Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 12 février 2009 à 22h00
Consultation des électeurs de mayotte — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur de la mission d’information sur Mayotte :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la population de Mayotte s’apprête à vivre un moment historique. Elle participera en effet, le 29 mars prochain, à une consultation que ses élus demandaient depuis plusieurs décennies et pourra alors faire sans ambiguïté le choix de la départementalisation.

M. le président de la commission des lois vient de retracer parfaitement les enjeux d’une telle évolution. Aussi vais-je me contenter de revenir sur certains aspects qui ont particulièrement retenu l’attention des membres de la mission d’information de la commission des lois qui s’est rendue à Mayotte en septembre dernier.

J’évoquerai donc quelques points sur lesquels la départementalisation aura un impact direct, et dont la population de Mayotte doit être informée. Il importe en effet que la consultation du 29 mars prochain se déroule sans incertitude ni faux-semblant sur les changements qui pourraient en découler.

Cette démarche de sincérité conditionne le succès de la départementalisation. Je sais, madame le ministre, que le Gouvernement en est pleinement conscient et que la feuille de route présentée en décembre dernier répond à ce souci d’information.

La loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte a doté l’île d’un statut de collectivité départementale, qui répondait aux aspirations d’alignement sur le régime des départements, tout en admettant l’impossibilité d’une départementalisation à court terme du fait des spécificités locales.

Au même moment étaient lancés les travaux de la commission de révision de l’état civil, la CREC, instituée par l’ordonnance du 8 mars 2000. En effet, la dualité de statuts civils s’accompagnait d’un double système d’état civil et, jusqu’en 2000, les Français nés à Mayotte étaient identifiés par des vocables.

La CREC a donc reçu pour mission de fixer les nom et prénoms des personnes de statut civil de droit local nées avant la publication de l’ordonnance et d’établir les actes d’état civil. Son mandat, qui devait s’achever en avril 2006, a été prorogé pour une durée de cinq ans.

Depuis sa mise en place, la commission a rendu environ 65 000 actes d’état civil. Présidée par un magistrat, elle est restée plusieurs mois sans président, alors qu’elle comptait au 31 décembre 2007, comme vient de le rappeler M. le président de la commission, 14 000 dossiers en instance. À cet égard, pouvez-vous nous dire, madame le ministre, où en est la nomination du président et du secrétaire général de la CREC ?

La visite des services de l’état civil de certaines mairies a permis à la mission d’information de mesurer l’ampleur de la tâche. Le très mauvais état des anciens registres fait que l’état civil des personnes ayant le statut de droit commun n’est parfois pas plus fixé que celui des personnes soumises au statut personnel de droit local.

Les exigences des administrations, combinées à l’extrême lenteur des travaux de la CREC, aboutissent en fait, dans certaines situations, à rendre les Mahorais étrangers chez eux.

S’ils ne disposent pas d’un acte de naissance reconstitué par la CREC, les Mahorais ne peuvent obtenir ni certificat de nationalité française, ni carte nationale d’identité, ni passeport. Ils peuvent ainsi se retrouver dans l’impossibilité de voyager, d’effectuer des déplacements professionnels ou, encore, de poursuivre leurs études à l’extérieur de l’archipel.

Ils peuvent également rencontrer des difficultés pour faire valoir leurs droits à la retraite, la date de naissance constituant alors un élément déterminant.

Or le délai de réponse de la CREC oscille aujourd’hui entre deux ans et demi pour les cas les plus simples et six ans et demi pour les cas plus complexes.

Le diagnostic établi par la mission d’information est donc clair. L’action de l’État en matière de révision de l’état civil n’étant pas crédible, une réforme de l’organisation et du fonctionnement de la CREC s’impose.

La nomination d’au moins un vice-président permettrait de doubler le nombre d’audiences. La création d’une équipe administrative chargée d’encadrer les rapporteurs serait sans doute de nature à accélérer fortement le traitement des dossiers.

Ces deux mesures, qui devraient permettre à la CREC de réduire ses délais d’instruction et de terminer plus rapidement ses travaux, nous paraissent indispensables.

L’organisation de la justice – peut-être d’ailleurs faudrait-il dire « des justices » – à Mayotte a également mobilisé la mission d’information. La justice doit être la même pour tous en République. Or il existe, à Mayotte, une double justice.

