Intervention de Jacqueline Eustache-Brinio

Réunion du 16 février 2023 à 10h30
Favoriser les travaux de rénovation énergétique — Vote sur l'ensemble

Photo de Jacqueline Eustache-BrinioJacqueline Eustache-Brinio :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les propos enthousiastes que nous venons d’entendre – nous en avons besoin en ce moment –, il me revient de vous présenter brièvement la position de la commission des lois sur ce texte, qui revêt à première vue une forte dimension technique, mais dont les enjeux sont considérables, aussi bien pour améliorer le confort des usagers et des agents du service public que pour réussir la transition énergétique de notre pays sans dérapage financier.

Pour rappel, et comme vous l’avez détaillé, monsieur le ministre, derrière l’intitulé assez aride de cette proposition de loi se cache un dispositif somme toute assez simple : il s’agit de déroger, à titre expérimental, au code de la commande publique afin de permettre à l’État, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics respectifs d’initier plus facilement des travaux de rénovation énergétique en différant leur paiement de façon que ces derniers puissent être financés par les économies d’énergie qu’ils devraient entraîner. Le paiement initial des travaux est ainsi réalisé par un tiers, d’où le terme de « tiers-financement ».

Cette expérimentation représenterait ainsi un nouvel outil à la disposition de l’État et des collectivités territoriales, confrontés à l’engagement d’investissements colossaux au regard des objectifs particulièrement ambitieux de réduction de la consommation d’énergie des bâtiments publics que nous avons inscrits dans la loi – une première fois dans la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite Grenelle I, puis de nouveau dans la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite Élan.

Celle-ci impose notamment une réduction de 60 % de la consommation d’énergie finale des bâtiments publics d’ici à 2050, par rapport à leur niveau de 2010.

L’atteinte de ces objectifs, bien évidemment louables, représente néanmoins un immense défi collectif, tant les sommes à mobiliser apparaissent démesurées. D’après les estimations qui nous ont été transmises, il faudrait engager au moins 400 milliards d’euros pour procéder, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, à la rénovation énergétique des 400 millions de mètres carrés détenus par des propriétaires publics. Pour la seule sphère étatique, les montants évoqués atteignent 90 milliards d’euros.

Je n’ai donc pas été surprise de constater, lors des auditions que nous avons menées, « l’incapacité d’atteindre ces objectifs sans mobilisation de ressources supplémentaires dédiées à la mise à niveau du parc immobilier » du secteur public, selon les termes de la direction de l’immobilier de l’État (DIE), qui a pourtant mobilisé près de 4 milliards d’euros pour la rénovation énergétique de ses cités administratives depuis 2019.

Dans ce contexte, évidemment accentué par la hausse récente des coûts de l’énergie, le texte qui nous est proposé peut indéniablement représenter une solution pour aider l’ensemble des propriétaires publics à relever le défi de la transition énergétique. Il ne fait aucun doute que cette expérimentation permettra à certains projets de voir le jour en bénéficiant d’un plan de financement adéquat.

Toutefois, ce texte ne peut en aucun cas être présenté comme une solution miracle – tout le monde le sait – qui nous dédouanerait de toute réflexion supplémentaire sur les moyens que nous nous donnons pour achever la transition énergétique du secteur public. Nous avons vu dans cette expérimentation un outil complémentaire pour favoriser cette transition plutôt qu’un remède indolore pour alléger le budget des collectivités territoriales peinant à respecter leurs engagements en matière de rénovation énergétique.

C’est pour de bonnes raisons, il convient de le rappeler, que la jurisprudence constitutionnelle et le droit commun de la commande publique encadrent très strictement le recours au tiers-financement et au paiement différé, encadrement auquel cette proposition de loi permettrait de déroger. En effet, le tiers-financeur répercutera nécessairement sur l’acheteur public le coût de l’avance de trésorerie induite par le paiement différé. In fine, ce dispositif sera donc plus coûteux pour l’acheteur public qu’un financement classique, qu’il soit sur fonds propres ou par le biais d’un emprunt bancaire.

Cette remarque m’apparaît d’autant plus fondée que l’ensemble des personnes que nous avons interrogées partagent le constat selon lequel les économies d’énergie ne pourront compenser le coût total des travaux de rénovation.

En outre, nous avons constaté que les conditions de passation de ces contrats, inspirées des marchés de partenariat, apparaissent parfois assez lourdes, ce qui risque de limiter fortement l’intérêt du dispositif pour certains propriétaires publics.

C’est pourquoi la commission des lois a apporté des modifications au texte transmis au Sénat, afin de rendre plus accessible cette expérimentation tout en maintenant l’exigence de soutenabilité financière des projets, notamment lorsque ceux-ci engagent plusieurs acheteurs publics. Dans ce cas, la part supportée par chaque acheteur public devra être clairement identifiée préalablement à la signature du contrat.

Dans l’objectif de favoriser les synergies locales, nous avons en outre étendu le dispositif expérimental aux établissements publics de coopération intercommunale et aux syndicats d’énergie, qui pourront prendre en charge, comme l’autorise le code général des collectivités territoriales, les travaux de performance énergétique pour le compte de leurs membres.

En parallèle, et en réponse aux réserves évoquées, nous avons renforcé le suivi et l’évaluation de cette expérimentation, afin, d’une part, que les dérogations au code de la commande publique soient pleinement justifiées à l’issue d’un retour d’expérience dûment effectué et, d’autre part, que les collectivités en difficulté puissent rapidement être identifiées et donc accompagnées.

Compte tenu des améliorations apportées à ce texte lors de son examen en commission des lois, la commission s’est prononcée, à l’unanimité, en faveur de son adoption.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion