Mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique qui prévoit l'audition par les commissions compétentes du Parlement des présidents, directeurs et directeurs généraux d'institutions visées à divers articles du même code avant leur nomination par l'exécutif.
Nous entendons Mme Caroline Semaille, candidate proposée aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de santé publique, Santé publique France (SPF).
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.
Comme je l'ai fait pour l'audition de la future directrice générale de l'Agence de la biomédecine, je voudrais rappeler que l'avis de vacance pour le poste de directeur général de l'Agence nationale de santé publique, a été publié le 27 juillet 2022, que le poste est vacant depuis la fin octobre et que nous n'avons été saisis que très récemment de cette demande d'audition.
Après la crise sanitaire, on ne présente plus Santé publique France, qui a par ailleurs fait l'objet d'une enquête de la Cour des comptes, qui nous a été remise récemment.
Notre commission est particulièrement attentive aux missions de l'Agence, à son financement, ainsi qu'à ses relations avec sa tutelle, le ministère de la santé.
La réflexion en cours sur la réforme du ministère devrait également avoir des implications sur les dispositifs d'alerte et de veille sanitaires auxquelles nous serons attentifs.
Je vous laisse la parole pour présenter votre parcours, les enjeux que vous identifiez pour l'Agence et la façon dont vous entendez y répondre.
Madame la présidente, madame la rapporteure générale, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ma candidature à la direction de Santé publique France qui vous est proposée par le Gouvernement me permet d'avoir l'honneur d'être entendue par votre commission.
Celle-ci a produit de nombreux travaux sur le rôle des agences sanitaires, mais aussi sur les enjeux majeurs de santé publique. J'ai moi-même, au cours de ces dernières années, eu la chance de contribuer au développement des trois principaux opérateurs de cet écosystème sanitaire. J'y reviendrai dans le cadre de mon propos.
Directrice générale adjointe depuis presque deux ans à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), j'ai acquis au cours des vingt dernières années au sein des trois agences sanitaires une assez large expérience de la gestion de crise, des politiques de santé publique, de la démocratie sanitaire, du management et de la gestion d'établissements publics à vocation d'expertise dans le domaine de la santé et de l'environnement. C'est sur ces bases, ainsi que sur l'ensemble de mon parcours professionnel, que se fonde ma candidature au poste de directrice générale de Santé publique France.
Je suis médecin de santé publique, praticien hospitalier, épidémiologiste et j'ai consacré les dix premières années de ma vie professionnelle aux maladies infectieuses, en particulier à la lutte contre le VIH/Sida, afin de soutenir des projets de prévention dans le cadre de missions d'appui ou de missions humanitaires.
Parallèlement à une activité clinique pratiquée depuis plus de quinze ans, j'ai rejoint en 2000 l'Institut de veille sanitaire - aujourd'hui Santé publique France - en tant que médecin épidémiologiste en charge de la surveillance du VIH, des IST et des hépatites.
Pendant ces dix années, j'ai animé une équipe à la frontière entre la surveillance et la recherche, au sein de laquelle j'ai développé des systèmes de surveillance innovants, mis en place des enquêtes auprès des populations vulnérables comme les populations carcérales ou usagers de drogue.
Titulaire d'une habilitation à diriger des recherches, j'ai aussi conservé des fonctions d'encadrement et d'enseignement pendant plusieurs années.
Dans le cadre de mes fonctions, j'ai également été très engagée, dès le début des années 2000, dans un dialogue avec les associations de patients - Aides et Act-Up notamment - qui a été finalement précurseur de l'ouverture à la société civile que nous connaissons aujourd'hui.
En décembre 2013, j'ai rejoint l'ANSM en tant que directrice produits, à la tête d'une équipe pluridisciplinaire. J'ai notamment contribué, en 2018, à définir les conditions de réussite de la politique vaccinale chez les nourrissons : concertations publiques et informations transparentes ont contribué à restaurer la confiance et l'adhésion des familles à cette politique de santé publique.
J'ai toujours conservé un lien avec l'expertise en santé publique et une sensibilité aux questions déontologiques. Ainsi, j'ai été membre du Haut Conseil de santé publique (HCSP) et j'ai participé à la Commission nationale de déontologie des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CnDAspe).
Forte de ces expériences en matière de santé humaine et de management, j'ai été nommée en 2019 directrice générale déléguée de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Je dirigeais alors une équipe de 350 personnes et j'étais chargée de l'évaluation des produits phytopharmaceutiques et biocides. Je supervisais également l'activité de l'Agence nationale des médicaments vétérinaires (ANMV). Les dossiers que j'ai traités à l'Anses mêlaient intimement les questions de santé humaine, de santé animale et de santé environnementale.