Les litiges nés de l’application du statut personnel sont en effet de la compétence de juridictions spécifiques : les cadis, le grand cadi et la chambre d’annulation musulmane.

L’application de certains principes du droit coutumier – la répudiation, la polygamie, la double part successorale pour les hommes, etc. – est aujourd’hui rejetée par une partie de la population, et le fonctionnement même de la justice cadiale est critiqué.

Les cadis ne disposent souvent d’aucune documentation, et leur connaissance aléatoire du droit musulman entraîne des divergences de jurisprudence d’autant plus dommageables que le taux d’appel de leurs décisions demeure très faible.

De plus, l’absence de formule exécutoire rend l’exécution de leurs décisions parfois très hypothétique.

En outre, la justice cadiale est un facteur de complexité, les cadis étant aussi amenés à juger des litiges impliquant des justiciables qui relèvent en fait du droit commun, qu’il s’agisse de ressortissants comoriens en situation irrégulière ou de citoyens persuadés à tort de relever du statut civil de droit local.

Aussi la commission des lois a-t-elle estimé que la départementalisation devait entraîner l’extinction de la justice cadiale.

Il appartiendra alors au conseil général, dont relèvent les cadis, d’envisager les dispositifs qui permettront de les employer à d’autres fonctions ou de les maintenir, par exemple, dans un rôle de médiation.

La perspective de la départementalisation me conduit à évoquer également la situation des communes mahoraises.

Les dix-sept communes de Mayotte présentent en effet une situation financière structurellement dégradée, caractérisée par une insuffisance criante de ressources de fonctionnement.

Leurs capacités budgétaires sont faibles ; leurs recettes de fonctionnement par habitant sont trois fois moins élevées en moyenne que celles des communes de métropole, et leurs ressources sont constituées exclusivement par des dotations.

Les communes rencontrent donc des problèmes récurrents de trésorerie, rendant notamment difficile le paiement des traitements des derniers mois de l’année.

Les maires que nous avons rencontrés ont évoqué l’incapacité des communes à programmer des investissements ou même, parfois, à assurer les services d’un centre communal d’action sociale.

De nombreuses communes ne sont pas capables d’assurer la scolarisation des enfants de trois ans, qui sera pourtant obligatoire à Mayotte à compter de la rentrée 2010. La forte croissance démographique rend impossible la réalisation de cet objectif, qui supposerait la construction massive de nouvelles salles de classe.

Un autre exemple significatif des difficultés que connaissent les communes et du retard qu’il convient de rattraper pour réussir la départementalisation est celui du numérotage des rues. Ce travail n’est pas achevé à Mayotte. Or, le montant de la dotation de premier numérotage que l’État accorde aux communes paraît insuffisant.

La départementalisation, en entraînant la création d’une fiscalité directe locale, devrait permettre aux communes de disposer de moyens plus importants. La place de ces dernières dans la nouvelle organisation de Mayotte devra donc être examinée avec attention.

La mission d’information a également été alertée sur la question de l’intégration des agents publics de Mayotte dans la fonction publique, qui se pose depuis 1976.

La loi statutaire du 11 juillet 2001 établit le droit à l’intégration, au plus tard le 31 décembre 2010, des agents publics de la collectivité départementale, des communes et des établissements publics administratifs de Mayotte dans l’une des trois fonctions publiques ou dans des corps transitoires.

Mais les corps passerelle ou corps transitoires ne sont pas encore constitués, et leur régime indemnitaire n’est pas fixé, ce qui bloque l’intégration de plusieurs centaines de fonctionnaires. Sur les 6 800 agents intégrables, seuls 1 600 – des instituteurs pour la plupart – ont en effet été intégrés dans l’une des trois fonctions publiques.

Par ailleurs, en l’absence de dispositions réglementaires relatives à la transition entre les régimes de retraite et permettant de garantir la pérennité des caisses, certains agents qui remplissent les conditions requises pour prendre leur retraite ne peuvent le faire. Il appartient donc à l’État de prendre les mesures nécessaires en ce domaine.

Enfin, je souhaite insister sur la nécessité de mettre en œuvre une coopération massive avec les Comores, afin de préserver l’équilibre régional et la stabilité de Mayotte.

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