illusion, un mirage. Pourquoi un désengagement si fort de l’État ?
Ce sont, comme trop souvent, les collectivités territoriales qui subissent cet entassement des réformes, souvent sans les ressources ni l’ingénierie nécessaire.
Il y a quelques mois encore, nous étions interpellés par les maires de nos départements concernant les demandes de passeport et de carte d’identité nationale : les administrations ne disposaient pas des moyens humains et financiers requis pour assurer ce service public, sans compter les délais de traitement allongés en préfecture pour les mêmes raisons.
Je ne vous parle même pas de celles et ceux qui ont besoin de renouveler leur titre de séjour pour continuer de travailler, pour obtenir un emploi ou pour se loger dignement. Les files d’attente, dès six heures du matin, n’en finissent pas dans les préfectures ; voilà la réalité de l’État territorial !
J’aimerais m’arrêter, mais la réalité nous rattrape. Aussi, pour compenser le manque de moyens, on privilégie la déshumanisation, avec la forte dématérialisation qui affecte le service public.
Prenons l’exemple des maisons France Services, qui ont été créées pour accompagner cette dématérialisation, mais qui sont confrontées à des obstacles : les liens sont rompus avec l’administration, les agents n’ont pas la formation adéquate et, de ce fait, ne peuvent garantir aux usagers un service public à la hauteur. Un maire sur deux d’une commune de moins de 1 000 habitants estime que l’offre de services publics sur son territoire est défaillante.
La crise sanitaire a témoigné de l’importance, voire de la nécessité, d’associer les élus locaux aux décisions qui affectent les collectivités territoriales. De ce fait, le lien avec les représentants de l’État, les préfets, est plus que jamais nécessaire. La place du préfet de département et du sous-préfet d’arrondissement est importante. Le couple maire-préfet doit vraiment exister.
Or, aujourd’hui, quatre élus locaux sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux différentes réformes des services déconcentrés de l’État. Celui-ci doit mettre à la disposition des élus locaux une ingénierie efficace et efficiente, afin de les accompagner au quotidien, notamment pour les grands projets.
Durant l’examen du projet de loi de finances pour 2023, nous avons défendu cette volonté de transparence, notamment dans l’attribution de subventions de l’État au travers de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et de la DSIL.
Il faut rendre visibles les critères, instaurer des commissions qui expliqueraient chaque projet et motiveraient les refus. Pour bénéficier du fonds vert, les élus locaux doivent pouvoir compter sur le préfet, qui jugera si le projet s’inscrit bien dans une démarche écologique. Encore une fois, un travail en amont d’échanges et de concertation entre les élus locaux et le préfet sera indispensable.
Madame la ministre, les politiques et les réformes imposées par le haut ne permettront pas à l’État territorial d’exister et de jouer le rôle qu’on lui demande, à savoir assurer une mission de service public auprès de nos territoires et de leurs habitants.
Il faut que le préfet soit identifié et à l’écoute de celles et de ceux qui occupent le terrain au quotidien. Il faut que les moyens alloués soient à la hauteur des besoins. Il faut aussi de l’horizontalité dans la pratique, pour que nos territoires soient réellement « réarmés », comme le souhaitait l’ancien Premier ministre Jean Castex.
Aussi, madame la ministre, je vous interroge : comment comptez-vous renouer ce lien rompu entre l’État et ses territoires ? Prendrez-vous en considération les réflexions menées au sein de notre délégation ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
Madame la sénatrice Gréaume, vous employez des termes forts, comme « désengagement » ou « déshumanisation ». Bien sûr, je ne les partage pas. J’espère que ce n’est qu’une perception et que les actions que nous conduisons la dissiperont.
Je veux vous apporter quelques éléments de réponse et vous offrir des éclairages complémentaires de ceux que j’ai déjà donnés.
Les maisons France Services, accompagnées des conseillers numériques, sont tout sauf de la déshumanisation. De tels lieux n’avaient jamais existé au cours des cinquante dernières années, voire dans toute l’histoire de la République : il y a 2 600 MFS, dans lesquelles des conseillers numériques renseignent les citoyens et les accompagnent pour neuf services d’État. Le dispositif est mis en place avec les collectivités territoriales, pour être au plus près du citoyen ; l’État en finance entre la moitié et les deux tiers.
En revanche, vous avez raison concernant les services aux étrangers : c’est pourquoi l’État entreprend, depuis plusieurs mois déjà, un effort continu pour réarmer ces services.
Le nombre d’agents qui leur sont affectés a augmenté de 63 % en douze ans, pour répondre à l’urgence et favoriser un service de qualité à l’usager. Mais, vous le savez comme moi, le contexte de crise géopolitique et migratoire que nous connaissons ces dernières années a entraîné une augmentation significative de la charge qui pèse sur ces services, notamment en matière de séjour et d’asile.
On pourrait donc encore mieux faire, comme je le rappelle toujours, mais je suis là pour vous rappeler ce qui est déjà fait et saluer le travail remarquable accompli dans nos départements par nos préfets, nos sous-préfets et nos secrétaires généraux de préfecture.
Parallèlement, la dématérialisation des démarches administratives des étrangers, au travers de l’administration numérique pour les étrangers en France (Anef), devrait permettre, à terme, d’alléger la charge des services préfectoraux qui leur sont dédiés et de gagner en efficacité et en qualité de service vis-à-vis de ces étrangers.
Madame la ministre, je veux vous répondre sur un point : si l’on parle de déshumanisation, c’est bien parce que les personnes qui se retrouvent aujourd’hui devant un ordinateur ne sont pas forcément des jeunes.
Or les plus anciens n’y sont pas habitués, ils préfèrent avoir affaire à quelqu’un. En outre, je vous prie de croire que, quand on est bloqué dans une démarche informatique, il est très difficile d’en sortir ! Il faut bien tenir compte de ce problème, madame la ministre.
Mme la ministre opine.
Madame la ministre, notre délégation aux collectivités territoriales fait un travail formidable, dont il faut tenir compte !
Mme Michelle Gréaume. C’est tout ce que je souhaite : que vous teniez compte de ces observations formulées par tous les membres de la délégation.
M. Pascal Savoldelli applaudit.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à remercier de l’organisation de ce débat la très dynamique présidente de notre délégation aux collectivités territoriales.
Il est question aujourd’hui de l’État territorial, autrement dit de la présence dans nos vallées, sur nos littoraux ou dans nos îles d’administrations dépendant directement du pouvoir central. Longtemps, le centre de gravité institutionnel et politique de notre pays fut exclusivement à Paris. Du fait d’une idéologie jacobine et d’une organisation centralisatrice, les normes devaient s’appliquer uniformément sur l’ensemble du territoire.
Néanmoins, l’impératif d’adapter l’application des normes aux circonstances locales et, surtout, la nécessaire efficacité des politiques publiques ont suscité plusieurs vagues de décentralisation, inaugurées par les lois Defferre, à partir de 1982, mais aussi l’émergence d’une différenciation territoriale, avec la loi Montagne de 1985.
Adossée à un État territorial, que je préfère aujourd’hui appeler « la France des sous-préfectures », cette politique de décentralisation et de déconcentration a montré son efficacité dans les territoires.