Je retiens notamment de cette expérience l'importance du dialogue avec les parties prenantes, en particulier sur des sujets à forte dimension de controverse, et évidemment les enjeux environnementaux.
J'ai aussi été amenée à participer à la lutte contre de nombreuses crises sanitaires qui ont marqué ces vingt dernières années : SRAS, H1N1, MERS-CoV, Ebola en 2014 et, plus récemment, Covid.
Dès mars 2020, je suis venue en appui pendant quelques mois à la recherche auprès de REACTing-INSERM, devenue l'ANRS-MIE. C'est un partenaire privilégié de Santé publique France.
C'est toujours en pleine crise sanitaire, en avril 2021, que j'ai rejoint mes anciens collègues de l'ANSM au poste de directrice générale adjointe en charge des opérations, où j'ai dirigé une équipe de 800 personnes.
Outre les enjeux liés à l'évaluation et à la surveillance en vie réelle des vaccins et des traitements Covid, l'ANSM est garante d'un cadre assurant le même niveau d'exigence sur chacune des 80 000 autorisations délivrées chaque année grâce à la collégialité de l'expertise, un cadre déontologique strict, une transparence et un dialogue permanent avec les parties prenantes.
C'est mon parcours professionnel, puis mes vingt dernières années au sein de ces trois grandes agences sanitaires qui m'amènent aujourd'hui devant vous pour poursuivre mon engagement au service de l'intérêt général, à la tête de Santé publique France.
Santé publique France occupe une position particulière dans mon parcours, vous l'aurez compris, mais surtout au sein de l'écosystème sanitaire. C'est l'Agence qui surveille et décrit la santé de 67 millions de Français, qui identifie les risques qui menacent leur santé. C'est une agence qui accompagne les Français au travers d'actions de prévention et de promotion de la santé. C'est une agence qui éclaire les décideurs, apporte son expertise, y compris aux autres institutions, met à disposition des données de santé robustes, au travers notamment de l'Observatoire cartographie Géodes. En 2021, ce sont 18 millions de visiteurs qui ont consulté la plateforme Géodes.
C'est une agence qui contribue aussi à soutenir le système de santé par la mobilisation de la réserve sanitaire et assure la gestion des stocks stratégiques grâce à l'établissement pharmaceutique. Ce sont plus de 200 millions de doses de vaccins qui ont été distribuées en métropole et outremer. L'Agence s'appuie sur des compétences variées, des équipes implantées dans toutes les régions et sur des dispositifs de surveillance multiples, des grandes enquêtes, des outils de prévention, du marketing social et des services d'aide à distance.
Ces dispositifs de surveillance multisources ont montré leurs performances pendant la crise sanitaire, mais il faut les moderniser, les fiabiliser, les doter d'un schéma directeur, ainsi que l'a relevé le récent rapport de la Cour des comptes.
Rappelons que SPF et ses partenaires ont réussi, en un temps record, à élaborer des systèmes d'information pour la gestion de crise, sur laquelle bien sûr il faut capitaliser et créer des systèmes pérennes, connectés et interopérables.
Santé publique France, ce sont aussi de grandes enquêtes dont les résultats éclairent l'état de santé des Français. Je pense à l'étude sur le bien-être des enfants de moins de onze ans. Je pense aussi à l'étude Kanarri sur l'imprégnation de la population antillaise par le chlordécone ou aux Baromètres santé, ces études répétées depuis 30 ans qui constituent le véritable observatoire de l'évolution des comportements des Français. Ces études sont indispensables pour nourrir les politiques publiques et évaluer leur efficacité.
Les données issues de la surveillance des enquêtes permettent de suivre les déterminants de santé, de décrire le fardeau lié à chaque pathologie et contribuent à orienter les mesures de prévention et de promotion de la santé, incarnant ainsi le continuum de l'Agence, de la connaissance à l'action, de la surveillance à la prévention.
SPF n'est pas la seule à intervenir dans le champ de la prévention. Elle fait partie d'un vaste réseau d'acteurs institutionnels ou associatifs avec, en chef de file, bien entendu, le ministère de la santé et de la prévention.
L'enjeu pour l'Agence est de concentrer ses efforts sur des interventions efficaces, évaluées. Il peut s'agir d'intervention que l'Agence conduit en direct ou non. C'est le cas de dispositifs basés sur des référentiels, comme Nutri-score. C'est aussi SPF qui anime et héberge le régime français des interventions efficaces et prometteuses en prévention et promotion de la santé.
