Madame la ministre, nous pouvons légitimement nous demander si l’État a encore les moyens de ses ambitions dans nos territoires. Il peut paraître étonnant de se poser cette question dans un pays qui, depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, a donné une place particulière à l’État territorial. Pourtant, celui-ci suscite des doutes et des critiques.
La mission d’information que nous avons conduite, Agnès Canayer et moi-même, pointe de nombreux enjeux, mais je me contenterai d’évoquer ceux qui sont relatifs aux moyens et à l’organisation.
Rares sont les champs de l’action publique qui ont connu autant de réformes que celui dont nous parlons. Mais cette spécificité est trompeuse : loin d’être un signe de vitalité et de bonne santé, elle traduit surtout un malaise profond et des objectifs qui n’ont pas été atteints, d’où des remises en chantier répétées à un rythme qui va s’accélérant.
À chaque fois, la réforme de l’État territorial est pourtant sous-tendue par une ambition louable et clairement affichée : améliorer le fonctionnement des services et répondre au mieux à la demande d’État dans les territoires. La réalité est très différente, puisque nous constatons une baisse continue des moyens de l’État.
Les élus ne s’y trompent d’ailleurs pas : deux élus sur trois estiment que le service public s’est dégradé sur leur territoire, et près de 60 % d’entre eux considèrent que les moyens des services déconcentrés sont insuffisants. Je vous rappelle également – et c’est révélateur – que 70 % des membres du corps préfectoral que nous avons interrogés estiment, eux aussi, que les moyens humains qui sont mis à leur disposition sont insuffisants.
Il est très difficile de chiffrer les effectifs de l’État dans nos territoires : les changements de périmètres, les suppressions de directions – avant qu’elles ne soient recréées – ou encore les rattachements à différents ministères tendent à brouiller les cartes. Aussi le ministère de l’intérieur doit-il impérativement se doter d’outils de suivi de l’ensemble des personnels déconcentrés qui lui ont été rattachés ces dernières années, au travers notamment des directions départementales interministérielles (DDI).
Malgré tout, les chiffres sont parlants : les effectifs des DDI ont été amputés de 15 000 fonctionnaires entre 2011 et 2022, soit une baisse de 36 %. La plupart du temps, ces coupes dans les effectifs sont supposées avoir été compensées par une organisation plus efficiente, par des gains de productivité et par la diffusion de nouveaux outils technologiques. Au reste, nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer ces suppositions, car rien n’est évalué ex post.
À l’inverse, les exemples de dégradation des services rendus aux collectivités territoriales abondent.
Cette politique, dictée par une perspective purement comptable, montre ses limites. Le contrôle de légalité en est un bon exemple. Nous devons nous interroger sur la façon dont est rendu ce service. Les préfectures contrôlent, depuis bien longtemps, non plus la totalité des actes des collectivités locales, mais un nombre restreint d’actes dits « à enjeu » – la commande publique, les actes budgétaires, la gestion des ressources humaines. Or, même dans ce cadre, l’État n’atteint que 90 % de ses objectifs.
Dans notre pays, tout se passe comme si l’État territorial était resté figé dans une réalité qui ne correspond absolument plus à celle des collectivités locales. L’effet d’inertie est considérable : dans certains départements ou régions, les effectifs des services de l’État correspondent non plus à la réalité du terrain, mais à un héritage du passé. Un récent rapport de la Cour des comptes a d’ailleurs appuyé ce constat que nous avions dressé dans notre rapport.
Il faut sortir de ce carcan pour adapter l’État territorial aux besoins contemporains. Vous avez évoqué, madame la ministre, les sous-préfectures, qui ont été touchées de plein fouet par la RGPP. S’il est très bien d’en rouvrir six, c’est sans commune mesure avec la réalité des besoins de l’ensemble des territoires.
Je vous rappelle que la carte des sous-préfectures n’a pas été revue en profondeur depuis la réforme Poincaré de 1926, alors que les périmètres ont été modifiés, y compris ceux des collectivités territoriales. Il conviendrait de tenir compte de ces modifications, tout en garantissant l’autonomie et les moyens des sous-préfectures.