Le bilan de cette France des sous-préfectures n’est pourtant pas, de mon point de vue, totalement satisfaisant. Le dernier rapport de notre délégation, intitulé À la recherche de l ’ État dans les territoires, est de ce point de vue sans appel.
Pour commencer, la baisse des moyens financiers et humains est largement perceptible, notamment dans les territoires les moins dotés. Les directions départementales interministérielles ont perdu 36 % de leurs effectifs entre 2011 et 2020.
Cet état de fait est directement responsable du sentiment d’abandon, souvent exprimé par les élus locaux et, spécifiquement, les maires ruraux. Les normes s’accumulent au même rythme que les responsabilités, alors que les interlocuteurs des services de l’État se raréfient et que les finances locales sont toujours plus contraintes, comme plusieurs orateurs l’ont déjà rappelé cet après-midi.
Quel est le résultat de cet effet de ciseaux ? La disparition de services publics de proximité et la lassitude des citoyens.
Ce rapport sur les services déconcentrés de l’État met également en lumière le manque de lisibilité institutionnelle pour les élus locaux. À titre d’illustration, les réponses au questionnaire élaboré par les rapporteurs montrent que 64 % des élus locaux considèrent que « les agences de l’État sont trop nombreuses ». Cette appréciation est partagée par les préfets et les sous-préfets, dans une proportion encore plus large, de 80 %. C’est bien connu : plus les effectifs diminuent, plus les services se multiplient !
Ainsi, pour le maire d’une commune rurale, il est souvent complexe d’appréhender l’organisation territoriale de l’État. Encore la semaine dernière, lors d’une tournée dans mon département, les maires me le confirmaient : pour eux, l’unique interlocuteur connu et accessible, aussi efficace que possible, demeure le sous-préfet d’arrondissement.
Le troisième enseignement majeur du rapport est le manque de concertation. Plus de quatre élus locaux sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux différentes réformes des services déconcentrés de l’État. Je m’inscris évidemment dans cette tendance statistique, en affirmant que ce ressenti est transposable à un grand nombre de politiques publiques.
C’est d’ailleurs une des problématiques dont se saisira la mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France, dont j’ai l’honneur d’être l’un des vice-présidents et dont la création envoie un signal fort au grand public et à la cohorte de nos collègues maires et élus locaux.
Pourtant, l’élu local est à la République ce que le cœur est au corps humain. Il est le premier réceptacle des attentes citoyennes, comme on l’a vu à l’époque des « gilets jaunes » ou pendant la crise du covid-19. C’est le garant du dernier mètre des politiques publiques ; la proposition de loi déposée par Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc sur l’objectif du zéro artificialisation nette le montrera encore, si tant est que ce soit nécessaire.
Aussi, madame la ministre, je veux dire au Gouvernement : faites confiance aux élus locaux !
Comment faire de l’État territorial une réalité ? Cela passe évidemment par un renforcement du couple bien-aimé des Français, le couple maire-préfet. Et il s’agit bien du maire et du préfet de département.
En effet, je me souviens des déclarations de Mme la Première ministre lors la convention des intercommunalités de France ; elle y indiquait que, selon elle, il y avait un nouveau couple territorial, entre les préfets – de région ou de département – et les présidents d’intercommunalité. Cela ne nous paraît pas être une ligne satisfaisante si l’on veut enraciner la confiance dans les territoires et maintenir une commune et des maires actifs.
Du côté de l’État, le principe de subsidiarité doit offrir aux préfets des pouvoirs accrus. À cet égard, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur contient une disposition qui va dans le bon sens. Désormais, en cas de crise, le champ de l’autorité fonctionnelle des préfets sera élargi aux services et établissements ne relevant pas de leur autorité en temps normal.
Une autre idée a été rappelée tout à l’heure par Françoise Gatel : faire en sorte que le Premier ministre soit l’autorité coordinatrice et fonctionnelle du préfet dans le département. Cela aussi me paraît aller dans le sens d’une meilleure coordination des services et d’une lisibilité accrue des politiques de l’État central dans les territoires.
Il faut également redonner des moyens aux services déconcentrés de l’État, les réarmer pour qu’ils soient au plus proche des territoires.
Cela doit s’accompagner d’une amélioration de la lisibilité des champs d’action des services déconcentrés. Face à la jungle administrative, les collectivités, notamment celles dont le personnel est le plus limité en nombre, à savoir les communes rurales, doivent pouvoir trouver facilement l’interlocuteur adapté à leurs besoins.
Un autre rapport de notre délégation, fort prolixe en la matière, portant sur l’Agence nationale de la cohésion des territoires, recommande de faire du sous-préfet d’arrondissement leur interlocuteur de premier niveau sur les questions d’ingénierie.
Je tiens à souligner, pour être équilibré dans mon propos, en bon centriste que je suis
Sourires sur les travées du groupe UC.
Je crois en revanche pouvoir dire – si besoin était de le rappeler – que la dotation des préfectures n’est pas suffisante. Il y a eu une vraie hémorragie de leurs agents dans des services importants pour les maires et pour les collectivités locales, tels que les directions départementales des territoires (DDT), dont les effectifs ont fondu comme neige au soleil ces dernières années.
Or ce sont des interlocuteurs précieux et quotidiens des collectivités et de leurs élus, pour les politiques liées au droit foncier, pour les questions de légalité, ou encore pour les questions de contentieux ou de précontentieux.
Je ne veux pas non plus passer sous silence la situation du personnel des directions départementales des finances publiques (DDFiP). Comment voulez-vous que les collectivités gèrent correctement leurs finances, avec des comptables publics ou des régies, si elles n’ont pas la possibilité d’avoir des interlocuteurs en nombre suffisant, qui soient à proximité et non pas simplement regroupés dans le chef-lieu de département ?
Des instances temporaires ont également été mises en place pendant la crise sanitaire ; je pense en particulier à la concertation menée par les délégués départementaux des ARS sur les questions de santé durant cette période. Je crois qu’il faut tirer l’enseignement de cette approche efficace et faire en sorte que les délégations départementales des ARS soient mieux soutenues et reçoivent beaucoup plus d’autonomie dans les territoires.
Je terminerai mon propos, madame la ministre, par deux interpellations.
Premièrement, vous avez affirmé, à plusieurs reprises, qu’il était important de réaliser un travail effectif sur la différenciation territoriale. Chiche !
Dès lors, madame la ministre, sur la question des compétences eau et assainissement, allez-vous enfin vous laisser convaincre, avec le Gouvernement, de permettre aux collectivités de choisir librement leur manière de s’organiser en la matière, dans chaque territoire ?
Allez-vous leur laisser la liberté de choisir entre un cadre communal et un cadre intercommunal ? Et n’allez pas nous prétendre, comme votre collègue présent ici ce matin, que ce choix est largement conditionné par des enjeux d’hygiène ou de sécurité d’approvisionnement en eau : je crois que c’est un mauvais argument !
Deuxièmement, concernant les maisons France Services, qui sont en quelque sorte des guichets mis en place par les collectivités locales pour le compte de l’État, je vous invite à nous garantir que les financements prévus par l’État pour la rémunération de leurs collaborateurs, qui sont employés par les collectivités, seront maintenus dans la durée.
En effet, les MFS et les collectivités locales qui en ont la responsabilité peuvent courir un grave danger si elles ne disposent plus des financements nécessaires pour payer des collaborateurs recrutés selon un tel statut.
