Intervention de Caroline Semaille

Commission des affaires sociales — Réunion du 1er février 2023 à 18h30
Audition de Mme Caroline Semaille candidate proposée à la direction générale de santé publique france

Caroline Semaille :

Madame la présidente, madame la rapporteure générale, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ma candidature à la direction de Santé publique France qui vous est proposée par le Gouvernement me permet d'avoir l'honneur d'être entendue par votre commission.

Celle-ci a produit de nombreux travaux sur le rôle des agences sanitaires, mais aussi sur les enjeux majeurs de santé publique. J'ai moi-même, au cours de ces dernières années, eu la chance de contribuer au développement des trois principaux opérateurs de cet écosystème sanitaire. J'y reviendrai dans le cadre de mon propos.

Directrice générale adjointe depuis presque deux ans à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), j'ai acquis au cours des vingt dernières années au sein des trois agences sanitaires une assez large expérience de la gestion de crise, des politiques de santé publique, de la démocratie sanitaire, du management et de la gestion d'établissements publics à vocation d'expertise dans le domaine de la santé et de l'environnement. C'est sur ces bases, ainsi que sur l'ensemble de mon parcours professionnel, que se fonde ma candidature au poste de directrice générale de Santé publique France.

Je suis médecin de santé publique, praticien hospitalier, épidémiologiste et j'ai consacré les dix premières années de ma vie professionnelle aux maladies infectieuses, en particulier à la lutte contre le VIH/Sida, afin de soutenir des projets de prévention dans le cadre de missions d'appui ou de missions humanitaires.

Parallèlement à une activité clinique pratiquée depuis plus de quinze ans, j'ai rejoint en 2000 l'Institut de veille sanitaire - aujourd'hui Santé publique France - en tant que médecin épidémiologiste en charge de la surveillance du VIH, des IST et des hépatites.

Pendant ces dix années, j'ai animé une équipe à la frontière entre la surveillance et la recherche, au sein de laquelle j'ai développé des systèmes de surveillance innovants, mis en place des enquêtes auprès des populations vulnérables comme les populations carcérales ou usagers de drogue.

Titulaire d'une habilitation à diriger des recherches, j'ai aussi conservé des fonctions d'encadrement et d'enseignement pendant plusieurs années.

Dans le cadre de mes fonctions, j'ai également été très engagée, dès le début des années 2000, dans un dialogue avec les associations de patients - Aides et Act-Up notamment - qui a été finalement précurseur de l'ouverture à la société civile que nous connaissons aujourd'hui.

En décembre 2013, j'ai rejoint l'ANSM en tant que directrice produits, à la tête d'une équipe pluridisciplinaire. J'ai notamment contribué, en 2018, à définir les conditions de réussite de la politique vaccinale chez les nourrissons : concertations publiques et informations transparentes ont contribué à restaurer la confiance et l'adhésion des familles à cette politique de santé publique.

J'ai toujours conservé un lien avec l'expertise en santé publique et une sensibilité aux questions déontologiques. Ainsi, j'ai été membre du Haut Conseil de santé publique (HCSP) et j'ai participé à la Commission nationale de déontologie des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CnDAspe).

Forte de ces expériences en matière de santé humaine et de management, j'ai été nommée en 2019 directrice générale déléguée de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Je dirigeais alors une équipe de 350 personnes et j'étais chargée de l'évaluation des produits phytopharmaceutiques et biocides. Je supervisais également l'activité de l'Agence nationale des médicaments vétérinaires (ANMV). Les dossiers que j'ai traités à l'Anses mêlaient intimement les questions de santé humaine, de santé animale et de santé environnementale.

Je retiens notamment de cette expérience l'importance du dialogue avec les parties prenantes, en particulier sur des sujets à forte dimension de controverse, et évidemment les enjeux environnementaux.

J'ai aussi été amenée à participer à la lutte contre de nombreuses crises sanitaires qui ont marqué ces vingt dernières années : SRAS, H1N1, MERS-CoV, Ebola en 2014 et, plus récemment, Covid.

Dès mars 2020, je suis venue en appui pendant quelques mois à la recherche auprès de REACTing-INSERM, devenue l'ANRS-MIE. C'est un partenaire privilégié de Santé publique France.

C'est toujours en pleine crise sanitaire, en avril 2021, que j'ai rejoint mes anciens collègues de l'ANSM au poste de directrice générale adjointe en charge des opérations, où j'ai dirigé une équipe de 800 personnes.

Outre les enjeux liés à l'évaluation et à la surveillance en vie réelle des vaccins et des traitements Covid, l'ANSM est garante d'un cadre assurant le même niveau d'exigence sur chacune des 80 000 autorisations délivrées chaque année grâce à la collégialité de l'expertise, un cadre déontologique strict, une transparence et un dialogue permanent avec les parties prenantes.