L'Agence dispose donc d'un large périmètre, qui est la traduction d'une volonté, née en 2016, de doter notre pays d'une agence de santé publique forte scientifiquement et incarnant le continuum de la connaissance à l'action et de la surveillance à la prévention.
Cela confère à la direction générale une responsabilité que j'entends assumer pleinement, si vous m'accordez votre confiance, en éclairant la décision publique et le citoyen sur la base d'expertises et de données scientifiques, et en favorisant les environnements favorables à la santé de tous.
Pour mener à bien ces missions, l'Agence a besoin de moyens. Je préciserai à ce propos que j'ai bien pris connaissance du fait que la Cour des comptes, dans son récent rapport, a relevé qu'il conviendrait que le Parlement dispose d'une information précise sur les projections budgétaires, ce à quoi je souscris également.
Le budget de Santé publique France a été adapté aux besoins de la crise. Il était de 4,5 milliards d'euros en 2022, dont 250 millions d'euros pour les missions socles, hors Covid, mais les moyens restent contraints, comme ceux de l'État, notamment en ce qui concerne les effectifs.
Compte tenu des enjeux sanitaires, de son périmètre et des attentes toujours plus fortes, les effectifs pourraient être quasiment illimités, mais nous savons que tel ne peut être le cas. Dès lors, l'Agence doit entretenir des relations de confiance avec sa tutelle, de manière à bien conduire ses missions au regard des arbitrages rendus. La direction générale, quant à elle, doit également agir en manager, attentive à ses équipes, faire des choix, hiérarchiser et garder un difficile équilibre entre les sujets « chauds » et les sujets « froids ».
Je souhaiterais ici, devant la représentation nationale, rendre un hommage appuyé à ces femmes et hommes de santé publique qui ont construit cette agence et qui, sans relâche depuis trois ans, ont lutté contre le Covid. Je pense en particulier au déploiement en temps réel de la surveillance, à la production quotidienne d'indicateurs, aux centaines de millions de doses de vaccin disponibles en tout point du territoire, aux enquêtes sur l'impact hors Covid et notamment l'alerte donnée sur la santé mentale des Français, aux affiches, dépliants et campagnes diffusés dans toute la France, à la traque des variants, aux décryptages auprès de la presse.
C'est donc également pour mes futurs collaborateurs que je suis ici devant vous, car j'aspire à contribuer à donner un sens au travail de chacun, à consolider la communauté de travail au sein de Santé publique France et à porter les valeurs qu'ils incarnent.
Pour y parvenir, trois priorités pourraient résumer mes objectifs de mandat.
La première des priorités est celle de mettre en place une expertise indépendante, collégiale, au service des politiques publiques. Santé publique France est une agence scientifique, dont les travaux d'expertise viennent en appui des politiques publiques. De la surveillance à la prévention, c'est avant tout la science qui fonde ses travaux et ses interventions. Elle doit s'appuyer sur une expertise pluridisciplinaire, collégiale, que ce soit pour l'expertise interne, très robuste à Santé publique France, ou l'expertise externe.
Ce qu'elle produit doit être utile aux politiques publiques et doit se traduire en décisions, en leviers d'action. Son organisation avec un niveau national et seize cellules régionales placées auprès des ARS doit être confortée, car c'est ainsi que l'Agence pourra adapter son action aux particularités territoriales.
La deuxième priorité consiste à faire de Santé publique France une agence ouverte. C'est le gage pour gagner en visibilité et en crédibilité. L'ouverture, c'est le développement des collaborations, avec des partenaires dont le périmètre d'action est aux frontières de ce que fait Santé publique France, comme SPF l'a engagé avec l'ANSES sur l'exposition aux substances chimiques ou lors de la future enquête conjointe, déjà engagée avec l'Inserm, l'ANRS-MIE, le HCSP, dans le domaine de la santé sexuelle, de la périnatalité ou de la santé des travailleurs.
Des collaborations spécifiques sont également nécessaires, avec la recherche des questions intéressant directement l'Agence sur les maladies émergentes ou sur la modélisation. C'est d'ailleurs ensemble que Santé publique France et l'ANRS-MIE ont porté la création du consortium Emergen, qui a permis de doter notre pays d'une capacité de séquençage hors norme pour surveiller les variants du Covid.
Santé publique France ne dispose pas, comme l'Anses, de moyens propres de financement pour la recherche, mais l'Agence doit pouvoir adresser ses questions à la recherche. Elle doit interagir étroitement avec elle.