Monsieur le sénateur Arnaud, je ne reprendrai pas tous les propos élogieux que vous avez tenus à l’égard des sous-préfets d’arrondissement. Je veux simplement rappeler que nous trouvons en eux, ainsi que dans les sous-préfets référents ruralité, ou encore dans les sous-préfets France 2030 et investissements, des serviteurs de l’État qui sont en partenariat étroit avec nos élus locaux, comme vous l’avez souligné.
Vous avez aussi évoqué un certain nombre d’actions que vous jugez efficaces. Je voudrais mettre au premier rang d’entre elles un programme que vous n’avez pas cité expressément, Petites Villes de demain. Il s’agit d’un programme très efficace mené par l’ANCT dans les sous-préfectures. Peut-être, comme vous l’avez laissé entendre, pourrait-on être plus efficace encore en la matière : oui, on peut toujours faire mieux, on le doit et on va le faire, mais ensemble !
Tel est bien l’objet de ce débat, dont je me félicite : essayer de saisir toutes les idées que nous n’avons pas encore essayées et qui nous semblent pertinentes, pour faire mieux, au service des élus locaux, bien sûr, mais aussi des citoyens.
Vous dites souhaiter que nous fassions confiance aux élus locaux. Mme Gréaume vient à ce propos de rappeler l’engagement de Jean Castex. Je veux dire à quel point la Première ministre se place, elle aussi, dans une véritable relation de confiance avec eux, et à quel point le couple maire-préfet est important à ses yeux, même si elle a souligné que le couple préfet-président d’intercommunalité avait également du sens.
Comme vous le savez, les compétences communales et intercommunales sont différentes. On a vu l’efficacité du couple maire-préfet sur des sujets sanitaires, et ce couple est très précieux dans bien des domaines encore qui entrent dans le champ de compétence du maire. Sur des sujets qui relèvent de la compétence intercommunale, il est très important aussi de tisser du lien entre le préfet et le président d’intercommunalité. Je ne pense pas que le bon centriste que vous êtes doive les opposer !
Sourires.
Ensuite, parmi les nombreuses remarques intéressantes que vous avez formulées, je voudrais relever la mention du fonds vert. Celui-ci a l’immense vertu d’être au service de nos territoires et de nos élus locaux, d’être à la main des préfets et de bénéficier à des investissements pour la transition écologique et énergétique. C’est un fonds interministériel extrêmement précieux et très apprécié.
Enfin, concernant le financement des MFS, vous avez mon entier soutien : il faut faire en sorte qu’il soit quelque peu prolongé.
Madame la ministre, permettez-moi tout d’abord de saluer les gendarmes présents dans nos tribunes ; on a besoin de forces de l’ordre dans nos départements, et les gendarmeries y sont précieuses.
Vous ne m’avez pas répondu – je n’en suis pas surpris – sur la compétence eau. Cela tombe bien : nous avons une proposition de loi sur ce sujet ; il y en aura peut-être une deuxième, peut-être une troisième… Nous allons également organiser des débats sur ce sujet, avec Françoise Gatel, Mathieu Darnaud et de nombreux collègues encore : très clairement, nous n’allons pas vous lâcher sur ce sujet !
M. Mathieu Darnaud rit.
En effet, si l’eau, par définition, passe rapidement, elle permet aussi de faire fructifier les territoires, en faisant pousser de belles graines. C’est pourquoi nous n’entendons rien lâcher sur ce point. Nous regrettons, si je puis rester dans un champ lexical aquatique, cette fuite en avant, car le sujet sera de toute façon remis sur la table.
Nous vous proposons de vous placer à côté des élus locaux et de prouver par l’exemple que l’on peut laisser la liberté de choisir son modèle d’organisation dans un cadre local, dans la proximité.
Saisissez donc au bond cette proposition généreuse et constructive, madame la ministre, et nous vous applaudirons avec beaucoup de force. Nous remercierons ce gouvernement de nous avoir entendus !
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme j’ai déjà eu souvent l’occasion de le rappeler à cette tribune, dans une vie antérieure, j’ai été professeur d’histoire-géographie. Mais le sujet retenu pour le débat de ce jour – « L’État territorial, entre mirage et réalité » – me rappelle plutôt les bonnes heures de la terminale et les sujets du baccalauréat de philosophie.
Sourires.
En effet, vous n’ignorez pas que les historiens, les géographes et les philosophes aiment souvent s’écharper sur les concepts et les récits, afin de défricher ce qui relèverait du mythe ou du réel, de l’illusion ou du vécu. Autant dire que l’intitulé du débat a tout pour me plaire !
Seulement, pour vous parler en toute transparence, j’ai été dubitatif en découvrant son objet, car je n’ai pas su exactement ce que signifiait l’expression « État territorial ». Est-ce une variante de l’État unitaire ? De l’État fédéral ? De l’État décentralisé ou de l’État déconcentré ? Vise-t-on la France en particulier, ou s’agit-il, plus largement, d’un modèle théorique abstrait ?
Bien entendu, je comprends l’esprit de la formule : elle vise le rapport de l’État à son territoire, ou à ses territoires, et plus spécifiquement le rapport entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales. C’est finalement un moyen de nous confronter à l’ambiguïté du lien entre le territoire de l’État et les territoires dans l’État. Bref, voilà un vaste programme, que notre assemblée ne craint pas d’affronter. Je m’en réjouis !
En effet, par cette expression, nous poursuivons les travaux déjà engagés en 2016 par le Sénat à la suite du rapport d’information rédigé par Éric Doligé et Marie-Françoise Perol-Dumont.
Nos anciens collègues dressaient le constat suivant : les services déconcentrés de l’État sont confrontés à une succession de réformes qui remettent périodiquement en question leurs modalités d’organisation, leurs priorités d’action et leurs moyens matériels et humains.
Plusieurs axes de progression étaient ressortis de ce rapport, parmi lesquels je relèverai la volonté de maintenir la proximité de l’administration déconcentrée avec les collectivités territoriales, mais surtout de donner à ces dernières les moyens de surmonter la complexité de l’organisation administrative et de ses procédures.
Il y a quelques semaines, nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche se sont chargés de dresser un nouveau bilan de ces problématiques, via un nouveau rapport, d’ailleurs excellent, sur le thème de l’État territorial. Je veux souligner la qualité de leur travail et faire observer que notre assemblée tient assidûment son rang de chambre des territoires.
Surtout, il ressort de ce travail que les problématiques identifiées dès 2016 demeurent, pour l’essentiel, les mêmes.
C’est tout particulièrement le cas de l’ingénierie territoriale, qui continue de poser de nombreuses difficultés dans nos collectivités. Les petites communes et communautés de communes de notre ruralité, symboles de la diversité territoriale de notre pays, sont les plus concernées.
Là-bas, les acteurs locaux, élus et agents constatent une baisse régulière des compétences des services déconcentrés de l’État.
Le RDSE étant forcément sensible à cette question, nous avons souhaité, en 2018, y apporter une réponse en créant l’ANCT. Celle-ci devait remédier à l’insuffisance, voire à l’absence de moyens d’ingénierie, ainsi qu’à la trop grande complexité des procédures, accrue par la multiplication des intervenants et des opérateurs.