C'est mon parcours professionnel, puis mes vingt dernières années au sein de ces trois grandes agences sanitaires qui m'amènent aujourd'hui devant vous pour poursuivre mon engagement au service de l'intérêt général, à la tête de Santé publique France.

Santé publique France occupe une position particulière dans mon parcours, vous l'aurez compris, mais surtout au sein de l'écosystème sanitaire. C'est l'Agence qui surveille et décrit la santé de 67 millions de Français, qui identifie les risques qui menacent leur santé. C'est une agence qui accompagne les Français au travers d'actions de prévention et de promotion de la santé. C'est une agence qui éclaire les décideurs, apporte son expertise, y compris aux autres institutions, met à disposition des données de santé robustes, au travers notamment de l'Observatoire cartographie Géodes. En 2021, ce sont 18 millions de visiteurs qui ont consulté la plateforme Géodes.

C'est une agence qui contribue aussi à soutenir le système de santé par la mobilisation de la réserve sanitaire et assure la gestion des stocks stratégiques grâce à l'établissement pharmaceutique. Ce sont plus de 200 millions de doses de vaccins qui ont été distribuées en métropole et outremer. L'Agence s'appuie sur des compétences variées, des équipes implantées dans toutes les régions et sur des dispositifs de surveillance multiples, des grandes enquêtes, des outils de prévention, du marketing social et des services d'aide à distance.

Ces dispositifs de surveillance multisources ont montré leurs performances pendant la crise sanitaire, mais il faut les moderniser, les fiabiliser, les doter d'un schéma directeur, ainsi que l'a relevé le récent rapport de la Cour des comptes.

Rappelons que SPF et ses partenaires ont réussi, en un temps record, à élaborer des systèmes d'information pour la gestion de crise, sur laquelle bien sûr il faut capitaliser et créer des systèmes pérennes, connectés et interopérables.

Santé publique France, ce sont aussi de grandes enquêtes dont les résultats éclairent l'état de santé des Français. Je pense à l'étude sur le bien-être des enfants de moins de onze ans. Je pense aussi à l'étude Kanarri sur l'imprégnation de la population antillaise par le chlordécone ou aux Baromètres santé, ces études répétées depuis 30 ans qui constituent le véritable observatoire de l'évolution des comportements des Français. Ces études sont indispensables pour nourrir les politiques publiques et évaluer leur efficacité.

Les données issues de la surveillance des enquêtes permettent de suivre les déterminants de santé, de décrire le fardeau lié à chaque pathologie et contribuent à orienter les mesures de prévention et de promotion de la santé, incarnant ainsi le continuum de l'Agence, de la connaissance à l'action, de la surveillance à la prévention.

SPF n'est pas la seule à intervenir dans le champ de la prévention. Elle fait partie d'un vaste réseau d'acteurs institutionnels ou associatifs avec, en chef de file, bien entendu, le ministère de la santé et de la prévention.

L'enjeu pour l'Agence est de concentrer ses efforts sur des interventions efficaces, évaluées. Il peut s'agir d'intervention que l'Agence conduit en direct ou non. C'est le cas de dispositifs basés sur des référentiels, comme Nutri-score. C'est aussi SPF qui anime et héberge le régime français des interventions efficaces et prometteuses en prévention et promotion de la santé.

L'Agence dispose donc d'un large périmètre, qui est la traduction d'une volonté, née en 2016, de doter notre pays d'une agence de santé publique forte scientifiquement et incarnant le continuum de la connaissance à l'action et de la surveillance à la prévention.

Cela confère à la direction générale une responsabilité que j'entends assumer pleinement, si vous m'accordez votre confiance, en éclairant la décision publique et le citoyen sur la base d'expertises et de données scientifiques, et en favorisant les environnements favorables à la santé de tous.

Pour mener à bien ces missions, l'Agence a besoin de moyens. Je préciserai à ce propos que j'ai bien pris connaissance du fait que la Cour des comptes, dans son récent rapport, a relevé qu'il conviendrait que le Parlement dispose d'une information précise sur les projections budgétaires, ce à quoi je souscris également.

Le budget de Santé publique France a été adapté aux besoins de la crise. Il était de 4,5 milliards d'euros en 2022, dont 250 millions d'euros pour les missions socles, hors Covid, mais les moyens restent contraints, comme ceux de l'État, notamment en ce qui concerne les effectifs.

Compte tenu des enjeux sanitaires, de son périmètre et des attentes toujours plus fortes, les effectifs pourraient être quasiment illimités, mais nous savons que tel ne peut être le cas. Dès lors, l'Agence doit entretenir des relations de confiance avec sa tutelle, de manière à bien conduire ses missions au regard des arbitrages rendus. La direction générale, quant à elle, doit également agir en manager, attentive à ses équipes, faire des choix, hiérarchiser et garder un difficile équilibre entre les sujets « chauds » et les sujets « froids ».