Il s'agit aussi de renforcer l'ouverture de l'Agence et le dialogue avec les parties prenantes, la société civile, mais également les professionnels de santé et les acteurs du secteur médico-social. Ils sont des facteurs clés de la prévention. Nous nous appuierons aussi sur eux pour déployer la feuille de route du ministère.
Il convient aussi de contribuer à la diffusion d'informations scientifiques adaptées à tous les publics. C'est ainsi que nous pourrons lutter contre la diffusion de fausses informations et restaurer la confiance.
Sur le plan européen et international, l'Agence doit poursuivre l'impulsion donnée par la précédente directrice générale.
Troisième priorité : je voudrais une agence qui anticipe, qui innove. C'est l'analyse des signaux précoces, par exemple, au travers des systèmes multisources et du travail en réseau. Il s'agit de développer les approches qualitatives, mais c'est aussi l'analyse de données massives en santé, en partenariat avec les autres institutions, au travers notamment du Health Data Hub ou du Green Data Hub. Il convient par ailleurs de poursuivre la mise à disposition en open data de centaines d'indicateurs.
Au sortir de ces trois années de Covid, je souhaite, aux côtés de tous les agents de Santé publique France, donner un élan fort et mobilisateur à l'Agence, en faire une agence d'expertise de haut niveau, ouverte aux partenariats, aux parties prenantes et à l'innovation.
Je souhaite enfin que Santé publique France reste à la disposition de votre commission. Je considère qu'éclairer la représentation nationale fait partie du rôle de l'Agence et du mien. Je me livrerai à cet exercice chaque fois que j'y serai invitée.
Je vous remercie.
Merci pour cette présentation de votre parcours.
La Cour des Comptes avait présenté devant notre commission son rapport en décembre dernier et insisté sur les lacunes des systèmes de surveillance de veille sanitaire, en particulier dans le domaine médico-social. Comment envisagez-vous cet important chantier de modernisation ?
Le Sénat avait par ailleurs relevé en 2020 l'inadaptation aux crises du dispositif de la réserve sanitaire. Comment faudrait-il moderniser son cadre d'action ou sa gestion administrative pour faire face aux crises futures ?
Enfin, en matière de prévention et promotion de la santé, la Cour des comptes relève un défaut de stratégie globale conduisant à ce que certains champs restent absents des préoccupations de l'Agence, comme la santé mentale, la santé des personnes âgées ou les accidents vasculaires cérébraux. Comment envisagez-vous de couvrir plus largement ces domaines ?
On a découvert Santé publique France au moment de la crise sur le terrain. On connaissait les ARS, l'action des préfets. Santé publique France a eu du mal à trouver sa place dans le dispositif pendant un certain temps. Vos seize cellules régionales sont une bonne chose, mais les régions sont très grandes. Avez-vous une déclinaison départementale présente en permanence ou ne l'activez-vous qu'en période de crise ? J'ai l'impression que les choses se sont à nouveau perdues dans le paysage administratif.
Par ailleurs, quelles conséquences tirez-vous de cette crise, notamment en termes d'organisation en cas de récidive ?
En ce qui concerne les données, des efforts extraordinaires ont été réalisés avec des innovations fantastiques. Le Health Data Hub permet de concentrer un certain nombre de données. Ne pensez-vous pas qu'il faut mettre sur pied avec vos partenaires une sorte de Crisis Data Hub, c'est-à-dire la possibilité, en cas de crise, d'activer différentes données pour pouvoir les croiser et agir directement sur la population grâce au numérique, ce qu'on ne sait pas forcément faire aujourd'hui de façon ciblée ?
Lors de la commission d'enquête sur la crise du Covid, nous nous sommes beaucoup intéressés au fait de savoir comment les choses avaient été anticipées. La commission d'enquête a été unanime sur la méconnaissance totale des acteurs locaux au sujet de Santé publique France.
Par ailleurs, vous avez beaucoup parlé de l'expertise scientifique. On voit comment la crise a mis un doute sur la parole scientifique. Certains ont dit tout et son contraire, ce qui a engendré une forme de méfiance.
Nous avions préconisé dans le rapport une expertise scientifique indépendante permettant d'anticiper de nouvelles crises, quelles qu'elles soient. On voit, dans un sondage récent d'IFOP, qu'un pourcentage relativement élevé de jeunes - qui a beaucoup augmenté ces dernières années - ne croit plus à la science. Cela tient peut-être à un enseignement scientifique qui s'est dégradé au fil du temps, mais quel regard portez-vous sur la notion d'expertise scientifique ?
Tout d'abord, la création de Santé publique France est très récente, puisqu'elle remonte à 2016. La crise est arrivée très peu de temps après. Dans les autres pays, le Center for Diseases Control and Prevention (CDC), par exemple, a 70 ans.