Hélas, de nombreux progrès restent à faire, l’agence ne pouvant répondre à elle seule à une telle problématique. Nos collègues Josiane Costes et Charles Guené l’avaient d’ailleurs souligné en 2020 dans leur rapport intitulé Les collectivités et l ’ ANCT au défi de l ’ ingénierie dans les territoires.
Une pluralité d’acteurs sont mobilisés : intercommunalités, services départementaux et régionaux, services privés d’ingénierie, etc. Pourtant, il reste des carences. Les besoins en ingénierie des collectivités territoriales les moins densifiées sont encore largement non pourvus.
Il nous reste donc de quoi nous occuper dans les années à venir pour mettre en place des dispositifs qui favoriseront la bonne administration de nos territoires. Et cela devra naturellement venir de l’État.
En conclusion, pour revenir à l’intitulé du débat, s’il faut choisir entre mirage et réalité, l’idée d’un « État territorial » donne moins à représenter la réalité qu’à la transformer.
Elle offre un cap : celui d’une administration homogène et collaborative entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales.
En voulant décrire et expliquer cette notion d’État territorial à partir de nos expériences locales, nous découvrons finalement un moyen d’analyser les sources du mal que rencontrent nos administrations et, ce faisant, des remèdes se dégagent. De ce point de vue, il n’y a ni mirage ni réalité, mais une méthode et une volonté !
Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Éric Kerrouche applaudissent également.
Monsieur le sénateur Requier, vous avez abordé plusieurs sujets – l’administration déconcentrée auprès des collectivités territoriales, les difficultés d’ingénierie territoriale – et appelé de vos vœux une plus grande simplification.
En ce qui concerne le maintien de l’administration déconcentrée auprès des collectivités, je redis à quel point le Gouvernement renforce les moyens de l’État. Comme promis, je listerai les cinq sous-préfectures qui ont rouvert leurs portes : Château-Gontier en Mayenne, Clamecy dans la Nièvre, Montdidier dans la Somme, Rochechouart en Haute-Vienne et Nantua dans l’Ain, auxquelles s’ajoute la nouvelle sous-préfecture créée à Saint-Georges, en Guyane.
Ensuite, j’insiste sur le fait que, après des années de diminution des effectifs, aucun emploi n’a été supprimé sur le périmètre de l’administration territoriale de l’État en 2021 et en 2022. Au contraire, nous ajoutons des postes : 350 ETP supplémentaires seront créés en cinq ans, dont 43 dès cette année ; plus 30 postes de sous-préfet, par redéploiement des postes de sous-préfet à la relance, dans les départements ruraux ; plus les sous-préfets référents thématiques ; plus 200 brigades de gendarmerie. J’en profite pour saluer très amicalement les gendarmes qui viennent de quitter la tribune.
Vous avez évoqué la création de l’ANCT : il s’agit selon nous du lieu où s’incarne le choc d’ingénierie que nous voulons créer au profit de nos collectivités territoriales. Vous appelez à renforcer ses moyens : c’est déjà une réalité. En effet, nous avons doublé dès le premier semestre 2023 les effectifs des délégués de proximité, qui sont dépêchés par l’ANCT dans les préfectures. Chaque région en comptera au moins un, afin que toutes les collectivités locales, y compris les plus petites, disposent d’un interlocuteur privilégié sur les questions d’ingénierie.
À ce propos, je vous confirme que nous travaillons sur un programme visant à servir les plus petites de nos communes, dont les besoins d’ingénierie sont réels. J’aurai plaisir, dans le cadre du nouveau souffle de l’agenda rural, à venir vous en parler d’ici à un mois, si vous le souhaitez.
Madame la ministre, mon groupe a porté ici, avec M. de Nicolaÿ, qui était rapporteur au nom de la commission, le texte portant création de l’ANCT. Celui-ci a été édulcoré à l’Assemblée nationale, où on l’a affaibli en introduisant l’échelon régional, qui est trop lointain. À l’origine, nous comptions mettre sur pied un organisme départemental placé sous l’autorité du préfet afin de combler les silos qui séparent les administrations.
Je me réjouis toutefois que vous renforciez les effectifs de l’ANCT.
Pour ce qui est des sous-préfectures, j’en suis un fervent défenseur, en particulier dans le monde rural. En effet, les maires trouvent appui et conseil auprès des sous-préfets – et des sous-préfètes ! Il s’agit d’un maillage essentiel pour administrer les territoires ruraux.
Je dis souvent aux maires de mon département : « Si vous voulez défendre et fortifier les sous-préfectures, faites travailler les sous-préfets ! »
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si réforme de l’État territorial et décentralisation vont de pair, il n’y aura pas de décentralisation réussie sans une déconcentration pertinente.
Aussi, je regrette la méthodologie défaillante des trop nombreuses réformes de l’État déconcentré depuis quinze ans. Françoise Gatel a eu raison de rappeler l’enchaînement frénétique et l’empilement des réformes, qui ont donné le tournis aux élus locaux et désorienté les agents de l’État eux-mêmes.
Si encore cette frénésie de réformes s’accompagnait d’évaluations régulières et d’une analyse des retours d’expérience, nous pourrions, à la rigueur, la suivre. Il est, hélas ! frappant que, dans ce mouvement perpétuel, chaque nouvelle réforme ne soit jamais précédée d’une évaluation sérieuse, rigoureuse et documentée de la réforme précédente.
La mission d’information que nous avons menée, mon collègue Éric Kerrouche et moi-même, a permis de souligner cette lacune. Elle a mis en évidence l’insatisfaction profonde des maires et des autres élus locaux. Alors que 61 % des élus locaux considèrent que la réforme de l’organisation de l’État est souhaitable, 82 % d’entre eux regrettent de ne pas avoir été associés à ces réformes, qui les concernent pourtant en priorité.
En outre, plus de la moitié des maires, notamment ceux de communes de moins de 1 000 habitants, estiment que l’offre de l’État s’est dégradée ou est défaillante sur leur territoire. Ce hiatus est d’autant plus préjudiciable que le couple maire-préfet a fait ses preuves, en particulier pendant la crise sanitaire. Chacun sait, dans cet hémicycle, le rôle essentiel des maires et de leurs équipes pour apporter une réponse efficace et de proximité.
Les élus locaux ne sont plus dans la défiance envers l’État territorial. Au contraire, ils attendent de lui qu’il soit un véritable partenaire, un accompagnateur plus attentif.
Ainsi, une clarification du rôle de l’État dans nos territoires est désormais indispensable. Il est urgent de mieux répartir les compétences de l’État sur la base de deux principes essentiels : la subsidiarité et la différenciation. Ce n’est qu’à cette condition que l’État pourra irriguer tout le territoire jusqu’au dernier kilomètre.
La contractualisation entre l’État et les collectivités représente une modalité intéressante pour aller vers davantage de souplesse. Elle permet de sortir de la logique des appels à projets, qui, en leur imposant un cadre strict et trop technique, brident les initiatives des petites communes au lieu de les soutenir.
Par ailleurs, certains sujets de tension doivent être déminés afin de rendre plus effective la relation maire-préfet. Les conditions d’attribution de la DETR et de la DSIL sont particulièrement concernées.
