Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, on compte aujourd’hui près de mille centres dentaires sur le territoire français ; leur nombre a progressé de 60 % en l’espace de cinq ans. La tendance est similaire pour les centres de soins ophtalmologiques : la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) en a recensé cent cinquante-sept en 2020, contre quatre-vingt-huit en 2015.
Le développement rapide et soutenu des centres de santé à travers notre pays nous impose une double exigence.
En premier lieu – comme je suis une optimiste, je regarde les opportunités à saisir –, nous devons soutenir ce modèle d’exercice collectif de la médecine, qui est de nature à améliorer l’accès aux soins de nombre de nos concitoyens. En second lieu – je fais preuve de réalisme –, il nous faut lutter avec intransigeance contre les dérives.
Il est de notre responsabilité, Gouvernement et Législateur, d’établir le cadre légal permettant un développement éthique et encadré des centres de santé, au service de la santé des Français. Voilà pourquoi nous sommes réunis aujourd’hui.
Je tiens à saluer Mme la députée Fadila Khattabi, présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, qui est à l’origine de cette proposition de loi. Je salue également le travail de M. le rapporteur Jean Sol et les membres de la commission des affaires sociales du Sénat.
Du fait de leur important écho médiatique et de l’émoi légitime qu’ils ont suscité dans la société, les scandales impliquant les centres de santé Dentexia et Proxidentaire nous ont tous marqués. Il y a eu des manquements évidents et répétés à la qualité et à la sécurité des soins. Il y a eu aussi, certes plus rarement, des faits assez graves pour conduire à des chefs d’accusation de violences volontaires et de mutilations volontaires, qui ont entraîné des infirmités permanentes chez les victimes.
Je pense également au fléau de la fraude, des surfacturations, des surtraitements et des multifacturations. Encore récemment, le 23 janvier dernier, deux centres de santé dentaire et ophtalmologique dans les Yvelines et en Seine-Saint-Denis ont été déconventionnés par la sécurité sociale. Le préjudice pour l’assurance maladie s’élève à 1, 5 million d’euros. C’est un coût important pour nos finances sociales, mais c’est surtout un nouveau coup pour les usagers, qui sont aussi les victimes de ces pratiques tarifaires frauduleuses.
Ce que je vous décris, mesdames, messieurs les sénateurs, est d’autant plus choquant que ces centres de santé ont généralement abusé de la confiance de patients précaires, qui voyaient dans ces structures une solution à leurs difficultés d’accès aux soins. Je pense ainsi au témoignage d’un retraité qui, n’ayant pas eu les moyens de payer les 3 400 euros qu’un centre dentaire lui réclamait pour remplacer ses six dents arrachées sans nécessité, a perdu la capacité de s’alimenter normalement et s’est dit atteint en partie dans sa dignité : « On m’a volé une partie de moi ! » Ses mots nous obligent.
Confronté à l’ampleur d’une telle situation, le Gouvernement a rapidement réagi. L’ordonnance du 12 janvier 2018 a permis, sans attendre, la mise en œuvre de premières avancées concrètes pour contrôler davantage les conditions d’ouverture et de fonctionnement de ces centres.
Nous avons également consolidé l’arsenal de notre système de santé en matière de lutte contre la fraude sociale, ce qui nous permet, notamment en cas d’infraction grave, de déconventionner beaucoup plus rapidement ces centres. Pour ancrer et renforcer cet encadrement nécessaire, des mesures ont été étudiées dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 – je pense notamment à la création d’amendes administratives.
C’est l’union des différentes forces de contrôle qui nous permettra d’être efficaces. Ainsi, au mois de novembre dernier, dix centres de santé dentaires dans dix régions ont fait l’objet d’une mission d’inspection-contrôle des agences régionales de santé (ARS) conjointement avec les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), les services d’inspection du travail et les services fiscaux. Cette mission d’inspection-contrôle a également bénéficié du soutien de la mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf).
