Intervention de Jean-François Rapin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 janvier 2023 à 16h40
Justice et affaires intérieures — Enjeux juridiques en matière de politique étrangère et de sécurité commune pesc d'une adhésion de l'union européenne ue à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales cesdh - communication

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes :

Nous sommes réunis cet après-midi pour évoquer les perspectives de dépôt d'une proposition de résolution européenne sur l'impact pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) que pourrait avoir l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.

Il y a maintenant un peu plus de deux ans, nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte avaient publié un rapport d'ensemble sur la relance des négociations d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme, qui recouvrent d'autres aspects que celui dont nous allons traiter aujourd'hui.

Nos collègues Gisèle Jourda et Dominique de Legge ont présenté une communication devant la commission des affaires européennes sur ce dossier le 20 octobre dernier à la suite d'un échange que nous avions eu avec le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, Philippe Léglise-Costa.

À l'issue de leur communication, j'ai évoqué ce sujet sensible avec les présidents Buffet et Cambon et nous sommes convenus d'écrire à la Première ministre pour appeler son attention sur cette question qui ne peut être traitée au seul niveau technique.

La Première ministre nous a répondu par une lettre du 26 décembre dernier, dans laquelle elle nous invite, ainsi que nous l'avions évoqué dans notre courrier, à déposer une proposition de résolution européenne qui renforcerait la position du Gouvernement dans les négociations en cours, qui sont déjà très avancées.

La France, qui était et demeure favorable, dans son principe, à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme, se retrouve très isolée, alors que la présidence suédoise souhaite conclure les négociations le plus rapidement possible et que se profile, mi-mai, un sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe à Reykjavik. Or, pour la plupart des États membres, un accord en vue de l'adhésion de l'Union à la Convention serait un « livrable » parfait et très symbolique. La pression est donc forte, même si la Première ministre tend à la minimiser dans son courrier.

Tant la lettre de saisine de la Première ministre que sa réponse vous ont été communiquées par mail ou via Déméter. Sans être trop long, je voudrais vous rappeler les principales conclusions de la communication de Gisèle Jourda et Dominique de Legge, qui ont suscité notre mobilisation.

Chacun des vingt-sept États membres de l'Union européenne est partie à la Convention européenne des droits de l'homme, condition nécessaire pour adhérer au Conseil de l'Europe. Ils se soumettent donc pour son interprétation à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont le siège est à Strasbourg.

En revanche, l'Union européenne en tant que telle n'a pas encore adhéré à cette Convention, alors que cette adhésion est expressément prévue par les traités. En effet, l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne stipule, depuis le traité de Lisbonne, que « l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités ».

Le protocole n° 8 annexé aux traités fixe des conditions à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention. Son article 2 indique notamment que l'accord relatif à l'adhésion « doit garantir que l'adhésion de l'Union n'affecte ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions ».

S'agissant spécifiquement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), il ressort des articles 24 du traité sur l'Union européenne et 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que la CJUE n'est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur base, à deux exceptions près, notamment pour examiner les recours concernant les mesures restrictives adoptées par le Conseil à l'encontre de personnes physiques ou morales.

Une première séquence de négociations en vue de l'adhésion avait eu lieu en 2010-2011 et avait débouché, en avril 2013, sur un projet d'accord au Conseil. Néanmoins, la procédure prévoyait que ce projet d'accord devait être soumis pour avis à la Cour de justice de l'Union européenne. Dans son avis 2/13 rendu en assemblée plénière le 18 décembre 2014, celle-ci avait jugé que le projet d'accord d'adhésion n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne.

La CJUE rejetait en particulier la possibilité que la Cour européenne des droits de l'homme puisse connaître des actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune, alors qu'elle-même ne le pouvait pas en application des traités. Elle soulignait que la compétence pour effectuer un contrôle juridictionnel d'actes, d'actions ou d'omissions de l'Union, y compris au regard des droits fondamentaux, ne saurait être attribuée exclusivement à une juridiction internationale qui se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l'Union.

Cette décision s'est traduite par un arrêt du processus d'adhésion. Les négociations d'adhésion ont toutefois été relancées à compter du 7 octobre 2019, date à laquelle le Conseil a adopté des directives de négociation en vue de répondre aux différents problèmes recensés par la CJUE.

S'agissant de la PESC, ces directives privilégiaient en particulier la définition d'un mécanisme de réattribution de responsabilités. Concrètement, cela signifierait que des tribunaux nationaux, choisis en fonction de critères spécifiques, seraient amenés à se prononcer sur une éventuelle violation des droits de l'homme du fait de la mise en oeuvre d'actes relevant de la PESC. Cette solution devait permettre d'assurer le respect du principe de subsidiarité et l'épuisement de voies de recours internes avant que la Cour européenne des droits de l'homme soit saisie.

Ce mécanisme de réattribution de responsabilités a été au coeur des discussions du panier 4 relatif à la PESC, mais des blocages sont apparus, certains États membres faisant notamment valoir des difficultés d'ordre constitutionnel. D'autres mécanismes ont été examinés.

La Commission européenne a alors proposé une autre solution : adopter une déclaration intergouvernementale interprétative qui permettrait à la Cour de justice de l'Union européenne d'étendre sa compétence aux actes relevant de la PESC afin de vérifier une éventuelle violation des droits fondamentaux avant que la Cour européenne des droits de l'homme se prononce.

La présidence française du Conseil n'a pas endossé cette proposition. C'est bien la Commission qui l'a présentée. La présidence se devant d'être neutre, la France qui l'assumait était alors dans l'incapacité de faire valoir certaines critiques, comme elle peut désormais le faire, mais elle ne voulait pas donner l'impression de la soutenir non plus.

Le service juridique du Conseil a soutenu l'approche de la Commission. Il estime ainsi qu'au regard des circonstances spécifiques, une déclaration interprétative permettrait de réconcilier les dispositions contradictoires des traités, en établissant que ces derniers permettraient de conférer une compétence juridictionnelle à la CJUE en matière de PESC dans les cas limités d'actions introduites pour des violations de droits fondamentaux par l'Union européenne par des requérants ayant qualité à agir devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Cette proposition est désormais soutenue par la quasi-totalité des États membres. La France fait figure d'exception. Elle est la seule à s'être exprimée contre cette proposition lors du conseil Justice et affaires intérieures (JAI) du 9 décembre 2022. Certes, elle ne désespère pas, comme le relève la Première ministre, de faire évoluer les positions de certains États membres qui n'ont pas le même degré de coordination interministérielle que nous. Mais pour cela, le Gouvernement a aussi besoin d'un appui que le Sénat serait en mesure d'apporter.

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