Actuellement, le préfet décide seul des attributions pour les projets dont le montant est inférieur à 100 000 euros, les élus n’ayant parfois même pas accès aux informations sur les dossiers qui ont été déposés à cet effet. Aussi avons-nous proposé, au terme de la mission d’information menée au nom de la délégation aux collectivités territoriales, davantage de transparence dans l’attribution des dotations.
En ce qui concerne l’accompagnement des projets et des investissements locaux, la question du devenir de l’ingénierie territoriale d’État se pose. Figure de proue de l’État dans les territoires pendant longtemps – chacun se souvient notamment du rôle des directions départementales de l’équipement (DDE) –, l’offre d’ingénierie se trouve amoindrie, pour ne pas dire déstabilisée, depuis la disparition de l’assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire (Atésat). Nous pouvons même nous interroger sur la capacité de l’État à entretenir et à pérenniser son expertise technique.
Il n’est pas anodin de constater que, en matière d’ingénierie, les communes les moins peuplées recourent surtout aux départements, voire aux intercommunalités, qui ont développé leur propre expertise.
En parallèle, les plus grandes collectivités se tournent davantage vers des prestataires privés et, de manière accessoire, vers l’État et ses opérateurs. Si la création de l’ANCT marque un progrès, il ressort de notre enquête que celle-ci souffre d’un vrai déficit de notoriété auprès des élus locaux.
Par ailleurs, l’offre d’études qu’elle propose n’est, souvent, pas suivie des financements nécessaires pour mener à bien les projets – il faut y remédier.
En conclusion, et pour revenir au titre de notre débat, l’État territorial a longtemps été une réalité structurante. Pour ne pas en être réduit à devenir un mirage, il doit être guidé par une vision claire et être alimenté par les recommandations de notre rapport dont j’espère, madame la ministre, que vous saurez vous inspirer.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la sénatrice Canayer, en ce qui concerne la nécessité de proximité, je ne renouvellerai pas mes propos sur la façon dont le Gouvernement renforce les moyens de l’État territorial, pour reprendre votre intitulé.
J’apporterai quelques précisions sur l’ANCT, qui a pour objectif d’instituer une logique de guichet unique, au plus proche des territoires. Du fait de sa jeunesse, elle fait l’objet de certaines critiques, notamment au sein de l’excellent rapport du Sénat. Pourtant, l’ANCT a connu de nombreuses réussites, notamment dans l’accompagnement des collectivités dans leur besoin en ingénierie.
Ainsi, dans le cadre du programme Petites Villes de demain, 1 600 petites centralités de moins de 20 000 habitants sont accompagnées et 906 postes de chef de projet sont subventionnés.
Pour ce qui est du programme Action cœur de ville, quelque 5 milliards d’euros sont mobilisés sur cinq ans, pour accompagner 234 communes sur 222 territoires métropolitains et ultramarins. Au 15 octobre 2022, 312 opérations de revitalisation de territoire (ORT) avaient été signées.
Par ailleurs, la Première ministre m’a permis d’aller voir, depuis le mois de juillet, ce qui se passe réellement sur le terrain en matière d’ingénierie afin de procéder à une évaluation. J’ai autant que vous, mesdames, messieurs les sénateurs, l’intime conviction que nous devons accentuer l’évaluation de l’efficacité de nos politiques publiques avant d’embrayer sur de nouvelles lois, de nouveaux textes ou programmes.
C’est ce que j’ai fait pendant six mois et j’espère qu’il en ressortira quelque chose d’efficace. Le premier bilan sera dressé à la fin de l’année afin de réorienter certaines actions si nous constatons qu’elles ne sont pas aussi efficaces que nous le souhaitions dans les ruralités.
Vous appelez de vos vœux plus de subsidiarité. Bien sûr, on peut toujours faire plus et mieux, mais, en mettant fin aux appels à projets et en confiant le fonds vert aux préfets, nous envoyons un fort signal dans le sens d’une déconcentration telle que nous la voulons et telle que les préfets la mettent en œuvre.
Pour ce qui est de la différenciation, je voudrais vous dire à quel point je suis fière de vous soumettre, en janvier 2024, un projet de loi qui constituera un acte II pour les zones de revitalisation rurales (ZRR). Cette loi portera en son sein la différenciation de nos territoires.
Madame la ministre, l’ANCT constitue effectivement un progrès, mais elle est largement perfectible. En revanche, en ce qui concerne l’offre d’ingénierie, elle est un peu à l’image de l’État, qui est dispersé dans ses réponses et ses actions. Pour lui donner de la lisibilité et de la clarté de manière que les élus locaux soient véritablement accompagnés, nous devons améliorer la coordination de cette offre sur les territoires.
Quant à l’évaluation, il est vrai qu’il s’agit d’un sujet fort et récurrent. Il est important, avant d’introduire toute nouvelle politique publique, de ne pas reproduire les erreurs du passé, en l’occurrence celle d’additionner les réformes sans évaluation préalable jusqu’à en faire une sorte de millefeuille.
Toutefois, madame la ministre, le baromètre ne peut en aucun cas être un outil d’évaluation. On ne peut pas évaluer uniquement par les chiffres et par la quantité : il faut également tenir compte de la qualité de l’action qui est menée.
M. Mathieu Darnaud applaudit.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
M. Éric Kerrouche . Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en entendant mon collègue de la majorité gouvernementale M. Buis, je me disais qu’il devait être confortable de vivre dans un monde de Oui-Oui territorial.
Sourires. – Mme la ministre déléguée s ’ indigne.
Madame la ministre, nous pouvons légitimement nous demander si l’État a encore les moyens de ses ambitions dans nos territoires. Il peut paraître étonnant de se poser cette question dans un pays qui, depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, a donné une place particulière à l’État territorial. Pourtant, celui-ci suscite des doutes et des critiques.
La mission d’information que nous avons conduite, Agnès Canayer et moi-même, pointe de nombreux enjeux, mais je me contenterai d’évoquer ceux qui sont relatifs aux moyens et à l’organisation.
Rares sont les champs de l’action publique qui ont connu autant de réformes que celui dont nous parlons. Mais cette spécificité est trompeuse : loin d’être un signe de vitalité et de bonne santé, elle traduit surtout un malaise profond et des objectifs qui n’ont pas été atteints, d’où des remises en chantier répétées à un rythme qui va s’accélérant.
À chaque fois, la réforme de l’État territorial est pourtant sous-tendue par une ambition louable et clairement affichée : améliorer le fonctionnement des services et répondre au mieux à la demande d’État dans les territoires. La réalité est très différente, puisque nous constatons une baisse continue des moyens de l’État.
Les élus ne s’y trompent d’ailleurs pas : deux élus sur trois estiment que le service public s’est dégradé sur leur territoire, et près de 60 % d’entre eux considèrent que les moyens des services déconcentrés sont insuffisants. Je vous rappelle également – et c’est révélateur – que 70 % des membres du corps préfectoral que nous avons interrogés estiment, eux aussi, que les moyens humains qui sont mis à leur disposition sont insuffisants.
Il est très difficile de chiffrer les effectifs de l’État dans nos territoires : les changements de périmètres, les suppressions de directions – avant qu’elles ne soient recréées – ou encore les rattachements à différents ministères tendent à brouiller les cartes. Aussi le ministère de l’intérieur doit-il impérativement se doter d’outils de suivi de l’ensemble des personnels déconcentrés qui lui ont été rattachés ces dernières années, au travers notamment des directions départementales interministérielles (DDI).
Malgré tout, les chiffres sont parlants : les effectifs des DDI ont été amputés de 15 000 fonctionnaires entre 2011 et 2022, soit une baisse de 36 %. La plupart du temps, ces coupes dans les effectifs sont supposées avoir été compensées par une organisation plus efficiente, par des gains de productivité et par la diffusion de nouveaux outils technologiques. Au reste, nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer ces suppositions, car rien n’est évalué ex post.
À l’inverse, les exemples de dégradation des services rendus aux collectivités territoriales abondent.
Cette politique, dictée par une perspective purement comptable, montre ses limites. Le contrôle de légalité en est un bon exemple. Nous devons nous interroger sur la façon dont est rendu ce service. Les préfectures contrôlent, depuis bien longtemps, non plus la totalité des actes des collectivités locales, mais un nombre restreint d’actes dits « à enjeu » – la commande publique, les actes budgétaires, la gestion des ressources humaines. Or, même dans ce cadre, l’État n’atteint que 90 % de ses objectifs.
Dans notre pays, tout se passe comme si l’État territorial était resté figé dans une réalité qui ne correspond absolument plus à celle des collectivités locales. L’effet d’inertie est considérable : dans certains départements ou régions, les effectifs des services de l’État correspondent non plus à la réalité du terrain, mais à un héritage du passé. Un récent rapport de la Cour des comptes a d’ailleurs appuyé ce constat que nous avions dressé dans notre rapport.
Il faut sortir de ce carcan pour adapter l’État territorial aux besoins contemporains. Vous avez évoqué, madame la ministre, les sous-préfectures, qui ont été touchées de plein fouet par la RGPP. S’il est très bien d’en rouvrir six, c’est sans commune mesure avec la réalité des besoins de l’ensemble des territoires.
Je vous rappelle que la carte des sous-préfectures n’a pas été revue en profondeur depuis la réforme Poincaré de 1926, alors que les périmètres ont été modifiés, y compris ceux des collectivités territoriales. Il conviendrait de tenir compte de ces modifications, tout en garantissant l’autonomie et les moyens des sous-préfectures.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Monsieur le sénateur Kerrouche, j’ai beaucoup apprécié ce débat, et j’épargnerai aux sénateurs présents la poursuite de ce qui tourne, dans certains échanges, au dialogue de sourds. Moyens insuffisants, difficulté à compter les agents de l’État, brouillage de cartes, aucune évaluation ex post, politique comptable, etc. Mon intime conviction est totalement orthogonale avec vos propos.
J’essaye simplement de travailler. Peut-être le fais-je avec des « Oui-Oui territoriaux », comme vous les appelez, car j’ai beaucoup de mal à travailler avec des « ouin-ouin territoriaux ».
En France, le verre est toujours à moitié vide. S’il était plein, nos concitoyens seraient heureux, la France ne serait pas si clivée, elle ne compterait pas tant de citoyens et de parlementaires révoltés… Non, rien n’est parfait, cher monsieur. Oui, tout peut être amélioré. À cet égard, mon bureau vous est ouvert.
Seulement, je préfère travailler avec des personnes constructives, pour essayer de faire évoluer les choses, qu’avec d’autres qui ne font que pointer tout ce qui va mal, même si cela comporte des réalités que nous devons améliorer.
M. Éric Kerrouche . Il est sûr qu’il est plus simple de ne travailler qu’avec des gens qui sont d’accord avec vous – c’est d’ailleurs ce que vous faites depuis longtemps –, mais cela peut être problématique.
M. Mathieu Darnaud s ’ amuse.
J’entends ce que vous dites, madame la ministre, mais je me permettrai de reprendre les propos, très importants dans la méthodologie en sciences sociales, du sociologue Émile Durkheim, selon lequel les faits sont têtus. Ces faits, nous les avons pointés, Mme Canayer et moi-même, dans le rapport que nous avons rendu. Vous pouvez les contester et sélectionner les critères qui, a priori, vous satisfont, mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose.
Par ailleurs, la question est non pas de savoir si nous sommes d’accord ou pas, mais de fixer un niveau d’exigence vis-à-vis de l’État territorial qui soit à la hauteur du rôle que celui-ci devrait remplir dans les territoires.
Vous affirmez avoir freiné les baisses d’effectifs depuis deux ans. Je vous rappelle qu’il s’agit d’un second quinquennat…
Notre objet est non pas de dire que tout va mal, madame la ministre, mais de regarder la vérité en face pour essayer de tracer un chemin à partir de celle-ci – et ce avec tout le monde, pas seulement ceux qui vous font plaisir politiquement.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il faut feindre que tout change pour que rien ne change : je me permets d’emprunter cette fameuse réplique du Guépard, car elle me semble de circonstance, madame la ministre. En effet, j’ai le sentiment, au cours de nos débats sur la constitution de l’ANCT, les maisons France Services, la déconcentration de l’État, d’entendre toujours les mêmes intentions de la part du Gouvernement.
Pour couper court à une éventuelle réplique par laquelle vous m’opposeriez un manque d’objectivité, permettez-moi de prendre quelques exemples concrets, m’adossant en cela aux propos d’Éric Kerrouche selon lesquels les faits sont têtus.
Vous avez évoqué la réussite des maisons France Services. Nous ne la contestons pas. Je m’empresse simplement de vous dire, madame la ministre, que celles-ci remplacent des services de l’État que nous avons vus disparaître, notamment les trésoreries, parmi tant d’autres. Il s’agit donc non pas d’une offre nouvelle, mais d’une offre de substitution à des services qui existaient auparavant.
Vous avez également évoqué un réarmement de l’État territorial. Je vous invite, puisque vous êtes encline à vous déplacer – ce que je salue –, à venir dans mon beau département de l’Ardèche, où vous pourrez constater si les annonces faites par le Gouvernement ont été suivies d’effets. Le centre des impôts de Tournon-sur-Rhône devait accueillir 50 cadres de la DGFiP ; nous attendons toujours de voir arriver le premier d’entre eux.
Je vous invite donc à venir dans les sous-préfectures de Largentière ou de Tournon-sur-Rhône, où vous verrez que le réarmement dont l’État territorial a besoin, ce sont des moyens humains supplémentaires. Voilà ce que nous attendons de pied ferme.
Par ailleurs, vous affirmez œuvrer pour que l’ANCT nourrisse un lien de proximité avec les élus. Là encore, nous attendons ce rapprochement. Dans cet hémicycle, nous avons toujours fait preuve du plus grand pragmatisme. Lorsqu’il s’est agi de débattre sur la création de l’ANCT, nous avons appelé de nos vœux un état des lieux de l’ingénierie réelle sur les territoires. Pardon de vous dire que cela aussi, nous l’attendons toujours.
De même, nous attendons des actions qui sont mises en œuvre sur nos territoires, telles que Petites Villes de demain, que vous avez citée, qu’elles puissent apporter non seulement des moyens d’ingénierie, mais aussi des moyens financiers, faute de quoi les projets issus de cette ingénierie ne pourront pas être réalisés.