Je souhaiterais ici, devant la représentation nationale, rendre un hommage appuyé à ces femmes et hommes de santé publique qui ont construit cette agence et qui, sans relâche depuis trois ans, ont lutté contre le Covid. Je pense en particulier au déploiement en temps réel de la surveillance, à la production quotidienne d'indicateurs, aux centaines de millions de doses de vaccin disponibles en tout point du territoire, aux enquêtes sur l'impact hors Covid et notamment l'alerte donnée sur la santé mentale des Français, aux affiches, dépliants et campagnes diffusés dans toute la France, à la traque des variants, aux décryptages auprès de la presse.

C'est donc également pour mes futurs collaborateurs que je suis ici devant vous, car j'aspire à contribuer à donner un sens au travail de chacun, à consolider la communauté de travail au sein de Santé publique France et à porter les valeurs qu'ils incarnent.

Pour y parvenir, trois priorités pourraient résumer mes objectifs de mandat.

La première des priorités est celle de mettre en place une expertise indépendante, collégiale, au service des politiques publiques. Santé publique France est une agence scientifique, dont les travaux d'expertise viennent en appui des politiques publiques. De la surveillance à la prévention, c'est avant tout la science qui fonde ses travaux et ses interventions. Elle doit s'appuyer sur une expertise pluridisciplinaire, collégiale, que ce soit pour l'expertise interne, très robuste à Santé publique France, ou l'expertise externe.

Ce qu'elle produit doit être utile aux politiques publiques et doit se traduire en décisions, en leviers d'action. Son organisation avec un niveau national et seize cellules régionales placées auprès des ARS doit être confortée, car c'est ainsi que l'Agence pourra adapter son action aux particularités territoriales.

La deuxième priorité consiste à faire de Santé publique France une agence ouverte. C'est le gage pour gagner en visibilité et en crédibilité. L'ouverture, c'est le développement des collaborations, avec des partenaires dont le périmètre d'action est aux frontières de ce que fait Santé publique France, comme SPF l'a engagé avec l'ANSES sur l'exposition aux substances chimiques ou lors de la future enquête conjointe, déjà engagée avec l'Inserm, l'ANRS-MIE, le HCSP, dans le domaine de la santé sexuelle, de la périnatalité ou de la santé des travailleurs.

Des collaborations spécifiques sont également nécessaires, avec la recherche des questions intéressant directement l'Agence sur les maladies émergentes ou sur la modélisation. C'est d'ailleurs ensemble que Santé publique France et l'ANRS-MIE ont porté la création du consortium Emergen, qui a permis de doter notre pays d'une capacité de séquençage hors norme pour surveiller les variants du Covid.

Santé publique France ne dispose pas, comme l'Anses, de moyens propres de financement pour la recherche, mais l'Agence doit pouvoir adresser ses questions à la recherche. Elle doit interagir étroitement avec elle.

Il s'agit aussi de renforcer l'ouverture de l'Agence et le dialogue avec les parties prenantes, la société civile, mais également les professionnels de santé et les acteurs du secteur médico-social. Ils sont des facteurs clés de la prévention. Nous nous appuierons aussi sur eux pour déployer la feuille de route du ministère.

Il convient aussi de contribuer à la diffusion d'informations scientifiques adaptées à tous les publics. C'est ainsi que nous pourrons lutter contre la diffusion de fausses informations et restaurer la confiance.

Sur le plan européen et international, l'Agence doit poursuivre l'impulsion donnée par la précédente directrice générale.

Troisième priorité : je voudrais une agence qui anticipe, qui innove. C'est l'analyse des signaux précoces, par exemple, au travers des systèmes multisources et du travail en réseau. Il s'agit de développer les approches qualitatives, mais c'est aussi l'analyse de données massives en santé, en partenariat avec les autres institutions, au travers notamment du Health Data Hub ou du Green Data Hub. Il convient par ailleurs de poursuivre la mise à disposition en open data de centaines d'indicateurs.

Au sortir de ces trois années de Covid, je souhaite, aux côtés de tous les agents de Santé publique France, donner un élan fort et mobilisateur à l'Agence, en faire une agence d'expertise de haut niveau, ouverte aux partenariats, aux parties prenantes et à l'innovation.

Je souhaite enfin que Santé publique France reste à la disposition de votre commission. Je considère qu'éclairer la représentation nationale fait partie du rôle de l'Agence et du mien. Je me livrerai à cet exercice chaque fois que j'y serai invitée.

Je vous remercie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion