Cette réforme de la police nationale bouscule beaucoup de choses, ce qui explique un certain nombre d'incompréhensions. Nous demandons en effet une accélération de la modernisation et du changement de comportement. C'est vrai, la réforme ne se fait pas par étapes, ce qui rend les choses plus complexes.
Notre grand avantage, c'est que nous disposons de moyens très importants. Nous avons en effet prévu dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) des moyens pour accompagner l'immobilier, la formation et le numérique.
Je peux comprendre la nostalgie de certaines « maisons » à l'identité particulièrement forte, comme la police judiciaire. Mais ces maisons ne disparaissent pas, elles se modernisent. Bien que le parallèle puisse paraître prétentieux, je comparerai cette réforme à la création des Brigades du Tigre par Clemenceau.
Sur les difficultés évoquées par le rapport des inspections du ministère de l'intérieur et de la justice, nous sommes en désaccord sur la question de la probité : dans le cadre d'une enquête sur des élus, des chefs d'entreprise ou des gens en vue, certains magistrats redoutent que la police judiciaire ne soit en contact trop étroit avec le préfet et les élus, à la manière d'un film de Chabrol. Nous avons donc fait le choix de « dépayser » l'affaire, en la confiant à la direction zonale. Dans le rapport de l'inspection du ministère de la justice, il est suggéré de confier l'affaire à la direction d'un département voisin. Cette dernière proposition ne me paraît pas pertinente, préfets et élus d'une même région étant régulièrement en contact. Par conséquent, le niveau zonal me paraît plus protecteur. Il s'agit cependant d'un arbitrage restant à rendre.
S'agissant de la saisine au niveau national, indépendamment des offices, il appartient au magistrat de désigner le service de police qu'il souhaite voir intervenir. Il a à sa disposition une très large palette de services enquêteurs, qui ne relèvent pas tous du ministre de l'intérieur.
Les trois niveaux de police judiciaire permettent d'avoir une progression des officiers de police judiciaire (OPJ). En effet - c'est l'un des drames de la police nationale -, le travail de l'OPJ est fatigant. Il n'a pas d'horaires lui permettant d'avoir un minimum de vie de famille, il est mal payé, il n'obtient pas toujours la réponse pénale qu'il souhaite, et sa progression de carrière est très limitée. Au bout d'un moment, il arrête ! Nous assistons dans notre pays à une sorte de découragement des OPJ.
Avec une direction départementale de la police nationale, nous pourrons avoir une possibilité de progression des OPJ à l'intérieur de la direction, ce qui abolira l'horizon fermé de cette profession. Je le rappelle, il manque 5 000 OPJ à l'heure actuelle en France.
Je constate que les deux rapports rendus par les inspections et par l'Assemblée nationale ont démontré que les directions territoriales de la police nationale (DTPN) ont très bien fonctionné dans les outre-mer, un peu moins en métropole.
La doctrine sera publiée avant l'été, mais nous attendons les rapports d'information des deux assemblées parlementaires pour tenir compte de leurs préconisations.
S'agissant de la dichotomie autorité hiérarchique-autorité fonctionnelle, le débat n'est pas nouveau. Par exemple, j'ai l'autorité hiérarchique sur les policiers, que j'embauche et paie en tant que ministre de l'intérieur, mais je n'ai pas l'autorité fonctionnelle sur eux, c'est-à-dire que je ne les dirige pas au jour le jour. Je ne peux pas donner d'ordres à la police judiciaire. Je vous rassure, les magistrats auront toujours le pouvoir de saisir tel ou tel service de police, selon leur convenance, pour diligenter des enquêtes.
S'agissant du numérique, je dois vous avouer que le ministère de l'intérieur ne sait pas mener des projets numériques. Ce n'est pas comme Bercy, qui a su mener de bout en bout la procédure de prélèvement à la source lorsque j'étais à la tête des services fiscaux. J'essaie de remédier à ce problème en mettant de l'argent et des compétences. Par exemple, il est significatif que l'École polytechnique affecte dorénavant quatre de ses élèves vers la police. Nous montons en gamme en matière de compétences.
Nous avons aussi besoin d'un changement de mentalité profond à cet égard. Par exemple, la plainte numérique est une révolution qui mettra sans doute du temps à s'imposer, surtout qu'il faut se coordonner avec la justice.
Scribe et le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) sont donc les deux chantiers prioritaires, et ils ne sont pas dissociables de la réforme que je porte.
Pour ce qui est de l'immobilier, la LOPMI prévoit 400 millions d'euros par an pour des projets immobiliers. Des regroupements de locaux seront nécessaires, mais, dans les faits, il y en a déjà.
Nous serons prêts pour décembre 2023, même s'il faudra attendre encore deux ou trois ans pour que tous les textes réglementaires soient pris ou adaptés. De mémoire, il y en a 176.
Vous m'interrogez sur les stocks, mais ce problème n'est pas propre à la réforme de la police judiciaire. Il n'est pas compliqué de faire baisser les chiffres de la délinquance. Il suffit de décaler certaines plaintes dans le temps ou d'orienter les plaignants vers des mains courantes. Pour ma part, je ne veux pas tricher.
On assiste ces dernières années à une multiplication du nombre des atteintes aux personnes en raison de la nouvelle doctrine sur les violences conjugales. J'ai donné pour instruction aux policiers et gendarmes d'encourager le dépôt de plainte plutôt que la main courante. En 2022, il y a eu 400 000 interventions pour ce motif, mais le résultat, compte tenu des problèmes d'effectifs, c'est que les atteintes aux biens sont traitées avec moins de célérité.
Par ailleurs, nous avons remis beaucoup de monde sur la voie publique, ce qui laisse moins d'effectifs pour les enquêtes.
Enfin, le nombre de policiers municipaux a augmenté. Ce matin, j'étais à Saint-Denis. Il y a désormais quasiment une centaine de policiers municipaux à Saint-Denis, qui apportent des affaires supplémentaires au commissariat.
Il faut aussi que les parquets suivent dans le traitement des procédures. Je sais que les policiers de police judiciaire craignent qu'on ne les utilise pour traiter des affaires secondaires et résorber le stock, mais c'est déjà le cas dans les faits.
Je le répète, pour améliorer l'efficacité de la chaîne pénale, nous avons besoin d'une coordination avec les parquets.