Enfin, et c’est le nœud du problème – le nœud gordien –, nous ne pourrons parler d’État territorial qu’en donnant aux préfets de département les moyens de coordonner l’action de l’État.
Permettez-moi, madame la ministre, de m’opposer sur deux points à vos propos.
Tout d’abord, je cherche encore le pouvoir dérogatoire des préfets auquel vous avez fait référence. Pour qu’il puisse voir le jour, il faudrait réformer la Constitution, et plus particulièrement son article 72. Vous affirmez que le préfet a pu coordonner l’action de l’État pendant la crise de la covid-19. Je prends à témoin les 35 000 maires de France, qui ont dû lire minutieusement les protocoles scolaires et sanitaires pour ouvrir ou fermer les écoles. Les préfets ont eu les plus grandes difficultés à agir pour interpeller les services de l’éducation nationale. Voilà la réalité, voilà le vécu des maires !
Mme Agnès Canayer et M. Sébastien Meurant approuvent.
Vous nous invitez à être pragmatiques ? Chiche ! Être pragmatique, c’est demander au Gouvernement de mettre en application ce qu’il nous promet. Lors de l’examen de la loi 3DS, dont nous étions rapporteurs, Françoise Gatel et moi-même, que n’avons-nous pas entendu de la part du Gouvernement qui s’engageait à déconcentrer, à réarmer, à renforcer les pouvoirs de coordination des préfets… Or les seules propositions à avoir connu une traduction pratique et législative sont celles qu’a faites le Sénat.
Faire du préfet le délégué de l’office français de la biodiversité, c’est ici que cela a été décidé ! Mettre en place un pouvoir dérogatoire des préfets, c’est ici que nous l’avons voulu, même si nous l’attendons malheureusement encore. Voilà des mesures claires et pragmatiques, qui montrent que nous sommes prêts à avancer.
L’intitulé du débat nous invite à déterminer si l’État territorial est un mirage ou une réalité. Je suis un défenseur de l’État territorial, je pense donc que c’est une réalité ; en revanche, vos engagements sont souvent des mirages.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le sénateur Darnaud, je viendrai en Ardèche avant la fin du mois d’avril.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Voilà une première réponse positive.
Sourires à droite.
Pour ce qui est de réarmer nos territoires, cela revient simplement à poursuivre ce que nous faisons. Ne pointons pas nos différences. Je vous ai donné des chiffres objectifs, que vous jugez insuffisants : nous y travaillerons ! Nous sommes tous convaincus que les services de l’État dans les régions peuvent être renforcés de manière à mieux travailler localement avec les élus.
J’ai rappelé ce que nous faisons en matière d’ingénierie : l’argent qui a été injecté et continue de l’être, les améliorations que nous allons apporter à l’ANCT sur la recommandation du Sénat, le programme en ingénierie dans les petits villages, etc. Je pense vous avoir rassuré sur le fait que nous sommes en train d’améliorer notre offre d’ingénierie.
En ce qui concerne le lien que vous faites avec l’investissement, peut-être vous projetez-vous déjà en 2024, auquel cas nous aurons le temps d’y travailler. Car, pour ce qui concerne l’année 2023, la DETR et la DSIL ont été abondées de 2 milliards d’euros de manière structurelle. À la DETR, qui a doublé ces dix dernières années, s’ajoutent les 2 milliards d’euros du fonds vert, ce qui revient à doubler encore cette dotation. Le fonds vert est certes orienté en priorité sur l’écologie et la transition énergétique, mais nous injectons tout de même 4 milliards d’euros pour donner suite aux travaux d’ingénierie que les maires conduiront avec le soutien de l’ANCT, que nous finançons en très grande partie.
Enfin, j’entends vos remarques sur le pouvoir dérogatoire des préfets, mais ceux-ci y ont tout de même recouru 350 fois depuis qu’ils en disposent. Vous considérez que c’est insuffisant ; pour ma part, je suis incapable de vous dire s’il faudrait qu’ils dérogent plus ou moins.
Par ailleurs, je partage vos propos sur les sujets éducatifs. Nous devons adapter aux territoires la politique publique que nous conduisons à l’échelle nationale, sous la houlette de Pap Ndiaye, avec qui je dois m’entretenir demain.
En conclusion, le pouvoir dérogatoire existe ; nous pouvons simplement appeler à ce qu’il soit quelque peu amplifié.
Madame la ministre, je vous accueillerai avec plaisir dans le beau département de l’Ardèche et nous aurons l’occasion de poursuivre nos réflexions, notamment sur la DETR. Trop souvent, en effet, celle-ci vient compenser ce qu’un département comme le mien perd par exemple en matière d’accompagnement sur l’eau du fait du désengagement progressif des agences de l’eau – je ne doute d’ailleurs pas qu’il en sera de même pour le fonds vert.
Je tiens à concentrer mon propos sur la question des préfets et vous inviter, madame la ministre, comme vous l’avez fait à l’occasion de l’examen de la loi 3DS, à vous inspirer des travaux du Sénat, en particulier de l’excellent rapport d’information d’Agnès Canayer et d’Éric Kerrouche. Le tableau qui y est brossé correspond à une réalité et est le reflet des attentes de l’État territorial sur le territoire, mais plus encore des élus locaux qui attendent beaucoup de vous et, surtout, du concret.
Madame la sénatrice, c’est un vrai plaisir de travailler avec vous, vous êtes un véritable aiguillon, qui plus est un aiguillon constructif, à l’instar de la délégation dans son entier.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup de sincérité que je vous remercie d’avoir inscrit ce débat sur le thème : « L’État territorial, entre mirage et réalité » à l’ordre du jour de vos travaux. Comme M. Jean-Claude Requier, je me suis moi aussi beaucoup intéressée à « l’esprit de la formule ». L’intitulé du débat qui a été retenu était riche de sens.
Certes, les discussions peuvent toujours être plus approfondies, encore plus nourries et ambitieuses, mais je me suis pliée avec beaucoup de plaisir à cet exercice, qui était une première pour moi.
J’ai pris beaucoup de notes, que je transmettrai à mon cabinet, et je vous confirme que nous travaillerons sur les axes d’amélioration que j’ai mentionnés.
Je vis comme un honneur d’avoir été invitée à ce débat autour de l’État territorial organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Vous connaissez ou, peut-être, découvrez mon attachement aux collectivités territoriales, à la ruralité, aux élus locaux, à l’initiative territoriale, mais aussi au débat parlementaire. Ce débat, j’espère que nous pourrons le renouveler à de nombreuses occasions dans les semaines et mois à venir, convaincue que c’est ainsi que nous trouverons les solutions les plus adaptées aux difficultés que rencontrent nos concitoyens.
Ce débat était aussi pour moi l’occasion de rappeler certains points de l’action du Gouvernement à destination des collectivités territoriales, auxquelles je suis tout particulièrement attachée. Il m’a également été permis de rappeler combien le travail accompli par les préfets, les sous-préfets, les services de l’État en région était efficace.
Notre pays, en raison du contexte international, est confronté à une inflation importante qui touche directement les collectivités, notamment dans leurs coûts de fonctionnement. Les mesures que nous avons prises dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2023 visent à résoudre ces difficultés.