La crise est arrivée à un moment où Santé publique France était une toute jeune agence, probablement trop tôt par rapport à sa création. Je pense que Santé publique France est à présent connue. On a donc un devoir très important de production scientifique de qualité pour que le public puisse s'en emparer.
Vous m'avez interrogée sur les systèmes de veille sanitaire et médico-sociale. Vous avez raison : il existe beaucoup de systèmes de surveillance à Santé publique France, mais il y en avait aussi dans les Ehpad. Certains étaient liés à la grippe et ont été utilisés pour la surveillance du Covid.
Au sortir de la crise, il faut renforcer ces systèmes existants, qui ont été détournés pour réaliser la surveillance du Covid. Il faut les sanctuariser et les pérenniser. C'est une évidence. On le sait tous : la population française va vieillir. Il y a là un enjeu de protection des personnes âgées et de surveillance dans tous les établissements médico-sociaux, qui ont eux-mêmes subi de plein fouet quelques scandales qui n'ont probablement pas facilité le recueil des données.
Vous m'avez d'autre part questionnée sur la santé mentale. Vous avez raison : la santé mentale des Français, au sortir de la crise du Covid, est une problématique. Santé publique France a été l'une des premières à tirer la sonnette d'alarme et à mettre en place plusieurs enquêtes, notamment une enquête à venir sur la santé des enfants de moins de onze ans. La santé mentale nous préoccupe et appelle des actions. Pour cela, il faut pouvoir surveiller. Ces enquêtes sont donc essentielles.
Il faudra ensuite qu'on développe des outils. Il est vrai qu'on pourrait qualifier cette problématique d'épidémie silencieuse. J'en suis consciente, et je m'attacherai à ce que l'on puisse développer des outils auprès des populations, quels que soient les âges. Nous allons étudier plus spécifiquement les moins de onze ans, mais il y a eu aussi un impact très net de la crise du Covid chez les adultes en termes de santé mentale.
Soyez assurés que Santé publique France s'est emparée du sujet et continuera à le traiter, en lien avec les professionnels de santé spécialisés, notamment les psychiatres.
Une autre question portait sur la réserve sanitaire. Au cours de la crise, la réserve sanitaire a dû déployer énormément de personnel sur le terrain, notamment outremer. Beaucoup de réservistes y ont été envoyés. La réserve sanitaire a joué un rôle majeur. C'est un outil formidable, mais dont il faut probablement revoir le modèle.
Au moment de la crise, les demandes ont été multipliées par dix par rapport à ce que faisait la réserve sanitaire auparavant. Elle a été au rendez-vous, mais il est clair qu'il faut revoir son modèle et probablement le cadre d'emploi. La Cour des comptes a également souligné que près de 60 000 personnes sont inscrites, alors que seulement 7 000 réservistes peuvent être mobilisés parce qu'ils ont rempli totalement leur dossier d'inscription. Finalement, seuls 2 000 vont sur le terrain. Pourquoi une telle différence ? Je m'attacherai à essayer de le comprendre et à tenter de renouveler ce vivier.
C'est évidemment un vivier qui s'appuie sur les professionnels de santé, eux-mêmes mobilisés au quotidien. On le voit bien dans la crise que traversent l'hôpital et la médecine de ville. L'idée n'est pas de déshabiller Paul pour habiller Pierre. Il va falloir trouver d'autres solutions et probablement mobiliser la réserve sanitaire sur des problématiques en métropole, en cas de situation sanitaire exceptionnelle.
Toutefois, même si le modèle est perfectible, il est important de rester opérationnel. Nous avons face à nous des enjeux. Nous connaîtrons probablement d'autres menaces émergentes, mais nous avons aussi deux enjeux qui sont la coupe du monde de rugby et l'accueil des jeux Olympiques en 2024. Il est donc très important pour Santé publique France de rester opérationnel concernant la réserve sanitaire.
Vous n'avez pas évoqué l'établissement pharmaceutique. Venant de l'Agence de sécurité du médicament, je serai très attentive aux évolutions de l'établissement pharmaceutique. Avec la réserve sanitaire, ce sont des outils utiles, importants en temps de crise, et il faut qu'ils puissent rester opérationnels dans les mois et les années à venir et qu'il n'y ait pas de rupture.
Pour en finir avec l'établissement pharmaceutique, il est vrai qu'il y a le stock et la distribution. Force est de constater que l'établissement pharmaceutique a été en capacité de distribuer des milliards de masques et des millions de doses de vaccins contre le Covid.
Vous m'avez interrogée sur les cellules régionales. C'est une question qu'on me pose souvent. Certains directeurs d'ARS souhaiteraient les récupérer. Je pense qu'il est très important que les cellules régionales puissent avoir un ancrage territorial. Il existe des spécificités dans ce domaine, et Santé publique France ne peut être coupée de ces territoires.
Par exemple, face au chlordécone dans les Antilles, au plomb en Guyane ou à l'accès à l'eau potable et à la vaccination à Mayotte, Santé publique France ne peut être aveugle : l'Agence a besoin d'une représentation en région.
Je peux comprendre que les ARS aient besoin de cellules opérationnelles en temps de crise. Je comprends qu'ils se posent ces questions. On peut aussi avoir des espaces de dialogue et de concertation. En tout cas, je m'attacherai, une fois que je serai à la direction de Santé publique France, à avoir un dialogue avec les directeurs des ARS.
J'admets leurs besoins, notamment en période de crise. Ils peuvent parfois avoir le sentiment que le temps de l'expertise est trop long par rapport au temps de l'action. C'est vrai qu'en période de crise, il faut des circuits courts et il faut aller vite. Peut-être peut-il y avoir des modalités qui ne soient pas les mêmes en période « chaude » et en période « froide ». Ce sont des choses dont on peut discuter.
Vous n'avez pas opéré de réorganisation territoriale suite à la crise. Vous n'en avez donc pas tiré les conséquences. Pourquoi cette inertie ? Il faut être prêt !
Les cellules régionales sont aussi investies dans des investigations, et il ne faut pas oublier tout le reste. C'est le difficile équilibre dont je parlais. Les cellules régionales sont en première ligne en termes d'investigations en cas d'épidémie, ou lorsqu'il y a une suspicion de clusters de cancers pédiatriques. Elles sont très importantes pour être le relais de Santé publique France sur le terrain.
En revanche, je comprends qu'en période de crise, certaines ARS puissent se poser des questions.
Ils ont également découvert un certain nombre de choses, notamment dans le domaine médico-social. Il faut reprendre ses marques.
Cette crise a été majeure. J'ai connu le Sras en 2003, MERS-CoV en 2018 et Ebola en 2014, mais cette pandémie a été d'une ampleur inimaginable.
Elle a entraîné des prises de décisions qu'on n'avait jamais connues (confinement, etc.).
En 2003, confiner une ou deux personnes avait été extrêmement compliqué. On appelait la personne le matin puis l'après-midi pour lui dire qu'il fallait qu'elle demeure confinée. En 2020, on a réussi à confiner la population entière. Imaginez le chemin parcouru. C'est stupéfiant !
Je pense que cet ancrage territorial est important. C'est ce qu'on peut reprocher aux agences européennes, comme l'agence britannique, qui peuvent parfois connaître une absence d'ancrage territorial.
Santé publique France a été extrêmement mobilisée, et je tire mon chapeau à l'investissement des 700 collaborateurs durant ces trois dernières années, mais cela a été aussi très difficile pour les autres agences, en Angleterre comme aux États-Unis. Leurs personnels étaient pourtant bien plus nombreux que celui de Santé publique France. Cela n'a pas empêché la dissolution de notre alter ego anglais après la crise.
Compte tenu de la crise que nous avons traversée, je verrais bien sur les territoires des périodes d'exercice. J'habite près d'une centrale nucléaire : en cas d'accident, il faut distribuer des comprimés d'iode, etc. Il me semble que ce devrait être organisé en période « froide ». Dans un contexte mondial compliqué, comment fait-on si des gaz toxiques arrivent ?
Je pense qu'on a les moyens numériques d'avoir des cellules de crise qui activent la géolocalisation des données afin de croiser toutes les informations numériques pour être le plus rapide possible. Un virus arrive par vague. Le Covid a mis un peu de temps à venir de Chine. Il existe d'autres agents pathogènes qui peuvent être beaucoup plus dangereux et qui peuvent arriver bien plus rapidement.
Je pense qu'il faut en France un système d'exercices comme chez les pompiers. Avez-vous quelque chose de prévu dans votre organisation future ?
En effet, dans le cas de la crise du Covid, le virus a mis quelques semaines à arriver. Demain, les menaces pourraient arriver en quelques heures. Ce sont des scénarios de crise qui sont différents, mais qui devraient reposer sur des organisations « crantées ».
Des réflexions sont menées par le ministère de la santé en matière de retour d'expérience pour créer une direction des crises. Cela a été annoncé par le ministre de la santé lors de ses voeux, lundi dernier.