Cette proposition de loi nous donne aujourd’hui l’occasion de concrétiser ces mesures, afin de toujours mieux sécuriser les prises en charge et d’assurer la qualité des soins à tous nos concitoyens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, François Braun et moi-même avons pour objectif premier de lutter contre les inégalités d’accès à la santé ; c’est une préoccupation majeure qui se trouve au cœur de notre action. Je le dis, ici, devant vous, car, je le sais, cet objectif est partagé sur les travées de cet hémicycle et c’est de cela qu’il est question aujourd’hui. En effet, dans un contexte de tensions sur l’offre de soins, les difficultés d’accès à la santé touchent l’ensemble du pays et ont avant tout des effets sur les plus fragiles.
Pour nombre de nos concitoyens, les centres de santé, qu’ils soient urbains, ruraux ou situés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, sont reconnus comme des lieux qui leur permettent d’accéder facilement et rapidement à des soins. Près de deux mille quatre cents structures rassemblent trente-huit mille professionnels à travers le pays ; leur présence au cœur des territoires répond à l’objectif de responsabilité populationnelle qui nous est cher.
Ce sont également des structures collectives qui répondent à l’aspiration des professionnels, en particulier des jeunes, et permettent de rompre avec l’exercice isolé. Le Gouvernement les soutient et les encourage pleinement.
Si les dérives sont graves et toujours inacceptables – j’ai pu les décrire –, elles sont fort heureusement minoritaires et je ne veux pas jeter l’opprobre sur ce modèle. La multiplication des centres dentaires et ophtalmologiques permet avant tout de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens, au plus près de leurs besoins.
Aussi, je considère que lutter avec fermeté contre les dérives et créer un cadre législatif adapté est le meilleur moyen de soutenir le développement de ces structures d’accès à la santé. En effet, réguler, c’est redonner confiance aux Français dans les centres de santé ; encadrer, c’est assurer des opérateurs fiables pour garantir la qualité des soins.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est parce que nous cherchons à atteindre cet objectif que sont prévues, dans la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui, des dispositions légitimes et équilibrées.
La logique d’agrément, sur laquelle nous avançons, permet de renforcer la démarche de projet de santé, autour de laquelle doivent être construits les centres de santé dentaires et ophtalmologiques. L’agrément, envisagé à l’échelon régional, permet également d’inscrire les structures dans un projet territorial plus large, défini localement par les agences régionales de santé.
La qualité des soins sera garantie, grâce à la transmission, puis à la vérification des diplômes et des contrats de travail des chirurgiens-dentistes, assistants dentaires, ophtalmologistes et orthoptistes, dans le dossier de demande d’agrément, comme à chaque nouvelle embauche.
Nous ne transigerons pas avec la sincérité de la gestion financière, en actant l’obligation de certification des comptes par un commissaire et leur transmission aux ARS.
Nous nous donnerons les moyens de procéder plus largement à des contrôles et à des vérifications, notamment durant la première année, puisque l’agrément délivré ne deviendra définitif qu’à l’issue d’une période de douze mois.
Les sanctions seront parallèlement renforcées, au moyen d’amendes dont le montant pourrait s’élever jusqu’à 500 000 euros et qui viendraient en complément d’éventuelles sanctions pénales pour les cas les plus graves. Sur proposition de son rapporteur, la commission des affaires sociales du Sénat a d’ailleurs souhaité durcir le dispositif issu des travaux de l’Assemblée nationale afin de le rendre plus dissuasif ; nous y souscrivons pleinement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, réguler, encadrer, légiférer, c’est créer les conditions du développement de centres de santé de qualité pour nos concitoyens. Le Gouvernement soutient ainsi pleinement les mesures de cette proposition de loi : ses dispositions, nécessaires, répondent à de telles exigences et nous permettront d’assurer un développement éthique des centres de santé, au service d’un accès à des soins adaptés et de qualité pour chacun de nos concitoyens.