La prolongation du bouclier tarifaire, qui limite l’augmentation des coûts de l’énergie à 15 % dans les petites communes, la mise en place d’un amortisseur électrique grâce auquel l’État prend en charge 50 % des surcoûts au-delà d’un prix de référence de 325 euros par mégawattheure, la reconduction d’un filet de sécurité étendu à toutes les collectivités ou encore l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement de 320 millions d’euros pour la première fois depuis treize ans sont autant de mesures qu’il était urgent et indispensable de prendre.
Pour moi, c’est peut-être ici même que résident les fondements de l’État territorial, dans sa capacité à accompagner chaque collectivité, à ne laisser aucun maire sur le bord de la route, en période de crise.
Cette présence bienveillante doit être en permanence renforcée et se mettre toujours plus au service des collectivités territoriales, qui sont, elles-mêmes, au service du bien commun et de nos concitoyens. Sur ce point, la volonté du Président de la République et du Gouvernement a été clairement affirmée et réaffirmée.
La réouverture de cinq sous-préfectures, la création d’une nouvelle sous-préfecture, le déploiement de 2 538 maisons France Services sur tout le territoire ou encore les mesures présentes dans la Lopmi, avec le déploiement de plus de 200 brigades de gendarmerie supplémentaires dans les territoires ruraux et périurbains, démontrent notre volonté de réimplanter l’État dans nos territoires.
La création de l’ANCT, voilà maintenant trois ans, marquait aussi la volonté forte du gouvernement précédent de rapprocher les moyens de l’État des collectivités territoriales. J’ai pris connaissance, avec attention, du rapport d’information du Sénat que vous m’avez remis hier : même s’il ne faut pas nier que des axes d’amélioration demeurent, l’existence même de cette jeune administration va dans le bon sens.
C’est pour cette raison que l’ANCT verra ses moyens en ingénierie doubler dans les territoires. Dès 2024, le marché de l’ingénierie sera par ailleurs déconcentré afin de rapprocher le processus décisionnel des territoires et les élus. Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, cette agence évolue, grandit et se rapproche des territoires.
Je conclus en ajoutant que l’État n’oublie pas le volet investissement pour les collectivités territoriales, notamment avec le fonds vert : 2 milliards d’euros supplémentaires seront à la main des préfets dès 2023.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, la réalité de l’État territorial, c’est un État qui accompagne, soutient et aide les collectivités territoriales au quotidien. Ne voyez pas dans mes propos un élan d’autosatisfaction : j’ai conscience des leviers qui restent à mobiliser, mais je voulais aussi souligner ce qui avait été fait – et bien fait.
Aussi, je mesure le chemin qu’il nous reste à parcourir ensemble, les difficultés que rencontrent nos collectivités et les défis qui se présentent à nous. Ce n’est qu’ensemble que nous parviendrons à progresser.
La parole est à Mme la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Je tiens à remercier l’ensemble de nos collègues présents aujourd’hui à l’occasion de ce débat : les questions étaient toutes extrêmement pertinentes. J’en profite pour adresser des remerciements particuliers aux membres de la délégation. Monsieur le président Requier, j’ai apprécié votre volonté de définir ce qu’était un débat et ce qui en constituait le sujet.
Madame la ministre, je vous le dis en toute amabilité et avec beaucoup de gentillesse, mais aussi avec ma franchise habituelle : un débat est un espace de discussion pour construire une réflexion sur un sujet et trouver des solutions. Ce n’est ni un grand oral ni un espace de justification. Il n’est en effet pas dans notre idée de faire un procès au Gouvernement ; notre souhait, c’est que la France marche et que les maires, qui portent de grandes responsabilités, puissent être accompagnés par l’État.
Madame la ministre, cela ne va peut-être pas vous plaire, mais, là encore, je vous le dis avec aménité. Certains ont parlé d’un après-midi de Oui-Oui ; pour ma part, ce n’est pas ce que j’ai ressenti. À certains moments, cela m’a plutôt fait penser à cette séquence que les jeunes ne connaissent pas où Georges Marchais, à un journaliste qui lui faisait remarquer : « Ce n’est pas la question qui vous a été posée », répondait : « Ce n’était peut-être pas votre question, mais c’est ma réponse ! »
Vous l’avez d’ailleurs souligné, madame la ministre, le rapport d’information d’Agnès Canayer et d’Éric Kerrouche va à l’essentiel. C’est un travail de fond, qui doit être considéré comme une contribution positive et rigoureuse à la réflexion que le Gouvernement mène – je ne doute pas de votre intention – et qui anime le Président de la République. Puissions-nous faire œuvre utile et avoir pour perspective de trouver des solutions. Je sais que c’est votre état d’esprit, madame la ministre, mais ce n’est pas ce que nous avons ressenti cet après-midi.
Il faut une exigence d’évaluation, cela a été rappelé. Il faut évaluer ce que l’on fait et il faut encourager les expérimentations. Je rejoins la position d’Agnès Canayer : un comptage ou un baromètre ne sont pas une évaluation. Peut-on avoir des évaluations qualitatives ?
Madame la ministre, nous l’avons dit d’emblée, et vous le savez : l’évaluation qui a été faite ou la mesure de la satisfaction ne doit pas concerner que les élus ; elle doit être élargie au corps préfectoral, qui est constitué de gens absolument remarquables.
Madame la ministre, je vous invite à participer aux états généraux de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, qui se tiendront le 16 mars prochain. Nous voulons travailler ensemble avec des engagements clairs, y compris du Gouvernement, sur une fabrique de la loi qui soit efficace et efficiente.
La différenciation, vous y croyez, madame la ministre. Moi aussi, j’y crois ! Le pouvoir réglementaire local appartient au préfet. Même si cela agace tout le monde, j’y reviens, car c’est un véritable problème : l’eau et l’assainissement ! Si nous en parlons encore, c’est bien que tout n’est pas réglé. Nous savons bien que l’eau n’a jamais coulé dans un périmètre administratif et nous ne disons pas que les communes doivent rester seules. Faisons en sorte de travailler à des solutions efficaces, car les Hautes-Alpes ne sont pas la Bretagne.
Madame la ministre, vous n’avez pas répondu à l’excellente recommandation du rattachement du préfet au Premier ministre. Pourtant, cela permettrait une unité de la voix de l’État : nous disposerions d’une chaîne de commandement et d’un chef d’orchestre, dont on a vu l’efficacité pendant la crise sanitaire.
Madame la ministre, je suis heureuse de ce temps de discussion. Pour autant, et ce n’est pas un grief personnel, car je sais votre volonté d’écouter et de comprendre, il faudrait que l’on reconnaisse que, lorsque les sénateurs s’expriment, ce n’est ni pour embêter le monde ni pour passer un après-midi récréatif.
C’est vraiment parce que nous avons des convictions, que nous voulons des solutions et que nous vous proposons d’agir ensemble, comme vous l’avez indiqué.
Si le prochain débat peut être l’occasion d’une véritable discussion et non d’un jeu de ping-pong, j’en serai heureuse et ravie.
Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains.
Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L’État territorial, entre mirage et réalité. »
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 14 février 2023 :
À neuf heures trente :
Questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à améliorer l’encadrement des centres de santé (texte de la commission n° 324, 2022-2023) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé (texte de la commission n° 329, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à seize heures vingt-cinq.