J'y serai associée. Cela fait partie des scénarios qui sont sur la table. Il faut pouvoir avoir une organisation cible qui puisse être rapidement « crantée » ; du jour au lendemain, en quelques heures, quelques jours ou quelques semaines, en fonction de la menace.
Cela nécessite des dispositions législatives au titre de la protection des personnes, des données, de la Cnil, etc.
Si on n'a pas « cranté » par anticipation, c'est ensuite trop tard. C'est avant qu'il faut voir tout cela pour prendre les dispositions législatives nécessaires.
Vous avez soulevé l'importance des données massives. C'est pour cela que la troisième de mes priorités porte sur l'innovation. Je pense qu'il faut penser autrement, aller rechercher des ressources chez d'autres partenaires, comme des ingénieurs, qui savent parfaitement analyser des données massives.
Je ne dis pas que les épidémiologistes, dont je fais partie, ne savent pas le faire, mais il est important de croiser les compétences. C'est ce que j'ai souhaité faire tout au long de ma carrière. C'est pour cela que je propose d'ouvrir Santé publique France davantage encore, parce que les partenariats sont indispensables. Mais il faut les prévoir maintenant, pour que tout puisse se mettre en place en période de crise.
De toute façon, en période de crise, nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère de la santé. Je vais tous les mercredis en réunion de sécurité sanitaire ; c'est le minimum.
Malheureusement, on n'a pas tant de périodes « froides » que cela. Au sortir du Covid, on a connu la crise du Monkey Pox. Six à huit mois après, nous sommes plus tranquilles. On ne l'était pas tout à fait au mois de mai. La France a eu la chance d'avoir un stock de vaccins contre la variole.
On avait peur que cela puisse toucher une population différente, car on sait que le Monkey Pox peut être bien plus grave chez les enfants.
Entre-temps, on a eu la triple épidémie bronchiolite-grippe-Covid, qui était d'une ampleur et d'une précocité importante. L'ANSM a également été confrontée aux pénuries. Les crises se succèdent. C'est le difficile équilibre entre le « chaud » et le « froid ».
Oui, et puis les données épidémiologiques arrivent tard, même encore maintenant. On voit que l'analyse prend du temps.
Il y a des données qui remontent très vite, comme celles des dépistages du Covid réalisés par le Système d'information de dépistage populationnel (SI-DEP). L'idée est que le système mis en place pour le dépistage du Covid puisse basculer sur tous les autres dépistages.
Oui, mais il faut des dispositions législatives. C'est pourquoi il faut anticiper, afin que vous ayez les mains libres pour agir sans délai.
Je voulais revenir sur la prévention. On a évoqué les AVC, la santé des personnes âgées, la santé mentale, etc.
Un sujet majeur de santé publique qu'on n'a pas encore abordé me tient à coeur. Il s'agit de la prévention de l'obésité. Comment l'Agence envisage-t-elle de s'emparer de la question ? Pour l'instant, on a le sentiment d'une certaine dispersion des discours et des acteurs.
Comment l'Agence pourrait-elle piloter cette action de prévention ?
Vous avez raison, même si la prévalence de l'obésité est plus faible chez nous que dans certains autres pays. On est toutefois à 15 ou 17 %. C'est donc un enjeu de santé publique.
Un plan contre l'obésité est conduit par le ministère.
L'obésité a un lien en commun avec l'épidémie de Covid en ce que celle-ci a augmenté la sédentarité. Elle a aggravé la santé mentale des Français, mais aussi la sédentarité. Même si le télétravail est une très bonne chose, il a également tendance à augmenter la sédentarité. Je suis d'accord avec vous : il faut absolument qu'on se saisisse du sujet. Je pense que nous le ferons en lien avec l'Anses, qui est en charge de toute la problématique sur l'alimentation.
J'ai travaillé deux ans à l'Anses. Je connais très bien ses collaborateurs. J'aurai à coeur de travailler avec eux.
Je peux aussi parler du Nutri-Score, qui a été mis en place en 2017. Cinq ans après, il a acquis une certaine notoriété. 95 % des adultes et des jeunes le connaissent. Il est maintenant accepté dans les autres pays. Six pays nous ont suivis. Cette dynamique va dans le sens de ce que souhaite l'Europe, qui a adopté une politique « de la ferme à la fourchette ». Il faut qu'on capitalise sur ce sujet et que l'on travaille avec l'Anses.
Je souhaite développer des partenariats, et l'Anses est un partenaire naturel de Santé publique France.
