Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après une matinée consacrée à la manière dont la science permet de mieux appréhender la complexité de la biodiversité, à travers les exemples concrets du déclin des insectes et des effets de la pollution lumineuse, l'audition de cet après-midi offre l'occasion d'envisager les actions politiques et les moyens financiers à mettre en oeuvre pour enrayer son déclin. Connaître avant d'agir : notre séquence du jour, en deux actes, est à mes yeux l'illustration d'un sain principe qui devrait fonder l'ensemble des politiques publiques.
Malgré les multiples reports de date, les difficultés de négociation dans un contexte pandémique, les disparités d'ambition entre les pays, le contexte géopolitique peu porteur a priori pour l'environnement, la COP15 sur la biodiversité s'est achevée, le 19 décembre dernier, par un accord que nombre d'observateurs s'accordent à qualifier d'« historique ». Madame la secrétaire d'État, comment en est-on arrivé là ? Un parcours semé d'embûches, une présidence chinoise que l'on qualifiait pudiquement de « distante », une crise énergétique et un contexte inflationniste qui ne prédisposaient pas les États à la générosité multilatérale : les augures étaient loin d'être favorables à ce que 195 pays, avec leur agenda politique propre, leurs dynamiques internes et des sensibilités citoyennes à la biodiversité très contrastées, parviennent à élaborer un cadre mondial commun pour enrayer le déclin de la biodiversité. Pourtant, ce fut le cas : l'accord de Kunming-Montréal est devenu la feuille de route et le guide méthodologique des pays désireux de lutter contre l'érosion de la biodiversité et d'enrayer les dynamiques délétères qui pèsent sur les écosystèmes, pour « forger un pacte de paix avec la nature », comme l'a joliment formulé le secrétaire général des Nations unies en ouverture des travaux de la COP15.
Madame la ministre, vous avez participé aux négociations à Montréal aux côtés de Christophe Béchu et de l'ambassadrice chargée de l'environnement, Sylvie Lemmet. Une délégation de notre commission, composée de Guillaume Chevrollier, Denise Saint-Pé, Jean-Michel Houllegatte et Ronan Dantec, en qualité d'observateurs, s'est également rendue sur le site de la COP15, quelques jours avant la conclusion de l'accord. Nos collègues m'ont indiqué que les négociations avaient été ardues, avec de puissants clivages Nord-Sud, notamment sur le montant des engagements financiers à mobiliser. Les positions au 14 décembre, juste avant que ne commence le segment de haut niveau, n'étaient pas alignées sur la quantification des objectifs et les 23 cibles faisaient l'objet d'âpres débats sémantiques : pour parler le langage COP, il restait un nombre désespérant de termes « entre crochets » dans la version de travail des négociateurs. Il fallait faire preuve d'une bonne dose d'optimisme pour entrevoir un accord quatre jours avant la clôture de la COP15. Il restait encore à convaincre de nombreux États intransigeants, et la ligne de crête des pays à haut niveau d'ambition était très périlleuse. Pourtant, en dépit de toutes ces chausse-trappes, la biodiversité a réussi à fédérer.
Une dynamique nouvelle s'est enclenchée, mais il revient désormais à chaque État de prendre sa part à l'effort collectif. Les mécanismes propres à la biodiversité s'appréhendent plus difficilement et les causes de son déclin sont multifactorielles. Les pressions qui pèsent sur le vivant et les écosystèmes sont très variées. Je rappelle les cinq causes majeures du déclin de la biodiversité : le changement d'usage des terres et de la mer, la surexploitation des ressources, le changement climatique, les pollutions et les espèces exotiques envahissantes. Les relations croisées entre ces différents facteurs sont difficilement discernables, même pour les scientifiques. Un effort de pédagogie en direction du politique et des citoyens doit impérativement être accompli pour rassembler la société autour de l'objectif de préservation de la biodiversité, sur le modèle de la prise de conscience qui a déjà eu lieu pour le climat. Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ne chômera pas ces prochaines années.
Madame la secrétaire d'État, notre commission vous a invitée pour une séquence assez inhabituelle : nous souhaitons que vous nous donniez des raisons d'espérer. L'espoir tient une place trop réduite dans les assemblées parlementaires : je compte sur cette audition pour le réhabiliter, le temps d'un échange avec vous.
Pour cela, je vous propose d'articuler votre propos en trois temps : d'abord en nous révélant le dessous des cartes et la façon dont la COP15, contre toute attente, est parvenue à cet accord ; ensuite, en nous présentant votre méthode et la façon dont vous comptez décliner les cibles mondiales à l'échelle nationale pour inverser la tendance ; enfin - c'est le nerf de la guerre -, en nous exposant comment vous comptez financer les nouvelles mesures nécessaires à la reconquête de la biodiversité dans nos territoires. Une étude de novembre 2022, réalisée par l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd), a mis en évidence que « les politiques de biodiversité mobilisent des financements morcelés qui restent limités. » Au regard des objectifs adoptés à Montréal, les besoins de financement complémentaire sont estimés, pour l'État et ses opérateurs, à 619 millions d'euros en 2023 et jusqu'à 890 millions d'euros en 2027. Ces montants sont loin d'être négligeables, surtout quand l'on considère que le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité », si bien présenté par notre collègue Guillaume Chevrollier dans son avis budgétaire, n'est doté que de 275 millions d'euros. Je vous pose donc la question qui nous taraude tous ici : envisagez-vous avec Bercy une réforme de la fiscalité pour « en même temps » accroître les moyens dédiés à la biodiversité et réduire les dépenses fiscales défavorables à la fiscalité ?