Le Nutri-Score a ses limites. J'admets difficilement, en bon paysan, que le Nutri-Score soit plus péjoratif pour un fromage que pour une pizza. Il faut que le Nutri-Score soit adapté à la dose que l'on va consommer, sans quoi on pénalise des produits de terroir extraordinaires, locaux qui, mangés en quantité raisonnable - c'est le médecin qui parle -, seront moins nuisibles pour la santé qu'une pizza congelée ! Je ferme la parenthèse.
Le Nutri-Score ne porte en effet pas sur une portion, mais sur des grammes. On ne mange pas la même quantité de pizza que de fromage au lait cru.
Le Nutri-Score étant basé sur un référentiel scientifique, on est cependant obligé d'avoir la même base.
Le référentiel ne peut répondre à toutes les problématiques. C'est une première étape, mais j'entends ce que vous dites, et j'y suis d'autant plus sensible que je me suis beaucoup rapprochée des cultivateurs à l'Anses.
Le Nutri-Score sert à sensibiliser les gens pour qu'ils adoptent une meilleure alimentation, mais il y a quelque chose de relativement simple à mettre en place, c'est la teneur en matière grasse ou en sel sur une portion.
Elle y figure souvent. Vous trouvez sûrement qu'elle n'est pas assez mise en évidence. Tout est perfectible.
Au-delà, on cherche à recommander aux gens de ne pas manger trop sucré, trop salé ni trop gras.
On a parlé de la réorganisation du ministère. Serez-vous impliquée ? C'est votre ministère de tutelle.
Oui, le ministère de la santé est notre seul ministère de tutelle. Les agences sont de toute façon consultées. Je suis actuellement un peu entre deux fonctions.
Tout cela se fait en concertation, et pas dans le cadre de la réunion de sécurité sanitaire du mercredi matin. Je peux vous affirmer que les agences sont parties prenantes.
C'est votre seul ministère de tutelle ? Quand on doit gérer des crises, je ne suis pas sûr que ce soit légitime. En période de crise, perdez-vous la main ? C'est plutôt le ministère de l'intérieur qui gère la crise et qui détient un véritable savoir-faire.
Nous n'avons pas la prétention, avec 700 personnes, de gérer la crise. Toute crise se gère en réseau, en partenariat, d'où l'importance d'avoir organisé le réseau et de pouvoir « cranter ».
Nous sommes partenaires et alimentons le débat avec des données robustes et de l'expertise, dans le cadre de contributions aux travaux du HCSP et de la Haute Autorité de santé (HAS), ainsi qu'au travers de notes. Nous faisons énormément de notes pour éclairer le ministère de la santé.
Collaborez-vous avec les autres agences de santé publique européennes ?
Il y a beaucoup de collaborations entre Santé publique France et les agences équivalentes en Europe. Il existe aussi un réseau des agences sanitaires, dont Santé publique France héberge le secrétariat.
Il faut savoir que le conseil scientifique de Santé publique France est présidé par un Anglais qui est un ancien de l'agence anglaise de santé publique. Cela crée des liens.
Le conseil scientifique de Santé publique France est composé d'un tiers de personnalités étrangères, dont beaucoup d'Anglais qui occupaient des postes importants dans l'équivalent de Santé publique France au Royaume-Uni.
Je voulais vous remercier, madame, de nous avoir fait partager l'ensemble de votre parcours et d'avoir démontré votre enthousiasme à la suite des questions qui vous ont été posées.
Mon attention se porte sur la transparence des moyens donnés à l'Agence Santé publique France. Je n'ai pas l'intention de vous ennuyer avec les chiffres, mais il est vrai que, pendant la crise du Covid, des montants substantiels ont été impliqués. C'est pourquoi nous avons demandé à la Cour des comptes de se pencher sur le sujet.
Vous parliez d'un nécessaire rapprochement avec les associations de patients. Celles-ci attendent beaucoup de transparence sur le plan financier. J'aimerais donc que vous communiquiez sur les dépenses et les recettes de l'Agence, afin que chacun puisse savoir où va l'argent des Français.
Nous en avons pris bonne note et en avons déjà discuté avec Marie-Anne Jacquet. Il est vrai qu'il s'agit de sommes assez importantes.
Votre budget était, de mémoire, de 4 milliards d'euros au moment de la crise, mais il est redescendu.
Il tourne autour de 200 millions d'euros pour les fonctions socles. Si on n'achète plus de vaccins contre le Covid, cela permettra de faire beaucoup d'économies. Ce qui a coûté très cher, ce sont les masques et les vaccins ARN.
Merci pour cet échange.
Nous vous souhaitons d'être nommée à la tête de cette agence importante dans le système de santé.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 25.